LIFTING!
L'ANAP vient d'élire un jeune leader, Mesut Yilmaz, pour reconquérir la
confiance de l'électorat, mais c'est toujours Özal et la Sainte
Alliance des islamistes et des nationalistes qui dominent le parti au
pouvoir
"Le parti qui gouverne la Turquie, le Parti de la
Mère Patrie (ANAP) a élu un nouveau et jeune leader dans ce qui est
sans doute une tentative de récupérer la confiance de l'électorat
perdue au prix des remarquables changement survenus en Turquie pendant
la décennie écoulée." (The Independent, 17.6.1991).
"Beaucoup voient en M. Yilmaz l'homme qui redorera
le blason du parti pour les élections générales qui auront lieu avant
l'automne 1992. Les derniers sondages situaient l'ANAP en quatrième
position, derrière les conservateurs du Partie de la Juste Voie (DYP),
le Parti Populiste Social Démocrate (SHP) et le Parti Démocratique de
Gauche (DSP)." (The Financial Times, 17.6.1991).
Beaucoup de médias, aussi bien en Turquie qu'à
l'étranger, tenaient ce langage. En fait, non seulement pour l'ANAP,
mais pour le président Özal lui-même, il n'y avait d'autre alternative
que de placer une nouvelle personnalité à la tête du parti.
Le 16 juin, au cours d'un congrès du parti, organisé
pour l'élection de nouveaux leaders en vue des élections générales de
l'année prochaine, Mesut Yilmaz, de 43 ans et ancien ministre des
affaires étrangères, battit le Premier Ministre, Yildirim Akbulut, par
631 voix contre 523.
Bien que Yilmaz jouit du soutien libéral, le Comité
Exécutif, fort de 50 membres, est encore dominé par la coalition
d'Islamistes et de Nationalistes qui intègrent la Sainte Alliance au
sein de l'ANAP.
En réalité, la liste de noms présentée par
Yilmaz au congrès pour occuper les cinquante sièges du comité exécutif
de l'ANAP, confirme la traditionnelle image de parti conservateur, et
offre la branche d'olivier aux opposant conservateurs battus.
Parmi les candidats au comité central figuraient de
nombreux militants de la droite islamique qui avaient soutenu Akbulut
dans la course à l'élection du leader, y compris Mehmet Kececiler,
leader des fondamentalistes au sein du parti.
Mme Semra Özal, l'ambitieuse épouse du président,
ainsi que Hüsnü Dogan, qui fut démis de son poste de ministre de la
défense en février pour s'être opposé à la tentative de Mme Özal de
s'emparer du leadership du parti à Istanbul, furent également nommés.
Selon le Hürriyet du 18 juin, le nombre des députés
de la Sainte Alliance dans le nouveau Comité Exécutif est de 26 tandis
que le nombre des députés libéraux n'est que de 10. En réalité, Mesut
Yilmaz est lui-même un ancien sympathisant du Parti de l'Action
Nationaliste (MHP), de tendance néo-fasciste, disparu lors du coup
d'Etat de septembre 1980, et il a toujours fait partie de l'aile
conservatrice de l'ANAP.
Après sa défaite, Akbulut démissionna de son poste
de premier ministre et Yilmaz fut chargé de former un nouveau cabinet,
vraisemblablement plein de nouveaux visages mais fidèle à la même
politique.
Bien que l'ANAP jouit encore d'une majorité
parlementaire de 281 sièges, au cours des deux dernières années, les
sondages ont invariablement accordé à l'ANAP un soutien inférieur à 20%.
Au cours du congrès, les discours n'eurent pas pour
thème la politique, mais le maquignonnage pour les postes au
gouvernement se poursuivit jusqu'à la dernière minute d'une semaine
pendant laquelle les délégués furent logés dans des hôtels de luxe et
bénéficièrent de privilèges tels que des voitures avec téléphone et des
licences de port d'armes.
La famille d'Özal, dont l'influence dans la vie
politique turque est souvent comparée à celle d'une dynastie ottomane,
était largement représentée mais soutenant des factions différentes. Le
frère cadet d'Özal, Yusuf Özal, soutenait Akbulut; son fils, l'homme
d'affaires Ahmet Özal, soutenait tantôt l'un, tantôt l'autre. Pour ce
qui est de sa femme, Semra Özal, récemment élue présidente de la
section d'Istanbul du parti, elle soutenait ouvertement Yilmaz.
L'élection du nouveau président du parti fut comme d'habitude, une
affaire bruyante, des bagarres entre les délégués animant de temps en
temps l'auditoire. La tension monta lorsque le Ministre de la Culture,
Namik Kemal Zeybek, essaya de pousser un autre ministre hors de la
tribune.
Selon le Financial Times, la Turquie semble entrer
dans une période d'incertitude politique, tandis que Mesut Yilmaz,
après sa victoire, tente de concilier les divergences au sein du parti.
Il devra faire un numéro d'équilibriste pour réussir à rallier le parti
derrière lui à moins de 18 mois des élections. Il tentera de renouveler
sa vieille image électorale sans perdre sa traditionnelle base
électorale parmi les conservateurs ruraux.
Il est évident que l'avenir de l'ANAP dépend plutôt
de la crédibilité de Turgut Özal, fondateur du parti et actuel
président de la République, que d'un éventuel succès du nouveau leader
du parti. Peu importe qui préside le parti ou le gouvernement, c'est
toujours Özal qui dirige le parti et le pays. Jamais, celui-ci ne tient
compte de la Constitution, qui précise que le président de la
République doit rester en dehors des affaires du parti et éviter
d'interférer dans la politique du gouvernement.
Cependant, comme nous avons pu clairement le voir
pendant la Guerre du Golfe, c'est Özal qui, en contact permanent avec
George Bush, et sans l'avis du gouvernement ou de l'Etat-Major des
Forces Armées Turques, décidait de la politique à suivre et
l'appliquait. C'est la raison pour laquelle, les ministres des Affaires
Etrangères et de la Défense Nationale ainsi que le chef de l'Etat-Major
durent démissionner pendant la crise.
Pour ce qui est de l'ANAP, la participation d'Özal
dans les affaires du parti est encore plus évidente. Par exemple, au
cours de la lutte pour la présidence du parti à Istanbul maintenue par
sa femme, Semra Özal, et le candidat de la faction opposée, Turgut Özal
invita personnellement tous les représentants locaux du parti pour les
forcer à donner leur vote à sa femme.
Avant le Congrès Général, encore une fois, Özal
s'est directement entretenu avec les représentants et délégués
provinciaux du parti et essaya de leur faire comprendre qu'il est le
véritable patron du parti.
L'attitude d'Özal, incompatible avec l'impartialité
du Président de la République, est une des causes de la crise politique
et constitutionnelle que traverse la Turquie.
Le nouveau chef du parti à déjà laissé entrevoir
qu'il resterait fidèle à Özal. En fait, le premier acte de Yilmaz en
tant que président du parti fut de faire le vœu, depuis la tribune du
congrès, de suivre la voie tracée par le Président Özal, fondateur du
parti et premier ministre de 1983 à 1989 et toujours dirigeant de la
Turquie.
LA CONSTITUTION EST-ELLE ENCORE VALABLE?
Le rédacteur en chef de Turkish Daily News,
Ilnur Cevik, dans son article du 28 mai 1991, commentait l'attitude
inconstitutionnelle d'Özal de la manière suivante:
"La Turquie possède-t-elle encore une Constitution
en vigueur ou s'agit-il d'un bout de papier sans valeur? Au début,
lorsqu'Özal fut lui-même élu président et dut quitter le parti qu'il
avait fondé et chéri, nous pensions qu'au cours de la période de
transition, l'intervention dans les affaires du parti était destinée à
orienter le parti vers une nouvelle voie.
"Özal est intervenu ouvertement dans l'élection de
Yildirim Akbulut comme chef du parti. Il a également eu son mot à dire
dans la formation du cabinet et joua un rôle dans la désignation des
administrateurs du parti. A ce moment-là, personne ne trouva rien à
redire car tout le monde pensait que le parti dirigeant devait être
fort et que tel était l'objectif poursuive par Özal. Le temps suivait
son cours et Özal, à sa manière, maintenait toujours des contacts avec
les députés et dirigeants du Parti de la Mère Patrie
"Mais les choses ne s'arrêtèrent pas là. Il
poursuivait ses rencontres avec les députés et les représentants de
l'ANAP et intervenait dans les affaires du parti. Ce qui voulait dire
qu'il n'était pas le président impartial décrit dans la Constitution.
"Puis, il y a quelques mois, Mme Özal annonça
qu'elle voulait devenir présidente de l'ANAP à Istanbul. Lorsque
plusieurs ministres s'y opposèrent, le président, dans un nouvel acte
qui, une fois de plus, le plongeait en plein dans la politique du
parti, démit de ses fonctions le ministre de la défense, Hüsnü Dogan.
Mme Özal fut élue et maintenant, avec son mari, elle demande un
président nouveau et digne de foi pour le parti.
"Après qu'Akbulut ait été élu président du parti,
Özal s'empara également du pouvoir exécutif et commença à diriger le
parti depuis le palais présidentiel.
"Özal est le fondateur de l'ANAP et ça personne ne
peut le changer. Il est sentimentalement attaché au parti et personne
n'y changera rien non plu. Mais ceci ne veut pas dire qu'Özal a le
droit de continuer à prendre des décisions importantes quant à sa
direction. Premièrement, la Constitution ne le permet pas, et
deuxièmement, c'est une faute morale car l'ANAP a maintenant un nouveau
leader et il a légalement le droit de faire marcher l'affaire.
"Jusqu'à ce week-end, Özal prétendait être un
président impartial, qui traitait tous les partis sur un même pied
d'égalité. Il disait que tout ce qu'il fait avec l'ANAP, il ne le fait
qu'en souvenir du passé et que ce ne sont que d'innocentes réunions
avec de vieux amis pour échanger des points de vue. Mais à présent, cet
alibi ne sert plu.
"Özal invita publiquement les présidents provinciaux
et réalisa un sondage pour savoir quel devrait être le prochain patron
du parti. Il s'agit là d'une intervention directe dans les affaires
internes d'un parti politique et une pure violation de la Constitution.
Le président peut prétendre que Mme Özal était le véritable hôte du
déjeuner et qu'il n'était qu'un innocent invité. Mais il sait
parfaitement que même en tant qu'invité, il ne peut assister à une
telle réunion.
"Il s'agit là d'une farce et elle doit cesser. Nous
ne pouvons continuer à clamer bien haut que ce pays est régi par des
lois et des réglementations propres à un système constitutionnel alors
que toutes ces lois sont violées d'une bien vilaine manière. Si le
président commence par violer les lois fondamentales du pays, les gens
se sentiront en droit de tout violer, depuis les lois jusqu'aux
réglementations, et ce sera le chaos."
LE SURPRENANT ENTRETIEN ÖZAL-ECEVIT
Le 2 juin, l'ancien Premier Ministre, Bülent Ecevit,
et actuel président du Parti de la Gauche Démocratique (DSP), fit une
visite surprise au président Turgut Özal, apparemment pour discuter des
relations entre la Turquie et l'Irak et de son récent voyage à Bagdad
où il rencontra Saddam Hussein.
Deux grands partis de l'opposition, le Parti
Populiste Socio-Démocfate (SHP) et le Parti de la Juste Voie (DYP), ont
durement critiqué Ecevit pour avoir accepté un entretien avec Özal,
puisqu'aucun des deux partis ne le reconnaît comme le président et tous
deux refusent d'assister à une réunion avec la participation du
président.
Le SHP accusa Ecevit de faire le jeu d'Özal. Le
leader du SHP, Erdal Inönü déclara: "Il est regrettable de voir un
parti, qui dans le passé défendit la démocratie sociale, se proposer
d'appliquer la politique du parti au pouvoir, l'ANAP. M. Özal a
désormais un nouvel ami. Notre ancien ami, M. Ecevit, est maintenant
devenu le sien. Il semble que l'ANAP ait lié tout son avenir à M.
Ecevit. J'éprouve de la désolation quant je vois un socio-démocrate
essayer de sauver M. Özal."
Ecevit répliqua qu'il rencontrait les leaders
d'Etats étrangers et qu'il est naturel qu'il rencontre le chef d'Etat
de son propre pays. "J'agis ainsi parce qu'un nationaliste, un homme
politique responsable et un homme d'état ne peut agir autrement,"
ajouta-t-il.
Inönü indiqua qu'étant donné que les Américains
informaient constamment Özal de la situation en Irak, Ecevit n'avait
nul besoin de rencontrer Özal pour traiter ce sujet. "La réunion n'est
qu'une astuce pour donner l'impression qu'un leader d'un parti de
l'opposition a rencontré le président, bien que les autres ont refusé
de le faire.
BUSH VISITERA LA TURQUIE EN JUILLET
Le 19 juillet, le Président des Etats-Unis se rendra
en Turquie pour une visite officielle de deux jours. Il sera donc le
deuxième président américain à visiter la Turquie. Eisenhower, en 1959,
était le premier.
Après une visite de deux jours à Athènes, Bush
devrait aborder, avec son homologue turc Turgut Özal, toute une série
de questions comme la politique pour la région du Golfe, la future aide
américaine à la Turquie et la question chypriote. Bush et Özal se sont
rencontrés pour la dernière fois en mars 1991 à Washington.
Malgré l'amélioration des relations entre les
Etats-Unis et la Turquie pendant et après la guerre du Golfe, Ankara
prétend que les relations de longue date sont entravées par la pression
grecque.
L'administration Bush avait demandé que soit octroyé
à la Turquie une aide militaire de 725 millions de dollars et une aide
économique de 74.5 millions de dollars pour l'année fiscale 1992.
Cependant, le 31 mai, le Comité des Affaires Etrangères de La Chambre
des représentants décida de réduire l'aide militaire à 503,5 millions
de dollars et d'augmenter l'aide économique à 190,4 millions de dollars.
Dans les discussions avec Bush, l'embargo des NU
contre l'Irak devrait également être abordé. Le gouvernement turc se
sent frustré par l'opposition américaine à une levée ou un allégement
des sanctions contre l'Irak tant que le président Saddam Hussein sera
au pouvoir. Aussi longtemps que durera l'embargo, la Turquie ne pourra
ouvrir les deux oléoducs qui acheminent le pétrole irakien vers les
terminaux de la Méditerranée.
Une association stratégique avec les Etats-Unis, ou
"une coopération bilatérale sur une série de questions" préconisée par
Özal après la Guerre du Golfe, devrait également figurer au programme
de la visite de Bush.
Bush et Özal devraient également aborder un problème
vieux de plusieurs dizaines d'années, celui de Chypre. Les discussions
entre les Grecs et Turcs de l'île, patronnées par les Nations Unies,
stagnent depuis un an. Bush déclara que les Etats-Unis feraient office
de "catalyseur" pour une solution au problème chypriote.
PEUR DES ATTENTATS A ANKARA
Selon le Hürriyet du 9 juin, bien que le président
américain, Bush, arrivera le 19 juillet, son médecin privé et 30 gardes
du corps se sont rendus en Turquie 40 jours avant son arrivée pour
vérifier les mesures de sécurité et de santé prévues pour le président.
Au cours de leur visite, le couple présidentiel
américain sera protégé par 300 gardes de sécurité, et tous leurs
voyages à l'intérieur du pays se feront en hélicoptère. De plus, une
voiture blindée sera prévue en cas d'urgence. Une unité de santé fut
installée pour le président américain à l'Université d'Hacettepe. Le
médecin privé de Bush a inspecté le centre de santé et a pris note de
ses déficiences.
Selon un autre article paru dans le Hürriyet, la CIA
et l'Agence de Renseignements Nationale Turque (MIT) vont renforcer
leur coopération pour combattre le terrorisme. "Au cours des réunions
maintenues à Washington, des délégations des deux organisations sont
arrivées à un accord de coopération technique et d'échange
d'informations sur le terrorisme. Les activités terroristes liées au
Moyen-Orient et la protection des Américains qui résident en Turquie
furent également étudiées lors des réunions de Washington", affirma le
journal.
Par ailleurs, Özal lui-même, craignant d'être
victime d'un attentat, demanda qu'on équipe le Palais Présidentiel d'un
système de sécurité similaire à celui de la Maison Blanche. Avec ce
nouveau système, qui coûte 7,5 millions de lires turques, toutes les
entrées du palais présidentiel seront surveillées par des caméras vidéo
et toutes les portes s'ouvriront à l'aide de cartes de sécurité codées.
A cause de cette crainte, Özal dut annuler, en mai,
un voyage de six jours aux Etats-Unis et ce pour éviter un acte de
protestation contre sa participation à un défilé turc à New York.
Le 12 mai, le Hürriyet indiquait que le président
George Bush avait dit au président turc qu'il serait plus prudent
d'annuler le programme car le risque d'un attentat contre lui était
vraiment très élevé et qu'il ne serait pas possible de lui procurer une
sécurité adéquate.
AUGMENTATION DES ACTES ARMES
Les extraordinaires mesures de sécurité adoptées à
Ankara sont sans aucun doute dues à l'augmentation du nombre d'actes
armés perpétrées par deux organisations de gauche.
La Gauche Révolutionnaire (DEV-SOL) et l'Armée
Révolutionnaire des Travailleurs-Paysans de Turquie (TIKKO), section
militaire du Parti Communiste de Turquie/Marxiste-Léniniste (TKP/ML)
ont récemment mené des attentats politiques contre la vie de
personnalités publiques connues pour être des exécutantes de la terreur
d'Etat.
En mai 1991, le DEV-SOL abattait le général Temel
Cingoz à Adana et le général à la retraite Ismail Selen à Istanbul.
Auparavant, la même organisation avait abattu les généraux à la
retraite Hulusi Sayin et Memduh Ünlütürk, les officiers américains Lt
Col. John Gandy et L. Col. Alin Macke, les agents de police Kazim
Cakmakci et Ismail Kiliç ainsi que le procureur Niyazi Fikret Aygen.
L'année dernière, TIKKO assassinait les anciens
représentants de l'Agence Nationale de Renseignement (MIT), Hiram Abas
et Ferdi Tamer ainsi que l'officier de police Muhsin Bodur.
Pour ce qui est du Kurdistan turc, où les guérillas
du Parti Ouvrier du Kurdistan (PKK) mènent une lutte armée contre les
forces de sécurité turques depuis sept ans, le nombre de morts s'élève
à 2.526.
Au cours de la période qui va de 1984 à juin 1991,
les forces de sécurité ont perdu 38 officiers, 28 sous-officiers, 386
soldats, 43 policiers, 99 gardiens de village, 14 anciens de village et
23 enseignants. Le PKK, de son côté a perdu 1.014 militants au cours
des conflits armés. Le nombre des victimes civiles de ces
confrontations s'élève à 881.
Rien que cette année, 4 officiers, un sous-officier,
34 soldats, 3 policiers et 20 civiles ainsi que 163 militants du PKK
ont été tués.
TERREUR D'ETAT DANS LE KURDISTAN TURC
Après l'adoption de la nouvelle loi Anti-Terreur,
les forces de l'Etat ont intensifié leurs opérations répressives dans
tout le pays, et paticulièrement dans le Kurdistan turc.
Le 7 juin, la police annonçait que 18 militants
avaient été abattus et 69 autres capturés vivants au cours d'une
récente opération de 15 jours menée dans une région soumise à l'état
d'urgence dans le sud-est de la Turquie. L'opération fut concentrée
dans les provinces de Mus, Diyarbakir, Sirnak et Mardin.
Le 9 juin, dans les districts de Tutak et Hamur,
dans la province d'Agri, 60 personnes ont été arrêtées, accusées
d'avoir aidé le PKK. Le comité local du HEP affirma que la police força
les détenus à devenir des informateurs ou des gardiens de village
contre le PKK.
L'assassinat, le 2 juin, de deux militants du PKK,
Mehdi Bulut et Sinasi Sans, à Ergani, donna lieu à des incidents
sanglants dans la province de Diyarbakir. Le 10 juin, des centaines de
personnes de la ville d'Hazro, décidèrent d'aller présenter leurs
condoléances aux parents des victimes de Silvan, mais les forces de
sécurité les empêchèrent de quitter la ville.
Pour protester contre cette intervention, ces
personnes organisèrent une marche vers le bureau du gouverneur local
tandis qu'ils scandaient des slogans contre le gouvernement. Des
soldats firent feu en direction des manifestants et blessèrent une
fille de 10 ans, Latifeci. Quatre
personnes, parmi lesquelles se trouvait le président local de HEP,
Mahfuz Mehmetoglu, furent arrêtées.
Le lendemain, pour protester contre la terreur
policière à Hazro, quelque 3.000 personnes participèrent à une
manifestation dans cette ville et les commerçants fermèrent leurs
établissements. Une nouvelle intervention policière blessa quatre
personnes. Par la suite, de nombreuses personnes participèrent à un
sit-in.
Le 10 juin, les forces de sécurité, au cours d'une
opération menée contre les militants du PKK, ouvrirent le feu contre
une tente de paysans dans le district de Diyadin, dans la province
d'Agri. Une femme de 30 ans, Gülay Yildirim, fut gravement blessée, et
beaucoup d'animaux appartenant aux paysans furent tués.
INTERDICTIONS DES TROIS COULEURS
Le Ministre de l'Intérieur, dans une directive du 15
juin 1991, interdit l'utilisation, dans la zone en état d'urgence, de
couleurs jaune, rouge et verte ensemble. Ces trois couleurs symbolisent
le mouvement national kurde. Conformément à la directive, les forces de
sécurité commencèrent à obliger les gens à se débarrasser de tous les
objets, accessoires de voiture et panneaux d'affichage, contenant
simultanément du jaune, du rouge et du vert.
EXECUTION SANS PROCES
Le 7 juin, un étudiant universitaire, Murtaza Kaya,
fut blessé par les forces de sécurité dans le quartier de Küçükçekmece,
dans la province d'Istanbul. Son grand frère affirma que la police, au
lieu de le capturer vivant, avait visé Murtaza Kaya à la tête. Ses amis
accusèrent la police d'exécuter ses victimes sans procès.
Le 12 juin, lorsque Kaya décéda à l'hôpital, un
groupe d'étudiants organisa une manifestation de protestation contre
l'abus de pouvoir de la police. Cette dernière dispersa les
manifestants de force et arrêta 20 étudiants.
Quelques jours plus tard, le 14 juin, la police
utilisa des armes à feu pour empêcher une autre manifestation de
protestation contre la mort de Kaya. Sept étudiants furent arrêtés.
PREMIER PROCES ANTI-TERREUR
Le premier procès intenté en vertu de la nouvelle
Loi Anti-Terreur fut ouvert le 13 juin devant la CSE d'Izmir.
Deux prévenus, Akbulut et Zeynel Kaya, sont accusés
de faire de la propagande pour la Jeunesse Progressiste (Devrimci
Gençlik). En vertu des articles 2 et 7, tous deux risquent une peine de
prison de 5 ans et une amende de 300 millions de LT (100.000$).
INTERRUPTION DES PROCES CONTRE LES TORTIONNAIRES
Les clauses de la Loi Anti-Terreur qui suppriment la
poursuite judiciaire à l'encontre des agents e l'Etat pour torture sont
mises en pratique.
Le 31 mai 1991, le quotidien Cumhuriyet rapportait
que le procès contre quatre officiers et un soldats, accusés d'avoir
torturé jusqu'à la mort en 1985, l'enseignant Siddik Bilgin à Bingöl,
fut interrompu conformément à la Loi Anti-Terreur.
Une cour d'Ankara décida qu'en vertu de la nouvelle
loi, les officiers de la sécurité ne pouvaient être poursuivis sans le
consentement des conseils administratifs provinciaux s'ils n'avaient
pas délibérément commis un meurtre, et remit l'affaire au Conseil
Administratif Provincial de Bingöl pour y déterminer si un nouveau
procès devait être intenté contre les suspects. Dans le procès de
Bilgin, de nombreux témoins, y compris le prévenu, le Lieutenant Umit
Eris, avaient déclaré que Bilgin avait été torturé jusqu'à la mort.
Le 7 juin, dans le district de Güroymak, dans la
province de Bitlis, une plainte pour torture déposée par trois
personnes, ne fut pas tenue en compte par le procureur public. Islam
Aysoy, Ismet Aysoy et Ilhan Aysoy déclarèrent qu'ils avaient été
torturés et forcés à manger des excréments dans un poste de la
gendarmerie. Cependant, le procureur, se référant à la nouvelle Loi
Anti-Terreur, transmit le dossier au bureau du Gouverneur.
LE PROCES TBKP SE POURSUIT
Bien que les Articles 140, 141 et 142 du Code Pénal
Turc ont été abrogés, le 10 juin, la Cour de la Sûreté de l'Etat
décidait de poursuivre le procès contre deux hauts représentants du
Parti Communiste Uni de Turquie (TBKP), le président, Nihat Sargin et
le secrétaire général, Nabi Yagci (Haydar Kutlu).
L'affaire sera traitée en fonction de l'Article 312
du Code Pénal Turc. Pour avoir incité les gens au crime, tous deux
risquent une peine de prison de 12 ans.
POURSUITES CONTRE LES PARTIS LEGAUX
Le 6 juin, le procureur de la République intenta une
action en justice contre le leader du Parti de la Juste Voie (DYP),
Süleyman Demirel et 40 membres du Conseil Administratif de ce parti
pour avoir insulté le Président de la République dans un communiqué
publié le 23 mai. Ils sont mis en accusation en vertu de l'Article 158
du Code Pénal Turc.
Le 13 juin, le procureur de la CSE d'Istanbul
demanda au Tribunal Constitutionnel de juger le Parti Travailliste du
Peuple (HEP) pour avoir enfreint les Articles 78, 79, 80 et 81 du Code
sur les Partis Politiques. Le parti est accusé de propagande
séparatiste.
Le lendemain, le gouverneur d'Ankara interdit une
manifestation organisée par le HEP pour commémorer la résistance des
travailleurs en 1970.
Le 14 juin, le Gouverneur d'Istanbul n'autorisa pas
une manifestation organisée par les partis politiques et les
associations démocratiques pour protester contre la Loi Anti-Terreur.
LA DISK, PAS ENCORE LIBRE
Abdullah Bastürk, président de la Confédération des
Syndicats Progressistes (DISK) a introduit une demande, le 14 mai,
auprès de la Cour Militaire de Cassation pour que lui et ses collègues
soient acquittés dans le procès en cours contre la DISK. Bastürk
demanda également à la cour de lever les obstacles qui empêchent la
confédération de poursuivre ses activités. Il déclara que tous les
dirigeants de la DISK mis en accusation devraient être acquittés,
puisque toutes les accusations avaient été supprimées en vertu de la
Loi Anti-Terreur récemment promulguée.
Le 5 juin, sans attendre la décision de la Cour
Militaire de Cassation, les Tribunaux du Travail N° 1,2, 3, 5 et 6
d'Ankara dictèrent une sentence commune ordonnant le transfert de tous
les avoirs de la DISK, qui se chiffrent à 1,5 trillions de LT (3,5
millions de $), à l'Organisation de la Sécurité Sociale (SSK).
Après ce jugement, le président de la DISK, Bastürk,
déclara: "Il s'agit d'une confiscation. Un tel acte va à l'encontre de
la démocratie et de la loi. Pendant l'ère de Franco, en Espagne, et
celle d'Hitler, en Allemagne, les biens des syndicats étaient saisis de
la même manière. Cependant, lorsque les dirigeants fascistes étaient
renversés, les syndicats récupéraient leurs biens. J'espère que les
syndicats bannis récupèreront leurs biens lorsque les institutions
démocratiques seront établies comme il faut dans notre pays."
Le 15 mai, le 7ème Congrès de la Confédération
Européenne des Syndicats (CES) adopta une résolution pour condamner la
pression exercée sur la DISK qui précisait que les syndicats européens
feront pression pour que soit suspendue la coopération économique entre
la Turquie et la CEE tant que seront violés les droits des syndicats.
Le 9 juin, la Confédération Internationale des
Syndicats Libres (CISL) demanda à l'Organisation Internationale du
Travail (OIT) de faire pression sur le gouvernement turc sur l'affaire
des biens de la DISK.
ARRETE POUR PROPAGANDE CHRETIENNE
Le 15 juin, dans le village de Sabuncupinar, situé
dans la province de Kütahya, l'agriculteur Ali Atlas fut arrêté pour
avoir fait de la propagande chrétienne. La police confisqua 35 livres,
8 cassettes vidéo et 10 posters qui se trouvaient chez lui.
AUTRES CAS DE TERRORISME D'ETAT
Le 1.6, un groupe de femmes se plaignait de
"l'opération de contrôle de la virginité", récemment effectuée sur les
patients de la Section Psychiatrique de l'Hôpital de Bakirköy pour
Maladies Mentales. Les membres des syndicats Kam-Sen, Bem-Sen,
Saglik-Sen et Özgür-Sen, se sont réunis devant le réfectoire de
l'hôpital avec des pancartes et lurent une déclaration dans laquelle
ils condamnaient la violation de la dignité humaine.
Le 2.6, à Bursa, 60.000 personnes participèrent à un
meeting sur le thème "Non aux injustices!", organisé par la
Confédération des Syndicats Turcs (TURK-IS). A la fin du meeting, un
groupe de 177 manifestants qui prétendaient poursuivre leur mouvement
par une marche de protestation furent arrêtés de force par la police.
Par la suite, un tribunal décida de garder aux arrêts 10 d'entre eux et
de relâcher les autres.
Le 3.6, dans le district de Savur, province de
Mardin, trois filles, Hüsne Kizilkaya, de 12 ans, Meryem Oral, de 13
ans, et Münnever Oral, de 13 ans, déclarèrent avoir été arrêtées par la
police les accusant d'avoir quitté leur maison pour participer à des
actes du PKK. Elles affirmèrent: "La police nous menaça d'harcèlements
sexuels."
Le 3.6, dans le district de Caycuma, province de
Zonguldak, Tuncay Bostanci déclara avoir été torturé au poste de police
pendant les 18 heures qu'il y resta en détention. La médecine
officielle lui remit un rapport attestant qu'il ne peut travailler
pendant 15 jours à cause des tortures subies.
Le 4.6, quatre personnes détenus au cours d'une
opération policière à Istanbul, furent mises en état d'arrestation par
la Cour de la Sûreté de l'Etat. Parmi elles se trouvait une femme
suisse, Barbara Anna Kistler. Son avocat, Marcen Bossoner, déclara que
Kistler avait été torturée au poste de police et qu'au cours de la
visite qu'il lui rendit en prison il avait vu les traces de coups sur
son visage et ses épaules.
Le 5.6, quatre membres du SHP furent arrêtés pour
avoir placé une couronne noire devant le Consulat Général de Chine pour
protester contre les événements de la Place Tienanmen de 1989 à
l'occasion de l'anniversaire de ces derniers.
Le 5.6, fut ouvert devant la CSE d'Ankara, le procès
de cinq membres présumés du Parti Communiste Révolutionnaire de Turquie
(TDKP). Chaque prévenu risque une peine de prison de 10 ans.
Le 5.6, un militant du PKK d'origine syrienne,
Muhammed Kemal fut condamné à la peine de mort par la CSE de Malatya.
En vertu de la Loi Anti-Terreur, la peine capitale fut ensuite commuée
en une peine de prison. Pendant son transfert en prison il fut harcelé
par la police parce que, après avoir entendu la sentence, il scandait
des slogans louant le PKK. Le médecin légiste lui remit un rapport
médical attestant la présence de traces de coups.
Le 5.6, la CSE de Malatya condamna un militant
mineur d'âge du PKK, Orhan Aydin, à la peine de mort. En raison de son
âge, la peine de mort fut commuée en une peine de prison de 16 ans et 8
mois. Dans le même procès, deux autres prévenus furent condamnés à 2
ans et 6 mois de prison chacun.
Le 5.6, à Sinop, quatre enseignantes, Ummet Suna,
Hatice Suna, Tülay Avci et Fatma Önalan, furent arrêtés et envoyés à
Ankara pour une enquête policière.
Le 5.6, la Cour Militaire de Cassation confirma la
peine à perpétuité prononcée contre un travailleur d'une mine de
charbon lors du procès contre Yeni Celtek Group de la Voie
Révolutionnaire (DEV-YOL).
Le 6.6, un groupe de parents de prisonniers qui se
rendaient au Parlement pour rencontrer le Président de la Commission
des Droits de l'Homme, Eyüp Asik, fut harcelé par la police. Lorsqu'ils
s'arrêtèrent au carrefour devant le Parlement, deux députés du Parti
Travailliste du Peuple (HEP) sont intervenus pour dire qu'ils ne
participaient pas à une manifestation illégale mais qu'ils avaient
rendez-vous avec Asik. La police écarta les objections et tentait de
disperser le groupe de cent personnes en harcelant les visiteurs ainsi
que les deux députés. Plus tard, quelques groupes furent arrêtés. En
signe de protestation contre l'attitude de la police, un autre groupe
commença une grève de la faim dans le bureau provincial du HEP.
Le 6.6, sept étudiants de l'Université d'Anadolu
furent traduits devant la CSE de Diyarbakir accusés d'appartenir au
PKK. Dans l'interrogatoire de la cour, ils déclarèrent avoir été
menacés pendant leur arrestation.
Le 10.6, le Syndicat des Travailleurs de la Santé
(Saglik-Sen) annonça que ses deux représentants, la présidente Fatma
Patlar et le secrétaire Nazim Mercam, avaient été torturés au poste de
police après leur arrestation.
Le 12.6, à Izmir, Murat Iskenderoglu, Secaattin
Sekerci, Cem Tat et Oktay Kahraman, déclarèrent avoir été torturés au
cours de leur détention policière.
Le 12.6, cinq membres présumés de DEV-SOL furent
traduits devant la CSE d'Izmir pour avoir pris part à des actes de
violence politique. Trois des prévenus risquent la peine capitale et
deux autres risquent 15 ans de prison.
Le 14.6, à Ankara, l'avocat Murat Demir fut battu
par la police au cours d'une descente effectuée dans son bureau. Après
la descente, Demir et une femme du nom de Cavidan Kocaacar furent
arrêtés.
Le 14.6, à Urfa, le secrétaire de la IHD local, le
juriste Ramazan Ferat, fut battu par un groupe de policiers. Le médecin
légiste lui remit un rapport attestant que son nez avait été fracturé
pendant la correction que lui infligea la police.
Le 15.6, un garçon de 9 ans, Ömer Teker, soupçonné
de vol, fut torturé à Düzköy, dans la province de Giresun, après avoir
été arrêté.
L'ATTAQUE D'ÖZAL CONTRE LA PRESSE
Dans une manœuvre destinée à s'attirer la sympathie
des médias dans le monde et rendre Istanbul plus attrayante qu'Athènes
pour les journalistes occidentaux chargés de couvrir les événements du
Moyen-Orient, le gouvernement turc transforma un bâtiment du 17ème
siècle en un Centre de Presse International.
A l'origine, le bâtiment Sepetciler Vakfi, avait été
construit par le Sultan Ibrahim I pour réviser la flotte.
Dans sa forme actuelle, il comporte une salle de
conférence de 250 places, les équipements les plus modernes en
communication et informatique, ainsi qu'un centre d'information.
Au grand étonnement des journalistes étrangers, dans
son discours d'ouverture, le Président Özal prit comme cible la presse
et se montra satisfait du nombre de journalistes qu'il fait condamner
par les tribunaux.
Exprimant son mécontentement envers le Conseil de la
Presse Turque qu'il qualifia d'inutile étant donné qu'il ne soutient
pas ses droits, Özal déclara: "Puisqu'ils ne me défendent pas, je me
tourne vers les tribunaux et je gagne. Une partie de ma fortune
provient des tribunaux. Lorsque les journaux s'opposent à certaines
choses comme les mariages, je les amène devant les tribunaux et je
gagne. S'ils continuent ainsi, je vais devenir riche. J'ai gagné entre
800 et 900 millions de LT en affaires judiciaires. Personne ne peut
demander d'où provient l'argent."
RECENTES POURSUITES CONTRE LES MEDIAS
LE 3.6, le rédacteur en chef du mensuel Hedef,
Mehmet Günes, fut de nouveau arrêté après une détention de 40 jours
pour appartenir à une organisation illégale. La raison de la deuxième
détention ne fut pas dévoilée.
Le 5.6, un nouveau livre de Rüya Eser Oguztan,
intitulé Les Immoraux, fut confisqué par une cour pénale d'Istanbul
pour obscénité.
Le 7.6, à Bogazlayan, le procureur de la République
intentait une action en justice contre les auteurs d'une pièce de
théâtre intitulée Papa, où étais-tu le 12 septembre?, pour insultes
contre le gouvernement.
Le 10.6, l'édition du 7 juin de l'hebdomadaire Hafta
Sonu fut confisquée par décision d'une cour pénale, pour avoir révélé
des aspects de la vie privée d'une personne.
Le 11.6, s'ouvrit à la cour pénal d'Istanbul, le
procès contre 58 personnes qui avaient remis au journal Cumhuriyet une
publicité en faveur de l'Action des Travailleurs du 3 janvier 1991.
Chacune d'elles risque une peine de prison de trois mois et le
rédacteur en chef du Cumhuriyet, Okay Gönensin, risque un an pour avoir
publié la publicité.
Le 12.6, le bureau du procureur de la République
d'Istanbul introduisit une action en justice contre le poète Yilmaz
Odabasi pour son récent ouvrage sur la révolte de Sheikh Sait, en 1925,
dans le Kurdistan turc. Il est accusé d'avoir enfreint l'Article 8 de
la nouvelle Loi Anti-Terreur.
Le 13.6, la représentation de la pièce Pir Sultan
Abdal, à Malatya, par le Théâtre Birlik d'Ankara, fut interdite par
décision du gouverneur. Auparavant, la troupe avait représenté la pièce
dans quinze villes d'Allemagne, de Suisse, d'Autriche, de Belgique et
des Pays-Bas.
Le 14.6, le journaliste Deniz Teztel, chef du Bureau
des Droits de l'Homme du quotidien Günes, fut arrêté par une équipe de
police qui fouillait son appartement en pleine nuit. Pendant la
perquisition, toutes ses notes et documents sur les procès contre le
DEV-SOL furent confisquées.
ISMAIL BESIKCI RECOMPENSE
Le 6 juin, le sociologue Ismail Besikçi était
acquitté dans quatre procès différents contre ses derniers livres.
Le tribunal déclara que les procès n'avaient plus
aucune base juridique puisque l'Article 142 du Code Pénal Turc était
abrogé.
Après avoir entendu la décision de la Cour, Besikçi
déclara: "Ce n'est pas une véritable liberté puisque la nouvelle Loi
Anti-Terreur contient des clauses similaires. Mon acquittement n'a donc
pas de sens."
D'autre part, Besikçi refusa la récompense que lui
attribua aux Etats-Unis, le Fond pour la Libre Expression. Besikçi
figurait parmi les 22 écrivains à avoir gagné un prix de 10.000 dollars
offerts par deux écrivains américains qui ont souffert des
condamnations politiques: Lilian Hellman et Dashiel Hammet.
Cependant, Besikçi, qui avait été emprisonné à trois
reprises pour un total de 12 ans, simplement pour avoir écrit sur le
peuple kurde de Turquie, déclara qu'il ne pouvait accepter d'aide
étrangère et préférait poursuivre ses travaux académiques sans aide
externe.
GREVES DE LA FAIM A TRAVERS LA TURQUIE
En signe de protestation contre la Loi Anti-Terreur,
les prisonniers politiques et leurs parents ont lancé une campagne
destinée à déclencher des grèves de la faim dans tout le pays.
Selon les reportages de la presse turque, les
détenus politiques et les condamnés des prisons de Sagmalcilar
(Istanbul), Gaziantep, Malatya, Buca (Izmir), Ankara et Diyarbakir ont
commencé des grèves de la faim pour des périodes différentes. Le 11
juin, 12O prisonniers politiques faisaient encore la grève de la faim à
Diyarbakir.
Par ailleurs, des centaines de personnes faisaient
la grève de la faim dans différentes villes: 60 personnes à Adana, 80 à
Ceyhan, 40 à Gaziantep, 87 à Bismil, 30 à Silvan, 41 à Lice, 6 à
Yalova, 9 à Kayseri et 26 à Izmir.
Des grèves de la faim eurent également lieu dans
certaines villes européennes.
REACTION INTERNATIONALE CONTRE LA LOI ANTI-TERREUR
La nouvelle Loi Anti-Terreur préoccupe les
organisations internationales des droits de l'homme.
Amnesty International, en premier, exprime ses
craintes, de la manière suivante, dans un communiqué de presse daté du
16 avril 1991 et intitulé "Turquie: la Nouvelle Loi peut Augmenter le
Risque de Torture":
"Nous sommes extrêmement préoccupés par les
nouvelles clauses de la loi, une desquelles permet aux personnes
soupçonnées d'avoir torturé des prisonniers de continuer à garder et à
interroger des détenus alors que les charges contre elle sont
accablantes. Les officiers de police qui recueillent les dépositions
des détenus seront également dispensés de déclarer devant la cour à
moins qu'ils ne donnent leur accord, ce qui rend difficile pour les
détenus toutes contestation de confessions ou dépositions faites sous
la contrainte de la torture. Ceci signifie que les cours ne pourront
pas examiner toutes les allégations concernant la torture.
"L'organisation trouve également préoccupant que
tous les procès contre les tortionnaires présumés n'aient pas lieu
auprès de la CSE. Les procès de tortionnaires présumés ne peuvent
se poursuivre qu'avec l'accord du Ministre de l'Intérieur, à moins que
la victime ne soit morte en détention. Cette nouvelle loi met en
question la volonté des autorités d'amener ceux qui pratiquent la
torture devant les tribunaux.
"Il est urgent que les nouvelles clauses concernant
l'investigation et la mise en accusation des tortionnaires présumés
soient modifiées. Il est tout aussi urgent que le gouvernement réforme
ou abroge les clauses de la nouvelle loi permettant l'emprisonnement de
personnes pour avoir fait de la propagande "séparatiste", même quand
celle-ci ne contient pas des appels à la violence.
"L'organisation est également déçue de voir que la
nouvelle loi ne contient aucune proposition pour diminuer les 15 jours
de la détention maximale; celle-ci s'élève à 30 jours dans les 10
provinces du sud-est de la Turquie soumises à l'état d'urgence. La
période de temps pendant laquelle les détenus sont gardés au secret a
joué un rôle prépondérant dans la persistance de la torture dans les
postes de police."
Le 10 juin 1991, aux Etats-Unis, Helsinki Watch
faisait paraître le communiqué suivant intitulé "Turquie: Nouvelle Loi
Anti-Terreur Restrictive":
"Helsinki Watch pense que la nouvelle loi contient
des clauses qui limitent fortement les droits des citoyens turcs. Sa
définition du terrorisme est si large qu'à peu près n'importe qui peut
être accusé de terroriste et condamné à la prison. Elle limite le droit
à l'avocat, restreint les meetings et les manifestations, limite la
liberté de la presse et rend plus difficile la condamnation des forces
de police et de sécurité pour délit de torture. La loi fut également
utilisée contre la presse et les prisonniers, ainsi que pour annuler le
procès contre cinq soldats accusés d'avoir torturé un enseignant
jusqu'à la mort.
"Le gouvernement turc, apparemment réagissant à la
pression internationale, prit une initiative positive et abrogea les
Articles 141, 142 et 163 du Code Pénal et libéra un certain nombre de
prisonniers. Malheureusement, le gouvernement fit alors un pas en
arrière en adoptant la Loi Anti-Terreur. Helsinki Watch exhorte
vivement le gouvernement turc à l'abroger."
AUCUN ESPOIR DE DEVENIR MEMBRE DE LA CE
Le 7 juin, dans son article pour le quotidien
Milliyet, le correspondant à Bruxelles, Mehmet Ali Birant, dit que dans
les premières années de la candidature turque pour devenir membre de la
CE, il avait un certain espoir de voir fructifier cette candidature.
Aujourd'hui, avec une CE totalement différente, il avoua avoir perdu
tout espoir de voir la Turquie devenir membre à part entière de la CE.
Voici les raisons qu'invoque dans son article, un
des journalistes turcs les mieux informés à Bruxelles, pour justifier
son pessimisme:
"1. La destruction de l'Empire Soviétique:
L'effondrement de l'Union Soviétique a amené le monde à penser que la
guerre entre capitalisme et communisme s'était soldée par une victoire
capitaliste. Cette situation a donc développé un complexe de
supériorité dans le monde occidental, et particulièrement dans la CE.
Le complexe de supériorité s'est accentué avec la lutte que mènent
d'autres pays pour devenir membres de la Communauté. La Suède, la
Norvège, l'Autriche et la Suisse sont les principaux pays qui attendent
le feu vert, tandis que les pays de l'Est espèrent également avoir une
chance. Toutes ces candidatures suscitent également la crainte dans la
CE, car la Communauté sait que le 'marché unique' ne sera impossible si
elle accepte d'autre membres.
"2. Les limites de la CE: La CE pris conscience de
sa propre faiblesse et de la puissance des Etats-Unis pendant la crise
du Golfe. La probabilité que ces derniers, dotés d'une énorme puissance
économique et militaire, puissent facilement accaparer le marché
mondial est devenu un cauchemar pour la CE. Dernièrement, les
Etats-Unis semblent vouloir créer un nouveau monde où ils seront la
seule puissance et le gendarme. Cette menace amène tout naturellement
la CE à s'isoler et à essayer de consolider ses mécanismes internes.
"Le monde est en train de changer, les pays se
battent pour conquérir une place sur la scène internationale, et
personne ne se soucie de la Turquie."
L'INTERNATIONAL SOCIALISTE EN TURQUIE
Le meeting annuel du conseil de l'International
socialiste fut accueilli cette année à Istanbul par le principal parti
turc de l'opposition, le Parti Populiste Socio-Démocrate (SHP).
L'accord donné par les distingués leaders socio
démocrates du monde entier pour se rencontrer à Istanbul fut interprété
dans les milieux gouvernementaux comme une preuve du progrès accompli
par la démocratie en Turquie.
Il s'est avéré qu'en évitant dans leurs discours
toute remarque critique à l'égard de la situation des droits de l'homme
en Turquie, les leaders socialistes ont servi à la propagande du régime
d'Ankara.
Les deux thèmes principaux de la réunion du conseil
furent "Paix, Sécurité, et Coopération dans le Moyen-Orient" et
"Réforme, Démocrate et Renouveau Economique en Europe centrale et de
l'est."
Le 11 juin, dans son discours de bienvenue qu'il
adressa à la réunion du conseil, le leader du SHP, Erdal Inönü déclara:
"Nous ne voulons pas de terrorisme. Nous ne voulons aucune discussions
quant à nos frontières nationales. Nous ne voulons qu'aucun de nos
citoyens soit séparé de l'ensemble de la société et soit aliéné."
Avant la réunion du conseil du SI, l'autre leader
socio-démocrate turc, Bülent Ecevit, avait déjà fait une déclaration
dans laquelle il accusait les Kurdes irakiens de vouloir assimiler les
Turcs irakiens. "Si les Kurdes obtiennent une autonomie dans le nord de
l'Irak, entre 2,5 et 3 millions de Turcs qui vivent dans cette région
deviendront une 'minorité d'une minorité' et peuvent être confrontés à
des pressions d'assimilation", déclara le président du Parti de la
Gauche Démocratique (DSP), qui refuse d'adhérer à l'International
socialiste duquel le SHP est membre.
L'événement le plus frappant de la réunion au SI fut
sans aucun doute, le refus de concéder le statut d'observateur à
l'Organisation pour la Libération de la Palestine (OLP). Bien qu'une
délégation de l'OLP fut autorisée à s'adresser à une commission lors
des sessions du 9 juin, on leur dit par la suite qu'ils ne pourraient
assister aux réunions du Conseil du SI en tant qu'observateurs.
Bien que le SHP fit savoir que les Palestiniens
pourraient assister à la réunion à titre "d'invités", l'OLP boycotta la
réunion du Conseil du SI et déclara: "Ceci est devenu un cirque dirigé
par Simon Peres."
LE PESSIMISME DE LA BANQUE MONDIALE
L'OCDE a récemment exprimé dans un rapport, ses
craintes sur l'évolution de l'économie turque. Inflation élevée, le
déficit croissant entre les importations et les exportations, et un
faible taux d'investissement dans l'industrie manufacturière sont,
selon le rapport, les principaux problèmes de l'économie turque.
"La balance extérieure est devenue excédentaire en
1988 en raison de la diminution des importations et de la faible
demande intérieure. L'augmentation des revenus provenant du tourisme et
des travailleurs à l'étranger favorisa cette amélioration. Cependant,
les exportations n'ont pas augmenté et le chômage n'a pas diminué. A
partir de la deuxième moitié de 1989, on a pu assister à une certaine
amélioration dans la croissance de la production et à un certain
ralentissement de l'inflation. Mais le gouvernement augmenta ses
emprunts et la balance extérieure est devenue déficitaire en raison de
la Crise du Golfe.
"L'inflation, qui atteint un taux de 62.5% annuel
reste le plus grave problème de la Turquie. L'inflation et les taux
d'intérêt élevés sur les prêts découragent les investissements. Les bas
salaires et la diminution des taux de change ont rendus les prix plus
compétitifs sur le marché international mais n'ont pas encouragé
l'investissement dans les années 80.
"Le déficit de la balance extérieure des payements
est allé en s'accentuant. Les exportations, à l'exception des textiles,
ont continué à baisser, tandis que les importations augmentaient. Avant
la Crise du Golfe, les exportations vers le Moyen-Orient, le plus grand
client de la Turquie, ont diminué au Koweit et en Irak, ce dernier en
raison de difficultés de paiement.
D'autre part, le Vice-Président Régional de la
Banque Mondiale, Willi A. Wapenhans, chargé du bureau de l'Europe, du
Moyen-Orient et du Nord de l'Afrique déclara le 3 juin que les
représentants banquiers étaient préoccupés par l'inflation galopante et
l'augmentation des déficits budgétaires en Turquie. "La Turquie a
amélioré son commerce extérieur et sa balance des paiements. Nous
considérons qu'il s'agit d'un développement très important et espérons
que la situation pourra encore s'améliorer. Ce qui nous inquiète, c'est
l'énorme inflation de la Turquie. Cette situation fait également
grimper les taux d'intérêt. Bien sûr, l'inflation est une conséquence
directe du déficit budgétaire et des dettes internes. C'est pourquoi,
l'inflation, qui nuit également aux investissements, devrait être
contrôlée pour récupérer la stabilité. Puisqu'en raison de la Crise du
Golfe, la Turquie nécessite davantage de fonds étrangers, la Banque
Mondiale a décidé de lui augmenter son aide," déclara Wapenhuis dans
une entrevue avec l'Agence semi-officielle Anadolu au Caire, où il
assistait à la 15ème réunion du conseil des gouverneurs de la Banque de
Développement de l'Islam.
LE PRIX DE LA CRISE DU GOLFE: 6,2 MILLIARDS DE $
Le 8 mai, le Sous-secrétaire de la Trésorerie et du
Commerce Extérieur révélait que la Crise du Golfe avait coûté à la
Turquie un total de 6,2 milliards de $. Le secteur du transport fut le
plus touché avec un déficit de 1,3 milliards de $. Viennent ensuite les
secteurs de l'importation et de l'exportation avec 1,1 milliards de
dollars chacun.
Toujours à cause de la Crise du Golfe, le secteur
bancaire doit faire face à un déficit de 850 millions de $, tandis que
celui du secteur immobilier est de 650 millions de $.
Selon les estimations, le déficit du tourisme est de
400 millions de $.
Entre l'invasion du Koweit par l'Irak et la fin du
mois d'avril, 400 millions de dollars furent destinés à des dépenses
militaires et 150 millions aux réfugiés.
UN CANAL DE TELEVISION ISLAMIQUE PRIVE
Un nouveau canal de télévision privé entrera bientôt
en service sous le nom d'Hilal 1 (Croissant 1), selon le quotidien
Sabah du 13 mai.
L'ancien directeur de la Radio et Télévision Turque
(TRT), Saban Karatas, sera le directeur de la nouvelle chaîne.
Certaines organisations turques d'extrême droite et des banques arabes
soutiendront la nouvelle chaîne de télévision.
Hilal 1 sera capté en Turquie par câble ou par
satellite.
Le vice-président de l'ANAP, Metin Gürdere
déclara que Hilal 1 sera suivi par au moins 50 millions de personnes en
Turquie, tandis que l'actuelle chaîne de télévision privée, Star 1,
dirigée par le fils ainé d'Özal, Ahmet Özal, est regardée par 7
millions de personnes.