NOUVEAU
RECUL EUROPEEN DEVANT LE REGIME D'ANKARA
Au début de mars 1988, Bruxelles a été la scène
d'une nouvelle offensive diplomatique du régime d'Ankara en vue
d'obtenir de nouveaux soutiens pour améliorer ses relations avec
l'Europe. Profitant de l'occasion de la réunion du sommet de l'OTAN,
Özal a donné une série d'interviews, et en particulier après son
nouveau tête-à-tête avec le premier ministre grec Papandreou, le
premier turc Özal a tenu une conférence de presse triomphale au Centre
de Presse International.
Pendant sa première journée à Bruxelles, Özal a
rencontré le chancelier allemand Helmut Kohl, le ministre des affaires
étrangères Hans-Dietrich Genscher, président du Conseil des Communautés
européennes pour la période actuelle, et Claude Cheysson, membre de la
Commission européenne responsable des pays méditerranéens.
Mais l'étape la plus importante dans la voie de
l'amélioration des relations turco-européennes fut le communiqué
conjoint publié après la seconde rencontre Özal-Papandreou. Selon ce
communiqué, la Grèce a décidé de lever le véto qu'elle avait
opposé jusqu'à présent sur l'application de l'accord d'association
communauté/Turquie, suite à l'accession de la Grèce à la communauté. La
question est restée en suspens pendant sept ans: la Grèce est
maintenant partie prenante de l'association Turquie/CEE et a pris tous
les engagements et toutes les responsabilités impliquées. Ceci sera
fait bientôt, en fait avant la réunion du Conseil de l'Association qui
est prévue pour le 25 avril 1988.
Avant cette réunion, le comité aux affaires
politiques du parlement européen a adopté un projet de résolution
ouvrant la voie, en dépit de la continuation de la violation des droit
de l'homme en Turquie, à un renouveau des relations entre la Turquie et
la Communauté Européenne.
Lors de sa réunion de février 1988, le comité aux
affaires politiques, après avoir débattu du compte-rendu de son
rapporteur M. Gerd Walter, socialiste allemand, a adopté la motion
suivante pour une résolution sur la reprise d l'association Turquie-CEE:
Le parlement européen,
A. considérant le rôle important joué par la
Turquie dans l'histoire européenne au cours des 600 dernières
années,
B. considérant les liens politiques, stratégiques,
économiques et les traités qui ont résulté de l'orientation
européenne de la République turque,
C. considérant le conflit dans la mer égée et
l'occupation partielle de Chypre par les troupes turques qui
compromettent la stabilité politique de cette région et sont au
détriment des relations politiques entre la CEE et la Turquie,
D. considérant l'accord d'association CEE-Turquie de
1963 et la rupture des arrangements de l'association causée par le coup
d'état militaire du 12 septembre 1980,
E. considérant les mesures prises par la Turquie
depuis cette date pour restaurer la démocratie parlementaire,
F. considérant les dernières élections turques du 29
septembre 1987, qui ont été observées par une délégation de ses membres,
G. considérant ses résolutions antérieures, en
particulier celles
- du 8 juillet 1982 sur la situation politique en
Turquie,
- du 23 octobre 1985 sur la situation des droits de
l'homme en Turquie,
- du 11 décembre 1986 sur les relations entre la CEE
et la Turquie,
- du 9 avril 1987 sur la crise dans la mer égée,
1. Insiste sur les liens historiques étroits de la
Turquie avec le développement des pays européens, sur base desquels ce
pays a établi, au cours des 65 dernières années, sur le modèle
légal et démocratique des nations ouest européennes, une constitution
et un système légal qui ont été renversés par le coup d'état militaire;
2. Considère que l'importance particulière de la
Turquie pour l'Europe peut être reconnue au mieux par l'application et
si nécessaire l'extension de l'Accord d'Association;
3. Est prête en conséquence à considérer une reprise
de l'association à la lumière des développements survenus en Turquie;
Concernant la situation en Turquie:
a) Droits de l'homme:
4. réaffirme la préoccupation qu'elle a exprimée
dans de nombreuses résolutions en ce qui concerne le statut des droits
de l'homme en Turquie et se réfère dans ce contexte aux rapports de sa
délégation pour les relations avec la Turquie sur la question;
5. note que la constitution turque et le code pénal
continuent de bloquer la possibilité d'accorder l'amnistie aux
personnes responsables de délits politiques;
6. accueille favorablement le fait que sur base
d'une loi passée devant la Grande Assemblée Nationale Turque en 1987,
ceux qui étaient impliqués dans les procès de la DISK et du Mouvement
pour la Paix, soit ont vu leurs sentences réduites, soit ont été
relâchés, bien qu'ils soient toujours soumis à des limitations de
certains droits civils et politiques;
7. Note également que bien que le gouvernement
ait fait un certain effort, la torture et les conditions inhumaines de
détention sont toujours très répandues;
8. Accueille favorablement la signature par la
Turquie de la Convention Européenne sur la Torture et demande
l'application intégrale des dispositions de cette convention,
accompagnée de la possibilité de vérifications
internationales;
9. Insiste sur le fait qu'à cause de la poursuite de
la juridiction des cours militaires sur des civils, il existe
toujours un manque général d'indépendance judiciaire et une garantie
insuffisante du droit à un procès équitable;
10. Demande que les procès à l'encontre de la DISK
et du Mouvement Turc pour la Paix prennent fin le plus vite
possible;
11. Souhaite voir levées les restrictions qui
persistent sur les activités politiques et syndicales et la
liberté d'expression, ainsi que l'abolition de la peine de mort;
12. Demande l'établissement de droits fondamentaux
pour le peuple kurde vivant en Turquie;
Concernant la restauration de la démocratie
parlementaire:
13. Se réfère à ses résolutions du 23 octobre 1985
sur base du rapport Balfe et sur celle du 11 décembre 1986, qui
faisaient de la restauration de la démocratie parlementaire une
condition préliminaire pour la reprise de l'activité des organes de
l'association;
14. Souligne que depuis la reconstitution de
la Grande Assemblée Nationale Turque, des mesures significatives ont
été prises dans la voie du rétablissement de la démocratie
parlementaire;
15. Accueille favorablement le fait que sur base du
référendum qui s'est tenu en septembre 1987, les droits politiques des
leaders politiques d'anciens partis ont été restaurés plus tôt que
prévu;
16. réaffirme, néanmoins, les constatations de sa
délégation à l'occasion des élections turques du 29 novembre que
a) la condition de représentativité de 10% de
l'électorat était gravement discriminatoire à l'égard des petits
partis,
b) le raccourcissement arbitraire de la campagne
électorale a empêché le processus normal de formation d'une opinion au
sein de l'électorat;
(c) l'accès au média publics a été répartie de façon
inéquitable entre les différents partis,
(d) le parti gouvernemental a usé des diverses
autorités publiques pour influencer le résultat des élections;
reconnaît, cependant, que tous les partis et forces politiques sont
arrivées à un consensus pour que les restrictions restantes soient
supprimées et la démocratie consolidée plus avant;
17. Réaffirme son point de vue que la loi martiale
qui est toujours en vigueur dans certaines provinces implique des
restrictions inacceptable sur la vie politique et parlementaire;
Concernant la situation de l'Association:
18. rappelle que la Turquie a demandé l'adhésion à
l'association avec la CEE en 1959 un an et demi seulement après
l'entrée en vigueur du traité de Rome et que l'Accord d'Association de
1963 qui en a résulté était un aboutissement significatif du processus
historique de l'orientation européenne de la Turquie;
19. Note que l'article 28 de l'Accord d'Association
affirme qu'aussitôt que la mise en pratique de cet Accord sera
suffisamment avancée pour justifier d'envisager une pleine acceptation
par la Turquie des obligations qui découlent du traité établissant la
Communauté, les parties contractantes examineront la possibilité de
l'accession de la Turquie à la communauté;
20. Insiste sur le fait que la Turquie --en
particulier à cause des événements interne de 1980 en Turquie et
de la rupture des relations d'association qui en a résulté-- n'a pas
remplis ses obligations dans le cadre de l'Accord d'Association, en
particulier pour ce qui regarde:
a) la réduction des tarifs et l'adaptation aux
normes communes des tarifs (réduction des tarifs sur les produits
industriels, accords préférentiels pour les produits agricoles, etc...)
b) la suppression des restrictions quantitatives
(pour les produits industriels),
c) la mobilité des personnes et des services (
propositions de la Communauté sur la mobilité des personnes toujours
rejetées par la Turquie);
21. accueille favorablement dans ce contexte la
décision par le gouvernement turc de se plier aux réductions de
tarifs conclus;
22. souligne qu'après une interruption de 6 ans, une
réunion du Conseil de l'association a eu lieu le 16 septembre 1987,
quoique sans résultats spécifiques;
23. souligne également que les protocoles pour
l'adaptation de l'Accord d'Association suite à l'accession de
l'Espagne et du Portugal après en avoir référé au comité responsable -
ont été approuvés par le parlement lors de son siège du 20
janvier 1988;
24. insiste dans ce contexte sur le fait que
son approbation de ces protocoles ne constitue pas une
approbation de la politique du gouvernement turc à l'heure actuelle et
que ses réserves concernant la situation des droits de l'homme et sur
le développement de la démocratie parlementaire restent entières;
Concernant la reprise de l'Association:
25. Insiste sur le fait que sa défense continuelle
de la démocratie et des droits de l'homme a contribué à des
développements positifs dans ces domaines en Turquie;
26. Adopte le point de vue selon lequel les organes
de l'association sont la base d'une infrastructure adéquate pour
promouvoir le dialogue entre la CEE et la Turquie sur la continuation
de ces développements;
27. Approuve en tant que première étape les
pourparlers entre sa Délégation pour les Relations avec la
Turquie et celle de la Grande Assemblée Nationale
Turque en vue de réunir à nouveau le Comité Parlementaire
Conjoint EEC-Turquie;
28. demande dans ce contexte au gouvernement turc
d'agir en accord avec les obligations qui lui incombent pour la
restauration complète de la démocratie et des droits de l'homme;
29. Souhaite, en conséquence, que l'association
reprenne ses activités avec ce but à l'esprit;
30. Rappelle au gouvernement turc que l'occupation
d'une partie de Chypre, qui est également liée à la communauté par un
accord d'association est inacceptable et reste un obstacle à
l'amélioration des relations; regrette le caractère inadéquat des
tentatives des gouvernements des Etat Membres pour contribuer à
stabiliser la situation dans cette région;
31. Accueille favorablement les derniers accords
survenus entre les gouvernements de la Grèce et de la Turquie pour
chercher à résoudre leurs différents bilatéraux par des moyens
pacifiques et en accord avec les règlements internationaux et insiste
sur le fait que le règlement de ces différents contribuera à
l'amélioration des relations entre la CEE et la Turquie;
32. charge son président de communiquer cette
résolution à la Commission, au Conseil, à la réunion des ministres des
affaires étrangères pour la coopération politique européenne, aux
gouvernements des Etats Membres, au gouvernement turc et à la Grande
Assemblée Nationale Turque.
CRIS DE PERSONNES AFFAMEES
L'appauvrissement de la population, due à la
politique monétariste du gouvernement Özal donne lieu à différentes
formes de protestation. Le 15 février 1988, au cours de la visite du
général-président Evren dans le village de Döseli dans la province de
Kars, une femme de 45 ans, Mme Seher Kaya, montra son bébé de 11 mois
au chef de l'Etat en disant: "Nous avons faim, mon général! Nous
n'avons pas les moyens de nourrir nos enfants. Prenez le avec vous
peut-être que celui-ci pourra échapper à notre destin et avoir un
avenir meilleur."
Le 1er février 1988, à Kayseri, un ouvrier nommé
Taner Erdogan a arrêté deux ministres qui visitaient la
ville, le ministre de la défense M. Vuralhan et le ministre d'état M.
Yazar, en criant:"J'ai faim! Si vous ne trouvez pas une solution à mon
problème, je vais m'immoler moi et toute ma famille!" A la suite de cet
incident, Erdogan a été saisi par les gardes du corps et emmené au
poste de police.
NOUVEAU COUP POUR LES SYNDICALISTES
Au moins 23 dirigeants syndicaux seront obligés de
quitter leurs postes à cause de la législation du travail adoptée en
1983 par la junte militaire. En vertu de l'article 4 provisoire
de la loi N° 2821 sur les syndicats, ces syndicalistes qui faisaient
partie des directions syndicales avant 1982 ne peuvent rester en
fonction dans ces équipes pour des termes de plus de 3 ans.
Parmi les leaders syndicaux qui devront quitter
leurs postes, on trouve M. Sevket Yilmaz, président de la Confédération
des Syndicats de Turquie (TURK-IS).
D'un autre côté, onze leaders de l'Union des
Travailleurs de l'Automobile (Otomobil-Is) ont été arrêtés à Umraniye
le 13 février 1988 pour avoir organisé une action de protestation
contre les renvois en masse dans certains lieus de travail.
RECENTES DONNEES SUR LES IMMIGRES TURCS
D'après des données statistiques récentes publiées
par les autorités allemandes, le nombre d'étrangers en RFA est de 4,6
millions, dont 1.450.000 sont de nationalité turque. Au sein de la
population étrangère, 1.540.000 personnes ont le statut d'employé, dont
510.000 sont Turcs.
16 % des travailleurs étrangers sont actuellement
sans emploi, alors que cette proportion se maintient à 10 % pour les
travailleurs natifs.
Les villes d'Allemagne de l'ouest où on trouve une
forte densité d'étrangers sont Francfort (25%), Offenbach (22%),
Stuttgart (18%), Münich (17%), Düsseldorf (16%), Mannheim (16%),
Cologne (15%) et Berlin (14%);
L'ambassade turque à Bruxelles a annoncé que le
nombre de ressortissants turcs en Belgique s'élevait à 75.000 en 1987.
Au cours de la même année, un millier de bébés turcs sont nés en
Belgique, tandis que 43 ressortissants turcs sont décédés. Le nombre de
mariages de ressortissants turcs a été de 216 l'année passée.
Seuls 28 de ces mariages ont été enregistrés comme mariages entre
turcs et belges.
UNE BRIGADE TURQUE EN RFA?
Souffrant du déficit en jeunes gens natifs pour le
recrutement dans l'armée, l'Allemagne fédérale a proposé au
gouvernement turc de mettre sur pied une brigade turque spéciale
composée de jeunes immigrés turcs. Selon les estimations, l'armée
allemande va enregistrer un déficit de 100.000 soldats en 1995. Le
chiffre de la population turque de moins de 21 ans se monte déjà à
650.000.
Comme récompense, le gouvernement allemand promet un
salaire mensuel de 1.200 DM pour chaque soldat turc et des facilités de
naturalisation.
D'autre part, le ministre de l'intérieur de Berlin
ouest, M. Kewening, a annoncé que son administration projette de
recruter des jeunes turcs comme policiers, sans exiger la condition de
naturalisation. Les 120.000 Turcs constituent la moitié de la
population étrangère de Berlin ouest.
PAS DE PASSEPORT POUR UN ANCIEN PRISONNIER
La police turque refuse de délivrer un passeport
national à un ancien détenu, mademoiselle Aysel Zehir, qui a besoin
d'un traitement médical à l'étranger à cause de la destruction de
certaines de ses cellules cérébrales au cours d'une longue grève de la
faim qu'elle a faite en prison.
Elle a été arrêtée en 1981 sur l'accusation de
participation à une organisation de gauche. Bien qu'une cour militaire
de première instance l'ait condamnée à une peine de 5 ans de
prisons, la sentence a été cassée et elle a été libérée par la cour de
cassation.
Comme elle ne peut être traitée en Turquie, elle a
été invitée par Amnesty International en France, mais la police lui
refuse son passeport, déclarant que son nom se trouve sur une liste de
"suspects".
ACTES RACISTES ET XENOPHOOBES
27.1, à Zürich, un travailleur turc, Sabahattin
Ünsal, est retrouvé mort dans un poste de police deux heures après son
arrestation pour vérification d'identité.
3.2, à Schrissheim (RFA), un dortoir habité par des
réfugiés politiques est attaqué par 12 personnes non identifiées. Au
cours de la rixe entre les agresseurs et les habitants, deux réfugiés
sont blessés.
17.2, à Bonn, une maison de quatre appartements
habitée par des étrangers est détruite à l'explosif par des individus
non identifiés. Cinq étrangers sont blessés et huit voitures en face de
la maison sont détruites.
19.2, à Offenbach (RFA), une épicerie turque est
mise en feu par des personnes non identifiées. Les pertes matérielles
sont estimées à 150.000 DM.
20.2, le quotidien Hürriyet rapporte que des groupes
racistes distribuent des tracts contenant des plaisanteries qui
ridiculisent les travailleurs immigrés turcs. La police inculpe
deux fonctionnaires hollandais pour avoir participé à cette campagne
raciste.
EXTENSION DE L'ETAT D'URGENCE
Bien que la loi martiale ait été levée, l'état
d'urgence règne toujours sur Istanbul et huit provinces du sud-est. Le
20 février 1988, le Conseil de la Sécurité Nationale, un organe
mi-civil, mi-militaire détenant l'autorité suprême sur les questions de
la sécurité, présidé par le général-président Evren, a décreté de
reconduire l'état d'urgence pour une nouvelle période de 4 mois.
Ce régime délégue aux gouverneurs des provinces le
droit d'exercer certains des pouvoirs des commandants de la loi
martiale. De plus, un gouverneur général aux pouvoirs spécialement
étendus supervise et coordonne les actions de ces gouverneurs. Le
domaine de son autorité a été étendu à quatre autres provinces du
sud-est qui ne sont pas soumises à l'état d'urgence.
Lors d'une réunion du gouverneur général et
des 12 gouverneurs qui s'est tenue à Istanbul le 3 février 1988, le
ministre de l'intérieur Kaleli a dit que les forces de sécurité avaient
arrêtées dans les six derniers mois 59 militants kurdes ainsi que 864
paysans accusés d'aider celui-ci.
Le 9 février 1988, le gouvernement a décidé de transférer le contrôle
sur les frontières avec l'Iran, l'Irak et la Syrie, jusqu'à
présent aux mains de la gendarmerie, aux forces terrestres.
L'ERNK (le front national de libération du
Kurdistan) a annoncé à Paris, le 11 janvier 1988, que les unités de la
guérilla kurde avaient mené en 1987 90 attaques contre des position
pro-gouvernementales et tué 10 officiers de l'armée, 72 soldats, 235
protecteurs de village et agents gouvernements. Les pertes annuelles de
la guérilla kurde, selon l'ERNK, ont été de 18.
UN MINI-WATERGATE A ANKARA
La controverse au sujet du rapport secret MIT
(Organisme National de Renseignements), rendu public par la presse, a
pris un nouveau tour à la fin de février 1988 lorsque l'ancien chef
d'armée, le général Necdet Ürug, a demandé au bureau du premier
ministre d'identifier le responsable qui l'a édité.
Le dit rapport affirme que sous le régime de la loi
martiale le général Ürug et certains autres généraux de l'armée, grâce
à leurs accointances avec le milieu de la pègre, ont eu des relations
privées avec certaines chanteuses et artistes connues dans des
hôtels 5 étoiles d'Istanbul.
Un avis du premier ministre datant du 25
février a admis qu'un tel document existait mais qu'il ne s'agissait
qu'un d'un rapport préliminaire qui n'avait pas été soumis à un
plus haut niveau gouvernemental.
Le général Ürug a dit qu'il allait poursuivre le
responsable du MIT qui avait rédigé le rapport. Malgré le fait que
Mehmet Eymür, chef du département de la contrebande du MIT, soit
un des auteurs du rapport controversé est de notoriété publique,
jusqu'à présent aucune autorité gouvernmentale ne l'a désigné
officiellement comme coupable.
D'après les rapports de presse, le beau fils du
général Evren Erkan Gürvit, un des dirigeants au sommet du MIT, connu
pour être très lié avec la famille d'Özal, pourrait être parmi ceux qui
ont dressé le rapport en vue de discréditer le général Ürug dont le nom
est souvent mentionné parmi les candidats possibles à la présidence de
la république pour les élections présidentielles 1989.
Ürug ne fut pas le seul a être bouleversé par le
rapport secret. Deux autres anciens généraux de l'armée de
haut rang se sont également trouvés embarrassés à cause de leur
déclarations faites à la presse au sujet du rapport secret. Le
procureur accuse les anciens généraux Turgut Sunalp et Nevzat Bölügitay
d'incitation à la rébellion pour leurs commentaires sur
"l'affaire du rapport secret".
Sunalp, s'expliquant dans le quotidien Bulvar, a
accusé le premier ministre Özal de saper la réputation de l'armée et a
dit que la colère contre Özal étant grandissante dans les rangs
de l'armée.
Quant à Bölügiray, fondateur du département du MIT
contre la contrebande , il a expliqué dans le quotidien Milliyet
qu'Özal, en s'immisçant dans des questions aussi délicates que le
service secret et les forces armées, marchait dans la voie de l'ancien
premier ministre Menderes qui a été pendu après un coup d'état en 1960.
CHIFFRES OFICIELS SUR LE TERRORISME D'ETAT
L'état major turc a annoncé le 18 février 1988 qu'au
cours des 8 ans qui se sont écoulés entre décembre 1979 et avril 1987,
les tribunaux militaires ont traduit en justice 59.701 personnes pour
des "crimes idéologiques".
En 1987, 5.179 d'entre eux étaient toujours en
procès devant les tribunaux militaires. Le nombre de détenus dans les
prisons militaires était de 1.205.
3.640 de ces inculpés sont étiquettés
"d'extrême-gauche", 438 "d'extrême-droite", 871 "séparatistes" et 230
"impliqués dans des affaires de contrebande".
DECLARATION SUR LES REFUGIES POLITIQUES
39 membres de l'assemblée parlementaire du Conseil
de l'Europe ont publié, le 27 janvier, un déclaration écrite sur la
situation des réfugiés politiques provenant de Turquie.
Signée également par les représentants turcs Cem,
Erdem, et Talay, la déclaration dit:
"Les soussignés, membres de l'Assemblée,
"1. Reprenant à leur compte les différentes prises
de position de l'Assemblée sur les droits des réfugiés politiques;
"2 Réclamant pour la Turquie la pleine jouissance
des libertés et droits fondamentaux de l'homme, en particulier la
liberté d'expression et d'association,
"3. Demandent, pour les réfugiés politiques qui
exprimeraient le souhait de rentrer dans leur pays, que tous les
obstacles actuels dressés contre leur retour soient levées, que
leur soit garantie la libre activité politique en Turquie et qu'un
amnistie générale soit immédiatement décidée.
20 NOUVELLES CONDAMNATIONS à MORT
Le procès de 146 membres supposés du Parti Ouvrier
du Kurdistan (PKK) devant le tribunal militaire de Diyarbakir s'est
soldé le 5 février 1988, par le prononcé de 20 peines capitale, 13
emprisonnement à vie et 68 diverses peines de prison allant jusqu'à 24
ans.
D'autre part, par l'approbation des peines de mort
contre trois activistes de droite par la cour militaire de cassation,
le nombre de peines de mort attendant leur ratification par le
parlement s'est élevé à 189.
Autres procès et condamnations en février 1988:
4.2, à Istanbul, la cour de la sûreté de l'état
condamne quatre membres du Parti Socialiste de la Patrie (SVP) à 5 ans
de prison chacun.
5.2 cinq membres de la section d'Ankara de
l'association des droits de l'homme (IHD) sont condamnés à 3 mois de
prison chacun pour avoir distribué des tracts.
7.2, les condamnation à 27 ans de prison de
trois personnes accusées d'actes de sabotage sont approuvées par la
cour militaire de cassation.
14.2, on rapporte qu'une militante de 30 ans du PKK
,Mme Sakin Polay a été condamnée dans sept différents procès à 76 ans
de prison au total.
17.2, à Istanbul, trois membres de l'association des
droits de l'homme (IHD) sont condamnés à 3 ans de prison chacun pour
avoir collecté des signatures en faveur de la campagne pour l'amnistie
générale. Par ailleurs, le procureur ouvre une nouvelle procédure
légale contre deux membres dirigeants de l'association.
19.2, sept membres dirigeants de la TAYAD
(Association de Solidarité avec les Familles de Prisonniers), sont
menés devant la cour de la sûreté de l'état à Istanbul. Ils
risquent chacun une peine de prison pouvant aller jusqu'à trois ans.
26.2, à Ankara, la cour de la sûreté de l'état
condamne un membre du TKKKO à 4 ans et 2 mois de prison.
SUCCES DANS LES ACTIONS DE RESISTANCE DES PRISONNIERS
Une série d'actions de protestation de prisonniers
et de leurs familles telles que des grèves de la faim ont obligé le
gouvernement à accepter les exigences concernant les règlements
de la prison.
Tout d'abord, les détenus de la prison
militaire de Diyarbakir ont entamé, le 6 février 1988, une grève de la
faim en protestation contre la discipline de caserne et l'interdiction
de la communication en langue kurde avec leurs familles kurdes. Sur les
540 détenus de la prison, 301 étaient déjà condamnés à la peine
capitale ou à de lourdes peines de prison alors que 239 autres sont
toujours en procès devant le tribunal militaire de Diyarbakir.
Par solidarité avec les prisonniers, les membres de
leurs familles ainsi que deux membres sociaux-démocrates du parlement,
Adnan Ekmen et Mehmet Alniak, ont rejoint l'action par la suite.
La grève de la faim des prisonniers de Diyarbakir a
été suivie également par des centaines de prisonniers politiques dans
les prisons de Mersin, Sagmalcilar, Edirne, Bursa, Aydin et Malatya.
L'état d'un gréviste de la faim de la prison de
Diyarbakir, Mehmet Emin Yavuz, s'est détérioré au onzième jour de son
action et il a été emmené à l'hôpital de la ville, mais il était trop
tard et il est décédé.
Devant la réaction de l'opinion publique, le
gouvernement a décidé de montrer plus de clémence envers les détenus
des prisons et de leur permettre de communiquer avec leurs parents en
kurde. Le nouveau règlement a augmenté le temps que les prisonniers
peuvent passer avec leur leur famille de 30 minutes à une heure.
Une autre mesure adoptée par le gouvernement a été
de lever l'obligation pour les détenus de porter l'uniforme de
prisonnier. D'autres demandes comme l'accès à des machines à écrire,
des radios et du matériel de peinture à l'intérieur de la prison ont
également été accordées.
De plus, l'annonce du ministre de la défense dit que
des cabines téléphoniques seront installées à l'intérieur de la prison
pour permettre aux détenus d'appeler leurs familles par téléphone.
Les prisonniers seront autorisés à communiquer
librement avec leurs avocats assis aux côtés opposés d'une table sans
l'écran de verre grillagé antérieurement obligatoire. Ils seront
également autorisés à recevoir 10.000 LT (80 dollars) de leurs parents,
au lieu des 25.000 LT d'argent de poche auxquels ils avaient droit
auparavant.
Le gouvernement a aussi décidé le 25 février de
transférer les prisonniers politiques des prisons militaires vers les
prisons civiles. Néanmoins, ces détenus seront jugés comme avant par
des tribunaux militaires. D'après l'article 23 du code de la loi
martiale, même après la levée de la loi martiale, les tribunaux de la
loi martiale restent en fonction et continuent de traiter les procès
engagés au cours de la loi période de la loi martiale.
Le président de l'Institut de la Loi Turque, M.
Muammer Aksoy, a rendu visite aux sièges de tous les partis politiques
le 25 février, et leur a demandé ce modifier le code en vue de mettre
en terme aux procès devant les tribunaux militaires.
La TAYAD (Association pour la Solidarité avec les
Prisonniers et Leurs Familles) a tenu une conférence de presse devant
la prison de Metris le 23 février et lancé une nouvelle campagne pour
l'annulation de toutes les condamnations données par des tribunaux
militaires pendant et après la période de la loi martiale.
NOUVELLES ALLEGATIONS DE TORTURE
Une inculpée du procès du TKP en cours devant la
cour de la sûreté de l'état d'Izmir, mademoiselle Seviye Köprü,
affirmant qu'elle avait été victime de torture sexuelle au cours de son
interrogatoire par la police, a entamé une grève de la faim le 25
février 1988 dans sa prison.
26 autres détenus de la prison de Buca, pour
manifester leur solidarité , se sont joints à la grève de la faim de
Köprü.
Le 26 février, au procès du capitaine Ali Sahin, du
lieutenant Umit Eris, des sergents Mehmet Aca, Ibrahim Yildizgörür et
du caporal Suat Akova, accusés d'avoir battu à mort un professeur au
cours de son interrogatoire à Bingöl en 1985, trois anciens miliciens
de l'armée ont déclarés avoir été témoins du meurtre.
Le sergent Fikret Birge, le soldat Abdullah Zehin et
le chauffeur Sakip Ay ont dit qu'après que Siddik Bilgin soit mort sous
les coups, le capitaine Ali Sahin leur ont ordonné d'emmener le corps
dans un bois. Lorsqu'ils arrivèrent au bois, le capitaine a forcé les
soldats à tirer sur le corps pour donner l'apparence que Bilgin avait
été tué par balles alors qu'il tentait de s'enfuir.
CHASSES A L'HOMME ET ARRESTATIONS
28.1, à Siirt, 40 paysans sont arrêtés pour avoir
aidé la guérilla.
5.2, douze membres supposés du TKP-ML sont arrêtés à
Istanbul
8.2, à Mardin, un militant kurde est capturé mort et
deux autres blessés.
10.2, les forces de sécurité ont tué par balles cinq
membres supposés du PKK.
11.2, la police arrête 24 étudiants d'université
pour leur participation à une manifestation de dénonçant les brutalités
d'Israël contre les palestiniens
13.2, neuf membres supposés du TKP-ML sont capturés
à Istanbul.
17.2, le parti populiste social démocrate (SHP)
annonce que ses 15 membres ont été arrêtés pour avoir aidé des
militants kurdes.
21.2, à Gaziantep, onze personnes sont arrêtées sur
l'accusation d'avoir produits des faux passeports pour une organisation
illégale.
25.2, les forces de sécurité tuent par balle cinq
militants kurdes à Tunceli.
AMENDES EXTRAVAGANTES POUR DES PUBLICATIONS "NUISIBLES"
Deux journaux, Tan et Ayna, accusés d'avoir publié
des photos "nuisibles pour les mineurs", ont été condamnés par une cour
criminelle à de lourdes amendes, respectivement de 149.423.749 LT et
86.490.916 LT. Le montant total des amendes prononcées par les
tribunaux contre 14 journaux pour des publication "nuisibles" depuis
1984 s'est élevé à 7.258.797.342 LT (environ 7 millions de dollars US).
Répartition des peines entre les journaux:
Tan
Hafta Sonu
Sabah Yildizi
Süper Gazete
Haftanin Sesi
Ayna
Playboy
Bravo
6 fois
2 fois
2 fois
une fois
2 fois
4 fois
11 fois
7 fois
784.377.883 LT
123.499.326 LT
735.982.800 LT
77.373.750 LT
85.806.999 LT
63.077.415 LT
3.946.054.160 LT
1.342.624.999 LT
Par ailleurs, Tan est toujours en procès pour 25
affaires de "publication nuisible", Hafta Sonu 1, Playmen 3, Milliyet
1, Sabah Yildizi 14, Haftanin Sesi 2.
Les procureurs réclament un total de 50 milliards de
LT (50 millions de dollars US) d'amende pour tous les journaux et
livres accusés. Parmi les centaines de livres qui ont été l'objet de
poursuites pour "publication nuisible", on trouve notamment le
"Tropique du capricorne" de Henry Miller.
Autres violations de la liberté de la presse:
10.2, un numéro de l'hebdomadaire 2000'e Dogru
rapportant les débats sur la question kurde au parlement allemand est
confisquée sur décision de la cour de la sûreté de l'état.
11.2, un nouveau procès de Fatma Yazici,
éditeur responsable de 2000'e Dogru, commence devant la cour
criminelle. Elle est accusé d'avoir diffamé le président de la
république et risque une peine de prison pouvant aller jusqu'à 3 ans.
13.2, deux éditeurs de Cumhuriyet, Ilhan Selçuk et
Okay Gönensin, sont interrogés par le procureur public pour un article
intitulé " le fascisme du 12 septembre et l'ANAP".
17.2, deux éditeurs du quotidien Cumhuriyet, Ugur
Mumcu et Okay Gönensin, sont inculpés pour des articles critiquant le
ministre de la défense nationale Vuralhan.
18.2, nouveau procès de presse devant la cour
criminelle contre deux éditeurs du quotidien Cumhuriyet, Ali Sirmen et
Okay Gönensin, pour un article sur les conflits politiques avant le
coup d'état.
19.2, le procureur public d'Ankara a ordonné la
confiscation de 54 livres publiés par les maisons d'éditions Sol et
Onur. Parmi les livres confisqués, on trouve les oeuvres de Russel,
Darwin, Einstein et Gramsci.
19.2, deux éditeurs de l'hebdomadaire 2000'e Dogru,
Fatma Yazici et Neyir Kalaycioglu, sont condamnés à 3 mois et 15 jours
de prison chacun pour un article critiquant le premier ministre Özal.
25.2, le numéro de février 1988 de la revue
mensuelle Yeni Demokrasi est confisqué sur décision de la cour de
sûreté de l'état d'Istanbul pour avoir publié un article sur les kurdes.
26.2, le procureur public d'Istanbul a ordonné de
suspendre la publication d'une série d'ouvrages édités par Sorun
Publishing House.
CRISE DANS L'INDUSTRIE DU LIVRE
L'Union des Ecrivains de Turquie (TYS), dans une
pétition adressée au Ministre de la culture, a critiqué la politique
anti-culturelle actuelle et demandé de trouver une solution immédiate à
la crise grave dans l'industrie du livre turc.
D'après les rapports de presse, l'année passée, 100
maisons d'éditions ont été fermées et 5O autres ont cessé d'imprimer de
nouveau livres suite à des difficultés financières et aux restrictions
sur le liberté de la presse. Par ailleurs, 80 % des 1.200 libraires de
Turquie ont cessé de vendre des livres et ne vendent plus que de la
papeterie.
En vue d'une solution immédiate, la TYS propose de:
- Supprimer les articles 141 et 142 du code pénal
turc,
- Réduire le prix du papier d'imprimerie,
- Lancer une campagne avec le slogan "Achetez un
livre au lieu d'une fleur" afin de stimuler la vente des livres.
RELATIONS AVEC LA GRECE ET LA BULGARIE
La seconde rencontre entre Özal et Papandreou qui
s'est tenue à Bruxelles le 3 mars 1988 a marqué un pas en avant dans
les relations entre la Turquie et la Grèce et "les deux premiers
ministres ont décidé des moyens pour promouvoir le rapprochement entre
les deux pays à la lumière de la nouvelle tournure positive de leurs
relations, suite à la rencontre de Davos."
La déclaration conjointe en dix points annonçait
qu'un comité militaire conjoint rentrera en fonction en mars. Le
sous-comité militaire, qui consiste en diplomates et experts militaires
doit être convoqué et supervisé par les deux ministres des affaires
étrangères, en vue d'examiner les problèmes liés à l'organisation des
exercices militaires nationaux, ainsi que les problèmes concernant les
vols d'avions militaires.
La déclaration dit encore qu'Özal a accepté de
visiter Athènes entre le 13 et le 15 juin.
Les personnes disparues à Chypre après
l'intervention militaire de la Turquie en 1974 sont un autre point sur
lequel les premiers ministres ont accepté de collaborer. La déclaration
dit que la Turquie et la Grèce devraient reconstituer un comité
--travaillant sous l'égide d'un représentant de la Croix rouge désigné
par le secrétaire général des Nations unies et consistant en
représentant des deux communautés de l'île-- pour investiguer la
destinée de ces personnes disparues.
Un autre élément important dans l'amélioration des
relations gréco-turques a été le résultat des élections
présidentielles. Au cours d'une campagne politique agitée, M. George
Vassiliou, un homme d'affaires millionnaire qui était soutenu par
l'AKEL, a promis de rencontrer Rauf Denktash. Dans l'esprit de Davos et
Bruxelles, certains développements surprises peuvent être attendus en
ce qui concerne le problème de Chypre également.
Pendant que la Turquie est en train de briser la
glace avec la Grèce à Davos et Bruxelles, un dégel dans les relations
avec son autre voisin à l'ouest, la Bulgarie, a été entamé par la
signature d'un protocole à Belgrade par Mesut Yilmaz et Petar Mladenov,
les ministres des affaires étrangères des deux pays respectivement, le
13 février.
Les deux ministres se sont rencontrés pendant la
conférence des Balkans, qui rassemblaient les ministres des affaires
étrangères des six pays des Balkans en conflit latent à Belgrade.
Deux commissions conjointes séparées doivent être
mises sur pied, la première pour traiter du problème très sensible des
minorités ethniques turque en Bulgarie. Le second comité conjoint
s'occupera des échanges économiques et culturels entre la Turquie et la
Bulgarie.
LE SECTEUR PRIVE PASSE A L'ATTAQUE
La revue mensuelle South a publié dans son
dernier numéro une étude sur le développement du
complexe industriel-militaire de Turquie. Nous reproduisons ci-dessous
le texte intégral de cet article.
Gardiens traditionnels de la nation, devenus si
pauvres qu'ils ont été surnommés le tiers-secteur de l'économie, les
forces armées turques se trouvent forcées à adopter une attitude
défensive face au défi du secteur privé lancé par le régime de Turgut
Özal.
Et comme l'austérité se fait cruellement
sentir, les hommes de troupe eux-mêmes commencent à mettre en question
les lourdes coupes faites sur le budget de la défense -actuellement
d'environ 25 %- et les privilèges qui continuent pour la classe des
officiers.
Par des investissements importants dans les secteurs
clés, qui ont atteint leur sommet dans les années 70 et au début des
années 80, les fonds de soutien aux militaires ont amassé des avoirs
estimés à plus de 2 milliards de dollars US. Les principaux fonds en
jeu sont ceux de la force armée et des forces terrestre et navale, de
l'association d'entraide mutuelle de l'armée (Oyak) et les fonds de
soutien à l'industrie de défense. Les industries soutenues par les
militaires emploient environ 40.000 travailleurs.
Oyak, le premier, a été fondé en 1961 pour parer au
déclin des revenus des officiers de l'armée qui avaient été un facteur
clé du coup d'état de 1960. L'Oyak a mis sur pied un fond pour
les pensions et donné des prêts à bon marché et d'autres avantages
financiers pour 80.000 officiers de l'armée régulière. Autour de cette
époque, les marchés spéciaux de l'armée, comme les US army's PX stores,
furent organisés pour vendre au rabais aux familles des militaires. Les
officiers étaient obligés d'apporter une contribution de 10 % de leurs
salaires au fond, qui a commencé avec un capital d'investissement de
8,9 millions de lires turques en 1962 (cours actuel 1,060 LT=1US$).
Celui-ci s'est élevé jusqu'à 502 millions de LT en 1970. Les avoirs
totaux sont maintenant estimés entre 600 millions de dollars US et 800
millions de dollars US.
Vers le milieu des années 70, l'OYAK avait accumulé
des intérêts de contrôle dans l'Industrie Automobile Turque et la Tukas
(une firme de boîtes à conserve), et détenait 42% des parts des
installations des voitures Renault, 20% des installations
pétrochimiques Petkim, 8% de la TPAO (Industries Pétrolières
Turques) et 7% de l'usine de pneus Goodyear.
Les réductions dans l'aide militaire américaine ont
été l'aiguillon principal pour la mise sur pied des trois
fonds de soutien des forces armées dans les années 70, afin de
financer la production d'armes locales.
Le fond pour la force aérienne a ouvert la voie,
financé par des taxes publiques et des loteries destinée à permettre la
réalisation du premier plan de modernisation des forcées armées en
1970. Les fonds pour les forces terrestre et navale ont suivis en 1972.
Tous se sont lancées dans de vastes programmes d'investissements.
D'après une étude récente par Mehmet Ali
Barlas, ceux-ci sont concentrés dans les secteurs de la machinerie, de
l'électronique et des télécommunications. Par exemple, à Aselsan
(industries électroniques militaires) 51% des parts sont détenus par le
fond de soutien aux forces terrestres, et 13% par le fond de la force
navale. Aselsan emploie environ 4.000 personnes dans ses usines et est
impliqué dans la production d'avions F-16 et Maverick; on s'attend à ce
qu'il contribue à un projet de défense aérienne à basse altitude.
Le fond de soutien aux forces aériennes détiennent
45 % des parts de la Tusas (Industries Aéronautiques Turques) fondées
en 1973, et est en train de produire le F-16 avec ses filiales, projet
conçu en collaboration avec la General Dynamics et la General Electric.
Dans la période de boom des entrepreneurs
militaires dans les années 70, la première moitié des fonds a servi à
soutenir des investissements dans le secteur public dans les secteurs
de la haute technologie où le secteur privé proprement dit ne
pouvait être compétitif. A ceci on donnait un support idéologique
par l'argument qu'on ne pouvait faire confiance au capital privé en
matière de défense nationale. Entre-temps, un nombre croissant
d'ex-personnel militaire prenait en charge des postes civils importants.
A la même époque, la Turquie s'organisait pour
moderniser sa défense, qui reposait jusque là sur un armement
américain dépassé.
La modernisation, pour atteindre les standards de
l'OTAN, nécéssitait d'après les estimation 1,5 milliard de dollars US
par an. En 1985, l'administration pour le développement et le soutien à
l'industrie de défense (Dida) a été fondée pour s'atteler au
développement de l'industrie de défense de haute technologie. Les fonds
pour le programme ont été trouvés par le fond de soutien à l'industrie
de défense mis sur pied en 1986. L'administration Özal est désireuse
d'attirer les capitaux et la technologie étrangères pour des projets en
collaboration avec le capital privé turc.
Le futur rôle des groupes du tiers-secteur dans ces
projets reste incertain. Des propositions en vue de supprimer les fonds
du soutien aux trois forces et le fond de soutien à l'industrie
paraissent être mises au frigo pour le moment. Les plans de
privatisation de l'administration actuelle impliquent des
investissements publics et militaires. Plus récemment on a parlé de la
privatisation de la compagnie de télécommunications Netas, détenue en
partie par le fond de soutien à la force navale.
l'Oyak, la plus ancien unité du complexe
militaire/économique, souffre de problèmes financiers croissants.
L'année passée une enquête interne a été commissionnée pour examiner
les investissements à perte. Malgré un bénéfice de 11 millions de LT en
1981, ses services sont devenus de plus en plus inadéquats compte tenu
des prix actuels. Néanmoins, les facilités de crédit des consommateurs
de l'Oyak restent utiles pour les familles des militaires.
Une relation tendue s'est développée entre les
militaires et le gouvernement civil, qui est vu comme voulant
s'éloigner des traditions séculaires de Kemal Atatürk et réduire la
participation prépondérante des investissements des capitaux publics et
militaires dans l'économie.
Et à l'intérieur, les privilèges économiques qui ont
été un facteur déterminant pour le maintien de la cohésion pourraient
devenir de plus en plus difficile à maintenir.