Le gouvernement, oubliant ses promesses de
"transparence", empêche
tout débat
parlementaire sur les activités subversives soutenues par l'Etat
LA CONTRE-GUERILLA
RESTE INTOUCHABLE
Alors que se poursuivent les assassinats commis ou
couverts par des organisations clandestines de l'Etat, le gouvernement
refuse d'ouvrir un débat parlementaire sur les activités subversives de
l'Organisation Contre-Guérilla en dépit des promesses de "transparence"
faites pendant la campagne électorale.
Récemment, deux partis de l'opposition, le Parti du
Bien-être (RP) et le Parti Travailliste du Peuple (HEP) ont soumis au
Parlement une motion pour que l'Assemblée Nationale mène enquête.
Par ailleurs, un groupe de députés du HEP fit une
proposition similaire. Le député d'Adiyaman, Celal Kürkoglu et 14
autres députés du SHP précisèrent que les plaintes contre la
Contre-Guérilla s'étaient intensifiées après l'assassinat du célèbre
journaliste Ugur Mumcu. Evoquant la découverte d'organisations comme
Gladio dans les pays de l'OTAN, créées après la Deuxième Guerre
Mondiale pour contrer une éventuelle invasion communiste, les députés
du SHP demandèrent que soit également ouverte une enquête en Turquie.
Contre leurs propres promesses électorales, le
Premier Ministre Demirel et le Vice-Premier Ministre Inönü empêchèrent
les groupes de leurs partis de voter en faveur d'un tel débat.
Lors du meeting du groupe parlementaire du SHP,
Inönü fit savoir qu'un tel débat n'était pas opportun parce qu'il
pouvait offusquer le principal partenaire de la coalition, le DYP, et
l'armée. Sous sa pression, le groupe parlementaire de son parti vota
contre l'ouverture d'un débat parlementaire sur le sujet.
RAPPEL HISTORIQUE SUR LA CONTRE-GUERILLA
Le terme Contre-Guérilla fut utilisé pour la
première fois juste après le coup-d'Etat du 12 mars 1971, lorsque les
généraux forcèrent le gouvernement de Süleyman Demirel à démissionner
par la publication d'un mémorandum. L'infâme Mansion Ziverbey, dans le
district d' Erenköy, à Istanbul, était un important centre
d'interrogation. Des dizaines d'intellectuels, parmi eux d'importants
écrivains et des journalistes, ainsi que certains officiers
progressistes de l'armée, y furent placés en détention. Parmi les
journalistes torturés se trouvait Ugur Mumcu, qui maintes fois dénonça
le problème de la Contre-Guérilla dans ses articles et ses livres.
Mumcu fut assassiné le 24 janvier de cette année.
Dans ce centre d'interrogation, les victimes du
coup-d'Etat de 1971 subirent des tortures hautement sophistiquées. Au
cours des interrogatoires, les tortionnaires intimidaient toujours
leurs victimes de la manière suivant: "Nous sommes la Contre-Guérilla.
Même le Président de la République ne peut rien contre nous".
En fait, cette sinistre organisation existe déjà
depuis 1952 sous le nom de Département de Guerre Spéciale, dont les
quartiers généraux se trouvaient dans les bâtiments la Mission d'Aide
Militaire Américaine à Ankara. La formation des officiers de ce
département était assurée par les services de renseignement américains.
Talat Turhan, officier de l'armée à la retraite et
torturé à Ziverbey, a écrit trois livres sur les opérations des groupes
de la Contre-Guérilla en Turquie. Dans une interview concédée au
quotidien Dateline le 24 octobre 1990, Turhan précise que
l'organisation contre-guérilla, comparable à Gladio, fut créé après que
la Turquie soit devenue membre de l'OTAN en 1952. Il y fait allusion à
un possible lien entre l'Organisation Contre-Guérilla et les
assassinats de Cetin Emec, ancien rédacteur-en-chef du quotidien à
grand tirage Hürriyet, de l'avocat Muammer Aksoy, partisan convaincu
des principes de réforme d'Atatürk, le conférencier en théologie et
ancien ministre du SHP, Bahriye Ücok, et l'écrivain Turan Dursun.
"Théoriquement, si les assassins ne peuvent être retrouvés et si les
assassinats politiques se poursuivent, les auteurs de ces crimes ne
peuvent être que les forces de sécurité et les agences de
renseignement. Ces organisation peuvent agir indépendamment ou en
collaboration. Elles pourraient même coopérer avec des agences de
renseignement étrangères. C'est au gouvernement de prouver l'exactitude
ou inexactitude de cette théorie", déclara-t-il.
Evoquant la période qui précéda le coup-d'Etat de
1971, Turhan expliquait: "Avant le coup-d'Etat du 12 mars 1971, il
s'est produit une intensification des activités terroristes
individuelles. Cette atmosphère politique fut suivie du coup-d'Etat
militaire. C'était tout bénéfice pour les Etats-Unis, qui se montraient
contraires aux libertés concédées par la Constitution de 1961.
L'incitation au coup-d'Etat était justifiée par la nécessité d'apporter
des amendements à la Constitution rendant à nouveau possible
l'exploitation du pays par les Etats-Unis".
Selon Turhan, le coup-d'Etat militaire du 12
septembre 1980 avait exactement le même objectif. "Ceux qui voulaient
exploiter ce pays encore plus qu'ils ne le faisaient par le passé
organisèrent un autre putsch. Les provocations et les assassinats par
des personnes inconnues plongèrent la Turquie dans un bain de sang.
L'issue de cette situation fut le coup-d'Etat", rappelait Turhan. Il
confia à Dateline que l'idée de départ de créer un groupe de résistance
contre l'invasion d'un pays membre de l'OTAN, orchestrée par l'Union
Soviétique, était légitime. "On ne peut pas blâmer la création d'une
telle organisation ni ses activités si elles restent dans la légalité.
Mais si elle agit sous l'influence de forces étrangères, surtout de
l'impérialisme américain, il est fort probable qu'elle soit utilisée
pour des activités illégales. C'est ce qui s'est passé en Italie et
c'est ce qui est en train de se produire en Turquie", dit-il.
Turhan, qui avait beaucoup d'influence au sein de
l'armée après le coup-d'Etat de 1960, fut accusé d'avoir participé à
deux tentatives de putschs militaires et dut quitter l'armée en 1964.
Après le coup-d'Etat de 1971, instigué par des officiers
d'extrême-droite, Turhan fut incarcéré pour activités subversives et
pour avoir tenté un coup-d'Etat gauchiste.
Durant son procès, il présenta plusieurs documents à
la cour. Parmi eux il y en avait un intitulé Opérations Contre-Guérilla
publié par l'armée américaine comme manuel de terrain FM-31-16. Par la
suite, il fut traduit en turc et publié par l'armé turque sous le code
ST-31-1S.
Il a également présenté -en tant que preuve des
opérations contre-guérilla en Turquie- un livre intitulé Guerre de
Contre-Révolte, par David Galula. Ce livre, publié en 1964 par
Frederick A. Praeger, Inc., que Turhan présenta comme la maison
d'édition de la CIA, parut en Turquie en 1965 par initiative de l'armée
turque. Selon Turhan, Opérations Contre-Guérilla, était un manuel pour
les organisations contre-guérilla en Turquie.
Opérations Contre-Guérilla donne des détails
techniques détaillés sur les embuscades, les activités terroristes, les
sabotages, las attaques contre les postes de police et les patrouilles,
les vols à main armée et la torture. Un autre ouvrage de Galula sur la
guerre de contre-révolution contient, au chapitre sept, des tactiques
pour influencer les leaders politiques locaux et truquer les élections
lorsqu'il s'avère nécessaire.
"Dans certaines élections locales, il se peut que
tous les candidats à l'élection soient des incapables et qu'il soit
impossible d'en trouver des meilleurs. C'est une situation bien
regrettable. Mais dans ces conditions il ne reste d'autre alternative
que d'amener un autre candidat d'un autre voisinage et truquer les
élections", explique le livre.
Aidées et soutenues par le Département de la Guerre
Spéciale, les bandes armées du Parti de l'Action Nationaliste (MHP),
dirigé par l'ancien colonel Alparslan Türkes et connu sous le nom de
Loups Gris, avait déjà assassiné 42 personnes de gauche au cours des
cinq ans de gouvernement du Parti de la Justice, qui s'étendit jusqu'en
1971. Après avoir oeuvré pour l'instabilité du pays au travers de la
violence politique des Loups Gris, les forces armées sont intervenues
le 12 mars 1971. Pendant les deux ans de répression qui suivirent le
Département de la Guerre Spéciale s'est mis en évidence. Cette
organisation fut responsable de toutes les arrestations et tortures en
collaboration avec les Loups Gris.
LA CONTRE-GUERILLA ET LES TROUS DE MEMOIRE D'ECEVIT
Lorsque le parti social démocrate SHP arriva au
pouvoir par deux fois, en 1973 y 1978, toutes les forces démocratiques
de Turquie qui le soutenaient, demandèrent au Premier Ministre Bülent
Ecevit de mettre fin à cette sinistre organisation. Bien qu'au début
Ecevit promit d'oeuvrer en conséquence, il ne tint jamais ses promesses
et céda a la pression de l'armée.
En mai 1977, des dizaines de personnes se sont
données rendez-vous à la Place Taksim d'Istanbul pour les festivités du
premier mai et ont commencé à scander des slogans dans lesquels elles
réclamaient du travail et critiquaient le gouvernement. Des
franc-tireurs de l'armée étaient positionnés sur les toits. Soudain,
quelqu'un ouvrit le feu. Des dizaines de protestants furent atteints
par les coups de feu tirés depuis les toits et les fenêtres des
chambres d'hôtel qui donnaient sur la place. Il y eut une trentaine de
morts et des centaines de blessés. Le quotidien Aydinlik attribua ce
massacre à l'Organisation Contre-Guérilla et jusqu'à présent aucune
preuve ne put contredire cette affirmation.
Au cours de la même période, les médias rapportaient
quotidiennement l'assassinat de personnalités tel que des journalistes,
des écrivains, des professeurs d'université et des leaders syndicaux,
mais les auteurs de ces crimes provocants n'ont jamais été identifiés.
L'arrestation de Mehmet Ali Agca, l'activiste
d'extrême-droite qui assassina le célèbre journaliste Abdi Ipekci en
1978, fut une exception. [Mais quelques mois plus tard, grâce à la
complicité des forces armées, cet assassin notoire put s'évader d'un
pénitencier militaire extrêmement bien gardé. Ce même Agca allait tirer
sur le Pape le 13 mai 1981. Le mobile de ce crime, commis au pays de
"Gladio" par un Loup Gris qui jouissait de la protection du "Gladio"
turc n'a jamais été découvert, malgré les nombreux procès publics
célébrés à Rome].
La question de l'Organisation Contre-Guérilla fut
évoquée au Parlement en 1978 par le sénateur du CHP, Niyazi Ünsal, et
le député Süleyman Genc. Ils accusaient l'organisation d'avoir fourni
des armes à des groupes terroristes comme les Loups Gris et les avoir
poussés à agir. Mais Bülent Ecevit, Premier Ministre Socio-démocrate
pendant cette période, empêcha tout débat sur cette organisation
subversive malgré ses promesses électorales.
Rappelons ce que disait l'édition de février de 1978
du bulletin d'Info-Türk:
"En fait, depuis les dernières élections générales
[1977], Ecevit semble avoir oublié ses précédentes déclarations et il
n'a même pas mentionné les activités illégales de l'organisation
contre-guérilla dans le programme du gouvernement".
"Après la controverse soulevée par ce problème,
Ecevit était ne pouvait garder le silence mais, au lieu d'insister sur
ses précédentes déclarations, il demanda de clore le débat".
"Le 4 février 1978, au cours d'une conférence de
presse, Ecevit nia l'existence d'une organisation contre-guérilla et
précisa que ses déclarations antérieurs n'étaient pas des affirmations
mais des suppositions. `D'après mes investigations il n'existe
officiellement aucune organisation contre-guérilla créée par l'Etat.
Nous devons nous montrer tous respectueux envers les forces armées
turques et les aider dans leur volonté de rester en dehors du monde
politique', souligna Ecevit".
Deux après la publication de cet article, en
septembre 1980, le général Evren renversait le gouvernement et prenait
le pouvoir sous prétexte que la violence politique prenait des
dimensions incontrôlables. C'était encore l'Organisation
Contre-Guérilla qui planifiait et attisait la violence politique qui
avait servi de prétexte à ce nouveau coup-d'Etat militaire.
LES REVELATIONS D'ECEVIT SUR LA CONTRE-GUERILLA
Douze ans après ces déclarations, lors de la
découverte des activités de "Gladio" dans d'autres pays de l'OTAN,
Ecevit reconnaissait que de nombreux indices donnaient à penser qu'une
force paramilitaire clandestine de l'OTAN existait également en
Turquie. Voici les déclarations faites par Ecevit le 13 novembre 1990:
"En 1974, juste avant l'opération militaire à
Chypre, je fus informé pour la première fois de l'existence d'un
département chargé d'une guerre spéciale au sein du quartier général de
l'Etat-Major turc. Ils me demandaient de l'argent. Lorsque j'ai voulu
savoir qui avait fiancé le département jusque là, on me répondit que
les Etats-Unis s'en étaient chargés", expliqua Ecevit.
"Devant mon insistance, un briefing secret fut tenu
pour nous expliquer à moi et au Ministre de la Défense, Hasan Isik, le
fonctionnement de cette organisation. On nous dit que le Département de
Guerre Spéciale était une organisation composée de `patriotes
volontaires'. Nous apprîmes également que ses quartiers généraux se
trouvaient dans le même bâtiment que la délégation d'aide militaire
américaine à la Turquie, que l'organisation avait des dépôts d'armes
secrets et que ses membres étaient initiés à des techniques de guerre
spéciale. Si le pays était envahi par un agresseur, les membres de
cette organisation clandestine étaient supposés déclencher la guerre
contre-guérilla. Selon mes interlocuteurs, l'organisation était
composée principalement de personnes jeunes qui en vieillissant
pourraient devenir des hommes politiques.
"C'était une arme secrète. J'ai pensé que nous
devions agir vite et prendre des mesures contre l'utilisation de cette
organisation. Mais c'était l'époque de l'opération à Chypre et rien n'a
été fait".
Ecevit expliqua que lorsqu'il redevint Premier
Ministre en 1978, il discuta de l'affaire avec Kenan Evren, chef
d'Etat-Major à l'époque. "Je lui ai dit que nous devrions donner un
statut officiel au Département de Guerre Spéciale. Evren me promit de
le faire".
Ecevit précisa que plusieurs incidents survenus en
1977 et 1978 n'étaient toujours pas éclaircis. "Le plus important s'est
produit lors du rassemblement du premier mai 1977 à la Place Taksim
d'Istanbul. Il provoqua la mort de plus de 30 personnes. J'ai averti
Fahri Korutürk, président de la Turquie, que je soupçonnais la branche
civile du Département de Guerre Spéciale d'être derrière les incidents
du premier mai. Il me demanda de lui soumettre mes craintes par écrit".
Ecevit mentionna également une tentative
d'assassinat contre sa personne le 29 mai 1977. Au cours de l'incident
un policier blessa Mehmet Isvan, un associé d'Ecevit, avec une arme
spéciale actionnant un petit missile. "Après l'incident on laissa
entendre que les forces de police turques n'étaient censées disposer
d'une telle arme. Nos tentatives pour essayer de découvrir l'origine de
cette arme sont restés vains. Nous ne sûmes jamais d'où elle provenait
ou qui l'avait remise au policier qui en fit l'usage", expliqua Ecevit.
En 1977, Ecevit -qui alors était Premier Ministre-
avertit publiquement Ecevit de ne pas prendre part à un rassemblement
politique à Taksim car il y avait des indices d'un possible attentat
contre lui.
"En 1978, lorsque je suis arrivé au pouvoir, j'étais
curieux de savoir où Demirel avait eu cette information", poursuivait
Ecevit. "J'ai demandé le dossier pour l'examiner. L'avertissement était
écrit sur une feuille blanche sans signature. Ni les autorités
policières, ni l'Organisation Nationale de Renseignement (MIT)
n'avaient apparemment cherché à savoir d'où provenait le papier. Ceci
me fit penser à nouveau au Département de Guerre Spéciale.
Ecevit expliqua qu'à cette époque il attribuait la
violence de droite aux activités clandestines du département. Selon
lui, la Turquie se trouvait dans un grand tourbillon social qui allait
précipiter le pays vers le coup-d'Etat d'Evren en 1980.
A l'époque, les gangs armés affiliés au Parti
d'Action Nationaliste (MHP), d'idéologie néo-fasciste, combattaient les
groupes de gauche, rappelait Ecevit. Plus d'une fois, son cortège avait
subi des coups de feu durant sa tournée à travers le pays: "Dans une
petite ville, j'ai parlé du département de guerre spéciale et de mes
soupçons concernant ses activités avec un général de l'armée que je
savais directement lié au département.
"Je fis part de mes préoccupations au général. Il me
répondit que les personnes qui travaillaient pour cette organisations
étaient des gens de bonne volonté. Selon lui, elles aimaient leur pays.
Lorsque je lui ai répliqué que des membres de groupes violents affiliés
au MHP pouvaient s'intégrer dans cette organisation clandestine, il me
répondit que le chef du MHP [dans la ville où nous avions été attaqués]
était également un patriote et un homme de bonne volonté. Sans le
savoir, il venait d'admettre que le chef du MHP de la ville où nous
trouvions était également membre du Département de Guerre Spéciale".
LA VERSION MILITAIRE DE LA CONTRE-GUERILLA
Le général Kenan Evren, chef militaire du putsch de
1980, admit également l'existence du Département de Guerre Spéciale et
sa participation à plusieurs activités clandestines dans les mémoires
qu'il publia en 1990.
Selon lui, avant le coup-d'Etat militaire du 5 mai
1980, le Premier Ministre Süleyman Demirel avait demandé l'utilisation
du Département de Guerre Spéciale pour combattre le terrorisme.
J'ai rejeté sa demande. Mais Demirel insista et
ajouta que le département avait déjà été utilisé en 1971 pour combattre
les activités subversives. J'ai une nouvelle fois refusé sa demande.
Pendant la période où j'ai travaillé à la direction du Quartier Général
de l'Etat-Major, le département ne fut jamais utilisé au delà de son
but initial. Certaines personnes affiliées peuvent avoir participé à
ces incidents. Il m'est impossible de le savoir. Ils peuvent avoir pris
part sans m'avertir", précisa-t-il.
Evren confirma que le Département de Guerre Spéciale
avait déjà été utilisé antérieurement dans ce genre d'activités. Il
participa, par exemple, à l'assassinat de neuf militants de gauche à
Kizildere, dans le nord de l'Anatolie, le 30 mars 1972.
D'autre part, dans une interview publiée le 26
novembre 1990, Evren déclarait au quotidien Hürriyet que des civils
affiliés à une organisation paramilitaire clandestine créée par le
Département de Guerre Spéciale, au Quartier Général de l'Armée,
pouvaient avoir pris part, à son insu, à des incidents terroristes
avant 1980.
Après ces révélations, en 1990 les Forces Armées
turques reconnurent pour la première fois l'existence de ce
département, mais nièrent sa participation à des activités subversives.
Le 3 décembre 1990, le Lieutenant-Général Dogan
Bayazit, chef de la Division des Opérations de l'Etat-Major, déclara
aux journalistes: "Le département fut créé pour opposer une résistance
en forme de guerre de guérilla et d'opérations de délivrance et de
kidnapping à une éventuelle invasion".
Le Brigadier Général Kemal Yilmaz, chef du
controversé Département de Guerre Spéciale, confirma que l'organisation
avait été créée en septembre 1952, lorsque Adnan Menderes, un allié
convaincu des E.U., était Premier Ministre et la Turquie venait
d'adhérer à l'OTAN en tant que membre.
Selon Yilmaz, le Département de Guerre Spéciale,
composé de civils et de nombreux officiers, organisa un mouvement de
résistance à Chypre entre 1963 et 1974 et fut également utilisé en 1980
pour récupérer les otages d'un avion des Lignes Aériennes Turques
détourné sur Diyarbakir par des terroristes fondamentalistes musulmans.
"Le département est toujours actif dans les opérations de sécurité
menées contre le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), dans les
provinces du sud-est de la Turquie", poursuivit-il.
Aux affirmations d'Ecevit, Beyazit répondit que
celui-ci n'avait pris connaissance du département qu'en 1974, en tant
que Premier Ministre, lorsqu'on lui demanda des fonds additionnels: "En
1974, Ecevit assista à un briefing de l'Etat-Major. Les généraux
présents dans la réunion prirent note des commentaires du Premier
Ministre: `C'est [mon] devoir national [d'apporter des fonds au
département]. En principe, je suis d'accord pour utiliser des fonds
nationaux. Déterminez ce dont vous avez besoin et remettez-moi une
liste'. Si Ecevit prétend qu'il ne fut pas entièrement informé, c'est
qu'il n'a pas lu convenablement les décrets qu'il signa".
Bayazit ajouta que le département n'est pas une
organisation clandestine mais une division de l'armée. Cependant, il
nia que cet organisme ait été créé à la demande de l'OTAN. Il dit
également qu'il n'existait aucun lien entre le Département de Guerre
Spéciale et l'Organisation Nationale de Renseignement (MIT). Mais il
admit la coopération du département avec l'OTAN dans des problèmes
techniques et la participation occasionnelle aux programmes
d'entraînement de l'OTAN en Turquie et à l'étranger.
L'organisation n'était pas particulièrement
anti-communiste, souligna Bayazit. "Si la Turquie avait été un pays
sous la seule menace d'une invasion communiste, le département aurait
été structuré comme un bouclier contre le communisme. Mais le pays
court d'autres danger provenant par exemple du fondamentalisme
religieux, du Président Saddam Hussein ou de la Grèce", ajouta-t-il.
"Le département s'opposerait également à une révolution religieuse en
Turquie".
Lors d'une conférence de presse, Bayazit nia
l'utilisation de la mansion de Ziverbey par le département. "Le
département ne s'est vu assigner aucune activité illégale pendant le
coup-d'Etat militaire du 12 septembre 1980".
LA CONTRE-GUERILLA CHANGE DE NOM
L'Organisation Contre-Guérilla changea
officiellement de nom en 1992 et devint le Commandement des Forces
Spéciales (CFS) des Forces Armées Turques. L'organisation refaisait son
apparition dans la presse le 23 octobre 1992 sous sa nouvelle
dénomination.
Le Général Kemal Yilmaz, Commandant des CFS, rappela
que dans de nombreux pays démocratiques il existe des forces similaires
sous des appellations comme Commandos SAS, Unités Alpines, Unités
Aéroportées et Forces Delta.
Le CFS agit sous le concept de forces spéciales. Ce
concept stipule qu'il faut des forces qui agissent derrière les forces
ennemies, affaiblissant leurs principales unités pendant le conflit,
expliqua Yilmaz.
"La fonction de base du CFS est de soutenir les
opérations des Forces Armées Turques grâce à ses activités
irrégulières. Celles-ci consistent en l'élaboration de plans et
l'exécution, en temps de paix, d'opérations destinées à préparer le
terrain pour une éventuelle guerre. En temps de guerre, le CFS est
responsable de la création de forces locales irrégulières ainsi que de
leur direction et contrôle suivant les directives du bureau du Chef
d'Etat-Major. Les unités du CFS se composent également d'officiers et
d'officiers non commissionnés, tous soumis à une formation
additionnelle de trois ans et demi. Ces unités s'entraînent
régulièrement dans plusieurs pays membres de l'OTAN. Les commandos du
CFS sont familiarisés avec les armes les plus perfectionnées du monde".
Faisant allusion à certains articles de presse qui
avaient émis la possibilité d'un lien entre les opérations présumées de
la contre-guérilla et l'assassinat de journalistes turcs dans le
Sud-est, le Général Yilmaz déclara: Qui a inventé le terme
contre-guérilla? Moi, je ne le sais pas. Nous n'utilisons pas ce terme
dans notre vocabulaire". Niant toute participation du CFS dans des
opérations secrètes, comme il avait été évoqué dans certaines
déclarations, Yilmaz manifesta: "Le CFS est composé de membres qui ne
se connaissent pas entre eux mais qui sont prêts à accepter les ordres
qu'ils recevront, uniquement pendant une occupation du territoire. Ils
agissent sous l'état d'urgence extraordinaire décrété par le bureau du
gouverneur, responsable des opérations de sécurité dans la région du
sud-est. Les unités du CFS n'agissent dans le Sud-est qu'en tant que
force potentielle".
Avant l'opération de Chypre en 1974, Yilmaz avait
déclaré que les forces spéciales avaient été expédiées sur l'île pour
organiser la résistance turque et contribuer à sa sécurité.
"Les membres de l'unité savent qu'en état de guerre,
ils devront agir parmi les forces ennemies, mais en temps de paix ils
ne savent pas quel genre de tâches ils auront à exécuter ni sous quel
commandement ils agiront", précisa Yilmaz. "C'est un plus pour la
sécurité d'une quelconque opération de résistance dans une région
occupée. C'est pour cette raison que les forces spéciales ne sont pas
organisées en temps de paix".
Yilmaz ajouta que les unités spéciales n'avaient pas
été utilisées lors des coups-d'Etat militaires qui se sont produits en
Turquie. "Nous étions les seules unités à ne pas être mobilisées
pendant l'opération militaire de 1980".
LA CONTRE-GUERILLA ET LE HEZBOLLAH
Malgré toutes ces tentatives pour blanchir le nom de
l'armée, le nombre croissant d'assassinats non élucidés montre que,
quelle que soit sa dénomination officielle et sa structure,
l'Organisation Contre-Guérilla poursuit ses sinistres activités,
particulièrement dans le Sud-est. En fait, les assassinats des 18
derniers mois ressemblent à si méprendre à ceux perpétrés avant le
putsch militaire de 1980.
Prenons par exemple les assassinats politiques qui
se sont produits au début de l'année 1991.
Le 10 juillet 1991, à Diyarbakir, des milliers de
personnes marchaient dans les rues de la ville à l'occasion des
funérailles du président provincial du HEP, Vedat Aydin. Celui-ci avait
été enlevé chez lui le 5 juillet et retrouvé mort... le corps broyé par
les brutales tortures qu'il avait subies. Parmi les policiers qui se
trouvaient dans l'enceinte du château de la ville figuraient des hommes
masqués. Ces derniers commencèrent à tirer sur les manifestants. Sept
personnes furent blessées et 250 autres blessées. Parmi les blessés
figuraient cinq parlementaires et 13 journalistes. Les habitants locaux
attribuent les incidents à la contre-guérilla.
En février 1993, 400 personnes furent victimes de
"meurtres non résolus" dans la région du sud-est.
Et récemment:
Le 11.2, l'hebdomadaire Aktüel affirmait qu'un
groupe d'officiers de l'Organisation Nationale de Renseignement (MIT)
avaient enlevé cinq suspects des mains de la gendarmerie dans la
province orientale de Mus et les avaient exécutés dans les champs. Les
corps furent retrouvés criblés de balles quelques jours après leur
détention.
Le 25.2, le président provincial d'Erzincan du Parti
des Libertés et de la Démocratie (ÖZDEP), Cemal Akar, fut retrouvé
décapité et mutilé dans le village de Zagge, province d'Hakkari. Il
était disparu depuis le 25 janvier.
Le 26.2, le mari de Bedia Argin, représentante
provinciale du HEP à Batman, Ahmet Argin, de 45 ans, fut retrouvé
assassiné près du village de Binatli. Selon le président du HEP, Ahmet
Türk, Argin fut torturé avant d'être abattu d'une balle dans la tête.
Peu de temps auparavant, il s'était exprimé à la télévision à propos
des assassinats politiques.
Le 27.2, un ancien représentant du Pari Socialiste
(SP), Ömer Güven et son ami, Cemal Özyurt, furent retrouvés assassinés
dans le district de Cizre. Le SP avait été interdit par le Tribunal
Constitutionnel un an auparavant.
Le 27 février également, le président local de
l'Association des Droits de l'Homme de Turquie (IHD), l'avocat Metin
Can, et son ami, le Dr Hasan Kaya, furent retrouvés à Tunceli les mains
liées derrière le dos avec une balle dans la tête.
Deux activistes des droits de l'homme avaient
également été enlevés une semaine auparavant. Selon des témoins ils se
trouvaient dans une maison à Can lorsqu'ils reçurent un appel
téléphonique leur disant qu'il s'était produit un accident téléphonique
et qu'il fallait de l'aide. Après leur départ de la maison on ne les
revit plus jamais.
La police empêcha les photographes de presse de
prendre des photos sur le pont Dinarsu, à 12 kilomètres de la ville de
Tunceli, où les corps furent rejetés par le courant. Une foule de
quelque 500 personnes se rassembla à cet endroit et cria "A bas la
Contre-Guérilla".
Les habitants de la région, ainsi que leurs
représentants parlementaires, affirmèrent que le Hezbollah kurde local,
un groupe islamique radical, est toléré, protégé et soutenu par la
Contre-Guérilla. Les Loups Gris de la période qui précéda le
coup-d'Etat de 1980 furent remplacés par le Hezbollah.
Le Hezbollah Islamique (Parti de Dieu) surgit après
que les forces de sécurité aient été infiltrées par des activistes
islamiques radicaux pendant le gouvernement ANAP.
Le 16 février 1992, le magazine hebdomadaire 2000e
Dogru rapportait qu'un groupe de militants du Hezbollah étaient
entraînés dans le quartier général d'une équipe anti-terroriste d'élite
à Istanbul. Le reporter de l'hebdomadaire, Halit Güngen, était tué
d'une balle dans la tête par le Hezbollah deux jours après la
publication de l'information.
Dans plusieurs agglomérations, surtout autour de
Mardin et près de la frontière avec la Syrie, le Hezbollah mène
également une campagne basée sur la distribution gratuite de cassettes
en arabe. Plusieurs places de marché des grandes villes sont en réalité
contrôlées par des membres du Hezbollah et selon des sources locales,
la police est au courant.
A Nusaybin, les voitures de patrouille de la police
font souvent entendre les cassettes du Hezbollah, en arabe et en turc,
lors de leur passage dans les rues.
Pendant la nuit, les villages près de la frontière
sont devenus des petites villes fantômes où tous les rideaux de fer des
magasins sont baissés. Leurs habitants s'enferment chez eux et ne
restent dans les rues que les équipes antiterroristes.
Quasiment chaque nuit, des individus frappent aux
portes se faisant passer pour des guérilleros mais les gens savent déjà
qu'il ne faut pas répondre. Celui qui ouvre la porte peut être emmené
hors de chez lui et subir un interrogatoire à la manière du Hezbollah
avant d'être abattu sur place.
Le Quotidien d'Information Turc du 23 février 1993,
rapportait les propositions d'un débat parlementaire sur la
contre-guérilla:
"Selon ceux qui ont été victimes des activités de la
contre-guérilla, ou qui en ont été témoins par le passé, celle-ci est
bien plus qu'un concept. Il s'agit d'une réalité. Elle n'est pas
seulement organisée mais centralisée et elle a mené des activités
clandestines violant les lois et la Constitution turque. La seule
manière de découvrir la vérité est de mener une enquête en règle qui
détermine si les plaintes sont fondées et d'ouvrir les portes de
l'armée turque afin de faire toute la lumière sur cette affaire.
"Si cette enquête n'est pas menée, le débat se
poursuivra indéfiniment et causera un grand préjudice à la crédibilité
de l'Etat".
La réponse du gouvernement à ce souhait, comme il a
été expliqué au début de cet article, fut un refus catégorique.
CHIFFRES ALARMANTS CONCERNANT LES VIOLATIONS DES DROITS DE L'HOMME EN
1992
Le 23 février, la Fondation des Droits de l'Homme de
Turquie (TIHV) remit à la presse son rapport concernant les plaintes de
torture en 1992. "L'année dernière, un total de 2.933 personnes furent
tuées par la violence politique en Turquie", soutient le président du
TIHV, Yavuz Önen.
Ci-après sont reproduits les fait principaux du
rapport:
_ En 1992, les violations des droits de l'homme
n'ont pas diminué en intensité et la vie sociale de la région du
sud-est a été paralysée par les tactiques à l'arme lourde des forces de
sécurité et des organisations qui leur font face.
_ Des 2.933 personnes décédées en 1992, 17 étaient
en détention policière, 92 son mortes le 21 mars, pendant les
festivités du Newroz (Nouvel An kurde), transformées en bain de sang
dans le Sud-est, 38 furent victimes d'attentats à la bombe et 103 ont
été abattues par la police parce qu'elles refusaient de s'arrêter
malgré les injonctions des forces de sécurité.
_ 8 représentants de partis ont été victimes
d'assassinats politiques.
_ 747 membres des forces de sécurité ont été tués au
cours d'affrontements avec des soi-disant "groupes terroristes". 972
membres de ces groupes ont également perdu la vie.
_ Le nombre de meurtres restés sans solution s'élève
à 360, celui des assassinats à 285 et les attaques contre des civiles,
à 189.
_ Tout au long de l'année 1992, un total de 594
personnes furent torturées par la police. 11 d'entre elles étaient des
enfants et 93 des femmes. Cependant, le chiffre réel est bien plus
élevé. Il ne s'agit là que des cas rapportés.
_ Huit personnes ont disparu après avoir été
arrêtées par la police.
_ En 1992, les forces de sécurité ont attaqué 56
reporters alors qu'ils exerçaient leur métier.
_ 13 journalistes et trois vendeurs de journaux ont
été assassinés.
_ 189 revues ou journaux ont été confisqués par la
police sous mandat de différentes cours de la sécurité de l'Etat et 20
livres furent confisqués.
_ Les journalistes et écrivains ont écopé d'un total
de 23 ans, 8 mois et 15 jours de prison.
_ Les journalistes et écrivains ont également reçu
des amendes pour un total de 5.976.000.000 LT (747.000 $) en l'espace
d'un an.
_ 32 organisation indépendantes ont été fermées par
les forces de sécurité, parmi elles, trois branches de l'Association
des Droits de l'Homme.
_ 39 syndicats de fonctionnaires publics ont été
interdits par les gouverneurs.
_ 63 étudiantes universitaires ont été arrêtées pour
avoir porté un turban sur la tête.
Önen s'est plaint de l'indifférence générale des
partis politiques turcs, du Parlement et des responsables du
gouvernement. "Les partis de la coalition, DYP et SHP, n'ont pas tenu
les promesses faites avant leur arrivée au pouvoir. Bien qu'ils
s'étaient engagés à reconsidérer l'état d'urgence et le système des
gardiens de village payés par l'Etat dans le Sud-est, ils n'ont encore
rien fait. Pire encore, ils ont adopté une position encore plus
violente", affirmait Önen.
TENTATIVES POUR CONTRER LES EFFETS DE "MIDNIGHT EXPRESS"...
Le projet de film de 15 millions de dollars, dont
l'idée surgit il y a un pour laver la mauvaise image de la Turquie
créée par le film d'Alan Parker "Midnight Express" n'a toujours pas vu
le jour en raison des tentatives frustrées pour qu'il soit financé par
l'industrie de la défense.
L'idée fut proposée par l'Association
Turco-Américaine et soutenue par le Ministère de la Culture. On chercha
de l'aide à Hollywood. La compagnie cinématographique américaine Copro
accepta le projet et on imagina un scénario de film, qui serait
intitulé Istanbul. Robert Long fut proposé comme directeur et
producteur.
L'action se déroulerait après une Guerre Mondiale.
Il était prévu que le film serait tourné entièrement en Turquie, avec
des apparitions fréquentes des endroits historiques du pays.
Tout était donc prêt. Mais le film avait besoin
d'appuis financiers et Copro entra en contact avec le Sous-secrétariat
des Industries de la Défense (SSM) de Turquie. Cependant, le SSM, qui
tentait d'établir une structure de défense solide, n'a pas réservé un
bon accueil au projet, considérant qu'il ne contribuerait pas au
renforcement de cette jeune industrie. Dans une tentative pour éviter
un refroidissement des relations avec le Ministère de la Culture, le
SSM a récemment envoyé au Ministère une liste des compagnies de défense
donnant des subventions générales ainsi que des subventions pour des
projets ayant un lien avec la défense. Cependant, ces compagnies n'ont
pas accueilli très favorablement le projet.
REALITE DES PRISONS TURQUES
Bien que Midnight Express est considéré par les
autorités turques con un film de propagande contre la Turquie, les
prisons de ce pays restent un des plus honteux exemples de violation
des droits de l'homme.
Récemment, le 3 février, le Ministère de la Justice
tenta de restreindre les droits des prisonniers de la Prison de type E
de Diyarbakir. Une nouvelle réglementation mettait fin à la
représentation de la prison à l'intérieur de l'enceinte, interdisait
l'utilisation de machines à écrire et n'autorisait qu'une visite toutes
les deux semaines.
Le 8 février, 260 prisonniers qui refusaient ces
restrictions se sont mis en grève de la faim. Los forces de sécurité
firent une descente dans la prison en plein milieu de la grève. 202
prisonniers kurdes furent sérieusement blessés et 20 autres furent
transportés à l'hôpital. Pour protester contre cette opération, tous
les prisonniers politiques se sont joints à la grève de la faim et de
nombreux commerçants de Diyarbakir fermèrent leurs volets.
Des grèves similaires contre les conditions
carcérales inhumaines se sont produites dans les prisons de Bayrampasa
(Istanbul) et Buca (Izmir).
Le 15 février, le Quotidien d'Information Turc
rapportait que "le nom de Diyarbakir évoquait la "torture" dans
l'esprit de nombreux turcs, en raison du traitement inhumain subi par
les détenus et les condamnés, surtout après le coup-d'Etat militaire de
1980.
"Il se pourrait que pas un seul suspect de `crimes
terroristes ou politiques' n'ait échappé aux douloureux chocs
électriques, au jet d'eau à pression ou au "traitement" à la matraque
dans cette prison.
"La plupart d'entre eux sont restés des jours
entiers dans une cage à attendre leur sort tandis que leurs gardiens
leur appliquaient les techniques les plus vicieuses, issues de la
Guerre du Vietnam, aussi bien pour les interrogatoires que pour la
réhabilitation.
"Après le putsch de 1980, la prison de Diyarbakir
est devenue le symbole de la répression et de la torture partout en
Turquie et servit également de centre d'assimilation forcée, où des
centaines de personnes étaient rassemblées pour y apprendre `le mode de
vie turc'. Sous la menace des armes ou des matraques, avant et après de
longues sessions de torture, on apprenait à des centaines de
prisonniers étrangers à parler le turc et à chanter l'hymne national,
souvent des dizaines de fois dans la même journée.
"Des images publiées au milieu des années 80
montraient la présence constante les drapeaux turcs sur le sol, sur les
murs, au plafond, dans les coins des lits et sur les tables. Les
cellules étaient décorées avec des drapeaux turcs et des slogans.
"`Comme je suis heureux d'être turc' était le slogan
principal, écrit partout dans le but apparent de répondre aux demandes
et activités séparatistes. Ce slogan devait être répété constamment par
tous les prisonniers. La direction de la prison de Diyarbakir avait
réussi à transformer un centre de réclusion et de réhabilitation en un
endroit synonyme de cauchemars et lavages de cerveau..."
UNE EVASION SPECTACULAIRE
Le 17 février, vers trois heures du matin, 18
prisonniers ont réussi à s'évader de la Prison de Nevsehir. Neuf
d'entre eux étaient des membres présumés de l'illégal PKK, quatre du
Parti Communiste Révolutionnaire de Turquie (TIKKO) et deux du DEV-SOL.
Les prisonniers avaient creusé un tunnel de plus de
30 mètres de long en 40 ou 60 jours avec des pièces en métal et en bois
obtenues par l'intermédiaire de leurs visiteurs. Une fois sortis du
tunnel, ils se sont cachés dans des draps blancs pour se camoufler dans
la neige et ont rampé pendant près d'un kilomètre pour éviter d'être
repérés par les gardiens.
Le gouvernement a immédiatement suspendu 15
fonctionnaires de la prison, y compris le directeur, et fit ouvrir un
enquête pour négligence. Les prisonniers politiques furent soumis à un
régime plus sévère. Et toutes les prisonnières durent se soumettre à un
examen médical afin de déterminer si elles avaient eu des relations
sexuelles avec les détenus masculins. Le Secrétaire Général des
l'Association des Droits de l'Homme de Turquie (IHD), Hüsnü Öndül,
s'insurgea contre ce contrôle, le considérant incompatible avec le
respect de la dignité humaine.
Deux jours après, le 19 février, sept prisonniers
politiques s'évadaient de la prison de Bayrampasa à Istanbul. Des
membres du DEV-SOL et du TIKKO se sont enfuis déguisés en gardiens de
prison.
Ces 25 prisonniers s'ajoutent aux plus de 7.900
personnes qui ont réussi à s'enfuir des prisons turques ces 15
dernières années. Seuls 2.700 ont été repris.
Le 18 février, pendant un meeting, le gouvernement
décida de soumettre au Parlement un projet de loi de réforme du système
carcéral pour maintenir les prisons sous contrôle de l'Etat et garantir
leur sécurité.
Le projet du gouvernement donne des pouvoirs
complémentaires aux directeurs de prison, sous la supervision des
gouverneurs publics. Il suggère également l'installation d'un
équipement électronique et des circuits de télévision fermés pour
contrôler et protéger les prisons.
L'élément essentiel de la réforme serait l'abandon
du système de la salle commune au profit de la cellule ou du dortoir.
Avec le système actuel, un certain nombre de prisonniers vivent
ensemble et exercent leurs activités dans des salles communes.
Le système du dortoir avait déjà été essayé en 1990
par le gouvernement ANAP. La prison d'Eskisehir avait été choisie comme
terrain d'essai. Mais les prisonniers réagirent mal aux mauvaises
conditions de vie et aux normes d'administration de la prison
d'Eskisehir, qui ne disposait de l'appui d'aucune réglementation
légale, estimèrent que leurs droits étaient violés et entreprirent une
série de grèves de la faim. Devant la réaction du public, la nouvelle
coalition gouvernementale ferma la prison dès son arrivée au pouvoir à
la fin de l'année 1991.
Après la dernière évasion, la réouverture de la
prison d'Eskisehir fut remise à l'ordre du jour. D'après le Ministre de
la Justice, Seyfi Oktay, les 87 millions de dollars demandés par le
gouvernement au Fond Européen pour le Logement seront destinés à la
construction de prisons mieux protégées.
LA GUERRE DES ENCYCLOPEDIES DANS LA PRESSE TURQUE
Suite à une rude compétition pour augmenter leurs
ventes, en offrant à leurs lecteurs des encyclopédies gratuites, trois
importants journaux turcs qui risquaient le désastre financier malgré
l'augmentation de leurs ventes durent demander une trêve fin février
1983.
La campagne avait été lancée en octobre 1992 par les
quotidiens Sabah, Hürriyet et Milliyet, promettant à leurs lecteurs des
collections complètes d'encyclopédies: deux volumes en échange des
coupons découpés quotidiennement dans le journal pendant un mois.
La campagne, baptisé "Première Guerre des
Encyclopédies" par les autres journaux, prit une dangereuse tournure en
janvier 1993 lorsque les journaux commencèrent à offrir à leurs
lecteurs leurs propres encyclopédies en échange de celles de leurs
concurrents. En outre, les quotidiens ont commencé à offrir des "méga",
"golden" et "super" coupons, qui donnait aux lecteurs une deuxième,
troisième et quatrième chance de recevoir les volumes qu'ils auraient
ratés. Alors qu'au début 30 volumes étaient nécessaires pour avoir deux
volumes, avec les super coupons on pouvait avoir les mêmes volumes pour
seulement huit coupons. Dans la pratique, au lieu d'acheter le journal
tous les jours, les lecteurs pouvaient recevoir leurs encyclopédies en
l'achetant huit fois seulement.
Pour éviter une catastrophe générale, les journaux
rivaux se sont mis d'accord pour mettre fin au système des super
coupons bonus et demandèrent à leurs lecteurs de découper soigneusement
le coupon tous les jours.
Grâce à la campagne des encyclopédies, qui dure
depuis octobre, les trois journaux ont quasiment double leur tirage. La
vente des principaux journaux, qui tournait de 500.000 ou 700.000
exemplaires, se situe actuellement entre 1.200.000 et 1.500.000.
Selon les experts, la "guerre des encyclopédies"
aurait coûté aux journaux entre un et trois trillions de lires (entre
12,5 et 25 millions de dollars).
Malgré un accroissement annuel de la population de
2,5 pour cent, le tirage quotidien des journaux turcs stagne à 3,5
millions depuis dix ans. Suite à la dernière campagne, le tirage
quotidien a franchi la barre des 4 millions d'exemplaires, mais à quel
prix !
NESIN COMPTE PUBLIER LES VERSETS SATANIQUES
L'humoriste turc de renommée internationale, Aziz
Nesin, annonçait le 3 février qu'il allait faire traduire en turc le
controversé livre de Salman Rushdie Les Versets Sataniques pour le
publier.
Le gouvernement turc avait interdit son importation
sa distribution en 1989.
Le 4 février, Cumhuri Islami, un important quotidien
iranien, dénonçait les déclarations de Nesin et affirmait que celui-ci
devait subir la même "fatwa" que Rushdie. "Il n'a plus sa place parmi
les musulmans et, tout comme Rushdie, devrait être tué". Le journal
appela également à boycotter les livres de Nesin, dont plus d'une
centaine ont été traduits et publiés en Iran.
Nesin rétorqua qu'il s'en fichait. "La peur de la
mort ne veut pas dire que je ne doive pas faire mon devoir... Si 60
millions de personnes [en Turquie] demeurent dans le silence, il est
certain que le fondamentalisme prendra le dessus". Il ajouta qu'il
serait ravi du boycotte de ses livres en Iran. "Ces voleurs vendent mes
livres depuis 40 ans et ne m'ont toujours pas payé la moindre livre
pour les droits de reproduction", précisa-t-il.
Aziz Nesin, président du Syndicat des Ecrivains de
Turquie (TYS), avait déjà fait l'objet de violentes attaques du milieu
ultra-nationaliste pour avoir déclaré que la majorité des turcs
n'étaient que de stupides idiots.
"N'ont-ils pas voté `oui' pour une Constitution
rédigée sous l'égide des généraux et fait Evren président pour sept
longues années? N'ont-ils pas fait l'éloge des belligérants généraux
qui avaient destitué un gouvernement civil en 1980 pour installer une
administration de marionnettes?", précisa Nesin.
Le 4 février, une cour pénale d'Istanbul introduisit
une action en justice contre Nesin, demandant une peine maximale de six
ans de prison pour avoir "insulté la nation turque".
PROPOSITIONS POUR METTRE FIN A LA TORTURE EN TURQUIE
La première partie du rapport sur la torture
policière en Turquie, rédigé par le Comité du Conseil de l'Europe pour
la Prévention de la Torture (CPT), fut publié dans notre numéro de
janvier 1993. Ci-après nous reproduisons la seconde et dernière partie
de ce rapport sur les mesures nécessaires pour mettre fin à la torture
en Turquie:
• Des mesures s'imposent, sur plusieurs fronts, si
l'on veut traiter ce problème de manière efficace. Les garanties
juridiques contre la torture et les autres formes de mauvais
traitements doivent être renforcées et de nouvelles garanties
introduites. En même temps, I'enseignement des droits de l'homme et la
formation professionnelle des responsables de l'application des lois
doivent être intensifiés. A cet égard, les récentes dispositions prises
pour envoyer quelques 20 fonctionnaires de police turcs dans différents
autres pays européens pour étudier les techniques de police,
constituent une mesure appréciable. Le CPT espère qu'elles feront
partie d'un processus permanent.
Par ailleurs, le ministère public doit agir avec
célérité et de manière efficace en présence de plaintes de torture et
de mauvais traitements. Sur ce point, la récente annulation par la Cour
Constitutionnelle de l'article 15 (3) de la loi relative à la lutte
contre le terrorisme du 12 avril 1991 (qui restreignait
considérablement les possibilités pour le ministère public d'engager
des poursuites contre des fonctionnaires de police à l'encontre
desquels ont été formulées des allégations de mauvais traitements de
personnes commis dans l'exercice de leurs fonctions liées à la lutte
contre le terrorisme), constitue un progrès notable. Afin de faciliter
l'action efficace du ministère public, la portée des examens médicaux
de personnes détenues par la police et la gendarmerie, effectués par
les instituts de médecine légale, devrait être élargie (les certificats
médicaux devraient contenir un exposé des allégations, une description
clinique, et les conclusions correspondantes). En outre, des mesures
appropriées devraient être prises pour garantir l'indépendance, tant
des médecins des instituts de médecine légale que d'autres médecins
assumant des fonctions médico-légales ainsi que pour les faire
bénéficier d'une formation spécialisée.
Il convient aussi d'assurer un encadrement et une
surveillance corrects des responsables de l'application des lois, y
compris par la mise en place d'organes de contrôle efficaces et
indépendants dotés des pouvoirs nécessaires. Et, il ne faut pas non
plus perdre de vue la question des conditions de travail de tels
fonctionnaires, car des conditions de travail satisfaisantes sont
indispensables au développement d une force de police de haut niveau.
La mise en oeuvre de la récente réglementation
relative aux conditions matérielles de détention doit aussi être
poursuivie de manière vigoureuse dans toute la Turquie. Des progrès
considérables ont été effectués, en ce domaine, à Ankara et à
Diyarbakir, conformément aux recommandations du CPT. Toutefois, la
situation constatée récemment à la direction de la police d'Adana (et
plus précisément au département de lutte contre le terrorisme) donne à
penser que dans d'autres parties de la Turquie, des personnes peuvent
encore être détenues par la police ou la gendarmerie dans des
conditions matérielles totalement inacceptables.
• Mention particulière doit être faite de la loi,
récemment adoptée et entrée en vigueur le 1er décembre 1992, modifiant
certaines dispositions du code de procédure pénale et de la loi
relative à l'organisation et la procédure des cours de sûreté de
l'Etat. Il s'agit d'une version révisée du texte qui avait été l'objet
d'un renvoi à la Grande Assemblée Nationale par le Président de la
République, précédemment dans l'année. Entre autres, la nouvelle loi
clarifie l'existence de certaines garanties fondamentales contre les
mauvais traitements, tels le droit pour une personne détenue de faire
informer un proche de sa détention et le droit à l'accès à un avocat
(garanties qui existaient déjà auparavant, mais qui étaient largement
inopérantes dans la pratique); elle réglemente de manière détaillée le
déroulement pratique des interrogatoires; elle introduit le droit de
recourir au juge en vue de la libération immédiate de la personne
appréhendée et elle réduit les périodes maximales de détention par la
police/gendarmerie. L'introduction de ces dispositions est un pas en
avant des plus appréciables. Toutefois, le CPT regrette vivement que
l'application de ces dispositions aux infractions relevant de la
compétence des cours de sûreté de l'Etat ait été expressément écartée.
Certes, le nombre d'infractions relevant de la compétence de ces cours
a aussi été réduit par la loi nouvelle, mais il demeure considérable
(crimes contre l'Etat, infractions liées au terrorisme, aux stupéfiants
et aux armes, etc.).
• Le CPT saisit cette occasion pour souligner qu'il
abhorre le terrorisme, crime tout particulièrement méprisable dans un
pays démocratique comme la Turquie. Le Comité déplore également le
trafic illicite de drogues ou d'armes. En outre, il est pleinement
conscient des grandes difficultés auxquelles les forces de l'ordre sont
confrontées dans leur lutte contre ces phénomènes destructeurs. De
telles actions criminelles rencontrent, à juste titre, une réponse
ferme des institutions de l'Etat. Cependant, en aucune circonstance, on
ne saurait permettre que cette réponse dégénère en actes de torture ou
en d'autres formes de mauvais traitements de la part des responsables
de l'application des lois. De tels actes sont à la fois des violations
scandaleuses des droits de l'homme et des méthodes fondamentalement
inefficaces pour obtenir des preuves fiables dans la lutte contre le
crime. Ils sont par ailleurs dégradants pour les fonctionnaires qui les
infligent ou les autorisent. Et, plus grave encore, ils peuvent à la
longue saper la structure même d'un Etat démocratique.
• Malheureusement, la loi turque. en son libellé
actuel. n offre pas de protection adéquate contre le recours à ces
méthodes à l'encontre de personnes appréhendées parce que soupçonnées
d'infractions relevant de la compétence des cours de sûreté de l'Etat.
Au contraire, elle facilite le recours à ces méthodes. Les personnes
suspectées de crimes à caractère collectif, peuvent être détenues
jusqu'à 15 jours par la police ou la gendarmerie (30 jours dans les
régions où l'état d'urgence a été déclaré). Pendant cette période, tout
contact avec le monde extérieur est habituellement dénié.
Il est vrai que l'article 13 de la nouvelle loi,
traitant des procédés d'interrogatoire prohibés, s'applique aussi aux
personnes soupçonnées d'infractions relevant de la compétence des cours
de sûreté de l'Etat. Néanmoins, il serait peu sage de croire que ces
dispositions suffiront, à elles seules, à mettre un terme à la torture
et aux mauvais traitements. Les méthodes décrites à l'article 13
étaient, depuis de nombreuses années déjà, illégales en droit turc en
vertu de l'interdiction générale de la torture et des mauvais
traitements contenue dans l'article 17 (3) de la Constitution. De plus,
la règle selon laquelle les déclarations obtenues par de telles
méthodes n'ont pas valeur de preuve, ne constitue que la réaffirmation
bienvenue d'un principe déjà consacré par le système juridique turc.
En réalité, les périodes de détention au secret sont
suffisamment longues pour que les traces physiques de torture et de
mauvais traitements guérissent et s'atténuent; un nombre incalculable
de prisonniers a décrit aux délégations du CPT les techniques de
traitement utilisées par des fonctionnaires de police. Il convient
aussi de noter que certaines méthodes de torture communément utilisées
ne laissent pas de traces physiques, ou n'en laisseront pas si elles
sont utilisées de manière experte. Il en résulte qu'il sera souvent
difficile de démontrer qu'une déclaration a été obtenue par des mauvais
traitements. Il en va de même pour l'admissibilité des autres preuves
obtenues par des mauvais traitements (cf. article 24 de la loi
nouvelle).
• Le CPT ne conteste pas, qu'à titre exceptionnel,
des procédures légales spécifiques puissent s'avérer nécessaires pour
combattre certaines formes de criminalité, en particulier en matière de
terrorisme. Cependant, même en prenant en compte les conditions de
sécurité très difficiles dans certaines parties de la Turquie, une
période de détention au secret allant jusqu'à 15, voire 30 jours, est
manifestement excessive. Il est évident qu'un juste équilibre entre les
impératifs de sécurité et les droits fondamentaux des détenus n'a pas
été trouvé.
Le CPT en appelle au Gouvernement de la Turquie afin
qu'il prenne les mesures appropriées pour réduire les périodes
maximales pendant lesquelles des personnes soupçonnées d'une infraction
relevant des cours de sûreté de l'Etat peuvent être détenues par la
police ou la gendarmerie; qu'il définisse clairement les cas dans
lesquels l'exercice du droit de ces personnes d'informer un proche de
leur détention peut être retardé et limite strictement dans le temps
l'application d'une telle mesure; qu'il garantisse à ces personnes, dès
le début de leur détention, le droit à l'accès à un avocat indépendant
(sans qu'il soit nécessairement leur propre avocat) ainsi qu'à un
médecin autre que celui choisi par la police.
• Pour ce qui est des suspects de droit commun, les
modifications introduites par la loi précitée pourraient porter un coup
sévère à la pratique de la torture et des mauvais traitements.
Néanmoins, beaucoup dépendra de la manière dont ces dispositions seront
mises en oeuvre en pratique. C'est là une question que le Comité a
l'intention de suivre de très près dans les mois à venir, en étroite
coopération avec les autorités turques. Toutefois, le CPT croit devoir
faire dès à présent certaines observations.
• La période maximale de détention par la police
pour les infractions à caractère collectif (impliquant 3 personnes ou
plus), bien que réduite, continue d'être relativement longue - jusqu'à
huit jours sur décision d'un juge à la requête du ministère public. A
cet égard, le CPT souhaite souligner que, dans l'intérêt de la
prévention des mauvais traitements, il est capital qu'un détenu soit
physiquement présenté au juge auquel la requête en prolongation de la
détention est soumise. La nouvelle loi n'est pas claire sur ce point.
• Bien que le contenu précis du droit à l'accès à un
avocat soit impressionnant (cf. en particulier les articles 141 15 et
20 de la loi), il n'en comporte pas moins potentiellement une
faiblesse: à l'exception du cas des personnes de moins de 18 ans ou des
personnes handicapées, un avocat sera seulement désigné si la personne
en détention le demande. Un système à toute épreuve devra être trouvé
pour garantir que les détenus soient informés (comme la loi l'exige) de
leur droit à désigner un avocat et ne soient pas soumis à des pressions
lorsqu'ils envisagent de l'exercer. Cela vaut aussi pour le droit des
personnes en détention de faire savoir à un proche de leur choix
qu'elles ont été appréhendées. Il faudra de même veiller à ce que la
possibilité de recueillir dans certains cas une déclaration en
l'absence de l'avocat désigné par la personne détenue, ne fasse pas
l'l'objet d'abus.
• Dans le cadre des nouvelles dispositions, le
ministère public sera mieux à même d'exercer une influence considérable
sur la manière dont les fonctionnaires de police s'acquittent de leurs
tâches et, plus particulièrement, traitent les personnes détenues qui
sont sous leur garde. Le CPT espère vivement que le ministère public
fera un usage efficace des possibilités qui lui sont ouvertes, et ce
dans le but de prévenir les mauvais traitements.
• La nouvelle loi passe sous silence la question du
droit, pour les personnes détenues par la police ou la gendarmerie,
d'avoir accès à un médecin. Cependant, une circulaire du Ministère de
l'Intérieur en date du 21 septembre 1992, reconnait un droit d'accès à
un médecin selon les modalités précédemment recommandées par le CPT (à
savoir un droit pour le détenu d'être examiné par un médecin de son
choix - le cas échéant, un médecin dont le nom figure sur une liste
approuvée par l'organe professionnel compétent - en sus de tout examen
effectué par un médecin employé par I'Etat). Le CPT s'en félicite, bien
que la consécration de ce droit par la loi soit préférable. Des
circulaires antérieures traitant de garanties importantes pour les
personnes détenues sont, en effet, restées lettre morte.
• Il convient enfin de souligner à nouveau que la
seule action du législateur ne saurait mettre un terme au phénomène de
la torture et des autres formes de mauvais traitements infligés par la
police. Il sera toujours possible de réduire l'effet des dispositions
législatives par l'utilisation de plus en plus experte de techniques de
mauvais traitements. On peut, en effet, légitimement avancer que
s'attaquer aux racines du problème de la torture et des mauvais
traitements implique davantage un changement des mentalités que des
lois. C'est là un processus qui ne concerne pas seulement les
fonctionnaires de police mais l'intégralité du système pénal.
• Le CPT est convaincu que s abstenir de faire une
déclaration publique -comme le lui ont demandé les autorités turques -
aurait eu des effets négatifs pour la protection des droits de l'homme.
La présente déclaration est faite dans un esprit constructif. Loin de
constituer un obstacle, elle devrait faciliter les efforts des deux
parties - agissant en coopération - en vue de renforcer la protection
des personnes privées de liberté contre la torture et les peines ou
traitements inhumains ou dégradants.