PERSECUTION
DE LA PRESSE DE GAUCHE
Les cours de la sûreté de l'Etat qui ont repris les
fonctions des tribunaux militaires après la levée de la loi martiale
ont déclenché une campagne de persécution sans précédent à l'en-contre
de la presse socialiste.
Au cours des mois de juin et de juillet, ces cours
ont lancé une série de décrets visant la confiscation de plusieurs
revues socialistes.
D'après le quotidien Cumhuriyet du 25 juin 1988,
seule la Cour de la Sûreté de l'Etat d'Istanbul a, endéans une période
de trois ans, décidé l'interdiction et la confiscation de 70
publi-cations différentes.
Contrairement à l'affirmation du gouvernement que la
liberté de la presse est respectée en Turquie, la moitié de ces
confiscations ont été décidées par les CSE au cours du premier semestre
de l'année 1988.
Les éditeurs responsables de ces revues sont jugés
devant les CSE en vertu des articles 141, 142, 163 et 313 du Code pénal
turc. Accusés notamment de propagande communiste, séparatiste ou
anti-laïque, ils risquent des peines de prison allant jusqu'à mille ans
au total.
L'éditeur responsable de Yeni Cözüm, Celil Malkoc
est menacé de peines de prison allant jusque 261 ans au total et ce
dans huit procès différents. Il est suivi par l'éditeur responsable de
2000e Dogru, Mme Fatma Yazici, qui risque un emprisonnement de 116 ans.
Non seulement les revues socialistes, mais également
les plus anciens et les plus prestigieux quotidiens du pays comme
Cumhuriyet et Milliyet ont fait l'objet de la persécution.
Le 16 juin 1988, la Cour de la Sûreté de l'Etat a
dé-crété la confiscation du Milliyet et a inculpé l'édito-rialiste
renommé Mehmet Ali Birant, qui a fait un interview avec Abdullah Öcalan
(alias Apo), leader du Parti Ouvrier de Kurdistan (PKK)., ainsi que
l'éditeur responsable Eren Güvener. Ils sont menacés chacun d'une peine
de prison de 15 ans pour "propagande au détriment des sentiments
patriotiques" et le procureur récla-me l'application de l'article 142
du Code pénal turc.
Le Milliyet a commencé à publier les interviews le
14 juin, mais deux jours plus tard la CSE a décrété d'ar-rêter leur
publication.
Le 21 juin, Erbil Tusalp du quotidien Cumhuriyet a
été inculpé pour avoir révélé le procès-verbal de l'inter-rogatoire de
Kartal Demirag, auteur présumé de la tentative d'assassinat sur la
personne du premier ministre Ö-zal. La police a fait un raid dans
l'office du quotidien et Tusalp a été gardé en état d'arrestation
pendant 72 heures.
Parmi d'autres journalistes traduits devant les
tribunaux en juin se trouvent Engin Ardic de l'hebdomadaire Tempo et
Cüneyt Arcayürek du Cumhuriyet, pour diffamation du premier ministre
Ozal, ainsi que Fatma Yazici de l'hebdomadaire 2000e Dogru, pour avoir
publié un article sur les Kurdes.
Le 25 Septembre: Un nouveau référendum
Les électeurs de Turquie se rendront aux urnes le 25
septembre 1988 en vue de prendre une décision sur les amendements
constitutionnels permettant de tenir les élections municipales le 13
novembre 1988 au lieu de l'année prochaine.
En vertu de la Constitution de
1982, les élections locales doivent être organisées tous les cinq ans.
Les élections précédentes avaient été tenues en 1984. Si les
amendements constitutionnels sont approuvés par les électeurs, ces
élections locales se feront un an plus tôt.
Il s'agit de troisième référendum
depuis le coup d'état de 1980. Le premier tenu en 1982 a eu comme
résultat l'adoption de la Constitution imposée par les militaires ainsi
que l'élection du général Kenan Evren à la présidence de la République.
Le deuxième tenu l'année passé à abouti à la levée de l'interdiction
d'activités politiques pour les anciens dirigeants de parti, sauf ceux
qui ont pas été condamnés par la justice militaire pour "délits contre
l'Etat".
Ce troisième référendum a été
proposé par le premier ministre Özal et passé au Parlement avec 283
voix du Parti de la Mère-patrie (ANAP) au pouvoir, contre 93 voix
d'opposition du Parti populiste social-démocrate (SHP) et l'abstention
des députés du Parti de la Juste-Voie (DYP).
Etant donné que la Constitution
stipule 300 voix au minimum pour qu'un amendement constitutionnel
puisse entrer en vigueur et que la majorité à l'Assemblée nationale est
restée à 283, le gouvernement, conformément à une autre provision
de la Constitution, a dû demander l'avis de la population.
Pendant les débats avant la vote
au Parlement, Özal a accusé les partis d'oppositions "d'échapper au
jugement de la nation". "Puisque vous vous plaignez de la corruption
dans les administrations municipales, tenons les élections aussi tôt
que possible pour pouvoir changer ces administrations," a-t-il dit.
Le leader d'opposition Erdal
Inönü (SHP) a déclaré que les élections anticipées ne sont pas une
solution aux malaises dans le pays. "Les élections que le ANAP veut
tenir en novembre de cette année ne seront pas équitables et se
dérouleront sans avoir connu à tous les partis la possibilité de faire
entendre leurs opinions" a-t-il ajouté.
Néanmoins, après le vote à
l'Assemblée générale, quand Özal a dû aller au référendum, Inönü a
qualifié ce référendum comme "une occasion en or pour se débarrasser du
gouvernement d'Özal". Quand à l'autre leader d'opposition, Süleyman
Demirel (DYP), il partage le même avis et dit: "Ce référendum ne se
tiendra pas seulement sur la question des élections anticipées, mais
également sur la crédibilité du gouvernement".
En effet, la Turquie se trouve
déjà dans l'effervescence d'une campagne électorale.
Les partis d'opposition, sans
exception, soulignent que le gouvernement devra démissionner si les
voix "Oui" pour les amendements constitutionnels restent en dessous de
50%, parce que tel résultat signifiera que la population n'approuve pas
la politique gouvernementale. Ainsi, la tenue des élections
législatives anticipés sera inévitable.
Par contre, Özal considère que si
les voix de "Oui" dépassent 36%, le score de l'ANAP dans les élections
de 1987, cela signifiera la continuation de la confiance populaire à
son gouvernement.
Afin d'obtenir un tel résultat,
l'ANAP a recourt à des méthodes électorales inimaginables.
Tout d'abord, la tentative
d'assassinat sur la personne d'Özal pendant le Congrès de l'ANAP en
juin est bien exploitée pour exciter la compassion. Les vidéo-films de
cet attentat sont multipliés et distribués jusqu'aux coins les plus
éloignés du pays. Le 18 juin, un ancien membre du parti néo-fasciste
(MHP), Kartal Demirag, avait tiré sur Özal alors qu'il s'adressait au
congrès et l'avait blessé au doigt. Quelque 20 congressistes, y compris
le ministre du travail Imren Aykut, ont été blessés par les balles
tirées par les policiers. Les motifs de Demirag de tirer sur Özal
restent toujours obscures.
Dans une autre démarche
électorale, Özal a fait un pèlerinage spectaculaire à la Mècque en
juillet, tout en utilisant les moyens de l'Etat. Les images du
pèlerinage d'Özal et de son épouse ont abondamment été diffusées par la
radio-télévision de l'Etat pour récupérer la sympathie des électeurs
religieux. L'opposition accuse Özal de contrevenir à la sécularité de
l'Etat turc.
Dans les milieux diplomatiques,
ce geste religieux d'Özal est considéré comme une erreur qui peut
aboutir à l'échec de tous les efforts en vue d'intégrer la Turquie dans
les Communautés européennes.
Quel que soit le risque, Özal
n'hésite point de jouer à tout pour pouvoir préserver le score de 36%
de son parti tant dans le référendum qu'aux élections éventuelles.
RAZZIA DANS LA REVUE "TOPLUMSAL KURTULUS"
La plus spectaculaire de ces persécutions a pris
comme cible la revue mensuelle Toplumsal Kurtulus .
L'opération contre cette revue a commencé le 9 juin
1988 par l'arrestation de l'ancien éditeur responsable Orhan Gökdemir à
Isparta où il faisait son service militaire. Accusé d'avoir publié un
article en novembre 1987, il a été gardé pendant des jours dans une
cellule humide et froide et forcé à témoigner contre les autres
dirigeants de la revue.
Un autre rédacteur de la revue, Hüsnü Öndül, qui est
également conseiller juridique, a été convoqué le 13 juin par la Cour
de la Sûreté de l'Etat d'Ankara et amené au centre de la torture DAL
pour son interrogatoire.
Le même jour, le procureur de la Cour de la Sûreté
de l'Etat a ordonné à la police d'arrêter l'éditrice de la re-vue, Mme
Bilgesu Erenus, et l'éditorialiste Prof. Yalçin Küçük.
Après avoir fouillé dans leurs résidences, la police
les a amenés séparément au centre DAL et placés dans des cellules.
Pendant le fouille dans l'office de Toplumsal
Kurtulus, la police a détruit tout le matériel et a confisqué plusieurs
documents et objets.
Remarquant sur un bureau une note portant le nom
d'Ilhan Akalin, directeur général de la maison d'édition, les policiers
l'ont arrêté à son domicile et l'ont placé dans une autre cellule
humide et froide dans le Centre DAL.
Akalin et Gökdemir ont été gardés plusieurs jours
dans des cellules dont les planchers sont couverts d'eau à hauteur de 2
cm.
Tous les détenus ont été interrogés jusqu'au 20 juin
sous la lumière éblouissante des projecteurs qui empêche de connaître
les visages des inquisiteurs. Pendant plusieurs jours, on n'a donné aux
détenus qu'un quart où une demie miche de pain, un petit morceau de
fromage de la grandeur d'une boîte d'allumettes, et quelques gorgées
d'eau versées d'un récipient en plastique.
Le procureur et la police, pendant l'interrogatoire,
ont accusé les détenus de propager les messages du parti ouvrier de
Kurdistan (PKK) et des personnalités comme Ismail Besikci, un
sociologue turc qui défend les droits et les libertés du peuple kurde.
Le 20 juin, au dernier stade de l'enquête au centre
DAL, la police a pris leurs photos et empreintes digita-les. En même
temps, le procureur Ülkü Coskun a lancé l'ordre pour la confiscation du
numéro 12 de Toplumsal Kurtulus qui était dans les kiosques depuis 20
jours et a inculpé les cinq journalistes pour "propagande communiste et
séparatiste".
Le procès à la Cour de la Sûreté de l'Etat a été
prévu pour le 18 août 1988. Y. Küçük risque une peine de pri-son allant
jusque 45 ans, Ilhan Akalin 30 ans, Bilgesu Erenus et Hüsnü Öndül 25
ans chacun, et Orhan Gök-demir 15 ans. Bien que Erenus a été mise en
liberté, les quatre autres inculpés seront jugés en état d'arrestation.
Le numéro 11 de Toplumsal Kurtulus a été également
confisqué et l'éditeur responsable pour ce numéro, M. Felemez Ak risque
aussi une peine de prison pouvant atteindre 15 ans.
Yalcin Kücük est un des professeurs d'université qui
ont été démis par les militaires après le coup d'état de 1980. Il est
resté en état d'arrestation pendant deux ans pour "avoir propagé le
communisme" dans un de ses livres. Pourtant, il a été acquitté à la fin
de ce procès.
Quant à Bilgesu Erenus, elle est une des figures
célèbres de la vie artistique du pays. Elle a eu un grand succès avec
ses pièces théâtrales: La dame du sud, une pièce allégorique sur la
lutte de l'écrivain américain Lillian Hellman contre le MacChartysme
aux Etats-Unis dans les années 50, et L'Invité, traitant le sort
dramatique qui attend les travailleurs migrants turcs après leur retour
définitif dans leur pays d'origine.
GREVE DE LA FAIM DES EDITEURS DE GAUCHE
En signe de protestation contre la répression
exercée sur la presse de gauche, le 21 juin, les éditeurs de cinq
revues de gauche, Yeni Cözüm , Yeni Demokrasi, Günese Cagri, Emegin
Bayragi et Toplumsal Dirilis, ont lancé une campagne sous le slogan "On
ne peut pas contraindre la presse socialiste au silence!"
Comme première action, ils ont déposé le même jour
une couronne noire devant la Cour de la Sûreté de l'Etat à Istanbul. La
police a riposté en arrêtant Ozcan Sapan d'Emegin Bayragi et Emir
Bilgin de Yeni Demokrasi.
Deux jours plus tard, le 23 juin, les éditeurs de
ces cinq revues ont tenu une conférence de presse à Istanbul. Déclarant
que la confiscation et l'interdiction des publications sont effectuées
dans le but de détruire la presse de gauche, ils ont lancé un appel à
toutes les forces démocratiques pour manifester leur solidarité avec la
presse socialiste de Turquie.
Cette action des éditeurs de gauche a été soutenue
par un communiqué de presse émanant du Syndicat des Ecrivains de
Turquie (TYS).
Dans une autre action, les éditeurs et plusieurs
lecteurs de quatre revues socialistes ont entamé une grève de la faim à
partir du 5 juillet 1988. L'action se déroule dans les offices de
rédaction des revues Günese Cagri, Yeni Cözüm, Yeni Demokrasi et Emegin
Bayragi.
Les grévistes de la faim ont poursuivi leur action
dans le parc Sultanahmet le 14 juillet, mais ils ont été dispersés
brutalement par les policiers. Six grévistes de la faim ont été
détenus. Pendant les échauffourées, plusieurs journalistes ont
également été harcelés par la police.
AUTRES PERSECUTIONS EN DEUX MOIS
2.6: le numéro 10 de la revue mensuelle Yeni
Demokrasi est confisqué sur décision de la CSE d'Istan-bul.
4.6: un nouveau livre intitulé Après Che et publié
par les Editions Kiyi est confisqué sur décision de la CSE d'Istanbul.
- Le gouverneur de la province de Gaziantep interdit la distribution et
la vente de la musi-cassette intitulée "le démocrate fatigué", réalisée
par Ahmet Kaya.
7.6: la police fait un raid dans l'office de la
revue mensuelle Yarin à Istanbul et arrête huit personnes à
l'intérieur, y compris le représentant de la revue Bülent Eryilmaz.
9.6: les revues Yeni Cözüm et Emegin Bayragi sont
confisquées sur ordre de la CSE pour propagande communiste.
12.6: l'écrivain Muzaffer Erdost est jugé devant une
cour criminelle d'Ankara pour ses études sur la bourgade frontalière
Semdinli, publiées il y a 25 ans dans une revue. Il est accusé d'avoir
justifié la contrebande dans la région en question.
14.6: le numéro de juin de la revue Yeni Acilim est
confisqué par la CSE d'istanbul.
24.6: le numéro 4 d'une série de livres intitulé
Isci-ler ve Toplum est confisqué à Istanbul pour avoir fait paraître
des articles sur la résistance ouvrière de l'usine Taris en 1988.
25.6: la revue mensuelle Yeni Demokrasi est
confisquée pour avoir contenu des articles contrevenant aux articles
158, 159, 311 et 312 du Code pénal. Il est annoncé également que six
numéros sur onze de cette revue a fait l'objet de confiscation.
27.6: le cinéaste Ali Ozgentürk est inculpé pour son
dernier film intitulé l'eau peut, elle aussi, prendre feu et traduit
devant une cour criminelle à Istanbul. Il risque une peine de prison
allant jusque six ans pour diffamation des forces de sécurité de
l'Etat. - Le journaliste Aslan Alp est détenu par la police à Ankara
pour une brochure qu'il a éditée.
1.7: Le représentant de la revue mensuelle Cözüm,
Cafer Akel est détenu à Malatya pour avoir fait partie d'une
organisation clandestine.
13.7: l'éditeur responsable de la revue mensuelle
A-linteri, Sefik Calik est traduit devant une cour criminel-le pour
avoir publié les allégations de torture de deux dirigeants du TBKP,
Yagci et Sargin. Il risque une peine de prison jusque 6 ans pour
diffamation des forces de sécurité de l'Etat. - Deux journalistes de la
revue mensuelle Vardiya, Fuat Musaoglu et Bülent Ramazan Ongan sont
condamnés chacun à une peine de prison de 7 ans, 3 mois et 15 jours
pour propagande communiste.
14.7: L'écrivain-poète Metin Demirtas est détenu à
Antalya et ses livres personnels sont confisqués par la police.
19.7: la revue mensuelle Toplumsal Dirilis est
confisquée sur ordre de la CSE d'Istanbul.
23.7: le numéro 11 de la revue mensuelle Yeni On-cü
est confisqué sur ordre de la CSE d'Istanbul pour "propagande
séparatiste".
NOUVELLE MENACE POUR LES PACIFISTES
Bien que tous les inculpés du procès de
l'Asso-ciation turque pour la Paix (TBD) aient été mis en liberté par
le tribunal de la loi martiale d'Istanbul, sept d'entre eux risquent à
nouveau jusqu'à huit ans d'empri-sonnement.
Le 8 juillet, le procureur militaire a demandé à la
Cour militaire de Cassation de casser le jugement du tribunal militaire
et a réclamé des peines de prison plus élevées. Si la cour suprême
accepte le point de vue du procureur, 23 inculpés seront jugés pour la
quatrième fois par le tribunal militaire d'Istanbul.
UN PROCES CONTRE EVREN A STRASBOURG
L'humoriste-écrivain de notoriété mondiale, Aziz
Nesin a déposé une plainte en diffamation auprès de la Commission
européenne des droits de l'Homme à Strasbourg contre le
président-général Evren.
Dans un discours prononcé en 1984, Evren avait
décrit Nesin et 1.382 intellectuels comme "traîtres" à cause de leur
pétition demandant le respect aux droits de l'homme.
La pétition avait été présentée au Palais
présidentiel par un groupe d'écrivains, de professeurs d'univer-sité,
d'acteurs et de journalistes. Juste après cette démarche, 59 des
signataires de la pétition avaient été traduits devant un tribunal
militaire à Ankara pour avoir distribué un tract sans autorisation. Le
procès s'é-tait achevé par l'acquittement de tous les inculpés.
Pendant sa défense au tribunal, Nesin avait accusé
le général Evren en déclarant qu'étant un être humain, il avait honte
des remarques qu'Evren avait faites.
Toutes les démarches de Nesin d'ouvrir un procès en
diffamation à l'encontre d'Evren ont échoué dans différentes instances,
y compris la Cour de cassation. Vu que les possibilités juridiques dans
le pays ont été épuisées, Nesin a le droit d'amener l'affaire à
Strasbourg.
La Commission européenne des droits de l'homme a
déjà annoncé la recevabilité de la plainte. Selon la procédure, la
commission proposera aux deux parties adverses un compromis à
l'amiable. Si cette proposition n'est pas acceptée, l'affaire sera
amenée devant la Cour européenne des droits de l'homme.
ACCUEIL SCANDALEUX A JOAN BAEZ
Quatre récitals de la chanteuse contestataire
américaine Joan Baez à Istanbul et Izmir ont été les événements les
plus marquants de la vie culturelle de Turquie en juillet. Pourtant,
bien qu'elle ait été ovationnée par le public, les autorités turques
lui ont réservé un accueil scandaleux.
Après son programme à Izmir, Joan Baez s'est rendue
à Kusadasi, un centre de vacances estivales au sud de Ephésus, pour se
reposer deux jours. Mais le jour qu'elle est arrivée, deux diplomates
turcs et un employé de l'hôtel ont exigé d'elle de quitter l'hôtel pour
que sa chambre puisse être à la disposition du ministre turc des
affaires étrangères qui accompagnait le premier mi-nistre indien Gandhi
pendant sa visite en Turquie.
Quittant la Turquie, Joan Baez a envoyé un message
de solidarité à deux dirigeants communistes qui sont emprisonnés à
Ankara.
LE NOUVEAU SALAIRE MINIMUM INSUFFISANT
Le salaire minimum mensuel en Turquie pour le
secteur industriel a été élevé de plus de 60% le 27 juin, mais les
syndicats l'ont déclaré insuffisant si l'ont tient compte du taux
d'inflation plus élevé.
Le nouveau règlement augmente le salaire mensuel
brut pour les travailleurs âgés de plus de 16 ans à 126.000 LT ($90).
Après la retenue des taxes et d'au-tres cotisations, il ne reste que
83.766 LT ($60).
Les salaires minima brut et net fixés pour ceux qui
sont âgés de moins de 16 ans sont respectivement 86.850 LT ($62) et
58.671 LT ($42).
Le salaire minimum pour le secteur agricole est plus
bas. Il est 117.000 LT ($83) pour les travailleurs de plus de 16 ans et
78.750 LT ($56) pour les plus jeunes.
Les représentants de la Confédération des syndicats
turcs (TURK-IS) ont quitté, en signe de protestation, les travaux de la
commission, en déclarant qu'aucune de leurs propositions n'a été prise
en considération par les représentants du patronat et du gouvernement.
La TURK-IS a ajouté que le nouveau salaire minimum
n'a déjà plus de valeur par rapport aux prix à la consommation étant
donné l'augmentation de prix annoncée par le gouvernement.
Selon une étude effectuée par l'Université technique
du Moyen-orient (ODTÜ) à Ankara, compte tenu du taux d'inflation annuel
(entre 50 et 70 %) le salaire minimum net pour une famille de quatre
personnes doit être 254.062 LT ($182) en 1988 et 406.499 LT en 1989.
Un autre rapport qui a été diffusé par le Syndicat
des travailleurs pétroliers (Petrol-Is) démontre que la Turquie, en
comparaison avec 18 autres pays industrialisés ou en voie de
développement, a le vide le plus grand dans la répartition des revenus,
le main-d'œuvre la meil-leure marché et la portion la plus mince gagnée
par les travailleurs.
Dix pour-cent de la population de Turquie
accapa-rent la tranche la plus grande du revenu national, dit le
rapport. Alors qu'un petit groupe s'empare de 40,7% du revenu national,
la grande masse dépourvue n'en reçoit, elle, que seulement 3,5 % Ainsi,
la Turquie est comparable avec des pays comme la Malaisie, les
Philippines et le Costa Rica au point de vue de l'injustice sociale.
La Turquie est également un pays où le coût de
main-d'œuvre est le plus bas. Il est estimé à 473 LT($0.82) par heure
en moyenne selon les statistiques de 1986. Le coût de main-d'oeuvre par
heure est $1,19 au Portugal, $15,37 en Hollande, $13,21 aux Etats-Unis,
$11,45 au Danemark, $10,15 en RFA et plus de 5 dollars en Grèce.
Pour la part des salaires dans le revenu national
total, la Turquie occupe une des dernières places, avec un pourcentage
qui est tombé de 33,6% en 1976 à 18,6% en 1986. Le pays le plus proche
de la Turquie dans cette étude est le Nigéria avec 27,1%.
D'après ce rapport, la chute brutale dans les
salaires réels se poursuit. Il faut travailler pendant 15 heures et 28
minutes en 1987 afin d'obtenir le salaire gagné par un travail de 8
heures avant le 24 janvier 1980.
Alors qu'un travailleur pouvait acheter un
kilogramme de pain en échange d'un travail de 29 minutes en 1979, il
doit actuellement travailler 51 minutes pour le même achat. Un
kilogramme de viande pouvait être acheté en travaillant 7 heures et 23
minutes en 1979, mais aujourd'hui pour le même achat il faut travailler
13 heures et 36 minutes.
ARRESTATION DES SYNDICALISTES
Treize syndicalistes ont été détenus le 22 juin dans
la zone industrielle d'Adapazari pour avoir tenté de marcher à Izmit en
signe de protestation contre la politique gouvernementale et la
soumission de la centrale syndicale Turk-Is.
Après une arrestation de 12 jours, les syndicalistes
ont été mis en liberté par un tribunal local.
Le 14 juillet, la police politique a arrêté 23
travailleurs à Izmir pour avoir mené des actions de protestation à
l'usine de papier appartenant à l'Etat.
NOUVEL AVERTISSEMENT DE L'OIT A ANKARA
Contrairement à l'attente des milieux des droits de
l'homme, la Turquie a échappé une fois de plus d'être placée dans la
liste des pays bafouant la Convention de l'Organisation Internationale
du Travail (OIT). Toutefois, le Comité d'application, l'organe
consultatif le plus haut de l'OIT, a décidé le 14 juin à Genève
d'aver-tir le gouvernement turc pour qu'il tâche d'améliorer les droits
sociaux tout en les conformant aux standards internationaux.
La Turquie est toujours à l'ordre du jour de l'OIT
depuis 1983, mais n'a jamais été mise dans la liste noire.
Avant la conférence de l'OIT de 1986, le
gouvernement turc avait présenté à l'organisation une lettre de
garantie affirmant qu'elle auraient fait les modifications nécessaires
dans la législation du travail. Cette lettre a été suivie par une autre
en 1987, dans laquelle le gouvernement turc confirmait son engagement à
modifier la législation.
Récemment, le Parlement turc a adopté quelques
a-mendements dans la législation du travail, mais les syn-dicats ont
accusé le gouvernement de ne faire que quel-ques changements
cosmétiques. Compte tenu de l'avis des syndicats, le comité
d'application a, le 7 juin, mis la Turquie dans la liste des pays à
questionner.
A cette occasion, le ministre turc du Travail Imren
Aykut a défié l'autorité de l'OIT en ces termes: "L'OIT n'est ni une
cour ni une prison. Donc, rien à craindre! La seule chose qu'elle peut
faire est d'avertir la Turquie de respecter les normes de l'OIT."
Le 14 juin, pendant une session de deux heures et
demie, l'aile syndicale du comité, représentée par le syndicaliste
belge Jef Houthuys, a soutenu l'idée de placer la Turquie parmi les
pays "violateurs". Mais les manœuvres des employeurs flirtant avec le
gouvernement turc a mené le comité à ne pas placer la Turquie dans la
liste noire, malgré le fait que la Confédération des syndicats
progressistes (DISK) est toujours interdite et que plusieurs provisions
de la législation du travail ne sont pas compatibles avec les normes de
l'OIT.
Selon un rapport transmis à l'OIT par l'Etat turc,
la valeur des avoirs de la DISK confisqués est estimée à 34 milliards
de lires turques ($24,3 millions). Mais le président de la DISK
Abdullah Bastürk, le 12 juillet, a accusé le gouvernement de tromper
l'OIT et a déclaré que la valeur réelle des avoirs confisqués de la
DISK s'élève à plus de 450 milliards de LT ($322 millions).
LE PARLEMENT EUROPEEN, RECULERA-T-IL?
Le Parlement européen qui a toujours eu une
distan-ce vis-à-vis du régime turc depuis le coup d'état de 1980 se
trouve actuellement dans un tournant. C'est au cours des travaux qui
s'ouvriront à Strasbourg le 12 septembre 1988, juste au huitième
anniversaire du coup d'état militaire, que l'Assemblée plénière du
parlement discu-tera le rapport de la commission politique relatif aux
relations Turquie-CEE.
Bien qu'il critiquent certaines pratiques
anti-démo-cratiques du régime d'Ankara, le rapport suggère la reprise
des relations turco-européennes.
La commission politique a adopté le 23 juin le
rapport rédigé par le socialiste allemand Gerd Walter par 39 voix
contre 3 et 5 abstentions. (Pour le texte initial de ce rapport, voir
Info-Türk, mars 1988).
Si le rapport de Walter est adopté dans son ensemble
par l'Assemblée plénière, l'association turco-euro-péenne ainsi que la
commission parlementaire mixte Turquie-CEE seront restaurées.
Une telle décision constituera un nouveau recul des
institutions européennes dans le domaine des droits de l'homme et
aboutira à la légitimation totale du régime anti-démocratique d'Ankara
au plan international.
ACCUEIL CHALEUREUX AU GENERAL EVREN
Juin et juillet ont été les mois triomphaux pour le
régime turc. L'auteur du coup d'état militaire de 1980 et le
responsable No.1 de la répression sanglante qui a suivi ce coup, le
général Evren a été accueilli chaleureusement aux Etats-Unis et au
Royaume-Uni par les di-rigeants de ces deux pays malgré les
protestations ve-nant des organisations de droits de l'homme.
La visite du général-président Evren a été la
pre-mière visite d'un chef d'Etat turc depuis 1967. Reçu et félicité
par le président Reagan à la Maison blanche, Evren a exprimé sa
gratitude en ces termes: "En Turquie, nous ne nous sentons pas fatigués
de soutenir nos alliés occidentaux, parce que nous savons qu'en
soutenant les alliés, nous pouvons, nous tous, continuer à
récolter les bienfaits de la liberté."
Mais le lendemain, quand les journalistes lui ont
posé quelques questions ennuyantes sur la violation des libertés par sa
propre administration, le général Evren a recouru à la démagogie
habituelle en affirmant que les responsables de ces pratiques seraient
punis si leur culpabilité est prouvée."
Au cours d'un dîner avec les hommes d'affaires
amé-ricains, Evren a déclaré que les relations entre la Turquie et les
Etats-Unis se développaient sur plusieurs plans "en contribuant ainsi à
la paix et à la stabilité dans le monde".
Quant à la visite d'Evren au Royaume-Uni en
mi-juillet, il s'agissait de la première visite d'un chef d'Etat turc à
ce pays depuis 21 ans. Alors que les groupes des droits de l'homme
protestaient dans les rues de Londres contre cette visite, Evren a été
amené par la reine Eli-zabeth au Palais de Buckingham par les mêmes
rues. A un dîner pompeux donné en son honneur par la reine au Palais de
Buckingham, Evren a cité un poète anglais du 19ème siècle qui décrivait
la Turquie comme "l'allié le plus ancien, le plus fidèle et le plus
naturel de la Grande Bretagne". En échange de cette fidélité, Evren a
demandé aux Britanniques un soutien actif à l'adhésion turque aux
Communautés européennes.
TROUBLES DANS LES RELATIONS AVEC LA GRECE
Le premier ministre grec Papandreou a annoncé le 24
juillet qu'il ne pourrait pas rendre une visite à la Turquie d'ici la
fin de cette année, parce qu'à titre de pré-sident intérim des
Communautés Européennes il sera chargé d'affaires plus importantes.
Cette annonce a fait un effet de choc dans la
capitale turque.
Bien qu'aucune date définitive n'aie été fixée lors
de la visite d'Ozal à Athènes en juin, il y aurait une entente entre
les dirigeants de deux pays pour que la visi-te de Papandreou ait lieu
cet automne.
Selon les observateurs politiques à Athènes,
Papandreou ne veut pas donner l'impression que les relations entre la
Grèce et la Turquie seraient complètement améliorées alors qu'il se
prépare à négocier avec les Etats-Unis l'avenir des bases militaires
américaines en Grèce. Papandreou veut introduire dans l'accord sur les
bases une garantie pour la sécurité de la Grèce.
D'autre part, le porte-parole du gouvernement grec a
affirmé que la violation de l'espace aérien grec par la Turquie se
poursuivrait même après la visite d'Özal et a ajouté que les frontières
orientales de la Grèce sont toujours vulnérables aux activités
militaires turques.
Des diplomates grecs attirent également l'attention
sur la différence d'approche entre Ankara et Athènes vis-à-vis de
l'esprit de Davos.
Malgré les trois reprises de négociations entre
Papandreou et Ozal, aucun compromis n'a été conclu à l'é-gard de ces
différences. Papandreou attribue une importance primordiale à la
question chypriote alors qu'Ö-zal insiste sur les relations bilatérales
entre la Turquie et la Grèce.
Quand Ozal était à Athènes en juin, les Grecs
espéraient qu'il ferait un geste de bonne volonté en annon-çant la
retraite des troupes turques de Chypre. Mais cet-te annonce n'a jamais
été faite.
NOUVELLES DIMENSIONS DU MOUVEMENT DE RESISTANCE KURDE
La résistance kurde a gagné des dimensions nouvelles
au cours des mois derniers.
Tout d'abord, dans une démarche inattendue, le Parti
Ouvrier de Kurdistan (PKK) et l'Union patriotique de Kurdistan (YNK)
ont signé, en avril 1988, un protocole d'al-liance, suite à la
rencontre de leurs secrétaires généraux, respectivement Abdullah Öcalan
et Jalal Talabani.
Les porte-paroles de deux organisations ont annoncé,
à une conférence de presse tenue le 3 juin 1988 à Bruxelles, qu'ils se
sont mis d'accord pour développer leur lutte commune dans toutes les
parties du Kurdistan et la coordination entre les différents fronts de
combat. Ils sont d'accord également de s'abstenir de recourir à
quelconque action ou comportement qui peut servir aux intérêts de
l'ennemi.
Après cet accord avec l'organisation puissante de
Talabani signifiant la fin de l'isolation politique du PKK au
Kurdis-tan, ce dernier est devenu l'objet d'un intérêt croissant dans
les masse-médias turcs.
Le quotidien Milliyet a commencé, le 15 juin, à
publier une série d'interviews avec Ocalan, faits par Mehmet Ali
Birand. Néanmoins, le gouvernement turc, considérant cette série comme
"une propagande pour le séparatisme", a interdit la publication de la
suite des interviews et a lancé une procédure légale contre l'auteur.
A l'occasion du 4ème anniversaire de sa fondation,
l'ERNK, organisation de front du PKK, a tenu une conférence de presse à
Bruxelles le 16 août, et a annoncé les données statistiques relatives à
la lutte armée au Kurdistan turc.
D'après le porte-parole de l'ERNK, les unités de
guérilla kurde auraient effectué 122 actions au cours de l'année
passée. ERNK n'aurait perdu que 95 combattants, selon le porte-parole,
alors que 22 officiers de l'armée, 1.193 soldats, 22 enseignants, 142
protecteurs de village et 70 agents de contre-guérilla auraient péri
dans les confrontations armées. De plus, l'armée turque a perdu 6
hélicoptères, 19 véhicules militaires et 49 bulldozers ou graders. La
guérilla aurait également saboté huit chantiers dans la région.
UNE NOUVELLE ALLIANCE KURDE: TEVGER
Alors que le PKK et la YNK signaient un accord
d'al-liance, huit organisations kurdes de Turquie ont annoncé, au cours
d'une conférence de presse tenue à Bruxelles le 10 juin, qu'elles
avaient fondé le Mouvement de Libération du Kurdistan (TEVGER).
Les fondateurs de ce nouveau mouvement sont le
Drapeau de la Libération, le Parti ouvrier progressiste du Kurdistan
(PPKK), le Parti démocratique de Kurdistan turc/ Organisation nationale
(KDP/RN), Libération nationale du Kurdistan/Tendance socialiste
(KUK/SE), le Parti des forces nationales du Kurdistan (PARHEZ), le
Parti socialiste de Kurdistan turc (TKSP), l'Unité socialiste du
Kurdistan (YSK) et les Révolutionnaires du Kurdistan.
Dans leur déclaration commune, les huit
organisations ont annoncé que leur objectif est de mettre fin à
l'hégémonie du colonialisme turc au Kurdistan et d'établir la
République démocratique indépendante du Kurdistan. TEVGER prévoit une
lutte armée en vue d'atteindre cet objectif.
En réponse à une question, ils ont dit que TEVGER
peut faire une alliance avec le PKK, si ce dernier s'abstient de
qualifier d'autres organisations kurdes de "traîtres" et renonce aux
actes de violence visant la population civile.
LE MAIRE KURDE JUGE POUR AVOIR PARLE KURDE
"Le kurde n'est pas une langue distincte, mais une
compilation des anciens mots turcs qui ont subi une transformation au
fil des années," disait le procureur militaire du tribunal de la loi
martiale de Diyarbakir, quand il inculpait de nouveau M. Mehdi Zana,
l'ancien maire de cette ville principale du Kurdistan turc.
Zana, qui est en prison depuis le coup d'état de
1980 sous l'accusation d'activités séparatistes, risque ainsi une peine
de prison complémentaire allant jusque 15 ans, parce qu'il a insisté de
faire sa défense en langue kurde devant le tribunal militaire.
L'épouse de Zana a été inculpée en juin, avec
45 autres personnes, pour avoir entamé une action de protestation
devant la prison militaire de Diyarbakir.
SOUTIEN INTERNATIONAL AUX KURDES
Suite à l'annonce de l'accord de cessez-le-feu entre
Téhéran et Baghdad, les armées iraniennes et irakiennes ont maintenant
toute liberté pour se lancer sur les forces de résistance kurdes. Déjà
les confrontations armées s'intensi-fient notamment dans les zones
proches de la frontière de Turquie. D'après la presse turque, les
paysans kurdes passent massivement en Turquie.
Etant donné que l'Armée turque, elle-aussi, mène
actuellement une opération de ratissage dans le Kurdistan turc, les
Kurdes de cette région, quel que soit leur pays d'o-rigine, Irak, Iran
ou Turquie, se trouvent actuellement dans un feu croisé.
D'autre part, la cause kurde a récemment gagné un
soutien international très important dans l'opinion publique mondiale.
Des centaines de personnalités de notoriété internationale ont fait un
"Appel international pour la défense de la culture kurde en Turquie"
dans des quotidiens prestigieux comme Le Monde et The International
Herald Tribune.
"Comme chaque communauté humaine, le peuple kurde a
le droit de préserver son héritage culturel et d'exprimer librement son
identité. La culture ancienne des Kurdes fait partie du patrimoine
culturel du monde. Produit des siècles de l'histoire, œuvre de
générations, elle mérite, comme tous les autres pays, le respect et la
protection. C'est la raison pour laquelle les soussignés, guidés par
les principes proclamés dans la Charte des Nations Unies, la
Déclaration universelle des droits de l'homme et les conventions
internationales sur les droits de l'homme, s'opposants à toute forme
d'intolé-rance et de discrimination, concernés par la justice et par la
démocratie, avertissent les autorités turques d'abolir toutes les
interdictions constitutionnelles et légales sur l'usage de la langue
kurde et, plus généralement, sur toute expression culturelle de
millions de citoyens kurdes en Turquie."
Parmi les signataires figurent Jacques Lang, Pierre
Mauroy, Ahmed Ben Bella, Alberto Moravia, Harold Pinter, Jan Myrdal,
Umberto Eco, Edward Kennedy, Winnie Mandella, Danielle Mitterand,
Maurice Béjart, Yves Montand, Arthur Miller, Jane Birkin, Ingmar
Bergman, Desmond Tutu, Beni Sadr et Gérard Dépardieu, et l'appel reste
ouvert à la signature des autres personnalités.
D'ailleurs, quelques 20 membres du Parlement
européen ont mis sur pied un groupe pour s'occuper de la question kurde
et de la soulever à Strasbourg.
En juin, M. Jalal Talabani, leader de l'Union
patriotique de Kurdistan (YNK) a lancé une campagne diplomatique pour
la cause kurde. La substance des pourparlers de Talabani à Washington
n'a pas été rendue publique. Toutefois, Talabani a déclaré qu'il était
tout à fait satisfait des échanges de vue qu'il avait eu dans la
capitale des USA. "Nous frappons à toutes les portes, de la Chine
jusqu'aux Etats-Unis. Nous avons frappé aussi à la porte de la Turquie,
mais elle ne s'ouvre pas pour nous", a ajouté le juriste de 52 ans qui
se bat contre les Baathistes irakiens pour l'autonomie kurde.
L'accueil officiel au leader kurde d'Irak à
Washington a suscité une réaction virulente d'Ankara. Après la visite
de Talabani, l'ambassadeur des USA à Ankara, Strausz-Hupé, a été
convoqué au ministère turc des affaires étrangères et lui a été notifié
l'inquiétude du gouvernement turc à l'égard du comportement de
Washington. Se référant au protocole signé entre Talabani et Ocalan, le
porte-parole du ministère turc a affirmé qu'ainsi la YNK partage la
responsabilité du meurtre de 552 civils et soldats dans le sud-est de
la Turquie depuis 1984. Plus tard, le président-général Evren, pendant
sa visite aux USA, a transmis aux autorités américaines son
mécontentement à l'égard de l'accueil de Talabani.
PROCES DE MASSE
A L'OMBRE
DE LA POTENCE
Bien que le Parlement européen se prépare à rétablir ses relations
officielles avec le régime turc, les tribunaux militaires, toujours en
fonction, continuent à juger et à condamner à la peine capitale des
milliers d'inculpés politiques.
Le 7 juillet 1988, le procureur militaire d'Istanbul
a réclamé la peine capitale pour 88 des accusés dans le procès de masse
des militants de la Gauche révolutionnaire (Dev-Sol) au Tribunal de la
loi martiale d'Istanbul.
Des 1.243 inculpés qui avaient été tra-duits devant
le tribunal en 1981, 68 se trouvent actuellement en prison. Des 88 pour
qui le procureur réclame la peine capitale, 36 avaient déjà été mis en
liberté au cours des audiences précédentes.
Dans son acte d'accusation final, le procureur
militaire a requis également la prison à perpétuité pour 61 inculpés,
des termes de prison allant de 20 à 24 ans pour 26, et de 12 à 16 ans
pour cinq autres.
Le 28 juin 1988, le tribunal de la loi martiale
d'Adana a condamné deux membres présumés de Libération révolutionnaire
(DK) à la peine capitale et neuf autres à de diffé-rents termes de
prison.
Le 11 juillet, le tribunal de la loi martiale de
Diyarbakir a conclu le procès des 53 militants présumés du Parti
Ouvrier de Kurdis-tan (PKK), en condamnant un inculpé à la peine
capitale. Le tribunal a prononcé des emprisonnements à perpétuité à
l'encontre de huit inculpés et des termes de prison allant jusque 24
ans pour 23 autres.
Le 13 juillet, le même tribunal militaire, dans un
autre procès de masse, a condamné quatre membres présumés du PKK à
différents termes de prison allant jusque dix ans.
LA DEFENSE DES 723 INCULPES DE DEV-YOL
Les 723 inculpés du procès de masse des militants de
la Voie Révolutionnaire (Dev-Yol), ont commencé à lire leur défense de
800 pages au Tribunal de la loi martiale d'Ankara le 10 août 1988. Le
procureur militaire réclame la peine capitale pour 74 des accusés.
Oguzhan Müftüoglu, un des leaders du mouvement, a
déclaré la cour militaire incompétente de continuer à les juger, pour
la simple raison que la loi martiale a été levée dans tout le
pays. "Toutes les autorités constitutionnelles admettent que le
fonctionnement des tribunaux militaires après la levée de la loi
martiale est anticonstitutionnel," a-t-il dit. Il a continué en
condamnant les pratiques de torture auxquelles avaient été soumis
lui-même et tous ses camarades pendant leur détention par la police qui
a duré des mois entre 1980 et 1982. Il a aussi révélé les noms des
quatre victimes de la torture avec les dates et les lieux de leur
assassinat.
Dev-Yol est issue de l'organisation estudiantine de
gauche, la Jeunesse Révolutionnaire (Dev-Genc) qui menait la résistance
démocratique et indépendantiste de 1968 à 1971.
Suite au coup d'état du 12 mars 1971, les leaders
principaux de Dev-Genc avaient été soit abattus par les forces de
sécurité soit exécutés après les procès politiques.
Dev-Yol qui s'est formée dans les années 70 était la
plus puissante organisation de gauche en Turquie et professait une
ligne indépendante, ni pro-soviétique ni pro-chinoise.
Les procureurs militaires ont entamé plusieurs
procès de masse à l'encontre des militants et sympathisants de Dev-Yol
en les accusant de déclencher la violence politique en vue de renverser
le régime établi et de fonder la dictature de la classe ouvrière.
Müftüoglu a dit qu'entre 1974 et 1980, au total
5.188 gens ont péri à cause de la violence politique. De ces victimes,
2.109 étaient de gauche contre 1.286 de droite. "Tous des dix premières
victimes étaient de gauche. 76 des 100 premières victimes et 726 des
1.000 premières étaient également de gauche. Ces figures démontrent
comment la violence politique avait été déclenchée et organisé par la
droite", a-t-il ajouté.
INTERROGATOIRE DES DIRIGEANTS DE TBKP
Le secrétaire général du Parti Communiste de Turquie
(TKP) M. Nabi Yagci a répondu aux accusations du procureur en juillet à
la Cour de la Sûreté de l'Etat d'Ankara. Après la lecture de son
réquisitoire de 167 pages, le tribunal entendra les réponses de M.
Nihat Sargin, secrétaire général du Parti Ouvrier de Turquie (TIP).
En novembre 1987, les deux dirigeants de parti
étaient retournés en Turquie après leur exil en Europe dans le but
d'entamer des formalités en vue de constituer légalement le Parti
communiste unifié de Turquie (TBKP), issu de la fusion des TKP et TIP.
Dès que les interrogatoires des deux secrétaires
généraux ainsi que ceux des 14 autres inculpés seraient terminés,
le procureur fournira les preuves relatives aux accusations.
Chaque audience du procès TBKP est assistée par les
observateurs européens.
Parmi eux, cinq députés communistes européens ont
tenté, le 28 juillet, de présenter au premier ministre Ozal une
déclaration concernant ce procès, signée par 28 partis communistes
européens. Quand il sont arrivés à la résidence officielle du premier
ministre, ils ont été arrêtés par la police. Déclarant qu'ils auraient
eu un rendez-vous avec Ozal, les députés communistes ont insisté pour
entrer dans la résidence. Mais le cabinet du premier ministre a affirmé
qu'un tel rendez-vous ne leur a jamais été donné. La-dessus, le député
Maxim Gremetz a commencé à faire la lecture de la déclaration demandant
la mise-en-liberté immédiate de Yagci et Sargin. les policiers ont
repoussé les députés et leur interprète turc par la force et la
brutalité
Le lendemain, le groupe communiste a eu une autre
échauffourée avec la police, cette fois-ci devant la prison d'Ankara,
et ce au moment où les autorités pénitentiaires leur ont refusé de voir
Yagci et Sargin dans la prison.
D'autre part, Yagci et Sargin ont déposé, par
l'intermédiaire d'un avocat français, à la Commission européenne des
droits de l'homme, une pétition dans laquelle ils se plaignent des
autorités turques qui n'ont pas inculpé les policiers qui les auraient
torturés pendant leur détention.
LE PROCES DES FONDATEURS DU SP
Le procès des six fondateurs du Parti socialiste
(SP), récemment constitué en Turquie, a commencé le 7 juin 1988 à la
Cour de la Sûreté de l'Etat d'Ankara. Le secrétaire général Yalcin
Büyükdagli ainsi que cinq autres dirigeants du parti, Ali Karsilayan,
Yavuz Alogan, Ali Kalan, Nusret Senem et Halil Berktay, sont accusés de
contrevenir aux articles 141 et 142 du Code pénal turc et risquent une
peine de prison allant jusque 20 ans.
D'autre part, le 6 juin 1988, la Cour
constitutionnelle a commencé à étudier la demande du procureur de la
République d'interdire le Parti socialiste.
AUTRES PROCES POLITIQUES
Le 21 juin, au procès de PKK au tribunal de la loi
martiale de Diyarbakir, le procureur militaire réclame la peine
ca-pitale pour 14 inculpés.
Le 22 juin, le procès des 57 personnes, inculpées
pour participer à la célébration non-autorisée du 1er mai, commence à
la Cour de la Sûreté de l'Etat d'Istanbul. Onze inculpés sont jugés en
état d'arrestation.
Le 13 juillet, 17 membres présumés du PKK sont
traduits devant la Cour de la Sûreté de l'Etat de Malatya. Deux
inculpés risquent la peine capitale.
L'OPERATION "15-16 JUIN" A ISTANBUL
Au cours des mois de juin et juillet 1988,
différents groupes d'opposition ont été victimes du terrorisme
d'Etat.
Dans la crainte que des actions de protestations à
l'occasion de l'anniversaire de la résistance ouvrière des 15-16 juin
1970 puissent se produire, les forces de sécurité ont déclenché une
opération de ratissage à Istanbul qui a abouti à l'arrestation de 200
"suspects". Malgré ces mesures exceptionnelles, des groupes
d'opposition ont placardé les murs de la ville de slogans célébrant
l'anniversaire et protestant contre le politique anti-ouvrière du
régime actuel.
Autres opérations policières en deux mois:
6.6: à Nusaybin, un Kurde âgé de 58 ans est abattu
par les forces de sécurité lors d' un conflit armé.
18.6: les forces de sécurité annoncent l'arrestation
de 43 "séparatistes" dans la province de Mardin.
5.7: à Izmir, la police annonce qu'elle déclenche
une nouvelle opération à l'encontre des militants de Dev-Sol,
"coupables d'un hold-up".
10.7: cinq militants kurdes sont abattus par les
forces de sécurité dans les provinces de Mardin et Siirt.
12.7, une confrontation armée à Kozluk se solde par
la mort de 9 militants kurdes et 4 hommes de sécurité.
14.7, la police annonce la capture des 9 militants
d'une organisation de gauche hors-la-loi à Ankara.
18.7, la police affirme qu'une opération de
ratissage contre Dev-Yol durant 40 jours à Izmir s'est soldée par
l'arrestation de 40 militants.
19.7, la police annonce l'arrestation de 24
militants du PKK à Mardin et 24 autres à Ankara. De plus, 60 personnes
auraient été détenues à Cizre pour avoir soutenu des militants du PKK.
27.7, les forces de sécurité annoncent l'arrestation
des 50 "séparatistes" au cours d'une opération de ratissage se
déroulant dans les provinces du sud-est.
28.7, deux militants kurdes sont arrêtés à Midyat.
30.7, les forces de sécurité abattent 10 militants
kurdes à Hani et Midyat.
GREVES DE LA FAIM DANS LES PRISONS
Des actions de protestation contre le mauvais
traitement et les conditions inhumaines dans les prisons se sont
poursuivies au cours des mois de juin et juillet 88.
Dans une action pour soutenir 285 grévistes de la
faim dans la prison d'Aydin Type E, leurs parents ont commencé, le 6
juin, une grève de la faim dans le Güven Park de la capitale Ankara. Le
onzième jour de cette action, la police est intervenue et a ordonné aux
grévistes de se disloquer. Quand ceux-ci ont refusé de se disperser, la
police a recouru à l'usage de la force et a détenu 13 grévistes.
Le 19 juin, un autre groupe de parents s'est
rassemblé devant la prison d'Aydin en solidarité avec les prisonniers.
Le même jour, 235 prisonniers politiques à
Gaziantep, en signe de protestation contre les conditions
d'emprisonnement, ont refusé de voir leurs parents qui étaient venus
pour une visite exceptionnelle permise par l'administration
pénitentiaire à l'occasion du Jour des papas.
La grève de la faim des prisonniers politiques à
Aydin a pris fin le 20 juin suite à l'acceptation de certaines demandes
par les autorités pénitentiaires, mais le même jour 147 détenus dans la
prison d'Eskisehir ont entamé une nouvelle grève de la faim.
Le 27 juillet, pendant la visite des parents à
l'occasion de la Fête du sacrifice, le comportement des gardiens a
provoqué de nouveaux incidents. Constatant que les femmes sont gardées
à l'intérieur plus longtemps que la durée habituelle d'entretien, leurs
maris et frères sont entrés en conflit avec les gardiens. 46 personnes
ont été arrêtées pour cet incident. Parmi les détenus se trouve aussi
l'épouse de M. Mehdi Zana, l'ancien maire de Diyarbakir qui est un des
prisonniers politiques les plus célèbres du régime.
A la fin de Juillet, 93 détenus de la prison de
Sagmalcilar à Istanbul poursuivaient leur grève de la faim pour
protester contre le mauvais traitement qui a été infligé à leurs cinq
camarades le 16 juin.
D'autre part, l'Association pour la solidarité avec
les familles des prisonniers (TAYAD) a tenu, le 17 juin, une cérémonie
dans la cimetière de Silivrikapi à Istanbul en vue de commémorer les
victimes des grèves de la faim dans les prisons. Après la cérémonie,
une groupe de 200 personnes ont commencé à marcher vers le centre de la
ville, mais la police les a immédiatement dispersées par l'usage de la
force.
PUNITIONS INEGALES POUR LE MEME DELIT
Le nombre de prisonniers politiques qui ont été
condamnés, au cours de la période de la loi martiale, à des peines de
prison plus élevées qu'il n'était prévu dans le Code pénale est estimé
à quelque 10 mille.
En vertu de l'article 17/1 du Code de la Loi
Martiale, No. 1402, adopté après le coup d'état de 1980, les tribunaux
de la loi martiale ont été autorisés d'augmenter une peine de prison
jusque 100% de la durée légale. D'après le quotidien Cumhuriyet du 6
juin, 1988, l'excédent de peines de prison prononcées contre 10 mille
inculpés s'élève jusque 31 mille ans.
Bien que la loi martiale ait été levée dans tout le
pays, les tribunaux militaires continuent à juger tous ceux qui avaient
été arrêtés et inculpés au cours de la période de la loi martiale. Ces
inculpés risquent, eux aussi, l'excédent de peines de prison, alors que
ceux qui ont été capturés après la levée de la loi martiale et jugés
actuellement devant les tribunaux civils ne sont passibles que des
peines prévues dans le Code pénal.
LE PROJET DU NOUVEAU CODE PENAL MAINTIENT LES ARTICLES DE MUSSOLINI
La commission chargée de préparer les modifications
au Code pénal turc a terminé ses travaux et a présenté son projet au
ministère de la Justice en juillet 88. Comme estimé, le projet
laisse intacte la peine capitale controversée depuis quelques années en
Turquie.
Toutefois, la commission propose une baisse dans les
peines de prison prévues par les articles 141, 142 et 163 du Code pénal
pour les "délits" d'organisation communiste, propagande communiste ou
d'organisation anti-laïque. La commission propose également
l'annulation de l'article 140 du Code pénal qui prévoit une peine de
prison de plus de cinq ans pour les activités ou déclarations
contestataires des citoyens turcs à l'étranger. Tous ces articles
avaient été empruntés au Code pénal de Mussolini en 1936.
L'Union des barreaux turcs (TBB) a déclaré que le
nouveau projet est inacceptable puisqu'il maintient la peine ca-pitale
et les articles punissant les opinions ou activités politiques.