OPERATION ANTI-KURDE EN BELGIQUE
L'offensive anti-kurde et antidémocratique du régime
turc à l'étranger a pris Bruxelles pour cible au premier jour de cette
nouvelle année. Lorsqu'un groupe d'intellectuels kurdes et
d'activistes, suivant une longe marche pour la liberté depuis Bonn,
sont arrivés à Bruxelles, les organisations d'extrême-droite ont
provoqué une centaine de jeunes turcs et organisé une violente
manifestation anti-kurde à Saint-Josse, un quartier habité massivement
par des immigrants turcs.
Alors que les marcheurs kurdes se réunissaient au
Hall Ten Noey, les provocateurs ont fait courir le bruit qu'ils avaient
hissé le drapeau kurde devant le bâtiment et avaient brûlé un drapeau
turc.
Suite à cela, des centaines de manifestants turcs
ont attaqué Ten Noey scandant des slogans tels que "Saint-Josse est un
quartier turc!", "Il n'y a pas de place ici pour les Kurdes!", "A bas
le PKK!"
Pour éviter un possible massacre des Kurdes, la
police est intervenue et a dispersé la foule à l'aide d'un canon à eau.
Six agents de police et cinq civils ont été blessés et plusieurs
vitrines et pare-brise ont été brisés pendant les incidents.
Pendant ce temps, plusieurs groupes de Turcs ont
attaqué des centres kurdes et des bureaux appartenant à des hommes
d'affaires kurdes.
Après les affrontements, les autorités belges ont
déplacé le meeting kurde vers un autre point hors de Saint-Josse.
Le lendemain, plusieurs groupes turcs ont tenté de
convoquer une nouvelle manifestation anti-kurde à Saint-Josse, mais ils
ont été dispersés par la police et 63 personnes ont été arrêtées.
Le Ministre de l'Intérieur Louis Tobback a déclaré
que, selon les rapports de la gendarmerie, ces manifestations
anti-kurdes étaient provoquées et orchestrées par des organisations
turques d'extrême-droite.
En fait, ces organisations maintiennent de bonnes
relations avec les missions diplomatiques à Bruxelles. Les
manifestations du 1er janvier ont été provoquées intentionnellement
dans le but de discréditer les organisations kurdes aux yeux de
l'opinion publique belge. Chacun sait que, suite à l'interdiction du
PKK en Allemagne et en France, le gouvernement turc avait intensifié
ses pressions sur le gouvernement belge pour qu'il prenne des mesures
similaires. Après que les autorités belges aient rejeté la demande, les
missions diplomatiques turques ont provoqué les incidents de Nouvel An
pour donner aux organisations kurdes une image de source de problèmes
et de désordre.
Lorsque le Premier Ministre turc Tansu Ciller est
venue à Bruxelles le 10 janvier dernier dans le cadre d'une réunion au
sommet de l'OTAN, elle a profité de la moindre occasion pour demander
aux alliés de la Turquie, principalement la Belgique, de bannir les
activités politiques kurdes en Europe. Faisant allusion aux incidents
du Nouvel An, elle a déclaré que l'attitude de Bruxelles revenait à
soutenir le terrorisme. Lors de ce même voyage, Ciller a reçu un groupe
de représentants des organisations de droite turques dans sa suite au
Hilton et fit son unique visite à la population turque dans une mosquée.
Suite à ces événements, quatre organisations
étrangères, l'Association des Arméniens Démocrates, le Centre Culturel
de Mésopotamie, les Ateliers du Soleil/Info-Türk et l'Institut de
Bruxelles ont lancé l'appel suivant aux autorités fédérales
communautaires, régionales et municipales:
"Les organisations soussignées regroupant des
citoyens d'origines différentes et œuvrant pour promouvoir une
cohabitation harmonieuse dans les quartiers populaires de Bruxelles
tiennent à attirer l'attention sur les leçons qu'elles ont tirées des
événements dramatiques du Nouvel An à Saint-Josse et Schaerbeek.
1. Les habitants de ces quartiers de forte
concentration immigrée vivaient toujours dans une atmosphère de
fraternité et de solidarité malgré leur diversité ethnique, sociale,
confessionnelle et politique. Quelle que soit leur divergence, chaque
communauté était parfaitement consciente que les problèmes de droits
civils, de scolarité, de logement, de sécurité, de promotion
socioculturelle et professionnelle étaient communs pour tous les
habitants de ces quartiers et qu'ils devaient réagir tout ensemble pour
l'égalité de chances et de droits.
2. La cohabitation pacifique et harmonieuse se
basait avant tout sur un respect et une tolérance réciproques, ce en
dépit de toute tentative des milieux extrémistes visant à diviser cette
population, à en provoquer une composante contre l'autre et à les
discréditer ainsi aux yeux de l'opinion publique afin de justifier les
politiques racistes et xénophobes.
3. Malgré les divergences politiques et
philosophiques parfois inconciliables, les manifestations culturelles,
politiques ou religieuses organisées par des groupements différents se
sont déroulées jusqu'ici sans moindre incident de la part des groupes
opposants. C'est le cas aussi pour des dizaines de manifestations
organisées dans la Salle Ten Noey. Bien que le droit d'association et
de manifestation ne soit pas respecté dans certains pays d'origine
notamment par les gouvernements répressifs, les habitants d'origine
étrangère de Bruxelles jouissaient pleinement de ce droit dans leur
pays de résidence.
4. Comme il a été confirmé par le Ministre de
l'Intérieur Louis Tobback, le 1er janvier 1994, l'attaque sur les
marcheurs kurdes hébergés dans la Salle Ten Noey et le saccage des
magasins kurdes à Saint-Josse et Schaerbeek ont été provoqués par les
missions diplomatiques turques et menés par les "Loups Gris" des
organisations néo-fascistes turques structurées depuis des années en
Belgique à cause de la bienveillance de l'Ambassade turque ainsi que de
certains dirigeants belges.
5. L'agression du Nouvel An fait en effet partie du
plan du gouvernement turc visant à obliger le gouvernement belge à
fermer les bureaux du PKK en Belgique, à l'instar des gouvernements
français et allemand. Les démarches du premier ministre turc Tansu
Ciller auprès des responsables belges et ses déclarations aux médias
belges quelques jours plus tard en sont la preuve irréfutable. En
d'autres termes, il s'agit de la mise en pratique d'un plan audacieux
en vue d'étendre "la guerre sale", menée en Turquie par l'Armée turque,
aux pays européens.
6. Tout le monde et surtout les dirigeants communaux
bruxellois savent très bien que la communauté en provenance de
Turquie à Bruxelles se compose non seulement de Turcs sunnis, mais
également de Turcs alévis, de Kurdes ainsi que d'Arméniens et
d'Assyriens chrétiens. Or Mme Ciller a, tout en ignorant son rôle de
Premier ministre d'un État laïc, choisi une mosquée turque de la
chaussée de Haecht pour contacter les ressortissants de Turquie. Ainsi,
elle a donné le coup de grâce à la cohabitation harmonieuse dans le
microcosme anatolien de Saint-Josse et Schaerbeek.
7. Nous tenons également à attirer l'attention
sur la visite occulte de l'ancien colonel Türkes, chef du Parti
d'Action Nationaliste (MHP), néo-fasciste, à Bruxelles le 1er février
1994, juste après les événements du Nouvel An. Il faut rappeler que
Türkes, responsable principal du déclenchement de la violence politique
en Turquie, est le partisan le plus ardent des opérations anti-kurdes
en Turquie et l'allié principal du gouvernement actuel et de l'Armée
dans l'adoption et l'application de leurs politiques répressives contre
les forces démocratiques de la Turquie. Pendant cette visite à
Bruxelles, il lui a été permis de tenir une réunion provocatrice à
l'Hôtel Sheraton, avec ses "loups gris" et d'autres extrémistes, ce en
présence de l'Ambassadeur de Turquie en Belgique. C'est une nouvelle
preuve irréfutable des relations dangereuses des missions diplomatiques
turques avec les milieux d'extrême-droite. *
8. Le plus grave est que les événements du Nouvel An
risquent déjà de susciter, à l'approche des scrutins européens et
communaux, la remontée du discours xénophobe et raciste dans les
milieux extrémistes belges au nom du maintien la loi et l'ordre à
Bruxelles
"Compte tenu de ces faits, nous lançons cet appel
urgent à toutes les instances belges, fédérale, communautaires,
régionales ou communales:
• La diversité ethnique, philosophique et
linguistique des communautés d'origine étrangère doit être reconnue et
respectée.
• Toute provocation, ingérence et manipulation des
autorités répressives ou des organisations d'extrême-droite du pays
d'origine dans la coexistence pacifique des communautés étrangères
doivent être arrêtée.
• La jouissance des droits d'expression et
d'organisation des communautés d'origine étrangère doit être assurée de
sorte qu'elles ne soient jamais menacées par les forces racistes et
xénophobes, qu'elles soient belges ou étrangères.
• Toute mesure nécessaire doit immédiatement être
prise pour protéger la vie et la propriété des communautés minoritaires
contre les attaques et saccages éventuels des extrémistes.
• Une nouvelle politique d'urbanisme doit être
adoptée afin d'arrêter la ségrégation qui favorise toute provocation et
manipulation.
• La politique d'enseignement doit être développée
de sorte que les jeunes, fort exposés à toutes les provocations et
manipulations, soient formés en tant que citoyens qui respectent les
valeurs démocratiques universelles et la diversité dans une ville
pluriethnique et pluriculturelle comme Bruxelles.
• Enfin, tous les droits civils et politiques
doivent être reconnus aux citoyens d'origine étrangère, sans exiger la
naturalisation, pour qu'ils soient entièrement intégrés dans la vie
socio-politique de leur pays de résidence et qu'ils puissent échapper
ainsi à la récupération et la manipulation des dirigeants de leur pays
d'origine."
VERS UN BOULEVERSEMENT DE LA POLITIQUE TURQUE
On s'attende à ce que les élections locales du 7
mars marquent un tournant dans la politique turque. Les observateurs
politiques pensent que ces élections seront un test aussi bien pour la
crédibilité de la coalition DYP-SHP que pour les politiques
militaristes appliquées à la Question kurde.
Bien que plus de dix partis politiques prennent part
à ce test national, il ne semble pas possible que le vote du 27 mars se
déroule d'une manière démocratique. Le Parti de la Démocratie (DEP), la
seule organisation politique légale qui défende les droits et libertés
du peuple kurde, a déjà laissé entendre qu'elle pourrait se retirer de
la bataille politique devant la campagne de violence orchestrée par des
"forces obscures".
Si l'intention du DEP de ne pas participer aux
élections se confirme, les résultats du vote dans le Kurdistan turc
seront très loin de refléter le choix réel de la population kurde.
Pour les élections du 27 mars, outre le Parti de la
Juste Voie (DYP), principal partenaire de la coalition gouvernementale,
trois autres partis de droite y participent: le Parti de la Mère-Patrie
(ANAP), Le Parti du Bien-être (RP) et Le Parti d'Action Nationaliste
(MHP).
A gauche, trois partis sociaux-démocrates
participent: le Parti Populiste Social Démocrate (SHP), partenaire de
l'actuelle coalition gouvernementale, le Parti des Peuples Républicains
(CHP) et le Parti de la Gauche Démocratique (DSP).
Aux côtés de ces sept partis principaux, on retrouve
d'autres formations, mais elles ne semblent pas assez populaires pour
être élues aux assemblées municipales.
Les frères ennemis: ANAP et DYP
Bien qu'ils soutiennent que leurs idéologies sont
différentes, le DYP, au pouvoir, et le principal parti de l'opposition,
ANAP, sont deux formations de centre-droite dont les structures
politiques et le militantisme sont très similaires.
Les leaders fondateurs des deux partis, le défunt
Turgut Özal pour l'ANAP et Süleyman Demirel pour le DYP, ont laissé
leurs postes à de nouveaux leaders, le dernier à contrecoeur pour
devenir Président de la République. Le Premier Ministre Tansu Ciller
dirige maintenant le DYP et l'ancien Premier Ministre Mesut Yilmaz
dirige l'ANAP.
Ceux qui soutiennent les politiques des partis de
centre-droite flottent entre ces deux partis dans la confusion et
l'incertitude. Ces personnes soutiennent le parti qui leur assigne des
tâches importantes. Cela devient évident lorsque les membres de l'ANAP
annoncent leur candidature sur les listes du DYP aux élections locales,
et que les membres du DYP se tournent vers l'ANAP. Les membres non
effectifs de ces deux partis attendent le 28 mars pour rejoindre les
rangs de l'opposition.
Cette expectative est plus visible dans les rangs du
DYP. Personne ne pourra tolérer Tansu Ciller en tant que Premier
Ministre si son parti perd les élections locales. Malgré son image de
"femme moderne et belle", sa popularité diminue rapidement en raison de
l'échec de sa politique économique, sociale, notamment en ce qui
concerne les droits de l'homme. Si le DYP subit une lourde défaite aux
élections, les militants se tourneront vers le Président Demirel, qui
au demeurant est très mécontent avec elle, pour la destituer de son
poste.
L'ANAP semble dans une position plus à l'aise. Il a
l'avantage de se trouver déjà dans l'opposition. En raison de son
leadership dans les sondages, il est moins en proie aux luttes
internes, même si le parti a quelques divisions, notamment à propos du
groupe formé par le frère d'Özal et sa famille.
Trinité social-démocrate
On retrouve une situation similaire dans les partis
sociaux-démocrates. Bien que leurs membres partagent les mêmes
opinions, le SHP, le DSP et le CHP n'ont pas été capables d'unir leurs
forces, principalement à cause des disputes personnelles entre leurs
leaders.
L'agitation apparaît plus évidente au sein du SHP,
qui n'a pas su tenir des promesses électorales telles qu'une rapide
démocratisation et l'adoption d'un système social plus équitable. Le
nouveau président, Murat Karayalcin, partage l'échec des politiques de
Ciller. Il ne faut pas oublier que lors de la convention il n'a pas
obtenu une victoire écrasante sur son principal rival, Aydin Güven
Gürkan, et que celui-ci a pris place dans le groupe parlementaire.
L'opposition au sein du SHP attend donc maintenant les résultats de
mars.
Après les élections, la plus grande épreuve de force
aura lieu entre le SHP et le CHP. Les membres du SHP qui sont passés au
CHP sous la direction de Deniz Baykal en croyant qu'ils allaient
carrément former un gouvernement, pourraient réaliser qu'en réalité les
électeurs soutiennent les sociaux-démocrates. Si le SHP perd trop de
votes et le CHP gagne, l'équation sera différente. Si le CHP n'obtient
pas une victoire significative aux élections locales, les perdants
commenceront à regagner les rangs du SHP.
Le parti social démocrate qui est le plus à l'aise
dans la course aux élections de mars est le DSP d'Ecevit. En tant que
parti uni autour du charisme d'Ecevit, le DSP n'a jamais permis le
développement d'une faction au sein des organes du parti et se contente
d'un certain nombre de membres obéissant inconditionnellement à leur
leader.
Le phénomène du fondamentaliste RP
Un des plus grands points d'interrogation des
prochaines élections est à n'en point douter le niveau de popularité du
fondamentaliste Parti du Bien-être (RP).
Dirigé par Necmeddin Erbakan, le RP avait obtenu
17,05% des votes aux élections législatives de 1991 et avait atteint
les 24,52% aux élections locales partielles de 1992.
Les derniers sondages d'opinion indiquent que le RP
peut obtenir les résultats les plus spectaculaires aux élections de
mars. La direction du parti espère que la déception du public àl'égard
des autres partis politiques jouera en leur faveur.
Erbakan prétend que le nombre de leurs sympathisants
a doublé en deux ans et qu'il est actuellement de 1,6 millions. Il
jouit du soutien de tous ceux qui sont déçus par la corruption et des
masses rurales qui ont émigré vers les villes. Beaucoup d'entre eux
cherchent un refuge contre le chômage et la pauvreté dans la religion.
Bien qu'on ne dispose de statistiques, les analystes
disent que les Turcs deviennent de plus en plus observateurs. Des
femmes vêtues de robes noires jusqu'à la cheville et ne laissant voir
qu'un petit triangle de leur visage, sont une image courante dans les
rues d'Istanbul, une ville de 11 millions d'habitants.
Le renouveau islamique prend différentes formes en
Turquie. D'une part on trouve une sorte `d'expression culturelle' qui
réaffirme le passé ottoman comme centre du monde islamique.
Les analystes détectent aussi un "Islam capitaliste
libéral." Le meilleur exemple en est Ihlas, un holding qui représente
200 millions de dollars par an qui réinvestit ses profits dans des
opérations et qui est structuré comme une fondation caritative
musulmane. Ihlas possède le journal islamique le plus vendu, Türkiye.
Celui-ci possède une salle de prière dans ses locaux à Istanbul, et
dirige une chaîne de télévision fondamentaliste. Ihlas a également des
intérêts dans le secteur de la construction et les hôpitaux, publie et
distribue gratuitement des livres islamiques hors de Turquie.
Devant la crainte d'une montée du fondamentalisme,
les principaux hommes politiques prennent garde à se faire voir dans
les mosquées et le Premier Ministre Ciller répète souvent en public:
"Dieu merci je suis musulmane."
Menace d'un nouveau coup-d'Etat militaire
En février, les déclarations du Président Süleyman
Demirel, du vice-premier ministre Murat Karayalcin et du président du
parlement Hüsamettin Cindoruk ont provoqué un torrent de spéculations
quant à la possibilité d'une quatrième intervention militaire depuis
1960.
Le 21 février, Demirel déclarait, "Si le pays perd
son calme démocratique, la population cherchera le calme dans un régime
fort". Le lendemain, Karayalcin disait, "Il est évident que certaines
personnes se préparent de nouveau pour interrompre la démocratie." Sur
ce, Cindoruk a proposé un "gouvernement basé sur le consensus
national", gagnant le soutien de plusieurs groupes économiques qui
pensent que seul un cabinet fort peut appliquer les dures réformes
économiques nécessaires.
Ces commentaires ont soulevé un tolet dans un pays
qui avait vécu trois ans de d'autorité militaire dix ans auparavant et
qui se trouvait toujours sous un régime semi-militaire.
Selon Mesut Yilmaz, leader du principal parti de
l'opposition, le Parti de la Mère Patrie, l'affaire du coup avait été
lancée intentionnellement par le gouvernement pour détourner
l'attention de son propre échec.
PROLONGATION DE L'ETAT D'URGENCE
Le 25 février, le Parlement turc votait en faveur
d'une prolongation de l'état d'urgence de quatre mois dans dix
provinces du sud-est à partir du 19 mars. Malgré leur promesse d'abolir
ce régime d'exception, la majorité des députés sociaux-démocrates du
SHP ont également voté en faveur de la prolongation.
L'état d'urgence avait été proclamé dans le sud-est
pour remplacer la loi martiale. Sous l'état d'urgence, les gouverneurs
des dix provinces jouissent de l'autorité illimitée des commandants de
la loi martiale et leurs opérations de répression sont coordonnées par
un super gouverneur. En fait, le super gouverneur agit en fonction des
directives qu'il reçoit des militaires.
Les dix provinces soumises à l'état d'urgence sont
Batman, Bingöl, Bitlis, Diyarbakir, Hakkari, Mardin, Siirt, Sirnak,
Tunceli et Van.
DESASTRE POUR LES DROITS DE L'HOMME EN FEVRIER
L'Association des Droits de l'Homme (IHD), dans son
rapport du mois de février 1994, indique que la situation des droits de
l'homme en Turquie se détériore rapidement et que leur situation y est
vraiment désastreuse.
Selon ce rapport, 16 personnes en détention
policière ont été tuées dans des circonstances mystérieuses en février
tandis que 29 autres arrêtées par les forces de sécurités sont portées
disparues.
Le IHD rapporte que rien qu'en février:
° 877 personnes ont été arrêtées, 18 publications
ont été confisquées, trois associations ont été perquisitionnées et le
Parti Vert (YP) a été interdit.
° A la fin du mois de février, 68 journalistes et
écrivains étaient en prison à cause de leurs opinions et neuf étaient
remis en liberté.
° Des journalistes et des écrivains ont été
condamnés à des peines de prison d'un total de 109 mois et à payer des
amendes pour une valeur de 1,11 milliards de TL.
° Dans plusieurs procès en cours, des journalistes
et des écrivains risquent des peines de prison allant jusqu'à un total
de 664 mois et des amendes pour une valeur 1,05 milliards de TL.
° 17 villages du Sud-est ont été évacués de force.
° 15 bâtiments de bureaux de partis et
d'associations ont subi des attentats à la bombe.
° Il s'est produit un total de 39 assassinats
mystérieux et 34 civils ont été tués dans plusieurs incidents. La
police a arrêté 153 personnes au cours de ce mois.
FERMETURE DU PARTI VERT
Le 10 février le Tribunal Constitutionnel ordonnait
la fermeture du Parti Vert (YP) sous prétexte que ses dirigeants
n'avaient pas présenté leurs comptes bancaires et d'autres documents
nécessaires pour 1988.
Depuis 1971, le Tribunal Constitutionnel a fermé
huit partis politiques.
Sept de ces partis ont été interdits pour "activités
séparatistes": Le Parti des travailleurs de Turquie (TIP), le Parti
Travailliste de Turquie (TEP), le Parti Communiste Uni de Turquie
(TBKP), le Parti Socialiste (SP), le Parti de la Turquie Socialiste
(STP), le Parti des Peuples Travailleurs (HEP) et le Parti de la
Liberté et la Démocratie (ÖZDEP).
Le Parti d'Ordre National (MNP) fut fermé pour
activités anti-séculaires.
TERRORISME D'ÉTAT EN FÉVRIER
Le 1.2, des tireurs inconnus abattent Cevdet Caylan
à Gaziantep, Hasan Aric et Fesih Kaya à Diyarbakir, Hakim Toprak, Hamit
Elik et une jeune femme non identifiée à Sirnak.
Le 1.2, les forces de sécurité attaquent le village
d'Asagi Söylemez à Erzurum et abattent deux enfants.
Le 1.2, à Igdir, deux anciens membres du HEP, Faik
Kizilay et Hüseyin Öden, sont assassinés par des tireurs inconnus.
Le 1.2, une patrouille militaire arrête une voiture
à l'entrée du village d'Igdeli à Pazarcik et abat Mehmet Pelen et son
fils, Hasan Pelen.
Le 1.2, à Istanbul, la police fouille plusieurs
maisons et arrête sept membres du DEP.
Le 2.2, un représentant syndical, Nebi Delice,
arrêté par la police est placé en détention par la CSE d'Istanbul pour
appartenance à une organisation illégale.
Le 2.2, quelque 100 personnes qui assistaient aux
funérailles d'un membre du TDKP (Parti Communiste Révolutionnaire de
Turquie) abattu au cours d'un raid des forces de sécurité, sont
arrêtées par la police à Adana.
Le 3.2, à Adana, le membre de l'IHD Abdülkadir
Sakara aurait été torturé par la police suite à son arrestation le 1er
février.
Le 3.2, dans la prison Buca d'Izmir, le détenu
politique Ekrem Tamir est battu brutalement par une équipe des forces
de sécurité.
Le 3.2, la CSE d'Istanbul place en détention onze
membres présumés du TDKP arrêtés par la police le 28 janvier.
Le 3.2, la police arrête trois membres du DEP à
Adana.
Le 4.2, à Diyarbakir, Ömer Günes et Faruk Baran sont
victimes de meurtres politiques.
Le 4.2, à Istanbul, Songül Polat affirme dans une
lettre adressée à l'Association des Droits de l'Homme (IHD) qu'elle a
été torturée et harcelée sexuellement par la police suite à son
arrestation le 10 décembre 1993.
Le 5.2, le secrétaire du DEP à Digor, Mehmet
Yardimciel, se plaint d'avoir été torturé pendant son arrestation
policière. Il rapporte également que le bureau du parti à Digor a été
incendié le 4 février par des inconnus.
Le 5.2, deux avocats, Semih Mutlu et Levent Tüzel,
sont arrêtés par la police en compagnie de deux autres personnes. Le 28
janvier, au cours d'un procès politique, les deux avocats avaient
accusé la police d'avoir falsifié certains documents.
Le 6.2, à Kiziltepe, le président local du DEP, Ata
Salman et huit autres membres du parti sont placés en détention par un
tribunal.
Le 7.2, l'avocat Levent Tüzel, arrêté le 5 février,
affirme après sa libération avoir été torturé pendant sa détention.
Le 7.2, le président de l'Association Anti-Guerre
d'Izmir, Aytek Özen, est mis en détention par un tribunal pour avoir
fait une déclaration contre le service militaire au cours d'un
programme de télévision diffusé le 8 décembre.
Le 7.2, les forces de sécurité arrêtent 30 personnes
au cours d'une série d'opérations à Bitlis, Maras, Birecik et Nizip.
Le 8.2, quatre membres présumés du TIKKO sont placés
en détention par la CSE d'Istanbul. A Bursa, cinq étudiants
universitaires sont arrêtés par la police.
Le 8.2, à Urfa, Mehmet Erek, Ramazan Erek et Ahmet
Erek sont retrouvés assassinés.
Le 9.2, le travailleur Mehmet Sirin Akboga est
abattu par des tireurs inconnus à Diyarbakir.
Le 10.2, le candidat du Parti des Travailleurs (IP)
à la mairie d'Usak, l'avocat Gürcan Sagcan, est arrêté par la police
alors qu'il distribuait des tracts du parti.
Le 10.2, une équipe de police abat Adnan Tayyar au
cours d'un contrôle routier.
Le 10.2, à Adana, Habib Gül affirme avoir été
torturé pendant onze jours suite à son arrestation le 14 janvier.
Le 10.2, à Bitlis, une jeune femme, Cemile Sanik,
arrêtée au cours d'une attaque contre le village de Vanik, est
retrouvée décapitée.
Le 11.2, des tireurs inconnus abattent l'avocat Ufuk
Demirel et deux autres personnes, Ali Dogru et Cavit Bitkin, à
Diyarbakir.
Le 12.2, le président de l'IHD à Balikesir, Mahmut
Akkurt est condamné par la CSE d'Istanbul à un an de prison et à payer
une amende de 100.000 TL pour avoir incité les gens au crime dans un
discours prononcé en 1992.
Le 12.2, deux maires du DEP, Abdullah Kaya (Kozluk)
et Cemil Akgül (Kurtalan) sont démis de leurs fonctions par décision du
Ministère de l'Intérieur.
Le 12.2, les candidats du DEP aux mairies de
Diyarbakir, Metin Toprak, Musa Özsat et Nebahat Akkoc sont arrêtés par
la police au cours d'une descente chez eux.
Le 13.2, à Salihli, une équipe de police abat Nazli
Duruk, de 15 ans, au cours d'un contrôle routier.
Le 13.2, une équipe spéciale des forces de sécurité
jette une bombe et tue un garçon de 5 ans, Ibrahim Sefik, et blesse
gravement trois autres.
Le 14.2, les forces de sécurité font une descente
dans une maison à Viransehir et tuent deux personnes.
Le 14.2, le bureau d'Ankara du DEP subit un attentat
à la bombe et le siège d'Antalya du Parti d'Union Socialiste (SBP) est
incendié par des inconnus.
Le 14.2, sept personnes sont placées en détention
par un tribunal pour leurs activités politiques à Adana.
Le 14.2, à Konya, l'Association des Droits et des
Libertés (Özgür-Der) est fermée par le gouverneur pour activités non
autorisées. Les membres de l'association qui ont résisté à la police
ont été arrêtés.
Le 14.2, Ramazan Meral est victime d'un assassinat
politique à Batman.
Le 15.2, le maire de Lice provenant du DEP, Nazmi
Balkas, est démis de son poste par le Ministère de l'Intérieur.
Le 15.2, à Istanbul, la police arrête 14 membres
présumés du Parti Communiste Travailliste de Turquie (TKEP).
Le 15.2, les forces de sécurité arrêtent neuf
membres présumés de l'organisation islamiste IBDA-C à Gaziantep et Urfa.
Le 15.2, à Adana, 17 personnes sont arrêtées pour
activités pro-PKK.
Le 15.2, Abdullah Yilmaz, kidnappé à Cizre deux mois
auparavant, est retrouvé assassiné sur la route de Sirnak.
Le 16.2, la police annonce l'arrestation de 26
personnes à Izmir pour activités pro-PKK.
Le 16.2, des tireurs inconnus abattent le membre du
DEP Ömer Akpolat à Suruc, l'étudiant Hakan Yalcin et Recep Kutlay à
Diyarbakir. A Aralik, Tevfik Dogru et Isa Düzen sont victimes de
l'explosion d'une mine placée par les forces de sécurité.
Le 17.2, s'ouvre le procès de 20 avocats accusés
d'aider le PKK à la CSE de Diyarbakir. Au procès assistaient des
observateurs d'Amnesty International et des Associations de Barreaux de
l'Union Européenne. Les défendeurs affirment avoir été torturés pendant
leurs interrogatoires. La cour a décidé de relâcher huit des avocats
détenus.
Le 17.2, les forces de sécurité arrêtent le
maire-adjoint de Tatvan, Ahmet Engin, et dix autres personnes de cette
même ville, ainsi que huit personnes à Istanbul pour activités pro-PKK.
Le 17.2, des assaillants inconnus assassinent Mehmet
Yoldas à Diyarbakir, Yasar Akgün, Yakup Mete et Mehmet Ali Akyüz à
Midyat.
Le 18.2, le siège principal du Parti de la
Démocratie (DEP) à Ankara est détruit par l'explosion d'une bombe. Dans
l'attentant meurt Ekrem Akcakaya et 16 autres personnes sont blessées.
Le président du DEP, Hatip Dicle, accuse l'Organisation Contre-Guérilla
de mener une campagne d'attaques et attentats à la bombe pour empêcher
son parti de participer aux élections.
Le 19.2, Ömer Alevcan (28 ans), arrêté le 9 février
à Siirt, meurt dans un poste de police.
Le 18.2, des tireurs inconnus assassinent Mehmet
Tektas à Diyarbakir et Ahmet Demir à Cizre.
Le 19.2, une femme enceinte de trois mois, Zeynep
Bal, se plaint d'avoir été torturée au poste de police d'Adana suite à
son arrestation le 1er février. Selon elle, son mari, Hikmet Bal, est
toujours détenu et subit des tortures.
Le 19.2, à Izmir, la police tire sur un groupe qui
protestait contre la hausse des prix et blesse deux personnes.
Le 20.2, à Sason, l'ancien membre du DEP Nuri
Ekinci, blessé le 16 février par des tireurs inconnus, meurt à
l'hôpital.
Le 21.2, un groupe de protecteurs de village attaque
le village de Baglan à Lice, frappe les villageois et en blesse sept.
Il a également mit le feu à de nombreuses maisons.
Le 21.2, à Izmir, les forces de sécurité arrêtent 30
personnes.
Le 21.2, à Ankara, six employés municipaux sont
arrêtés pour activités en faveur du Dev-Sol.
Le 21.2, le membre de l'IHD Menderes Kocak et son
ami Murat Avsar sont arrêtés à Istanbul.
Le 21.2, des assaillants non identifiés assassinent
Mehmet Aktas à Diyarbakir et Ihsan Irgat à Cizre.
Le 21.2, le candidat du DEP à la mairie de Sincan,
Ahmet Kizil, est arrêté à Ankara.
Le 21.2, Ramazan Olgun et le professeur Mustafa Baz
sont victimes de meurtres politiques à Cizre.
Le 22.2, l'Association des Droits et des Libertés
(Özgür-Der) est fermée par le gouverneur d'Ankara parce que deux
membres de l'association sont en détention.
Le 22.2, une équipe de police intervient dans la
Prison de Type E de Diyarbakir, bat tous les prisonniers politiques et
blesse 25 d'entre eux.
Le 23.2, à Izmir, le travailleur Gürhan Tamer,
arrêté le 19 février au cours d'une manifestation, affirme avoir été
torturé pendant sa détention.
Le 23.2, le procureur de la CSE d'Izmir introduit
une action en justice contre 21 personnes pour activités pro-PKK et
demande la peine capitale pour quatre des défendeurs.
Le 23.2, la CSE de Diyarbakir commence le procès de
quatre représentants d'une association et d'un syndicat pour une
déclaration commune considérée comme étant de la propagande séparatiste.
Le 23.2, à Istanbul, onze personnes sont
arrêtées pour activités illégales.
Le 23.2, à Tatvan, un groupe armé attaque le village
d'Emek et abat cinq paysans.
Le 24.2, à Viransehir, 18 membres ou sympathisants
du DEP sont placés en détention par un tribunal. A Istanbul la police
arrête six personnes.
Le 24.2, le procureur de la CSE d'Izmir introduit
trois actions en justice contre la section d'Izmir de l'IHD pour
possession de publications interdites, organisation de meetings non
autorisés et apologie de traîtres. Par ailleurs, le président de l'IHD
d'Izmir, Yesim Islegen, et deux autres représentants, sont inculpés
pour avoir organisé un meeting.
Le 24.2, deux membres du DEP, Soner Tekes et Ahmet
Tekes, sont assassinés par des tireurs inconnus à Diyarbakir.
Le 24.2, les forces de sécurité tirent à l'arme
lourde sur le village d'Heybetli, à Sason, tuent six paysans et trois
enfants et blessent huit paysans et quatre enfants. Auparavant, les
villageois avaient décidé d'abandonner les forces pro-gouvernementales
des protecteurs de village. Suite à cette décision, le village fut
attaqué il y a un mois et sept maisons ont été incendiées.
Le 25.2, l'avocat kurde Tahsin Ekinci, kidnappé le
22 février à Ankara, est retrouvé avec sept balles dans le corps près
de la ville de Gölbasi.
Le 25.2, des tireurs inconnus abattent Giyasettin
Parlak à Tatvan, Yakup Bicak à Diyarbakir et Zeki Yilmaz à Yüksekova.
Le 26.2, le procureur de la CSE d'Istanbul intente
une action en justice contre 88 personnes pour activités pro-kurdes.
Onze des défendeurs risquent la peine capitale et des peines de prison
d'au moins trois ans.
Le 27.2, des tireurs inconnus assassinent Haci Hasan
Gümüs à Nusaybin et Cengiz Baskin à Diyarbakir.
Le 28.2, Yakup Cakto est victime d'un assassinat
politique à Batman.
DES AVIONS TURCS ATTAQUENT L'IRAK ET L'IRAN
Le 28 janvier, des avions turcs traversent les
frontières avec l'Iran et l'Irak et bombardent Zaleh et d'autres
villages abritant les bases du PKK. Le Premier Ministre Ciller décrit
cette attaque aérienne comme "la plus importante opération des dix
dernières années."
Bien que les militaires turcs affirment avoir écrasé
les quartiers militaires du PKK et ses bases d'entraînement, celui-ci a
tout nié et soutient qu'uniquement neuf militants sont morts pendant
les bombardements. Le PKK affirme également que deux avions turcs ont
été abattus et a invité les journalistes à visiter la zone où s'est
écrasé un F-4 turc. Un autre avion, un F-16, se serait écrasé sur
territoire iranien.
D'autre part, l'Iran a accusé l'armée turque d'avoir
bombardé des villages iraniens et affirme que neuf iraniens ont été
tués et 19 autres blessés au cours de l'attaque turque. Le gouvernement
iranien a demandé une compensation et des excuses officielles de la
Turquie pour la destruction de ces villages. Sur ce, le Ministère des
Affaires Extérieurs turc a confirmé le bombardement des villages
iraniens et a promis une compensation.
L'ambassadeur irakien à Ankara, El-Tikriti, a
également exprimé le mécontentement de son pays à propos du raid aérien
turc sur Zaleh.
Le quotidien Hürriyet affirme dans un reportage en
première page que l'attaque aérienne était destinée à détourner
l'attention électorale de la récente dévaluation de la lire turque de
13,6%.
Auparavant, le 12 janvier, les troupes turques
avaient pénétré de cinq kilomètres dans le nord de l'Irak à la
poursuite des militants du PKK.
Le 7 février, les avions et des hélicoptères turcs
ont bombardé deux positions du PKK dans les régions de la frontière
avec le nord de l'Irak.
LE LIVRE DE NAZIM HIKMET INTERDIT
Le département juridique du Ministère de la Culture
révélait le 15 février 1994 qu'un livre du célèbre poète turc Nazim
Hikmet avait été récemment interdit de manière illégale dans la ville
d'Ayvalik, province de Balikesir.
Le livre d'Hikmet, intitulé Memleketimden Insan
Manzaralari (Scènes du peuple de mon pays), avait apparemment été saisi
en vertu de l'Article 142 du Code Pénal, un article controversé aboli
officiellement en 1991.
On affirme qu'une cour criminelle d'Ankara, basant
sa sentence sur cet article abrogé, a ordonné l'interdiction du livre
et que cette décision est devenue définitive sans avoir été soumise à
un appel.
Le département juridique du Ministère de la Culture
a conclu que le livre, qui analysait les différents peuples vivant en
Turquie, était dépourvu de toutes sortes de provocation et
n'encourageait pas les conflits entre les classes sociales, comme le
prétendait la cour criminelle d'Ankara.
Le département juridique a ajouté que le Ministère
de la Culture avait demandé au Ministère de la Justice une annulation
de l'ordre de saisie.
UN REDACTEUR EN LANGUE LAZ INCULPE
Mehmet Ali Baris Besli, propriétaire et rédacteur en
chef du magazine Ogni -publié en langue Laz- était inculpé le 15
février 1994 par la Cour de la Sûreté de l'État pour séparatisme.
L'inculpation du bureau du procureur précise que
certains articles publiés en novembre 1993, dans la première édition du
magazine, affirmaient qu'à l'intérieur des frontières de la République
Turque il y avait une nation Laz avec sa propre langue, que cette
communauté était séparée de celle de la Turquie, et qu'elle devrait se
battre non seulement pour que sa langue soit officielle mais également
pour son indépendance.
Besli a nié les accusations de séparatisme,
soulignant que la culture Laz pouvait largement contribuer à
l'enrichissement de celle de la Turquie. Besli a ajouté que le Laz et
sa langue figuraient dans les dictionnaires turcs et que ceux qui
racontent des "blagues Laz" devraient également être jugés pour
séparatisme.
Le tribunal a ajourné l'audience, mais on pense que
Besli sera condamné à une peine de prison allant de deux à cinq ans et
à payer une amende de 100 millions de TL pour avoir disséminé des idées
contre la souveraineté de l'État.
PRESSIONS SUR LES MÉDIAS EN FÉVRIER
Le 1.2, le rédacteur du périodique Mücadele, Cafer
Cakmak est arrêté par la CSE d'Istanbul pour différents articles qu'il
avait publiés. Cakmak sera jugé pour propagande séparatiste et apologie
d'organisations illégales.
Le 1.2, le N° 90 de l'hebdomadaire Azadi, le N° 15
de Yeni Demokrat Genclik et le N° 118 d'Emegin Bayragi sont confisqués
par la CSE d'Istanbul pour propagande séparatiste.
Le 2.2, le sociologue Ismail Besikci est condamné
par la Cour Pénale N° 2 d'Ankara à neuf mois de prison pour un livre
dans lequel il critique les décisions de la Cour de Cassation.
L'éditeur du livre, Ünsal Öztürk, écope de la même sentence.
Le 2.2, le correspondant d'Aydinlik Ramazan
Pinarbasi est arrêté pendant les funérailles d'un membre du TDKP à
Adana.
Le 2.2, la correspondante à Igdir d'Özgür Gündem,
Meral Tikiz, arrêtée par la police le 21 janvier est placée en
détention par un tribunal. Elle se plaint d'avoir été torturée pendant
ses 13 jours de détention.
Le 2.2, la police fouille le siège d'Özgür Gündem à
Tokat et arrête l'employé Gürsel Eroglu.
Le 3.2, à Diyarbakir, la police arrête le
distributeur du journal Özgür Gündem Tarik Celik et confisque tous les
journaux.
Le 3.2, le rédacteur en chef de l'hebdomadaire
Nokta, Ayse Önal, et le correspondant Figen Turna, sont attaqués à
l'arme à feu par la femme d'un trafiquant.
Le 6.2, le correspondant d'Aydinlik, Nevzat Yilmaz
et celui de Gercek, Metin Göktepe, sont arrêtés par la police alors
qu'ils couvraient les funérailles d'un militant politique. Après sa
libération, Yilmaz a fait savoir qu'il a été torturé au poste de police.
Le 6.2, le N° 21 du périodique Özgür Gelecek et le
N° 14 de Partizan sont confisqués par la CSE d'Istanbul pour avoir fait
des louanges à diverses organisations illégales.
Le 7.2, les distributeurs d'Özgür Gündem Seyfettin
Öztürk et Erel Sütpak sont arrêtés à Urfa.
Le 7.2, le N° 28 du mensuel Hedef est confisqué par
la CSE d'Istanbul pour propagande séparatiste.
Le 8.2, le N° 91 de l'hebdomadaire Azadi et le N° 20
d'Iscinin Yolu sont confisqués par la CSE d'Istanbul pour propagande
séparatiste.
Le 8.2, deux correspondants d'Özgür Gündem, Bülent
Celik à Ankara et Ramazan Öcalan à Urfa, sont arrêtés par la police.
Le 9.2, le bureau d'Adana du périodique Mücadele et
le siège de Diyarbakir de l'hebdomadaire Gercek sont perquisitionnés
par la police.
Le 10.2, l'éditeur de Özgür Gündem, Yasar Kaya, et
le directeur de la Maison d'Édition Yurt, Ünsal Kaya, sont appelés à
comparaître devant la CSE d'Ankara pour un livre qu'ils avaient publié
à la mémoire de l'écrivain kurde Musa Anter, assassiné en 1992. Chacun
d'eux risque une peine de prison de cinq ans.
Le 10.2, le correspondant d'Özgür Gündem Orhan Cubuk
est arrêté à Ankara.
Le 10.2, le quotidien Aydinlik est confisqué par la
CSE d'Istanbul pour propagande séparatiste.
Le 10.2, le procureur de la CSE d'Istanbul intente
une action en justice contre le rédacteur de Gercek Pelin Sener pour
propagande séparatiste. Il demande également que l'on interdise la
publication du journal.
Le 11.2, le procureur public intente une action en
justice contre le journaliste de télévision Mehmet Ali Birand pour un
programme dans lequel il affirme que le porte-parole du PKK nie
certaines déclarations officielles concernant la guerre contre cette
organisation. Dans ce procès, qui se tient à la Haute Cour Pénale N° 5
d'Istanbul à la demande du Chef d'État-major, Birand risque une peine
de prison de six ans.
Le 11.2, le siège d'Ankara de l'hebdomadaire Gercek
est fouillé par la police et tout le matériel imprimé est confisqué. La
police fait également une descente dans le siège d'Adana du périodique
Taraf et arrête Kenan Turgut.
Le 11.2, le correspondant à Igdir d'Özgür Gündem,
Emine Serhat, arrêté par la police le 3 février, est placé en détention
par un tribunal.
Le 13.2, le correspondant à Diyarbakir du périodique
Özgür Halk Hüseyin Bora est arrêté par la police.
Le 15.2, le correspondant d'Özgür Gündem Ramazan
Öcalan, arrêté le 8 février, est placé en détention par un tribunal.
Le 17.2, un ancien rédacteur d'Özgür Gündem, Seyh
Davut Karadag, est condamné par la CSE d'Istanbul à quatre ans de
prison et à payer une amende de 572 millions de TL (31.778 $) pour
divers articles. La cour a également imposé une amende de 431 millions
de TL (23.944 $) au propriétaire du journal, Yasar Kaya, et a décidé de
fermer Özgür Gündem pendant un mois.
Le 17.2, la Cour de Cassation ratifie la sentence
imposée à l'ancien rédacteur de l'hebdomadaire disparu 2000e Dogru,
Adnan Akfirat. Le journaliste avait été condamné à un an de prison et à
payer une amende de 50 millions de TL (2.778 $) par la CSE d'Istanbul
pour un reportage sur les camps du PKK en Turquie.
Le 17.2, le correspondant à Viransehir du quotidien
Aydinlik, Osman Bayrak est arrêté par la police.
Le 18.2, l'ancien rédacteur d'Özgür Gündem, Mehmet
Emin Baser est placé en détention par la CSE d'Istanbul pour propagande
séparatiste.
Le 18.2, le N° 108 d'Emegin Bayragi et le N° 92
d'Azadi sont confisqués par la CSE d'Istanbul pour propagande
séparatiste.
Le 21.2, le siège d'Izmir du périodique Alinteri est
fouillé par la police et le correspondant Halime Özcelik est arrêté. A
Ankara, Davut Koc et Zafer Kirbiyik sont arrêtés pour avoir affiché des
posters d'Alinteri.
Le 22.2, le N° 93 de l'hebdomadaire Azadi est
confisqué par la CSE d'Istanbul pour propagande séparatiste.
Le 24.2, les dernières éditions des périodiques
Militan, Genclik et Odak sont confisquées par la CSE d'Istanbul pour
propagande séparatiste et antimilitariste.
Le 25.2, l'ancien rédacteur du périodique Toplumsal
Dayanisma, Ese Yilmaz, est condamné par la CSE d'Istanbul à 6 mois de
prison et à payer une amende de 50 millions de TL (2.778 $) pour
propagande séparatiste. Ce même journaliste est également condamné par
la Haute Cour Pénale N° 2 d'Istanbul à dix mois de prison et à payer
une amende de 1,5 millions de TL pour insulte aux Forces Armées.
Le 26.2, le N° 17 de Yeni Demokrat Genclik est
confisqué par la CSE d'Istanbul pour propagande séparatiste. A
Diyarbakir, la police saisit tous les journaux d'Özgür Gündem avant
leur distribution.
Le 28.2, le correspondant à Diyarbakir du quotidien
Aydinlik, Ahmet Sümbül, est jugé par la CSE de Diyarbakir pour un
reportage sur les militants du PKK. Il risque une peine de prison de 15
ans.
Le 28.2, à Izmir, les correspondants d'Aydinlik,
Eylem Sürer Kaya et de Yeni Asir, Deniz Sütcü, sont arrêtés par la
police alors qu'ils couvraient une manifestation d'étudiants d'écoles
supérieures.
LA PEUR ENCOURAGE L'EXODE CHRETIEN
Le 15 février 1994, l'agence Reuter publiait le
rapport suivant sur la situation des minorités chrétiennes dans le
sud-est de la Turquie:
Il y a cinq mois le Père Thomas Bektas prédisait que
l'émigration viderait son village chrétien dans le sud-est de la
Turquie en l'espace d'un ou deux ans.
Sa prédiction s'est avérées trop optimiste. Les
autorités turques ont ordonné aux derniers 200 habitants syriens
orthodoxes, catholiques et protestants d'Hassana, Kosrah en turc, de
quitter leurs maisons depuis toujours avant le 1e novembre.
Hassana se trouve au pied des montagnes Cudi,
sanctuaire des guérillas du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK).
"Il s'agit d'un des villages que nous avons évacués pour le soustraire
à l'énorme pression qu'exerçait sur lui le PKK", a déclaré Hüseyin Avni
Mutlu, administrateur nommé par l'État de la ville voisine de Silopi.
`Le PKK venait continuellement demander de la nourriture, des femmes et
des recrues." Les gens d'Hassana reconnaissent que des villages
musulmans kurdes voisins avaient également été évacués, mais nient que
le PKK les ait harcelés. "Nous n'avions pas de problèmes avec le PKK ou
le gouvernement", souligne le chef d'une des six familles qui se sont
réfugiées à Deir al-Zafaran, un ancien monastère situé près de la ville
de Mardin. "Ce fut une erreur de nous expulser en plein hiver", se
lamente le vieil homme aveugle d'un oeil et habillé d'amples vêtements
et un couvre-chef rouge. Le gouvernement avait promis une compensation
mais elle n'a jamais été versée.
"Nous ne pouvons pas tout vous dire", précise un
villageois d'Hassana. Les villageois syriens orthodoxes se plaignent
d'actes d'intimidation, allant du vol au kidnapping, par les voisins
musulmans, les gardiens de village kurdes payés par l'État pour
combattre le PKK, et le groupe musulman Hizbullah. Ceux-ci agiraient en
collaboration avec les forces de sécurité. Le gouvernement nie cette
accusation, formulée également par les nationalistes kurdes.
Selon les villageois, le PKK aurait tué quatre
chrétiens à Bülbül en 1990 parce que leur village aurait accepté des
armes fournies par l'État. Seule une douzaine de maisons sont encore
habitées à Bülbül. Mais la plupart des personnes y demeurant encore ont
demandé des visas pour rejoindre leurs familles en Allemagne, en
Belgique ou en Suède.
"Nous ne pouvons continuer à vivre ici", affirme un
fermier. Même le prêtre, déjà âgé, Yaacoub Guney, n'incite plus les
gens à rester. Je partirais aussi si je le pouvais", a-t-il dit.
Il montre le chemin jusqu'à l'église vieille de 1300
ans de Bülbül, où il conserve une énorme Bible manuscrite, et lit
couramment en syrien et en arabe les pages jaunies des écritures
syriaques. La présence orthodoxe syrienne dans le sud-est de la Turquie
remonte au sixième siècle, lorsque fut fondée l'église après un schisme
avec l'église orthodoxe à propos de la nature divine du Christ. La
communauté a survécu aux persécutions des croisades chrétiennes et des
Mongols, s'accrochant même après les massacres perpétrés dans les
derniers jours de l'empire ottoman.
Actuellement, le sentiment de menace dans une région
déchirée par la guerre de guérilla a accéléré ce qui est devenu un
inexorable exode. Selon l'évêque métropolitain Samuel Aktas, qui dirige
sa réduite paroisse du monastère Mar Gabriel, près de la ville de
Midyat, il reste à peine 1.000 Syriens orthodoxes dans le Sud-est. La
communauté, jadis florissante, comptait 70.000 personne dans les années
30 et 250.000 aux temps de la Turquie ottomane d'avant la première
guerre mondiale, mais n'a cessé de diminuer. Quelque 12.000 personnes
vivent encore dans l'ouest de la Turquie, principalement à Istanbul.
"Maintes fois j'ai essayé d'interrompre cet exode vers l'Europe, mais
je n'y suis pas parvenu", dit Aktas, un vigoureux ecclésiastique à la
barbe blanche âgé de 49 ans. "Au début, ils partaient pour des raisons
économiques, puis les familles ont suivi les travailleurs. Maintenant
tout se complique et nul ne sait ce qui arrivera. Nous gardons espoir",
poursuit-il. Non loin de la grille du monastère, gît la carcasse d'un
camion détruit par une mine quelques jours avant Noël. Probablement
posée là par le PKK et destinée aux gardiens de village, elle a causé
la mort à un chauffeur civil. Le mois dernier, Aktas a multiplié les
efforts pour obtenir la libération d'un prêtre kidnappé près de la
ville d'Idil. Le prêtre fut enterré jusqu'au cou et pendu par les pieds
à l'aide des chaînes pendant les quatre jours de captivité. Il y a un
an, un professeur de langue Syriaque était kidnappé sur la même route
où le prêtre a été enlevé et est resté captif pendant sept ou huit mois
avant d'être libéré, ajoute Aktas.
"Nous vivons dans la crainte", disent les villageois
d'un hameau près de la ville de Nusaybin, sur la frontière syrienne.
"Tout peut arriver." La plupart attendent des visas pour l'Europe, mais
les fermiers des villages musulmans voisins refusent d'acheter leurs
terres même si elles sont riches et fertiles. "Ils savent que bientôt
ils les auront pour rien", murmure sombrement un villageois. Un sapin
de Noël triste et poussiéreux occupe un coin de la pièce et des
villageois gisent sur des matelas autour d'un poêle à bois. "Il est là
depuis deux ans", plaisante l'un d'entre eux. "Dis-nous une chose",
demande-t-il. "Comment se fait-il que vous Européens ayez admis 99% de
notre peuple, mais ne concédiez des visas au un pour cent restant?"