Après
la proposition kurde pour une solution politique, on attend
une décision du gouvernement et de
l'armée turcs avant le 15 avril 1993.
GUERRE OU PAIX ?
Alors que les forces armées turques préparaient une
ample offensive dans le sud-est de la Turquie pour le prochain
printemps, le Parti Ouvrier du Kurdistan (PKK) annonçait le 17 mars un
"cessez-le-feu unilatéral" entre le 20 mars et le 15 avril 1993, "pour
autant que les forces armées turques ne tirent pas sur le PKK". Au
cours d'une conférence de presse tenue dans la Vallée de Bekaa, une
région située dans l'est du Liban sous contrôle syrien et à laquelle
assistait également Jalal Talabani, le leader du PKK, Abdullah Öcalan,
déclarait: "Le cessez-le-feu du Newroz [Nouvel An kurde] est un geste
de bonne volonté qui répond aux appels de la communauté internationale".
Il y a déjà quelques semaines, le 18 février, des
députés kurdes qui participaient à une grève de la faim à Bruxelles,
informaient le Parlement Européen de la disposition des Kurdes à cesser
le feu et à discuter avec le gouvernement turc les conditions d'une
solution politique au conflit.
A la question de s'il s'agissait d'un cessez-le-feu
conditionné, Öcalan répondit dans cette même conférence de presse: "Il
y a une condition, qu'ils ne viennent pas nous détruire. Nous pensons
qu'ils [les dirigeants turcs] ont besoin de réévaluer la situation.
Pour y parvenir, nous estimons que cette période [le cessez-le-feu] est
nécessaire... et nous avons fait ce qu'il fallait. J'espère que ce sera
le début d'un processus de paix, d'amitié et de fraternité historique
entre les Turcs et les Kurdes.
"La question fondamentale est de savoir si le
gouvernement turc est disposé à mettre fin au bain de sang, à ouvrir la
voie à des solutions politiques, à donner des garanties légales à notre
peuple et à reconnaître l'identité kurde - dans les plus brefs délais
et d'une manière démocratique", déclara Öcalan. Mais il avertit que si
le gouvernement turc continuait à dire aux Kurdes "vous n'existez pas",
le prix serait un retour à "la guerre continuelle". "Le PKK dispose de
10.000 guérilleros dans l'est de la Turquie et ce nombre peut être
porté à 50.000", ajouta-t-il.
Honorant sa promesse, les guérillas du PKK n'ont
mené aucune opération armée depuis le 21 mars. Contrairement donc aux
tragiques incidents de l'année dernière, dans lesquels sont morts près
de 100 personnes, cette année le Newroz s'est déroulé dans le calme si
l'on excepte quelques incidents sporadiques provoqués par les forces de
sécurité. A Cizre, par exemple, un groupe de Kurdes, principalement des
femmes et des enfants, dansaient tranquillement pour célébrer le
Newroz. Une voiture blindée de la police interrompit brutalement la
soirée. Mais les militants du PKK ont décidé de respecté la trêve.
Dans un deuxième geste, le PKK mit en évidence sa
volonté d'améliorer ses relations avec d'autres groupes kurdes aussi
bien en Irak qu'en Turquie, dans le but de rassembler toutes les forces
politiques kurdes dans une plate-forme démocratique. Après avoir
rétabli le dialogue avec Jalal Talabani, qu'il avait accusé de trahison
pendant les opérations contre le PKK en Irak, le leader du PKK, Öcalan,
signa un protocole qui établit les principes de leur lutte commune avec
Kemal Burkay, Secrétaire Général du Parti Socialiste du Kurdistan
[Turc] (PSK). Burkay avait critiqué les méthodes du PKK et avait été
accusé par le passé de collaboration avec le régime turc. Cette
fois-ci, les deux leaders se sont mis d'accord pour oeuvrer en faveur
d'une solution démocratique au problème kurde dans tout le Kurdistan.
Ankara se trouve maintenant à un tournant important.
L'offensive politique du PKK semble avoir mis le régime turc dos au mur
L'actuel gouvernement avait déjà raté une occasion
d'arriver à une solution pacifique lorsqu'il est arrivé au pouvoir en
1991. Juste après les élections, dans une interview concédée au Turkish
Daily News du 26 novembre 1991, Öcalan déclarait: "Ont-ils vraiment
l'intention de supprimer l'état d'urgence, les tactiques de guerre
spéciales, les mesures contre-guérilla, les gardiens de village et
d'autres dispositifs similaires, ou veulent-ils les rendre plus
systématiques? Nous sommes en train de considérer les mesures
développées actuellement. Si des étapes sont franchies on avancera.
Nous avons 900 ans de vie commune avec la Turquie. Même si nous le
voulions, nous ne pourrions pas nous séparer d'elle. Nous avons un plan
pour créer un front démocratique".
Cependant, le Premier Ministre Demirel refusa cette
première branche d'olivier prétextant que les rapports des organes
militaires et civils comme l'Etat-Major, le Conseil de Sécurité
Nationale (MGK) et l'Organisation Nationale de Renseignement (MIT)
seraient déterminants dans l'établissement de nouvelles politiques
contre le mouvement national kurde. En fait les nouvelles politiques
étaient établies au gré de l'armée et le PKK dut poursuivre ses
opérations de guérilla.
Comme il est dit dans le rapport d'Helsinki Watch
(voir les autres articles), la situation des droits de l'homme dans le
Kurdistan turc n'a fait qu'empirer depuis que le gouvernement de
Demirel prit le pouvoir en 1991.
L'état d'urgence est toujours en vigueur dans cette
région. Le 8 mars, quelques jours avant la proposition d'Öcalan,
l'Assemblée Nationale approuvait un prolongement de 4 mois de l'état
d'urgence dans les 10 provinces du sud-est et ce à partir du 19 mars.
Bien que le SHP et le DYP étaient contre ce régime d'exception
lorsqu'ils étaient dans l'opposition, le gouvernement et la majorité
des députés de ces deux partis ont obéi une nouvelle fois au Conseil de
Sécurité Nationale et ont décidé de maintenir l'état d'urgence dans la
région du sud-est.
Comme il a été dit dans l'édition précédente, les
motions pour un débat parlementaire sur les activités subversives de
l'Organisation Contre-Guérilla furent rejetées par le gouvernement.
Les premières réactions à l'offensive politique
d'Öcalan n'avaient pas du toute une approche pacifique. Les autorités
ont écarté toute possibilité d'un arrangement entre les "terroristes"
et l'Etat. Le Ministre de l'Intérieur, Ismet Sezgin, déclara même que
l'appel d'Öcalan était dû à l'isolement du PKK suite aux efforts
déployés par la Turquie aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du
pays et aux opérations de l'armée turque. Concernant le désir d'Öcalan
de retourner en Turquie et de participer à la vie politique, le
Ministre de la Défense, Nevzat Ayaz, manifesta: "Notre système dispose
de juges et de tribunaux. Ils feront le nécessaire".
Reste à savoir si le gouvernement turc et l'armée
vont changer d'attitude sous la pression de l'opinion mondiale,
considérer la proposition de cessez-le-feu du PKK et saisir l'occasion
de mettre fin à la croissante polarisation et au bain de sang dans
lequel se trouve plongée actuellement la Turquie. Accepteront-ils
d'entreprendre un dialogue constructif avec le mouvement kurde avant le
15 avril?
Ankara porte sur elle une très lourde responsabilité
non seulement vis-à-vis des populations turque et kurde, qui veulent
vivre en paix dans un pays vraiment démocratique, mais aussi vis-à-vis
de l'opinion publique internationale qui suggère aux deux parties
d'entreprendre un dialogue afin de trouver une solution pacifique pour
cette partie du monde particulièrement agitée.
Quelle serait une preuve de bonne volonté de la part
du régime turc?
_ lever l'état d'urgence,
_ interrompre les opérations militaires dans le
Kurdistan turc,
_ mettre fin au système des gardiens de village,
_ cesser les activités subversives de
contre-guérilla,
_ supprimer la Loi Anti-Terreur,
_ Modifier la Constitution pour que le Conseil de
Sécurité Nationale ne puisse plus dicter sa loi à l'Assemblée Nationale
et que tous les droits fondamentaux des Kurdes et des autres minorités
soient reconnus. Telles sont les conditions requises pour un tel
dialogue.
Pour ce qui est de la reconnaissance des droits
fondamentaux des nationalités et des minorités, quelles seraient les
conditions minimales? Le 1er février 1993, l'Assemblée Parlementaire du
Conseil de l'Europe adoptait une recommandation (N° 1201) demandant que
le Comité des Ministres adopte un protocole additionnel à la Convention
Européenne des Droits de l'Homme. La Turquie devrait être un des
premier signataires de ce protocole.
DROITS FONDAMENTAUX DES MINORITES
L'Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe
recommande à tous les états membres, y compris la Turquie, d'adopter le
protocole suivant en complément de la Convention Européenne des Droits
de l'Homme pour la protection des droits et libertés fondamentaux des
personnes appartenant aux minorités nationales:
"Les Etats membres du Conseil de l'Europe,
signataires du présent Protocole,
1. Considérant que la diversité des peuples et des
cultures qui l'ont fécondée est une des sources essentielles de la
richesse et de la vitalité de la civilisation européenne;
"2. Considérant la contribution importante des
minorités nationales à la diversité culturelle et au dynamisme des
Etats européens;
"3. Considérant que la reconnaissance des droits des
personnes appartenant à une minorité nationale à l'intérieur d'un Etat
et la protection internationale de ces droits sont seules susceptibles
de mettre durablement un terme aux affrontements ethniques et de
contribuer ainsi à garantir la justice, la démocratie, la stabilité et
la paix;
"4. Considérant qu'il s'agit de droits que toute
personne peut exercer aussi bien seule qu'en commun;
"5. Considérant que la protection internationale des
droits des minorités nationales est une composante essentielle de la
protection internationale des droits de l'homme et comme telle un
domaine de la coopération internationale;
"Sont convenus de ce qui suit:
ARTICLE 1
Aux fins de cette Convention, l'expression minorité
nationale désigne un groupe de personnes dans un Etat qui
a. résident sur le territoire de cet Etat et en sont
citoyens,
b. entretiennent des liens anciens, solides et
durables avec cet Etat,
c. présentent des caractéristiques ethniques,
culturelles, religieuses ou linguistiques spécifiques,
d. sont suffisamment représentatifs tout en étant
moins nombreux que le reste de
la population de cet Etat ou d'une région de cet Etat,
e. sont animées de la volonté de préserver ensemble
ce qui fait leur identité commune, notamment leur culture, leurs
traditions, leur religion ou leur langue.
ARTICLE 2
1. L'appartenance à une minorité nationale relève du
libre choix de la personne.
2. Aucun désavantage ne doit résulter du choix de
cette appartenance, non plus que de sa résignation.
ARTICLE 3
1. Toute personne appartenant à une minorité
nationale a le droit d'exprimer, de préserver et de développer en toute
liberté son identité religieuse, ethnique, linguistique et/ou
culturelle sans être soumise contre sa volonté à aucune tentative
d'assimilation.
2. Toute personne appartenant à une minorité
nationale peut exercer ses droits et en jouir individuellement ou en
association avec d'autres.
ARTICLE 4
Toute personne appartenant à une minorité nationale
a droit à l'égalité devant la loi. Toute discrimination fondée sur
l'appartenance d'une personne à une minorité nationale est interdite.
ARTICLE 5
Des modifications délibérées dans la composition
démographique de la région d'implantation d'une minorité nationale au
détriment de cette dernière sont interdites.
ARTICLE 6
Toutes les personnes appartenant à une minorité
nationale ont le droit de créer leurs propres organisations, y compris
des partis politiques.
ARTICLE 7
1. Toute personne appartenant à une minorité
nationale a le droit d'utiliser librement sa langue maternelle en privé
comme en public, tant oralement que par écrit. Ce droit s'applique
aussi à l'utilisation de sa langue dans les publications et
l'audiovisuel.
2. Toute personne appartenant à une minorité
nationale a le droit d'utiliser son nom et ses prénoms dans sa langue
maternelle ainsi que le droit à la reconnaissance officielle de son nom
et de ses prénoms.
3. Dans les régions d'implantation substantielle
d'une minorité nationale, les personnes appartenant à cette minorité
ont le droit d'utiliser leur langue maternelle dans leurs contacts avec
les autorités administratives ainsi que dans les procédures devant les
tribunaux et les instances juridiques.
4. Dans les régions d'implantation substantielle
d'une minorité nationale les personnes appartenant à cette minorité ont
droit à une présentation dans leur langue des dénominations locales,
enseignes, inscriptions et autres informations analogues exposées à la
vue du public. Ceci ne fait pas obstacle au droit des autorités de
présenter les informations mentionnées ci-dessus, dans la ou les
langues officielles de l'Etat.
ARTICLE 8
1. Toute personne appartenant à une minorité
nationale a le droit d'apprendre sa langue maternelle et de recevoir un
enseignement dans sa langue maternelle dans un nombre approprié
d'écoles et d'établissements d'enseignement public et de formation dont
la localisation doit tenir compte de la répartition géographique de la
minorité.
2. Les personnes appartenant à une minorité
nationale ont le droit de créer et de gérer leurs propres écoles et
établissements d'enseignement et de formation dans le cadre du système
juridique de l'Etat.
ARTICLE 9
En cas de violation alléguée des droits protégés par
le présent protocole, toute personne appartenant à une minorité
nationale, ou toute organisation représentative d'une minorité
nationale, a droit à un recours effectif devant une instance de l'Etat.
ARTICLE 10
Toute personne appartenant à une minorité nationale
a le droit, dans le respect de l'intégrité territoriale de l'Etat,
d'avoir des contacts libres et sans entraves avec les ressortissants
d'un autre pays avec lesquels cette minorité partage des
caractéristiques ethniques, religieuses ou linguistiques, ou une
identité culturelle.
ARTICLE 11
Dans les régions où elles sont majoritaires les
personnes appartenant à une minorité nationale ont droit de disposer
d'administrations locales ou autonomes appropriées, ou d'un statut
spécial, correspondant à la situation historique et territoriale
spécifique et conformes à la législation nationale de l'Etat.
ARTICLE 12
1. Aucune des dispositions du présent protocole ne
peut être interprétée comme limitant ou restreignant un droit
individuel d'une personne appartenant à une minorité nationale ou un
droit collectif d'une minorité nationale inséré dans la législation de
l'Etat contractant ou dans un accord international auquel ce dernier
est partie.
2. Les mesures prises à seule fin de protéger les
minorités nationales et de favoriser leur développement approprié, de
leur assurer l'égalité de droits et de traitement avec le reste de la
population dans les domaines administratifs, politique, économique,
social et culturel et autres, ne seront pas considérées comme
discriminatoires.
ARTICLE 13
L'exercice des droits et libertés énoncés dans ce
protocole s'applique intégralement aux personnes appartenant à un
groupe majoritaire dans l'ensemble de l'Etat mais minoritaire dans une
ou plusieurs de ses collectivités territoriales ou régionales.
ARTICLE 14
L'exercice des droits et libertés énumérés dans ce
protocole ne saurait limiter les devoirs et responsabilités qui
s'attachent à la citoyenneté d'un Etat. Toutefois cet exercice ne peut
être soumis qu'à des formalités, conditions, restrictions ou sanctions
prévues par la loi et qui constituent des mesures nécessaires, dans une
société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité
territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la
prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à
la protection des droits et libertés d'autrui.
TERRORISME D'ETAT EN FEVRIER
Le 1.2, des députés du HEP annonçaient que le hameau
de Güneyce, dans la province de Sirnak, avait été bombardée par des
avions militaires le 31 janvier et que cinq membres de la famille
Ekici, connus pour être des sympathisants du PKK, avaient été
assassinés.
Le 1.2, des tireurs inconnus abattaient Ali
Yildirim, de 31 ans, à Diyarbakir et Kadri Balcik, de 55 ans, à Silvan.
Le 2.2, à Ankara, les forces de sécurité arrêtaient
onze militants présumés de l'organisation islamiste IBDA-C. Le même
jour, à Denizciler (Hatay), cinq personnes étaient placées en détention
par un tribunal pour propagande en faveur du Hezbollah.
Le 4.2, après dix jours d'opérations, les forces de
sécurité arrêtaient 19 personnes en connexion avec le Mouvement
d'Action Islamique (IHÖ).
Le 4.2, la CSE de Diyarbakir condamnait Cemalettin
Cenap Arici à la peine capitale pour avoir pris part aux activités du
PKK. Dans ce même procès, deux défendeurs étaient condamnés à la
réclusion à vie et cinq autres à des peines de prison allant jusqu'à 12
ans et six mois.
Le 5.2, au cours d'une série d'opérations à Ankara,
Adana et Hatay, un total de 29 personnes étaient arrêtées pour avoir
participé aux activités des Avant-Gardes Révolutionnaires du Peuple
(HDÖ).
Le 5.2, une équipe du Hezbollah abattait Fevzi
Kazici (de 50 ans) à Silvan. A Pervari, Yusuf Akkan (25) était retrouvé
assassiné. A Viransehir, des personnes non identifiées abattaient le
travailleur Mehmet Kaya.
Le 6.2, à Malatya, Ekrem Kaval et Münir Colak
déclaraient au tribunal qu'ils avaient été torturés pendant 15 jours,
après leur détention, le 5 janvier.
Le 6.2, à Ankara, 150 membres du groupe religieux
Aczmendi étaient arrêtés à l'entrée de la ville alors qu'ils arrivaient
d'Elazig et Malatya pour protester contre les dernières manifestations
anti-islamistes. Dans la ville, 25 personnes appartenant au même groupe
étaient arrêtées parce qu'elle portaient des habits considérés
incompatibles avec la Loi sur l'Habillement.
Le 7.2, l'embargo alimentaire imposé par les forces
de sécurité à la ville de Güclükonak, à Sirnak, était toujours en
vigueur. Les habitants affirment que cet embargo fut imposé en raison
de leur aide prétendue aux militants du PKK. Aucune communication
téléphonique entre Sirnak et Güclükonak n'est possible.
Le 8.2, à Batman, des personnes inconnues abattaient
Ihsan Yesilirmak (45) et blessaient son fils, Mahmut Yesilirmak (17).
Le 9.2, la CSE d'Izmir condamnait huit représentants
du Parti Travailliste du Peuple (HEP) à six mois et vingt jours de
prison et à payer une amende de 55.000 LT, pour incitation à
l'hostilité ethnique.
Le 9.2, des personnes inconnues abattaient Kerem
Ozgen (29) à Diyarbakir et Mehmet Bagis (43) à Kozluk (Batman).
Le 10.2, à Istanbul, 12 personnes auraient été
arrêtées pour avoir participé aux actes de l'Armée Révolutionnaire des
Travailleurs-Paysans de Turquie (TIKKO).
Le 10.2, Sabahat Varol, membre de l'IYO-DER
(association d'étudiants universitaires basée à Istanbul) arrêtée 16
fois par la police, déclarait dans une conférence de presse que
celle-ci avait menacée de l'exécuter.
Le 11.2, à Istanbul, les visites habituelles aux
détenus de la Prison de Bayrampasa étaient suspendues par les autorités
sans aucune raison. Sur ce, un groupe de parents décida d'organiser une
manifestation devant la prison.
Le 12.2, à la Prison Buca d'Izmir, tous les détenus
de gauche furent battus par les gardiens et la gendarmerie suite à la
découverte d'une tentative de creuser un tunnel. Selon les avocats de
la défense, dix prisonniers furent blessés. Pour protester contre ce
traitement, 55 prisonniers se sont mis en grève de la faim.
Le 12.2, le procureur de la CSE d'Istanbul inculpait
onze personnes pour avoir participé aux activités du Hezbollah. Cinq
des défendeurs risquent la peine capitale.
Le 12.2, à Batman, une équipe du Hezbollah tuait
Yasar Bulus (33 ans). A Mazidag (Mardin), Azad Adiloglu et Vedat
Dilekoglu étaient assassinés par des personnes inconnues.
Le 13.2, à Diyarbakir, le membre du HEP Mehmet Akdag
était assassiné par des inconnus. Le même jour, à Mersin, Mehmet Tatli
(35) était retrouvé mort.
Le 14.2, le président local du SHP, Hüseyin Demir,
et 29 autres personnes auraient été arrêtées au cours d'une série
d'opérations policières à Idil (province de Sirnak).
Le 15.2, à Gaziantep, onze personnes étaient
arrêtées et accusées d'avoir participé aux activités du PKK. A Adana,
six personnes étaient arrêtées pour appartenance au Parti Travailliste
Communiste de Turquie/Léniniste (TKEP/L).
Le 16.2, à Istanbul, la police empêchait une
manifestation de travailleurs qui protestaient contre les
licenciements. Quatre personnes furent arrêtées.
Le 16.2, la CSE d'Istanbul condamnait deux membres
du Hezbollah à dix ans et dix mois de prison chacun et un troisième à
dix mois pour des actes violents. Les trois défendeurs furent également
condamnés à payer une amende de 210.600.000 LT (23.400$).
Le 16.2, deux Kurdes, Mahmut Korunay (33) et Halil
Erdemir (35) étaient retrouvés morts à Karacailyas (Mersin).
Le 16.2, la police de Balikesir arrêtait 21
personnes au cours d'une opération de capture de militants présumés du
Dev-Sol. Parmi les détenus, 10 sont des étudiants de l'enseignement
supérieur et trois autres sont des universitaires.
Le 17.2, un médecin de l'hôpital pour enfants de
Diyarbakir, Ilhan Diken, était traduit devant la CSE de Diyarbakir et
accusé de soutenir le PKK. On lui reproche d'avoir fourni des soins
médicaux à un militant présumé du PKK.
Le 17.2, les forces de sécurité attaquaient le
village de Yesilyurt, à Sirnak, et arrêtaient neuf paysans. Parmi eux
se trouvaient des victimes des atrocités commises par la gendarmerie en
1989. A ce moment-là, un officier de gendarmerie avait forcé des
paysans à manger des excréments humains. Une plainte contre ce
traitement inhumain figure encore dans l'agenda de la Commission
Européenne des Droits de l'Homme.
Le 19.2, à Istanbul, le IHD rapportait dans une
conférence de presse que trois personnes, Osman Korkut, Hüsnü Aydin et
Ekrem Deniz, avaient été torturées au Poste de Police de Cinili. Les
tortures furent certifiées par un rapport médical. Le même jour, douze
étudiants universitaires, arrêtés le 17 février au cours d'un sit-in,
déclaraient une fois relâchés avoir subi les tortures de la police.
Le 19.2, à Mersin, une manifestation d'un millier de
personnes en faveur du PKK était dispersée de force par la police. 13
manifestants ont été blessés et une centaine de personnes arrêtées.
Le 19.2, les forces de sécurité arrêtaient trois
membres présumés du Parti Révolutionnaire Communiste de Turquie (TDKP)
à Kirsehir.
Le 19.2, la CSE de Malatya condamnait Hasan Hüseyin
Karakus à la prison à vie pour avoir participé aux activités du TIKKO.
Le 21.2, à Ankara, 24 étudiants de gauche étaient
expulsés du dortoir de l'Université Technique du Moyen-Orient (ODTÜ) en
raison de leurs activités politiques. Dans la ville de Hopa (Artvin),
cinq étudiants étaient arrêtés pour la même raison.
Le 21.2, à Mersin, Süleyman Akyüz (44) était abattu
par des inconnus.
Le 23.2, le gouverneur d'Izmir interdisait l'envoi
d'aide matérielle au district de Güclükonak (Sirnak), encerclée depuis
longtemps par les forces de sécurité. Le matériel avait été recueilli
par le IHD à Izmir.
Le 23.2, la CSE d'Izmir condamnait cinq
représentants du HEP à des peines de prison de 20 mois et à payer des
amendes de 41.660.000 LT (4.630$), pour une déclaration publiée l'année
dernière dans laquelle ils critiquaient l'opération du Newroz.
Le 23.2, la section de Bolu du Syndicat des
Travailleurs des Finances (Tüm Maliye Sen) était fermée par le
gouverneur.
Le 23.2, les forces de sécurité arrêtaient 12
personnes à Istanbul pour activités pro-PKK.
Le 24.2, le procureur de la CSE d'Istanbul
introduisait une action en justice contre trois personnes arrêtées le
28 janvier pour un attentat conte la vie de l'homme d'affaires
d'origine juive Jak Kamhi. Ils risquent la peine capitale.
Le 24.2, le procureur de la CSE d'Izmir inculpait 19
personnes pour avoir exercé des activités en faveur du PKK à Antalya.
Sept des défendeurs risquent la peine capitale.
Le 24.2, le procureur de la CSE de Diyarbakir
intentait une action en justice contre un activiste du Hezbollah, Nedim
Uysal, et demandait pour lui la peine capitale.
Le 25.2, un groupe d'activistes des droits de
l'homme qui s'étaient rendus à l'Assemblée Nationale pour y déposer une
plainte était harcelé par la police et cinq de ses membres furent
blessés.
Le 25.2, à Alanya, le président local du HEP,
Abdullah Arslan et cinq autres personnes étaient arrêtés pour activités
en faveur du PKK.
Le 25.2, à Siirt, le président local du IHD, Haci
Oguz, et cinq autres personnes étaient arrêtés au cours d'une série
d'opérations policières.
Le 26.2, le Procureur Principal introduisait une
demande auprès du Tribunal Constitutionnel pour interdire le Parti pour
la Turquie Socialiste (STP). Fondé le 7 novembre 1992, le STP est
accusé de mener un programme séparatiste incompatible avec la
Constitution.
Le 27.2, la section d'Agri du Syndicat des
Travailleurs des Finances (Tüm Maliye Sen) était fermée par le
gouverneur.
ASSASSINAT DU 14e JOURNALISTE EN UN AN
Kemal Kilic, de 28 ans, ancien reporter du défunt
quotidien Özgür Gündem et représentant de l'IHD d'Urfa, était tué le 18
février par un groupe d'assaillants sur l'autoroute Urfa-Akcakale. Ses
collègues affirment qu'il avait demandé un permis de port d'armes pour
se protéger mais les autorités le lui avaient refusé. Avec l'assassinat
de Kilic, le nombre de journalistes tués en un an s'élève à 14.
NAZIM HIKMET S'EST VU REFUSER LA NATIONALITE TURQUE
Le Conseil de l'Etat appuya le 24 février dernier la
décision d'un tribunal qui refusait une demande pour rendre la
nationalité turque à Nazim Hikmet.
Hikmet était le poète le plus célèbre de Turquie.
Ses oeuvres ont été traduites en plusieurs langues dans le monde. Après
avoir purgé 13 ans de prison pour ses opinions politiques, il quitta la
Turquie en 1951 lorsqu'il fut appelé au service militaire à l'âge de 46
ans. Il mourut à Moscou en 1963.
En 1988, la soeur cadette du poète, Samiye Yaltirim,
remit au bureau du Premier Ministre une demande pour qu'il annule la
décision de 1951, qui avait privé Nazim Hikmet de sa nationalité. Mais
elle ne reçut aucune réponse.
Yaltirim considéra ce silence comme "un refus
indirect" à sa demande, ce qui la poussa à intenter un procès pour
restaurer la nationalité de son frère.
La cour décida que Yaltirim n'avait aucun "intérêt
direct" dans l'affaire et estima qu'elle n'avait pas l'autorité pour
intenter ce procès.
La cour précisa que "la nationalité est un droit
personnel et individuel. Une soeur n'a aucun intérêt dans l'affaire".
Cette décision fut appuyée par le Conseil de l'Etat.
LA PLUS GRANDE AMENDE DEMANDEE POUR BESIKCI
Le 8 février, le procureur de la CSE d'Ankara
demandait que soit infligée au sociologue et écrivain Ismail Besikci
une amende de 26 milliards de LT (2.888.888$) pour ses 13 livres sur le
problème kurde. Cette demande, si elle est confirmée, serait la plus
grande jamais imposée pour du matériel publié en Turquie. Tous ces
livres ont déjà été confisqués par les autorités.
Besikci déclara au quotidien Cumhuriyet que la
Turquie est loin d'être un pays démocratique, même si les autorités
affirment avoir instauré une démocratie à l'occidentale.
"Le nombre de cas comme le mien ne cesse d'augmenter
et l'Etat est en train de s'enliser dans une voie sans issue. Ces
procès et inculpations sont la raison pour laquelle nous ne faisons pas
confiance au système judiciaire turc".
Par ailleurs, Ünsal Öztürk, éditeur du livre de
Besikci et propriétaire de la Maison d'Edition Yurt, déclarait: "Nous
ne voulons pas être jugés par les tribunaux turcs. Ils ne sont même pas
conformes aux accords internationaux signés par l'Etat. Lorsque la CSE
prendra sa décision finale, nous userons de notre droit de recours à la
Commission Européenne des Droits de l'Homme".
PRESSIONS SUR LES MEDIAS EN FEVRIER
Le 2.2, l'édition N° 45 de l'hebdomadaire Gercek
était confisquée par la CSE d'Istanbul pour propagande séparatiste.
Le 3.2, l'ancien éditeur responsable de
l'hebdomadaire Mücadele, Erdogan Yasar Kopan, était jeté en prison pour
y purger une peine de deux ans et quatre mois. Il avait été condamné
par une cour pénale d'Istanbul pour avoir fait l'éloge de certains
actes considérés criminels et avoir insulté le Président de la
République dans un article.
Le 3.2, deux journalistes du quotidien Hürriyet,
Nuriye Akman et Hasan Kilic, ainsi que le célèbre humoriste Aziz Nesin,
étaient inculpés pour une interview de ce dernier publiée le 27
septembre 1992. Dans cette interview, Nesim déclarait: "Le peuple turc
est stupide". Accusé d'avoir violé l'Article 159 du Code Pénal Turc,
ils risquent tous une peine de prison de six mois.
Le 4.2, l'éditeur responsable du mensuel Odak, Hidir
Ates, était condamné par la CSE d'Istanbul à une peine de prison de six
mois et à payer une amende de 100 millions de LT (11.100$), pour
propagande séparatiste en vertu de la l'Article 6 de la Loi
Anti-Terreur.
Le 5.2, la CSE d'Istanbul condamnait trois
journalistes du mensuel Newroz pour propagande séparatiste: le
journaliste Remzi Bilget écopa d'une peine de prison de vingt mois et
d'une amende de 41.666.000 LT (4.630$), le rédacteur-en-chef
responsable, Celal Albayrak, fut condamné à six mois de prison et à
payer une amende de 41.666.000 LT et l'éditeur Hüseyin Alatas à verser
une amende de 83.333.000 LT (9.260$).
Le 7.2, l'édition N° 14 du mensuel Newroz fut
confisqué par la CSE d'Istanbul pour propagande séparatiste.
Le 9.2, l'édition N° 39 de l'hebdomadaire Azadi fut
confisqué par la CSE d'Istanbul pour propagande séparatiste.
Le 9.2, le rédacteur-en-chef du mensuel Emek, Tuncay
Atmaca, fut condamné à deux ans et six mois de prison et à payer une
amende de 83.333.000 (9.260$) en vertu de l'Article 8 de la LAT.
Le 10.2, Sedat Karatas, rédacteur-en-chef de
l'hebdomadaire Azadi, soulignait que la CSE d'Istanbul avait commis un
curieux faux-pas en décidant de confisquer son journal pour la
publication d'un article qui, en fait n'était jamais paru dans son
hebdomadaire. "C'est la preuve que les procureurs de la CSE ne
regardent même pas le journal avant d'en décider la confiscation",
commentait Karatas. Des 35 éditions d'Azadi, 15 ont été confisquées par
la police sous les ordres de plusieurs CSE d'Istanbul.
Le 11.2, le reporter d'Hürriyet, Toygun Attila,
était harcelé par la police alors qu'il couvrait les incidents devant
la Prison de Bayrampasa, à Istanbul. Sa camera et son enregistreur
furent confisqués.
Le 12.2, l'édition N° 9 du mensuel Newroz Atesi
était confisquée par la CSE d'Istanbul pour propagande séparatiste.
Le 16.2, l'édition N° 33 de l'hebdomadaire Mücadele
était confisquée par la CSE d'Istanbul pour propagande séparatiste.
Le 17.2, trois journalistes de grands médias, Togay
Bayatli et Altan Öymen, du quotidien Milliyet et Ridvan Yelekci, du
quotidien Hürriyet, étaient condamnés pour avoir critiqué la décision
d'un tribunal contre une star de football. Ils seront jugés par une
cour pénale d'Istanbul.
Le 19.2, après un concert du groupe musical Ekin à
Bergama (Izmir), 39 personnes étaient arrêtées. Bon nombre d'entre
elles furent torturés pendant leur détention. Deux ont dû être
transférés à l'hôpital.
Le 21.2, le gouverneur de Diyarbakir interdisait la
distribution de 23 cassettes de chansons kurdes interprétées par Sivan
Perwer, Nizmettin Ariç et Gönül Sahin.
Le 23.2, s'ouvrait le procès d'Edip Polat pour son
livre Les Kurdes et le Kurdistan en langage scientifique - Une réponse
de la biologie à l'idéologie officielle, à la CSE d'Ankara. Le
procureur demande des peines de prison allant jusqu'à cinq ans pour
Polat, le Dr Ismail Besikci, qui écrivit la préface du livre, et
l'éditeur Vedat Yeniceri. Chacun d'eux risque également une amende de
41.666.000 LT (4.630$) en vertu de la LAT.
Le 27.2, le procureur d'Istanbul inculpait une fois
encore le sociologue Ismail Besikci pour un article publié dans
l'hebdomadaire Yeni Ülke du 25 octobre 1992. Il risque une peine de
prison de trois pour avoir fait l'éloge d'actes criminels en vertu de
l'Article 312 du CPT. Le rédacteur-en-chef de l'hebdomadaire, Bülent
Aydin, risque la même sentence.
DEUX RAPPORTS SUR LA VIOLATION DES DROITS DE L'HOMME EN TURQUIE
RAPPORT D'HELSINKI WATCH SUR L'OPPRESSION DES KURDES EN TURQUIE
Helsinki Watch, dans un nouveau rapport publié le 18
mars, affirmait que les assassinats de citoyens kurdes par les forces
de sécurité turques, ainsi que les disparitions, les meurtres
mystérieux et les tortures brutales infligées à des civils kurdes dans
le sud-est de la Turquie s'étaient intensifiés depuis l'arrivée au
pouvoir du gouvernement de Demirel en 1991.
Ci-après nous reproduisons l'introduction du rapport
intitulé Les Kurdes de Turquie: Assassinats, Disparitions et Tortures:
La coalition gouvernementale du Premier Ministre
Süleyman Demirel, qui s'était engagée à entreprendre des réformes pour
le respect des droits de l'homme, accéda au pouvoir en novembre 1991.
Pendant la campagne électorale, le candidat Demirel reconnut
publiquement la "réalité kurde", faisant référence aux Kurdes turcs
habitant dans le sud-est de la Turquie. En janvier 1992, deux mois
après son élection, le Premier Ministre déclarait à Helsinki Watch
qu'il était disposé à gagner la confiance de la grande minorité kurde
de Turquie (estimée à dix millions de personnes sur les 57 que compte
la Turquie) par le rétablissement de leurs droits culturels et
l'abolition du système des gardiens de village qui force les habitants
de la région à prendre les armes et à soutenir l'armée dans sa lutte
contre le PKK.
Malheureusement, les droits culturels de la minorité
kurde sont toujours bafoués dans le Sud-est et le système des gardiens
de village est mieux implanté que jamais. Ce système force les
villageois à choisir entre servir comme gardiens, s'exposant aux
représailles du PKK, ou abandonner leur maison et leurs terres. Par
ailleurs, les forces de sécurité turques ont décimé près de 300
villages kurdes et forcé leurs habitants à fuir depuis que l'actuelle
coalition gouvernementale a pris le pouvoir.
Les forces de sécurité turques ont également
attaqué, avec une agressivité croissante, des villes kurdes dans le
Sud-est. En août dernier, à Sirnak, elles ont fait preuve d'une telle
volonté de destruction que la quasi totalité de la population aurait
chargé ses biens sur des wagons et des camions et aurait abandonné la
ville. Deux ou trois mille personnes seulement, sur un total de 35.000,
seraient restées chez elles. Les autorités ont empêché l'accès des
journalistes à la majeure partie des quartiers de la ville et leur ont
interdit d'interviewer le maire, d'autres autorités ou des résidents,
ce qui induit à penser que le gouvernement tentait de cacher les faits
au public. En 1992, d'autres attaques de grande envergure se seraient
produits contre des civils à Batman, Agri, Kulp et Cizre. Les Kurdes
ont donc fui le Sud-est par milliers vers d'autres zones de la Turquie.
En outre, le gouvernement turc n'a demandé aucune
enquête sur les assassinats intervenus en 1992 dans le Sud-est, de 450
personnes par des assaillants aux tactiques militaires. Parmi les
personnes tuées figurent des journalistes, des professeurs, des
médecins, des activistes des droits de l'homme et des leaders
politiques. Nombreux sont ceux qui soupçonnent le gouvernement d'en
être complice. Certaines personnes disparues étaient retrouvées mortes
le long d'une route peu de temps après. Bien que des témoins aient vu
certaines des victimes entre les mains de la police, celle-ci nie
généralement les avoir arrêtées ou prétend les avoir retenues pendant
un bref moment avant de les relâcher. Il apparaît clairement que le
gouvernement turc n'a fait aucun effort sérieux pour retrouver les
assassins ou pour enquêter sur une possible participation de la police
à ces enlèvements.
Parmi les nombreuses victimes de ces assassinats il
y avait treize journalistes et quatre distributeurs de journaux en
faveur des Kurdes. Onze des journalistes travaillaient pour des
journaux de gauche ou proches des Kurdes; certains d'entre eux avaient
écrit sur des liens supposés entre la "contre-guérilla", le groupe
Hezbollah et les forces de sécurité turques. Apparemment, ces
journalistes étaient visés dans le cadre d'une vicieuse campagne
destinée à réduire au silence la presse dissidente. Bon nombre d'entre
eux furent abattus par derrière -parfois d'une balle dans la nuque- par
des assaillants inconnus.
En arrivant au pouvoir, la coalition du Premier
Ministre Demirel promit d'apporter des améliorations significatives à
la lamentable situation des droits de l'homme en Turquie.
Malheureusement, les réformes promises ne sont jamais arrivées. Bien au
contraire, les assassinats, les tortures et autres violations des
droits de l'homme se sont ostensiblement intensifiés, aussi bien dans
l'est que dans le sud-est de la Turquie.
En 1992, les forces de sécurité ont abattu 74
personnes au cours de descentes effectuées dans des maisons... et tout
porte à croire qu'il s'agissait d'exécutions délibérées. Au cours de la
même année, ces mêmes forces de sécurité ont également tué plus de 100
manifestants pacifiques au cours de divers incidents dans le Sud-est.
La promesse de mettre fin à la torture fut maintes
fois rompue par le gouvernement de coalition, bien que le Premier
Ministre Demirel avait promis des "postes de police avec des murs de
verre". En novembre dernier était promulguée une loi de réforme.
Malheureusement, les périodes de détention maximales qu'elle prévoit ne
correspondent pas aux normes établies par la Cour Européenne des Droits
de l'Homme: les suspects de délits ordinaires peuvent être détenus
pendant huit jours, et les suspects politiques pendant trente jours.
En août 1992, Helsinki Watch interviewait 24
personnes dans quatre villes de l'est de la Turquie: Istanbul, Ankara,
Adana et Antalya. Elles ont raconté de terribles histoires de tortures
policières récentes. La plupart étaient des Kurdes. Leurs témoignages
montrent que la pratique de la torture est toujours d'actualité en
Turquie. Elle passe entre les mailles du système judiciaire et n'est
pas réservée, comme certains le pensent, à des suspects terroristes ou
à des séparatistes kurdes. En 1992, seize personnes sont mortes sous
détention policière dans des circonstances douteuses. La police
soutient que six d'entre elles, dont trois enfants de 13 à 16 ans, se
sont suicidées. Dix des seize personnes décédées étaient des Kurdes
habitant dans le Sud-est. Le gouvernement de Demirel n'a consenti aucun
effort sérieux pour faire la lumière sur ces cas ou pour mettre fin à
la torture.
En janvier 1992, le Premier Ministre Demirel, le
Vice-Premier Ministre, Erdal Inönü, et d'autres représentants des
autorités turques faisaient part à Helsinki Watch de leurs ambitieux
plans de réforme, comprenant des amendements à la Constitution et la
révision de la restrictive loi sur la presse.
Rien de tout cela n'a été appliqué. Outre
l'assassinat de reporters dans le Sud-est, d'autres membres de la
presse -surtout des journalistes de l'opposition de gauche- continuent
d'être harcelés, menacés, battus, arrêtés et torturés. Les reporters
sont accusés d'insulter le président, de critiquer l'armée ou les
procureurs publics, de disséminer de la propagande communiste ou
séparatiste et de faire l'éloge d'actes considérés délictueux. Certains
ont écopé de peines de prisons pour ces crimes de conscience. Les
journaux ayant eu les plus graves ennuis avec les autorités turques
sont des petites publications pro-kurdes.
Les autorités turques, lorsqu'on les rend
responsables de ces abus, s'empressent de dénoncer l'escalade
terroriste en Turquie. Une vague croissante d'incidents terroristes est
en train de s'abattre sur le pays. Dans le Sud-est, selon le
gouvernement, près de 1.000 civils ont été tués par le PKK depuis 1984.
Dans l'ouest de la Turquie, les assassinats d'agents de police, de
juges et d'autres fonctionnaires de l'Etat, la plupart d'entre eux
attribués à l'organisation d'extrême-gauche Dev-Sol (Gauche
Révolutionnaire), deviennent de plus en plus fréquents à Istanbul et
dans d'autres villes importantes. Au moins 54 policiers et d'autres
représentants officiels ont été tués en 1992.
Mais le gouvernement turc, devant cette situation
déplorable, semble avoir abandonné son engagement initial de créer un
"Etat de droit basé sur le respect des droits de l'homme et des
libertés". Au lieu d'essayer de capturer, questionner et juger les
suspects de ces assassinats, la police s'est embarquée dans une
campagne de descentes dans les maisons. En 1992, quarante terroristes
présumés furent abattus au cours de ces descentes dans l'ouest de la
Turquie: 26 à Istanbul, 9 à Ankara et 5 dans d'autres villes de
l'Ouest. Le même scénario se produit dans le Sud-est, où 34 membres
présumés du PKK ont été abattus au cours de descentes policières. La
police donne constamment la même version: tous ces décès se sont
produits au cours d'affrontements armés avec les suspects. Mais alors
que ces derniers sont morts, quasiment aucun policier n'est décédé ou
blessé, ce qui porte à croire qu'il ne s'agissait pas d'affrontements
mais d'exécutions délibérées. Les exécutions extrajudiciaires dans
lesquelles la police s'érige en juge, jury et bourreau, sont illégales
aussi bien en vertu des lois des droits de l'homme que de celles de la
guerre.
Violant les lois et les normes internationales, la
police continue de tirer sur des manifestants pacifiques, tuant au
moins 103 personnes en 1992. A l'exception de trois d'entre elle,
toutes sont mortes dans le Sud-est. En mars, pendant les célébrations
du Newroz, le Nouvel An kurde, les troupes gouvernementales ont ouvert
le feu et tué au moins 91 manifestants dans trois villes du Sud-est.
Neuf autres ont été abattues au cours de manifestations dans
cette même région. Des manifestants pacifiques ont également été tués
en 1992 à Izmir, Adana et Antalya. Pas un seul des assassins ne fut
inculpé pour l'un des ces meurtres.
Le gouvernement semble avoir oublié bon nombre de
ses promesses qui auraient pu protéger les minorités. Il s'était engagé
à remplacer la répressive Constitution de 1982 -rédigée après le
coup-d'Etat militaire de 1980- et entre-temps, d'en abolir les clauses
anti-démocratiques, notamment celle qui empêche les professeurs et les
fonctionnaires publics d'être membres de partis politiques. Le
programme gouvernemental prévoyait la modification de lois
discriminatoire envers les femmes, de concéder des droits syndicaux aux
fonctionnaires publics, de promulguer des lois syndicales conformes aux
normes de l'Organisation Internationale du Travail, d'abolir les
restrictions sur les libertés politiques et religieuses et d'abolir le
Conseil de l'Education Supérieure. Ces promesses furent à leur tour
oubliées.
Au cours des premiers jours, la nouvelle
administration entreprit quelques mesures positives: la Prison
d'Eskisehir, connue pour sa brutalité et ses cellules d'isolement,
était fermée; 227 personnes qui avaient été privées de leur citoyenneté
pour des motifs politiques ont pu la récupérer; et plusieurs films et
cassettes furent effacés d'une liste d'oeuvres artistiques censurées.
Le gouvernement mit également fin à l'interdiction d'utiliser la langue
kurde dans les rues, bien que cette langue est toujours interdite dans
les tribunaux et les institutions publiques et officielles. On autorisa
cependant la publication d'un journal en langue kurde, Welat, et une
nouvelle loi permit aux parents de choisir librement le prénom de leurs
enfants, même parmi les kurdes. Un institut kurde put ouvrir ses portes
à Istanbul, mais ne fut pas autorisé à placer une enseigne à
l'extérieur du bâtiment. Le 15 novembre 1992, la police y fit même une
descente, confisqua ses livres et ses archives et arrêta ses employés.
Le 18 janvier 1993, le journal Cumhuriyet rapportait même qu'une cour
d'Istanbul lui avait refusé un registre officiel parce qu'il avait un
caractère "racial". La décision fit l'objet d'un appel.
Le Ministre de la Justice, Seyfi Oktay, le Ministre
de l'Intérieur, Ismet Sezgin et le Ministre des Droits de l'Homme,
Mehmet Kahraman, ont tous souligné, lors de conversations avec Helsinki
Watch en août 1992, que le gouvernement était toujours animé par la
volonté de changement, d'établir une "démocratie transparente" et
d'introduire des changements à la Constitution et aux lois, comme il
l'avait proposé précédemment.
Les mesures attendues ne pointent pas à l'horizon.
Les assassinats, les disparitions, les tortures brutales et d'autres
violations des droits de l'homme n'ont toujours pas cessé. Le
gouvernement du Premier Ministre Demirel n'a pas fait preuve de la
volonté politique ou des capacités pour mettre fin à ces détestables
pratiques, ni sur papier ni dans la réalité.
L'administration Bush a soutenu énormément le
gouvernement de Demirel, allant jusqu'à féliciter la Turquie pour sa
"retenue" pendant le Newroz, alors que les troupes gouvernementales
avaient tué au moins 91 manifestants pacifiques. La Turquie demeure le
troisième plus grand bénéficiaire de l'aide américaine, derrière Israël
et l'Egypte. Pour l'année fiscale 1993, les Etats-Unis fourniront à la
Turquie 575 millions de dollars en tant qu'assistance extérieure: 450
millions en prêts militaires et 125 millions en concessions économiques.
Devant la continuelle violation des droits de
l'homme en Turquie, Helsinki Watch recommande au gouvernement américain
de mettre fin à toute assistance militaire à la Turquie jusqu'à ce que
ce pays élimine toute trace grossière de violations des droits de
l'homme ou précise clairement, comme il est stipulé dans la Section
502b de la Loi d'Assistance Etrangère, quelles circonstances
extraordinaires justifient cette assistance aux vues de ces violations.
Helsinki Watch recommande également de suspendre rapidement la
formation d'officiers de police turcs dans le cadre du Programme
d'Assistance Anti-Terroriste.
Helsinki Watch conseille également au gouvernement
turc de faire cesser les abus dont sont victimes les civils dans le
Sud-est et de se conformer aux lois humanitaires internationales et aux
lois de la guerre; qu'il abolisse les restrictions imposées à
l'identité éthnique kurde; qu'il abolisse le système des gardiens de
village; respecte les normes internationales qui exigent que les
représentants de l'ordre n'utilisent des armes mortelles que quand il
est absolument nécessaire et avec une force équivalente au danger couru
lors des descentes dans les maison soupçonnées de contenir des
"terroristes"; qu'il déploie des méthodes légales de contrôle des
foules; qu'il punisse les membres des forces de sécurité qui tuent des
civils sans justification; qu'il enquête minutieusement et rapidement
sur les cas de morts suspectes et de disparitions et traduise en
justice les responsables; qu'il mette fin à toutes formes de torture
dans les centre d'interrogation de la police et poursuive les
tortionnaires; qu'il réduise les périodes de détention et permette aux
détenus d'avoir accès immédiatement à leurs avocats; et qu'il mette fin
aux restrictions de la liberté d'expression. D'autres recommandations
sont détaillées à la fin de cet article.
Helsinki Watch demande au Parti Ouvrier du Kurdistan
(PKK) de cesser les abus contre les civils et de respecter
scrupuleusement et dans les plus brefs délais les lois humanitaires
internationales et les lois sur la guerre.
LE RAPPORT DE RSF SUR LES MEURTRES DE JOURNALISTES
La Section suisse de Reporters Sans Frontières
publia un rapport détaillé et intitulé Intimidation sur les assassinats
de journalistes et autres pressions exercées sur la presse turque à la
suite d'une enquête sur place par une équipe internationale entre le 10
et le 21 janvier 1993.
L'équipe regrette de ne pas avoir pu rencontrer les
autorités responsables de l'état d'urgence à Diyarbakir, malgré une
demande introduite plus d'un mois à l'avance. La raison invoquée fut la
visite d'un représentant du gouvernement dans la région. Cependant,
l'équipe estime avoir recueilli suffisamment d'information.
Nous reproduisons ci-après un résumé des 65 pages
que comprend le rapport:
1, Ayant pu constater qu'ils étaient bien les
auteurs d'articles publiés par des organes de presse, et en l'absence
de preuves d'une activité violente, nous estimons que les treize tués
doivent bien être considérés comme des journalistes.
2. Il restait à déterminer s'ils avaient été tués en
raison de leurs activités de journaliste, et à tenter d'établir les
responsabilités de ces meurtres. En l'absence de preuves irréfutables,
il n'est pas possible de donner des réponses dénuées du moindre doute.
Ceci vaut aussi pour les deux cas où des suspects membres du Hezbollah,
ont été arrêtés par la police (dans I'attente d'un jugement, les
détails de l'instruction ne nous ont pas été communiqués) .
3. Néanmoins, nous considérons que dans certains
cas, nous disposons d'un faisceau d'éléments suffisant pur avoir de
très fortes présomptions. Celles-ci sont les suivantes:
- Deux journalistes au moins ont été tués par le
PKK, parti indépendantiste kurde qui recourt à la lutte armée. L'un des
deux a été accusés d'informer la police, le motif du meurtre ne
paraît donc pas lié son activité (antérieure) de journaliste.
L'autre a été tué dans le cadre d'une attaque dans sa bourgade;
vraisemblablement, sa fonction lui valu d'être tue.
- Quatre Journalistes au moins ont été tués en
raison de leur activité de journaliste et avec une implication directe
ou indirecte des forces de l'ordre. L'identité des tueurs fait l'objet
de diverses hypothèses: contre-guérilla, Hezbollah, groupes
paramilitaires. Mais nous sommes convaincus qu'il y avait au moins
complicité, sinon participation de membres des forces de l'ordre.
- Dans les sept autres cas, il peut exister des
éléments de présomption, fondés sur des témoignages, mais la mission
estime qu'ils ne suffisent pas en tant que tels.
4, Néanmoins, la délégation estime que ses
présomptions à l'encontre de membres des forces de sécurité sont
renforcées par les nombreux exemples et témoignages d'autres pressions
que subissent les journalistes et les journaux dans cette région:
entraves aux déplacements, violences physiques, menaces, camions et
kiosques brûlés, etc.
Nous avons été particulièrement alarmés par les
meurtres récents de trois vendeurs et distributeurs de presse, tous
menacés auparavant s'ils ne cessaient pas de vendre certains journaux.
Un vendeur a été l'objet d'un attentat au cours de notre séjour et ses
proches nous ont informés de menaces proférés par un commissaire de
police
5. Ces morts de journalistes se situent dans un
contexte de violence croissante à l'égard de civils. Des centaines de
personnalités de la société civile kurde ont été assassinées de façon
similaire par des tueurs mystérieux et jamais retrouvés. Les autorités
blâment "le terrorisme" et lui seul, avec ses rivalités et ses
règlements de comptes. Ce blâme exclusif ne nous a pas
convaincus, et cela d'autant moins que nous l'avons observé à plusieurs
reprises —les autorités turques se refusent tout simplement à entrer en
matière sur toute accusation précise quelle qu'elle soit, dont ses
forces peuvent être l'objet.
6. Nous avons constaté et saluons la grande liberté
d'expression dont bénéficie la presse de large audience. De plus, nous
avons constaté que plusieurs publications donnent abondamment le point
de vue du PKK. Ce n'est pas le moindre des paradoxes de ce pays
d'autoriser la parution de publications très proches d'une organisation
considérée comme terroriste. Cependant, celles-ci font l'objet d'un
harcèlement juridique constant, notamment par de fréquentes saisies. La
procédure est légale, mais se fonde sur des lois limitant abusivement
la liberté d'expression. Il existe encore tout un arsenal de lois
répressives; 152 de leurs articles peuvent être employés contre la
presse.
7, Nous prenons acte avec satisfaction de la réforme
prévue de la loi sur la presse, mais la jugeons très insuffisante. Nous
estimons en particulier que les articles 6 et 8 de la "loi
anti-terreur" d'avril 1991, qui punissent de façon vague toute
propagande séparatiste, doivent être supprimés.
Le quotidien Cumhuriyet a publié fin janvier une
liste des journalistes tués depuis que la presse existe en Turquie. Le
nombre total est de 34. Treize d'entre eux, soit plus du tiers, ont été
tués en 1992.
1891: Zeki Bey, 1909: Hasan Fehmi Bey, 1910: Ahmet
Samim, Hüseyin Hilmi Bey, 1919: Osman Nevres, 1920: Hasan Tahsin, 1930:
Hikmet Sevket, 1974: Adem Yavuz, 1978: Ali Ihsan Özgür, 1979: Abdi
Ipekçi, Ilhan Darendelioglu, 1980: Ismail Gerçek, Ümit Kaftancioglu,
Muzaffer Fevzioglu, Recai Ünal, 1988: Mevlut Isik, 1989: Sami Basaran,
Kamil Basaran, 1990: Çetin Emeç, Turan Dursun, 1992: Halit Güngen,
Cengiz Altun, Izzet Kezer, Bülent Ülkü, Mecit Akgün, Hafiz Akdemir,
Çetin Ababay, Yahya Orhan, Hüseyin Deniz, Musa Anter, Yusuf Aktay,
Hatip Kapçak, Namik Taranci, 1993 (janvier): Ugur Mumcu.
Le rapport donne le détails sur les 13 meurtres
signalés et confirmés en 1992, avec une évaluation quant à la réponse à
donner aux questions suivantes:
- Ont-ils été tués dans, ou à cause de l'exercice du
métier de journaliste?
- Y a-t-il assez d'éléments pour désigner les
auteurs probables du meurtre?
Quelques indications préliminaires nous paraissent
nécessaires.
Pourquoi les considérer comme des journalistes?
"Ceux qui sont tués ne sont pas de vrais
journalistes. Ce sont des militants déguisés en journalistes. Ils
s'entre-tuent" (SüIeyman Demirel premier ministre, le 11 août
1992.)
En raison de cette déclaration et de déclarations
similaires d'autres membres du gouvernement, notre délégation a en
premier lieu cherché. à déterminer si les treize tués devaient ou non
être considérés comme des journalistes .
Pour attester de la qualité de journaliste en
Turquie, il existe deux moyen formels (mais sans valeur juridique,
selon un avocat spécialisé);
- La carte de presse, délivrée par l'Etat, plus
précisément par le Directorat général de la presse et de l'information,
attaché au premier ministre. Il s'agit d'une carte jaune ou bleue. Pour
l'obtenir, il faut faire acte de candidature, et celle-ci doit être
appuyée par l'organe de presse. Elle est délivrée après une période de
stage dans le métier d'une durée variable selon les études effectuées:
18 mois si le candidat fait une école de presse, 24 pour un
universitaire, 30 pour un lycéen. Environ 3000 personnes la détiennent.
- Les "cartes d'identité de journaliste" distribuées
par l'organe de presse. Celle-ci requiert que le journaliste soit
déclaré parmi les employés de l'organe de presse.
Selon nos informations, dans un seul des treize cas
en question (celui de Kezer), il est incontesté que la victime avait
une carte de presse. Cependant, dans un rapport intitulé "Qui est
journaliste?" le Conseil de la Presse précise que la majorité des
journalistes n'ont ni l'une ni l'autre. Ceci est dû aux raisons
suivantes:
- La carte de presse n'est pas donnée
automatiquement aux candidats qui en remplissent les conditions. Il
semble qu'il se pratique une forme de quota par journal. D'autre part,
à en croire le Conseil de la Presse, la carte est dévaluée par le fait
qu'elle est délivrée à des personnes "qui n'ont aucune relation avec le
métier de journaliste" — notamment des fonctionnaires ministériels. Ces
abus seraient dus aux privilèges qu'elle apporte, notamment sous forme
de tarifs réduits.
- la carte d'identité de journaliste n'est souvent
pas distribuée par l'organe de presse à ses journalistes, parce qu'elle
l'oblige à les déclarer et donc à payer leur sécurité sociale et
d'autres charges.
La possession d'une carte n'est donc pas
déterminante pour établir la qualité de journaliste.
Il en découle également que l'appartenance à une
association professionnelle ne l'est pas non plus: l'association de
journalistes du sud-est, par exemple, requiert la possession d'une des
deux carte pour devenir membre.
Or toutes les association professionnelles sont de
l'avis qu'il s'agissait bien de journalistes, et cela malgré le fait
qu'ils n'en faisaient pas partie (seul Kezer appartenait à une
association, celle d'Istanbul):
- "A nos yeux, ils étaient des journalistes. Ils
travaillaient régulièrement à l'Information. Peu importe si ce n'était
pas leur seule activité" (Necmi Tanyolaç, président de l'association de
journalistes d'Istanbul) .
- "Pour dire que ce n'étaient pas des journalistes,
le gouvernement se base sur le fait qu'ils n'avaient pas la carte de
presse. Pour nous, c'est faux. Ils faisaient tous du journalisme"
(Orhan Erinç, président du syndicat des journalistes).
- "Pour nous, l'essentiel est qu'ils travaillaient
pour un journal" (Ramazan Pamuk, président de l'association de
journalistes du sud-est).
Au vu des avis et témoignages qu'elle a recueillis,
notre délégation estime que dans tous les cas, sauf un, il est
clairement établi que les victimes exerçaient une activité de
journaliste.
Le cas discutable à nos yeux est celui de Mecit
Akgün ancien correspondant occasionnel de Yeni ÜIke Nusaybin, il
avait cessé d'écrire depuis huit mois au moment de sa mort, affirme le
journal. Cette cessation d'activité nous a été confirmée par la plupart
de nos interlocuteurs, à deux exceptions près; un journaliste à
Diyarbakir, en particulier, nous affirme avoir collaboré sur une
enquête avec Akgün trois mois avant sa mort. En tout état de cause, à
en croire deux témoignages recueillis à Diyarbakir, il restait
essentiellement considéré, à Nusaybin, comme un journaliste, en dépit
de ses activités politiques. Nous estimons donc qu'à défaut
d'informations contraires concluantes, il doit être maintenu sur la
liste en tant que journaliste.
Dans la plupart des cas, il ressort que le
journalisme n'était pas une activité plein temps; dans certain cas, ce
n'était même pas l'activité principale. Notre délégation estime
cependant que ça ne doit pas les priver d'être considérés comme des
journalistes. La raison principale tient aux conditions de travail de
la région du sud-est de la Turquie, soumise a l'état d'urgence et
plongée dans une atmosphère de guerre. Il y est difficile pour les
journalistes de se déplacer. Les journaux ont donc besoin d'un réseau
très fourni de correspondants qui, de ce fait, n'ont pas du travail à
temps plein. Dans un contexte de chômage massif de nombreux
correspondants n'exercent que cette activité occasionnelle, et le
journalisme est leur identité sociale. Même pour ceux qui exercent une
autre activité principale, c'est plutôt la fonction de journaliste qui
les expose à l'attention publique locale.
Au cours de nos entretiens avec les autorités,
celles-ci se sont démarquées des opinions émises par les membres du
gouvernement. M. Demirel, nous a-t-on confié, se serait exprimé un peu
hâtivement. Dans notre entretien au ministre de l'intérieur, la qualité
de journaliste n'a pas été mise en cause.
- "Malheureusement des journalistes ont été tués
dans l'exercice de leur fonction. Nous cherchons bien sûr les
meurtriers. (...) Anter et Kezer en tout cas étaient des journalistes.
Pour nous, les autres étaient bien des correspondants locaux des
journaux" (AIi Pitirli, directeur général de la recherche, la
planification et la coordination).
Toutefois, il nous a été souligné à plusieurs
reprises que certains étaient aussi des "militants", la preuve en étant
que sept d'entre eux avaient été arrêtés, soupçonnes ou condamnés dans
le passé pour des activités illégales. Il est à préciser que le terme
"militant", en turc, signifie couramment: membre d'une organisation
terroriste.
Or dans aucun cas, il n'y à des preuves ou même des
indices sérieux selon lesquels les journalistes ont été tués dans le
cadre d'activités "militantes". Et si c'était le cas, il conviendrait
encore de distinguer s'il s'agissait d'activités violentes ou non. La
législation turque inclut sous le terme de terrorisme des délits
d'opinion , amalgame inacceptable aux yeux de RSF.
Il est pour le moins surprenant, pour ne pas dire
scandaleux, que le gouvernement turc invoque des peines purgées, ou
même de simples inculpations qui n'ont pas débouché sur une
condamnation, pour disqualifier implicitement les morts, les priver de
leur qualité de victimes.
Tant qu'il n'y a pas de preuves d'activités
violentes, notre délégation estime, à l'instar des associations
professionnelles turques, que l'exercice éventuel d'autres activités
par les victimes n'a aucune incidence sur leur qualité de journalistes.
[Ce rapport peut être commandé à Reporters Sans
Frontières, association suisse à l'adresse suivante: Case Postale 162,
1010 Lausanne 10, SUISSE.]