DOSSIER SUR LA MONTEE ISLAMISTE
Le bloc d'extrême-droite confirme sa progression,
passant de 13,90% à 28,66% des votes en cinq ans. Pourtant, tous les
leaders de droite et les chefs de l'Armée ont été complices de la
montée de l'islamisme et de l'ultra-nationalisme depuis 1946. Ce
dossier est une compilation de l'information publiée jusqu'à ce jour
par Info-Türk, attirant constamment l'attention sur la montée du
fondamentalisme islamiste en Turquie depuis le coup d'état militaire de
1980.
Après les résultats chocants des élections du 27
mars 1994, confirmant l'incessante montée de l'extrême-droite, surtout
du fondamentalisme islamique, beaucoup d'observateurs se demandent si
la Turquie va devenir une deuxième Algérie dans un futur proche. Le
fait que l'extrême-droite, après être passée de 13,90% en 1989 à 28,66%
des votes en 1994, détienne actuellement 34 des 76 centres
provinciaux du pays, le Parti du Bien-être (RP) détient 28 provinces,
dont Ankara et Istanbul, et le Parti d'Action Nationaliste (MHP)
détient trois provinces, pourrait justifier une telle question.
Il est trop tôt pour attribuer au RP l'image du FIS,
car ce dernier a déjà fait partie intégrante du système politique turc
pendant plus de vingt ans et a participé à plusieurs gouvernements de
coalition, dont celui du CHP social démocrate d'Ecevit.
Cependant, le leader du RP, Necmeddin Erbakan, parle
sans cesse de remplacer l'ordre laïc par un ordre islamique et attaque
souvent la Communauté Européenne, qu'il qualifie de cinquième colonne
du sionisme. Par ailleurs, malgré sa rhétorique anti-impérialiste et
anti-américaine, il est clair que le RP a toujours maintenu des
relations religieuses, politiques, économiques et financières avec
l'Arabie Saoudite, championne du fondamentalisme islamique et principal
allié des États-Unis dans le monde islamique.
Encouragé par un soutien populaire croissant, le RP
pourrait adopter dans le futur une position fondamentaliste plus
radicale et entraîner le pays vers le modèle saoudien. Pire encore,
grâce la puissance politique dont il jouit en Turquie, le RP peut jouer
un rôle plus important en vue d'imposer le fondamentalisme islamique
aux autres républiques turcophones et aux communautés turco-musulmanes
des pays balkaniques.
Après leur succès électoral, les militants du RP et
du MHP n'ont pas hésité à convoquer de violentes manifestations à
Ankara et Istanbul sous prétexte de dénoncer les attaques des Serbes
contre la ville bosniaque de Gorazde.
Tout a commencé le 10 avril 1994, lorsque la chaîne
de télévision fondamentaliste TGRT a commencé à émettre des
informations non confirmées concernant un possible "génocide" de
Musulmans bosniaques. Il s'est répandu une rumeur selon laquelle les
Serbes utilisaient des armes chimiques et avaient causé la mort de
6.000 Musulmans bosniaques.
Ce qui est plus incroyable, c'est que le Premier
Ministre Tansu Ciller, sans consulter le Ministère des affaires
extérieures sur la crédibilité des premiers rapports n'a pas hésité à
formuler des déclarations laissant entendre leur véracité. "J'ai appris
avec le plus profond regret et horreur que les Serbes, qui encerclent
la ville musulmane de Gorazde, ont utilisé des armes chimiques dans une
attaque qui a coûté la vie à de nombreux civils, enfants et personnes
âgées", a-t-elle déclaré.
Suite à cela, des milliers d'islamistes et
ultra-nationalistes se sont rassemblés sur les principales places
d'Istanbul et d'Ankara en scandant des slogans sanguinaires et
perpétrant des actes violents. A Ankara, les principales cibles étaient
le bâtiment des Nations Unies -qui fut bombardé de pierres et s'est vu
obligé d'enlever son drapeau pour apaiser les foules-, l'ambassade des
Etats-Unis -ses jardins ont été envahis et ses fenêtres brisées- et la
mission commerciale russe, qui fut également arrosée de pierres.
Ils ont également attaqué le bâtiment de la radio et
de la télévision turques (TRT), ainsi que le siège du DYP. Tous deux
ont eu les fenêtres brisées et les reporters et cameramen ont été
frappés et bousculés.
Après les événements, le leader du RP, Erbakan, a
accusé le gouvernement d'être le "laquais de l'Occident" et a ajouté:
"Si vous continuez à vous comporter en laquais, la population se
soulèvera et manifestera à Istanbul et Ankara."
Affirmant que la Turquie ne connaîtra pas de calme
ou de stabilité jusqu'à ce qu'elle n'accepte "l'ordre juste" du RP,
Erbakan a ajouté: "La Turquie trouvera définitivement un ordre juste.
Soixante millions de personnes décideront si cette transition sera
aisée, difficile, douce ou sanglante."
COMPLICITE DE TOUS LES HOMMES POLITIQUES
Bien que le RP jouit maintenant du privilège de
représenter l'Islam sur la scène politique, la montée du
fondamentalisme islamique en Turquie ne peut être attribuée uniquement
à ce parti.
Après une période de 20 ans de réformes kémalistes
et pro-occidentales, l'Islam a spontanément regagné du terrain en
Turquie suite au passage au système multipartisme comme moyen
d'opposition des masses de paysans appauvris. L'Islam a progressivement
renforcé son influence parce que la quasi totalité des partis a joué la
carte de l'Islam pour s'attirer l'électorat croyant.
C'était déjà dans les années 40 que le Président
Ismet Inönü, le camarade le plus proche d'Atatürk, a fait la première
grande concession au mouvement islamiste en ouvrant des écoles
religieuses tandis qu'il fermait les instituts laïcs destinés aux
paysans.
Une des premières choses que fit le gouvernement DP
de Menderes lors de son accès au pouvoir en 1950 fut d'autoriser
l'appel à la prière en arabe au lieu du turc, d'encourager la
construction de mosquées et l'organisation de tarikats (ordres
religieux) illégaux.
Dans les années soixante, le gouvernement AP de
Demirel fit de son mieux pour impliquer les tarikats dans la vie
politique et s'en est servi pour contrer la montée des mouvements
progressistes et socialistes en Turquie.
Même aujourd'hui, à côté du RP et du MHP, tous les
autres leaders de droite, y compris la première femme Premier Ministre
de Turquie, Ciller, saisissent la moindre occasion pour donner d'eux
une image islamiste et ultra-nationaliste.
L'extrême-droite turque s'était développée avant le
coup d'Etat de 1980, à travers deux mouvements différents: d'un côté le
Panturquisme des Loups Gris et de l'autre: l'intégrisme islamique
encouragé par l'Arabie Saoudite.
Alors que les Loups Gris, organisés dans le Parti
d'Action nationaliste (MHP), véhiculaient l'idée de la
supériorité de la race turque et prônaient l'union de toutes les
personnes d'origine turque (y compris les musulmans d'URSS, des pays
balkaniques et des immigrés turcs à l'Ouest) au sein d'un empire
baptisé Touran; les intégristes islamiques, organisés dans le Parti du
Salut National (MSP) qui rejettent l'unité sur une base raciale,
avaient lancé l'idée de l'union des musulmans (y compris les Turcs
cités ci-avant) à l'intérieur d'une communauté religieuse guidée par
l'Arabie Saoudite.
La radicalisation de l'Islam en Turquie fut
renforcée après que l'Arabie Saoudite, avec le soutien ouvert des
États-Unis qui voulaient contrer le mouvement progressiste et
nationaliste dans le monde islamique, ait commencé à prendre sous son
influence d'autres pays islamiques par le biais du
Rabitat-ul-Alem-ul-Islam (Ligue Mondiale Islamique) dans
les années 60 et 70. C'est au cours de ces années que le radicalisme
islamique créa en Turquie son organisation politique, le Parti de Salut
National (MSP) et réussit à entrer au Parlement et à accéder aux
gouvernements.
La révolution iranienne donna un second élan au
fondamentalisme islamique dans les années 80. Bénéficiant également des
concessions de la junte militaire, qui voulait utiliser les masses
musulmanes contre les forces progressistes, il put facilement
s'infiltrer dans tous les services publics et les institutions.
Après le coup d'Etat de 1980, les militaires ont
réorganisé les structures de l'Etat turc en les conformant à la thèse
de la Synthèse turco-islamique, pour mettre fin au conflit qui oppose
les deux tendances de l'Extrême-droite et dans le but d'élargir la base
populaire du nouveau régime. Cette synthèse prévoit la promotion en
Turquie des valeurs traditionnelles de la race turque et des principes
de l'Islam.
La Constitution de 1982 et certaines lois dictées
par la junte militaire ont augmenté l'influence de l'Islam sur le plan
social et culturel, nuisant ainsi à la laïcité de l'Etat turc. Pour la
première fois dans l'histoire de la République que les cours de
religion islamique dans le secondaire ont été rendus obligatoires et
ce, même pour les enfants non-musulmans. Par conséquent, les holdings
financiers fondés par des cercles islamiques et dont le capital
provient, en grande partie, d'Arabie Saoudite, dominent actuellement
l'économie turque. Au cours des opérations militaires menées contre la
Guérilla kurde, l'Armée tout qualifiant son adversaire "l'ennemi de
l'Islam", a appelé les Kurdes musulmans à participer à la Guerre Sainte
(Djihad) qu'elle mène. (Pour la renaissance et montée du
fondamentalisme islamique, voir: Intégrisme islamique en Turquie et
Immigration, Info-Türk, 1987; The Extreme Right in Turkey, Info-Türk,
1988, et Turcs en Belgique, Info-Türk, 1992).
LES INTEGRISTES DANS LE ANAP ET LE DYP
Après l'arrivée au pouvoir d'Özal, le nombre de
concessions faites aux intégristes et ultra-nationalistes a
considérablement augmenté.
The Times du 11 septembre 1984 rapportait:
"Ils ont notamment, pris le contrôle de la
Radio-Télévision d'Etat (TRT) dont le nouveau directeur était une
ancienne figure du MHP. Un autre ex-membre du MHP est le secrétaire
d'Etat du ministre de l'Emploi. La dernière étape en date, encore plus
sinistre, est la nomination aux deux postes de directeur adjoint de la
Police nationale dont un était chargé au centre de torture d'Ankara
pendant le régime militaire précédent en 1971 et a depuis, été tenu à
l'écart. Tandis que le nom de l'autre a été vu dans les documents
secrets du MHP comme le futur directeur de la Police nationale une fois
le pouvoir pris. La question s'est posée, après de telles nominations,
si le coup d'Etat de 1980 était réellement une défaite pour le
terrorisme comme ses auteurs le clamaient."
Lorsque Özal a fondé le parti de la Mère-patrie
(ANAP) en 1983, il a confié à Mustafa Tasar, ancien sympathisant du
MHP, la fonction de secrétaire général.
Le premier gouvernement d'Özal comprenant de
nombreux sympathisants bien connus du défunt MHP: ainsi le ministre
d'État Halil Sivgin, le ministre d'État Kazim Oksay, le ministre d'État
Mesut Yilmaz, le ministre des communications Veysel Atasoy et le
sous-secrétaire Hasan Celal Güzel.
En plus, d'anciens activistes néo-fascistes étaient
élus maires dans un grand nombre de grandes villes comme Ankara,
Erzincan, Erzurum, Adapazari, Bingöl, Elazig, Yozgat, Gaziantep,
Antakya et Kastamonu. (Info-Türk, N°146, décembre 1988)
Au cours de son Congrès qui a eu lieu à Ankara du 20
au 25 juin 1988, le ANAP a réaffirmé la prééminence de la synthèse
turco-islamique à l'intérieur du parti.
Bien qu'Özal ait présenté son parti à l'Ouest, comme
libéral et pro-occidental, cette image ne peut pas cacher le fait que
le noyau dur de l'ANAP provient d'anciens hommes politiques
néo-fascistes et islamistes qui sont maintenant unis au sein de
l'Alliance Sacrée.
En dépit des prédictions selon lesquelles Özal
n'allait pas laisser l'Alliance Islamiste-Nationaliste balayer les
éléments libéraux du comité exécutif du parti, ces derniers n'ont pas
été élus au Conseil Central Exécutif des 50 membres.
Mehmet Keçeciler, chef du groupe islamiste et
Mustafa Tasar, chef de l'aile nationaliste, ont été ovationnés par les
délégués qui se sont levés à leur entrée dans la Salle de conférence.
La majorité des délégués ont demandé la réouverture
d'Ayasofya (Sainte-Sophie), la basilique byzantine d'Istanbul qui est
actuellement utilisée comme musée, à des activités islamiques. Des
prières ont été récitées depuis la tribune avec la participation de
près de 1.000 délégués. L'église Sainte-Sophie avait été construite en
537 par l'Empereur Byzantin Justinien. Elle est passée d'Église à
mosquée en 1453 après la prise d'Istanbul par Mehmet le Conquérant. En
1934, un décret d'Atatürk l'avait convertie en musée.
Özal lui-même n'a pas attendu pour se livrer à des
démonstrations religieuses à l'occasion du pèlerinage sacré (hajj) de
juillet '88.
Il avait déjà participé à deux reprises à ce rituel,
en 1968 et 1975. Mais c'était la première fois qu'il y participait en
tant que premier ministre de Turquie.
Après cette visite, l'ambassadeur saoudien à Ankara,
Abdelaziz M. Khojah, a déclaré que le pèlerinage d'Özal allait
renforcer l'unité musulmane. "L'importance de la visite d'Özal réside
dans le fait que c'est le premier chef du gouvernement, depuis
l'établissement de la République turque, à participer au Hajj alors
qu'il est encore en fonction." a-t-il dit. (Dateline, 30 juillet 1988).
Au même moment, lors d'une interview accordée au
réseau de télévision luxembourgeois RTL, Özal a défendu le point de vue
suivant, concernant Atatürk, fondateur de la République:
"Il était un bon musulman et c'est pour cela qu'il a
combattu les fanatiques. Atatürk a ouvert la première session de
l'Assemblée Nationale avec une cérémonie religieuse. Il était un bon
musulman mais il avait aussi des idées modernes. Le fait de dire que
ses principes sont abandonnés en Turquie d'aujourd'hui, est non fondé".
Selon des rapports de presse, de nombreux membres de
l'ANAP ainsi que le premier ministre lui-même, ont des liens avec
l'ordre religieux Naksibendi.
Ce tarikat s'attribue la plus grosse part des sommes
importantes distribuées par l'Arabie Saoudite, grâce au frère du
premier ministre, Korkut Özal, qui a des relations privilégiées avec
l'intégrisme saoudien. (Info-Türk, N°146, décembre 1988)
Après la prise d'influence sur la direction du parti
au pouvoir (ANAP) par l'Alliance Sacrée (coalition des Pan-Turquistes
et des fondamentalistes islamiques), c'était le tour du 2ème parti de
droite représenté au Parlement, le Parti de la Juste Voie (DYP) de
Süleyman Demirel, ancien premier ministre, de glisser vers le
fondamentalisme.
Le député DYP Ertekin Durutürk, très proche de
Demirel, a, en effet, déposé un projet de loi à l'Assemblée nationale
turque, demandant que le musée Ayasofya soit reconverti en mosquée et
que le Coran soit lu dans la section des reliques sacrées du Palais de
Topkapi.
Dans son projet de loi, approuvé par le groupe
parlementaire DYP, Durutürk dit: "Ceux qui ont fait taire en 1934, les
appels à la prière lancés depuis les minarets d'Ayasofya ont également
détruit une tradition vieille de 417 années qui voulait que le Coran
soit lu dans la chambre des reliques sacrées du Palais de Topkapi.
Cette décision constitue un remords de conscience pour la nation
turque". (Info-Türk, N°147, janvier 1989).
Finalement, le musée Ayasofya a partiellement été
réouvert à la prière islamique.
RENAISSANCES DES PARTIS EXTREMISTES
Bien que le ANAP et le DYP aient fait leur maximum
pour satisfaire l'électorat intégriste et ultra-nationaliste, après que
les anciens leaders aient été autorisés de reprendre leurs activités
politiques, le Parti du Bien-être (RP) de Necmeddin Erbakan, émanation
du Parti du Salut National (MSP), et le Parti Nationaliste du Travail
(MCP) de l'ex-colonel Alparslan Türkes, émanation du Parti d'Action
Nationaliste (MHP), ont commencé à récupérer leurs sympathisants.
Les élections locales du 26 mars 1989 ont
provoqué une véritable déroute dans les rangs de l'ANAP de premier
ministre Özal. l'image "occidentale" de la famille d'Özal, surtout de
Madame Özal s'affichant en public avec un verre de whisky dans une main
et un cigare dans l'autre alors qu'on assiste à l'ascension du
fondamentalisme en Turquie a été préjudiciable à l'ANAP lors de ces
élections.
Trois partis de l'opposition de droite ont mené leur
campagne électorale en accusant l'ANAP de ne pas tenir compte des
revendications des fondamentalistes et ont attiré ainsi, les votes des
nombreux électeurs conservateurs de l'ANAP. Une telle campagne n'avait
rien d'étonnant de la part du parti intégriste RP d'Erbakan et du parti
néo-fasciste MCP de l'ex-colonel Turkes. Mais cette fois-ci, le DYP de
l'ancien premier ministre Demirel s'est également livré à la démagogie,
allant jusqu'à revendiquer la transformation du Musée Sainte Sophie en
mosquée.
Mais ce n'était pas la seule raison de la défaite
d'Özal dans ces zones. La politique monétariste imposée par le FMI et
appliquée par Özal depuis maintenant huit ans, trois ans comme
vice-premier et cinq ans comme premier ministre, a provoqué un
appauvrissement de la paysannerie, des commerçants et artisans des
petits centres urbains.
Le nouveau parti d'Erbakan, RP, en augmentant
son score de 7% en 1987 à 9,8%, s'est attribué cinq mairies dont Konya,
une des forteresses du mouvement fondamentaliste. Il a également
gagné les postes de maire des capitales provinciales de Kahramanmaras,
Sivas, Sanliurfa et de Van, ainsi que ceux de 15 autres villes et 48
municipalités.
Le parti d'extrême-droite d'Alparslan Turkes, le
Parti nationaliste du Travail (MCP), a également amélioré son score
électoral en obtenant 4,2% des voix qui lui ont rapporté tois capitales
provinciales, 10 villes et 11 administrations municipales. (Info-Türk,
N°150, avril 1989 et N°151, mai 1989).
LA MONTEE ALARMANTE DE L'EXTREME-DROITE
Le résultat le plus alarmant des élections
législatives de 1991 était sans aucun doute la montée de l'extrême
droite, principalement dans les provinces de l'Anatolie centrale.
Le Parti du Bien-être (RP) de Necmeddin Erbakan,
grâce à son alliance avec deux autres partis d'extrême droite, est
passé en quatrième position avec 16,88% des votes et 62 sièges au
Parlement. Le résultat global de ces trois partis en 1987 fut de 10,84%
et ils n'avaient aucun député au Parlement.
Le Parti Nationaliste du Travail (MCP) d'Alparslan
Türkes, d'idéologie néo-fasciste, et le Parti de la Démocratie
réformiste (IDP) d'Aykut Edibali, d'idéologie fondamentaliste, durent
renoncer à participer aux élections avec leurs propres listes en raison
des barrages de 10% au niveau national et 20 ou 25% au niveau
provincial pour pouvoir être représentés au Parlement. Considérant le
fait que lors des élections de 1987, le MCP avait obtenu 2,9% et le IDP
0,8% des votes, les leaders de ces deux partis ont préféré de devenir
candidats sur les listes du RP.
Des 62 députés que comporte l'alliance, 40
proviennent du RP, 20 du MCP et 2 du IDP.
Bien qu'ils aient été arrêtés après le coup d'Etat
et mis en prison pendant quelques années, grâce à leur alliance avec le
RP, les plus célèbres des Loups Gris ont réussi à entrer au Parlement.
Parmi eux se trouvent aussi Muhsin Yazicioglu et Muharrem Semsek, deux
anciens présidents de l'Organisation de la Jeunesse Idéaliste (UGD),
organisation terroriste des Loups Gris; Ökkes Sendiller,
principal responsable du massacre de plus d'une centaine de personnes à
Kahramanmaras en 1978, Esat Bütün qui avait abattu 30 personnes à la
mitrailleuse dans un bus à Ankara.
Après avoir réussi d'entrer dans le Parlement, le
MCP a décidé de reprendre le nom de l'organisation des Loups Gris
de la période pré-coup d'état: le Parti d'Action Nationaliste (MHP).
Selon l'édition du 5 novembre 1991 du quotidien de
droite Tercüman, le RP se distingue des autres partis de droite par les
revendications suivantes:
- Les Communautés Européennes font partie du projet
de "Grand Israël". Au lieu d'adhérer à la CE, la Turquie devrait
développer un Marché Commun Islamique avec les pays islamiques.
- Dans le domaine militaire, la Turquie devrait
quitter l'OTAN et mettre sur pied, avec les autres pays islamiques, une
organisation de Défense Commune Islamique.
- L'Etat devrait mettre sur pied des cours de
Coran dans chaque village, une école supérieur religieuse dans chaque
district et une université de théologie dans chaque province turque.
- Les assemblées locales devraient être autorisées à
enseigner une autre langue dans les écoles (particulièrement l'arabe ou
le kurde) en plus du turc.
- En outre, l'enseignement divulgué exclusivement en
langue étrangère (principalement anglais, français et allemand) dans
certaines écoles supérieures et destiné à étendre les cultures
impérialistes dans le pays, devrait être aboli.
- Etant donné que le Coran considère que la pratique
d'intérêts constitue un péché, les intérêts sur les comptes bancaires
et les transactions commerciales devraient être interdits et la vie
économique devrait être réorganisée sur base "sans intérêts".
Le RP a toujours exprimé clairement qu'il est
absolument contre l'égalité des sexes. Les leaders du parti ont
récemment refusé d'engager des secrétaires femmes pendant
l'organisation du bureau de leur groupe parlementaire.
Pourtant, l'alliance d'extrême droite ne reçut pas
des votes uniquement des populations religieuses ou nationalistes, il
en obtint également dans les régions habitées par des petits
commerçants et producteurs. Le manifeste électoral du RP s'adressait
aux différentes catégories sociales, y compris les travailleurs. Le RP
promit une nouvelle direction administrative dans les lieux de travail,
comme par exemple la participation des travailleurs à l'administration
et l'impossibilité de licencier un travailleur sans l'autorisation du
Conseil Suprême d'Arbitrage.
Les différences idéologiques et les provocations
éventuelles des anciens Loups Gris peuvent provoquer à tout moment la
scission entre le RP et le MCP. Cependant, étant donné que 20 députés
suffisent pour former un groupe parlementaire, 20 députés du MCP
pourraient facilement à l'avenir quitter le groupe du RP.
Toutefois, avec les 40 députés restants, le RP
pourra jouer un rôle clé dans les négociations pour la formation d'une
coalition parlementaire.(Info-Türk, N°180, octobre 1991)
LE CHOC ISLAMISTE AUX ELECTIONS PARTIELLES
Le Parti du Bien-être (RP), d'idéologie
pro-islamique, porta un coup inattendu aux autres formations politiques
lors des élections partielles tenues le 1er novembre 1992 dans 23
municipalités, portant ses voix de 17,05% en 1991 à 24,52%.
Le plus grand choc s'est produit à Istanbul où le RP
récolta 26,95% des plus de un million et demi de votes valides et
devint la première puissance politique de la plus grande ville du pays.
A Istanbul, le Parti de la Mère-Patrie (ANAP), principal parti de
l'opposition, arriva en deuxième position avec 24,43% des voix, alors
que les partenaires de la coalition, le Parti Populiste Social
Démocrate (SHP) et le Parti de la Juste Voie (DYP), ne sont que
troisième et quatrième avec 17,31 et 14,24% des votes respectivement.
Dans l'ensemble des municipalités où se sont
déroulées les élections partielles, le RP a obtenu 24,52% des votes, il
est suivi de l'ANAP (22,85%), le SHP (19,15%), le DYP (16,68%), et le
Parti de la Gauche Révolutionnaire (DSP) d'Ecevit (12,83%).
La percée du RP est généralement perçue comme une
réaction des couches populaires contre la situation actuelle de la
Turquie, où les conditions de vie se détériorent rapidement. Bien que
la coalition DYP-SHP est arrivée au pouvoir l'année dernière avec la
promesse de réduire le taux d'inflation, les derniers chiffres montrent
que celui-ci (70%) est supérieur à celui de la période de l'ANAP.
Les rapports sur la corruption et les irrégularités
dans les municipalités contrôlées par les partis de la coalition ont
amené la population des bidon-villes à se révolter et à les remplacer
par les candidats du RP. Ces derniers soutiennent que seuls des maires
attachés aux valeurs religieuses peuvent mettre fin à cette situation.
Sur la scène politique, le RP est depuis les
élections de 1991, la seule force parlementaire à dresser une
opposition efficace à la politique répressive du gouvernement.
La récente frénésie de scandale et de loterie des
médias turcs, les programmes pornographiques des nouvelles télévisions
privées, le bouleversement général des valeurs morales traditionnelles
ont également joué un rôle important dans le nouveau choix politique
des masses conservatrices.
Mais le facteur le plus important est sans aucun
doute la spectaculaire organisation et la campagne électorale menée par
le RP dans les quartiers populaires tandis que les autres partis ne
parvenaient pas à faire preuve de vitalité et de
crédibilité.(Info-Türk, N°193, novembre 1992)
L'OFFENSIVE INTEGRISTE
Une série d'événements alarmants survenus au cours
des derniers mois, comme la transformation des funérailles d'Özal en
manifestation religieuse, des assassinats politiques commis par le
Hezbollah, un groupe islamiste armé à la solde de l'Armée en guerre
contre la guérilla kurde, des attaques contre un quotidien qui publiait
les Versets Sataniques de Salman Rushdie, des insultes lors d'une
émission de télévision contre la secte minoritaire alévite, des
déclarations osées des leaders du Parti du Bien-être (RP) et la
croissance effrayante de son organisation parallèle, Vision Nationale,
parmi immigrants turcs à l'étranger ont suscité une considérable
inquiétude parmi les forces démocratiques de la Turquie.
Les données concernant l'augmentation du nombre de
mosquées et d'institutions religieuses au cours des trois dernières
décennies montrent clairement l'ampleur de la croissance du mouvement
islamique en Turquie.
Selon les chiffres de l'Administration des Affaires
Religieuses, le nombre de mosquées en Turquie, qui était de 35.657 en
1963 et de 45.152 en 1973, est aujourd'hui de 66.674.
Le nombre de mosquées construites entre 1971 et 1981
tourne autour des 5.000. Le chiffre le plus spectaculaire correspond à
la construction de 19.000 mosquées depuis le coup d'Etat de 1980:
54.667 en 1984, 59.460 en 1986, 62.947 en 1988, 64.000 en 1990 et
66.674 en 1993.
Le nombre de mosquées turques à l'étranger est
d'environ 1.100, selon les mêmes sources.
Outre les mosquées, la Turquie dispose de 750 écoles
et lycées théologiques islamiques et quelque 5.000 cours de Coran.
L'Administration des Affaires Religieuses, affiliée directement au
Ministère de l'Etat, emploie plus de 85.000 personnes en Turquie et 691
à l'étranger.
On ne dispose pas de chiffres officiels concernant
le nombre de cours de Coran et d'écoles religieuses clandestins. Mais
les chiffres concernant les médias pro-islamiques peuvent donner une
idée de la croissante influence de ces mouvements.
Selon un sondage publié le 2 février 1993 par le
Turkish Daily News, ces mouvements possèdent 290 maisons d'édition, 40
journaux de tirage national et 300 publications périodiques locales,
100 stations de radio et 35 chaînes de télévision dans tout le pays.
Bon nombre des publications pro-islamiques sont
également imprimées et distribuées dans les pays européens. Un des
quatre quotidiens pro-islamiques, Milli Gazete, appartient au
mouvement Vision Nationale, représenté sur la scène politique par le
Parti du Bien-être (RP). Un autre quotidien pro-islamique, Zaman,
paraît déjà en Azerbaïdjan et en Bulgarie. Le holding islamist Ihlas
possède la plus grand quotidien islamiste du pays, Türkiye, et une
chaîne de télévision, TGRT.
Les chaînes de radio et de télévision pro-islamiques
diffusent fréquemment des extraits du Coran et des programmes produits
par la radio et la télévision d'Arabie Saoudite.
L'intégrisme islamique, après avoir gagné une force
politique et idéologique indéniable en Turquie, s'est mobilisé pour
propager son influence aussi bien dans l'immigration turque à
l'étranger que dans les pays turcophones de l'ancienne Unuion
soviétique et les communautés turques des pays balkaniques.
La Vision Nationale demande aux "1,5 milliards de
musulmans dans le monde qui se différencient de leur administration
sous influence occidentale" de s'unir sous le leadership de la Turquie
en étroite relation avec l'Arabie Saoudite.
Le leader du Parti du Bien-être (RP), Necmeddin
Erbakan, dans une interview concédée au Turkish Daily News le 12 mars
1993, affirmait: "Au cours des deux derniers siècles, l'Occident a
occupé les pays musulmans avec sa culture. Il avait quitté ces pays en
laissant derrière lui son influence. On devrait établir une Union
Islamique supranationale composées de 1,5 milliards de musulmans
partout dans le monde, depuis les Etats-Unis jusqu'en Australie. La
Turquie devrait assumer le leadership du monde islamique au lieu
d'entrer dans l'orbite occidentale".
Dans ses nombreuses déclarations, Erbakan qualifia
les Communautés Européennes de cinquième colonne du sionisme.
Le vice-président du parti, Sevket Kazan, au cours
d'une conférence de presse tenue le 29 mars 1993 au Parlement turc,
accusait la Communauté Européenne de demander à la Turquie de changer
son drapeau national pour pouvoir en devenir membre, et ajouta: "La CE
n'est pas lassée par l'étoile et la couleur du drapeau turc, mais par
le croissant de lune qui symbolise l'Islam. Après, ils nous demanderont
de changer de religion pour pouvoir accéder à la CE".
Il affirma également que le nombre des membres du
RP, qui tournait autour des 800.000 aux dernières élections, avait
grimpé jusqu'à 1.300.000 et qu'on s'attendait à ce qu'il atteigne les
deux millions pour la fin de l'année. Il ajouta que deux millions de
membres équivalaient à dix millions de voix, ce qui supposerait à peu
près 30% des votes. (Info-Türk, N°200, juin 1993)
LA MONTE DE LA VIOLENCE ISLAMISTE
Quant aux actes de violence politique des groupes
d'extrême-droite, ils ont repris depuis plusieurs années, en même temps
que la montée du mouvement intégriste en Turquie. Le 3 mai 1987, un
étudiant était assassiné par les Gardiens de l'Islam pro-saoudiens dans
la province orientale de Van parce que les étudiants ne jeûnaient pas
pendant le mois saint du Ramadan.
La première manifestation violente et massive des
Islamistes a eu lieu le 10 mars dernier contre Les Versets Sataniques
de Salman Rushdie et l'interdiction du port des vêtements islamiques
dans les universités. Plusieurs milliers de manifestants se sont
rassemblés devant l'entrée principale de l'université d'Istanbul, après
les prières du vendredi. Au lieu d'utiliser la force pour les
disperser, la police les a supplié de respecter la loi.
A Ankara, une foule de 1.500 personnes s'est
rassemblée devant la mosquée de Haci Bayram après avoir envoyé des
télégrammes de protestation du bureau de poste de Kizilay à la Cour
Constitutionnelle ainsi qu'au bureau du Premier ministre. Elle s'est
dirigée vers la Place Ulus en criant des slogans tels que: "Briser la
main qui veut enlever les foulards", "Mort à Rushdie" et "A bas le
Britannique et le sionisme israélien".
Necmettin Erbakan, leader du parti intégriste RP, a
déclaré que ces manifestations constituaient "une réaction populaire
tout à fait légale". Il a aussi exprimé son opposition à la
proscription des foulards. Quant à Oguzhan Asilturk, secrétaire général
du RP, il a présenté les manifestants comme des "combattants glorieux".
Le 13 mars, près de 600 étudiantes voilées ont
manifesté à l'Université de Téhéran. Elles brandissaient des banderoles
écrites en turc, en signe de soutien aux Islamistes de Turquie.
Le 14 mars, à l'occasion d'une de ses émissions,
Radio Téhéran a, quant à elle, traité de "laquais des États-Unis et de
l'Impérialisme" tous ceux qui s'opposent au port du foulard en Turquie.
(Info-Türk, N°149, mars 1989)
ATTAQUE INTEGRISTE CONTRE LES INTELLECTUELS
Le 5 mai, dernier vendredi du Ramadan, des milliers
de fondamentalistes se sont rendus à la mosquée, en arrêtant les
voitures et en battant les journalistes sous prétexte de célébrer ce
qu'ils appellent le "Jour de Jérusalem".
Les Fidèles, dont la plupart portaient une barbe,
des vestons sans revers et des calottes, ont arrêté le trafic pendant
des heures et ont utilisé les rues pour faire la prière du vendredi.
Après la foule a crié des slogans et brandi des pamphlets qui
commençaient par "Au nom de Dieu" et déclaraient que le dernier
vendredi du Ramadan est un jour de lutte pour les musulmans qui doivent
reprendre Jérusalem aux Israéliens.
Les manifestants se sont ensuite dirigés vers le
bâtiment du quotidien Hürriyet, qui se trouve à moins de 100 m de la
mosquée, en chantant des slogans tels que "Abat le Sionisme" et "La
police est avec nous".
Une fois arrivée en face du bâtiment, la foule a
protesté contre les prises de position "pro-sionistes" du journal. Des
photographes ont été attaqués et des journalistes qui essayaient de
couvrir l'événement ont été chassés par les manifestants. La police n'a
rien fait pour les arrêter.
Après que les manifestants aient dégagé la place
Cagaloglu, un groupe de reporters ont laissé leurs caméras dans la rue
en guise de protestation conter l'inaction de la police. Depuis, des
organisations de journalistes ont manifesté à Istanbul, Ankara et Adana.
Le premier ministre, Turgut Özal, a demandé aux
reporters de ne pas exagérer l'importance des événements de Cagaloglu.
(Info-Türk, N°152, juin 1989)
La terreur islamiste a de nouveau frappé en Turquie
le 31 janvier 1990, par l'assassinat d'un éminent professeur de droit
constitutionnel .
Le professeur Muammer Aksoy, âgé de 73 ans,
défenseur acharné du sécularisme, a été abattu à l'intérieur de
l'immeuble à appartements dans lequel il vivait, alors qu'il revenait
de son bureau. Des inconnus appelant divers journaux ont déclaré que le
professeur Aksoy a "été puni par les musulmans en raison de son
attitude hostile envers l'Islam". Les correspondants anonymes ont
revendiqué la responsabilité du meurtre au nom d'une organisation
demeurée inconnue jusqu'à ce jour: "Le Mouvement Islamique".
(Info-Türk, N°159, janvier 1990).
Le journaliste Turan Dursun, un ancien
ecclésiastique et chroniqueur de l'hebdomadaire Yüzyil, a été assassiné
le 4 septembre à Istanbul par des personnes non-identifiées. Dursun
quittait sa maison du côté asiatique du Bosphore lorsque des
assaillants tirèrent sept coups de feu dans sa direction. Ils est mort
sur place.
Défenseur de la laïcité, Dursun avait écrit de
nombreux articles critiquant la Sharia (la loi islamique) et durant six
mois, il avait reçu des menaces de mort. Dans une de ces lettres d'un
"homme d'affaires de Van", on signalait que s'il ne s'excusait pas
publiquement pour ses accusations contre les Musulmans, il payerait de
sa vie. Cependant, il n'a pas demandé la protection de la police contre
les menaces intégristes.
A l'annonce du meurtre de Dursun, la Radio de
Téhéran a déclaré que "le Salman Rushdie turc avait été tué". "Comme
Rushdie, a déclaré la Radio de Téhéran, Dursun a trahi et insulté
l'Islam et le Prophète Mohammed à plusieurs reprises." (Info-Türk,
N°167, septembre 1990).
Un mois plus tard, le rédacteur en chef du quotidien
Hürriyet, Cetin Emec a été abattu en octobre devant sa résidence. Les
assassins sont toujours inconnus.
L'un de journalistes les plus engagés dans la lutte contre
l'intégrisme, Ugur Mumcu a été assassiné le 24 janvier 1993 à
l'explosion d'une bombe placée dans sa voiture.
Le quotidien Aydinlik, après avoir commencé à
publier des extraits en turc des Versets Sataniques de Salman Rushdie
le 26 mai 1993, fut victime d'interdictions et d'une série d'attaques
et de menaces.
Premièrement, toutes les copies d'Aydinlik ont été
saisies après leur distribution en vertu d'une décision gouvernementale
interdisant l'entrée en Turquie du livre de Rushdie. Par ailleurs, le
procureur public d'Ankara ordonnait une enquête sur les responsables du
journal.
Le 28 mai, à Istanbul, après les prières du
vendredi, des centaines de fondamentalistes attaquèrent la maison
d'édition Kaynak, connue pour avoir des liens étroits avec Aydinlik, en
criant "Que soient brisées les mains qui se dressent contre l'Islam".
Les 29 et 30 mai, le bureau d'Izmir d'Aydinlik était
attaqué par des groupes de fondamentalistes, le bureau du journal à
Diyarbakir était incendié et un camion de distribution était également
attaqué.
Le 3 juin, des personnes non identifiées lançaient
des bombes incendiaires contre des kiosques à journaux à Gebze
(Istanbul) et Osmaniye (Adana).
A Ankara, les fondamentalistes ont distribué des
brochures portant des menaces de mort contre les distributeurs de
journaux et les propriétaires des kiosques s'ils continuaient à vendre
l'Aydinlik.
Les responsables du journal qualifièrent ces
attaques et la saisie des copies de l'Aydinlik de violation des droits
de la presse. (Info-Türk, N°200, juin 1993)
LE POGROME PAR LES ISLAMISTES A SIVAS
Le crime le plus odieux des Islamistes a été commis
le 2 juillet par un incendie criminel dans un hôtel provoquant la mort
de 37 personnes et causant des blessures à 60 autres dans la ville de
Sivas, située au centre de l'Anatolie. Toutes les victimes étaient des
invités, y compris les auteurs et poètes qui assistaient à un festival
culturel pour commémorer la mémoire du leader alévi, Pir Sultan Abdal,
exécuté au 16e siècle par les leaders ottomans.
Les alevis constituent la deuxième secte islamique
de Turquie, après les sunni, et se distinguent par une philosophie et
un mode de vie conformes aux normes d'une société civile. Ils se sont
toujours mis du côté des mouvements réformistes et progressistes et se
sont opposés aux politiques répressives des autorités de l'Etat. En
raison de cette attitude, ils ont souvent été victimes de la
discrimination de l'État ainsi que d'attaques et de massacres par les
fanatiques sunnis.
Il convient de signaler que les incidents se sont
produits dans une ville où la municipalité appartient au
fondamentaliste Parti du Bien-être (RP). Les fondations établies et
soutenues par le maire de Sivas, et membre du RP, sont les centres
principaux des activités anti-laïques. La Chambre de Commerce
provinciale fait savoir que la municipalité n'accorde pas
l'autorisation d'agir ou crée des difficultés à ceux qui ne font pas
des dons à ces communautés.
A Sivas réside également une importante communauté
alévi. Lorsque celle-ci a commencé à organiser une série de fêtes à la
mémoire de Pir Sultan Abdal, les représentants du RP ont tenté de
provoquer une confrontation avec les sunnis. Des dépliants signés par
les "Musulmans" et les "Musulmans de Turquie" lançant un appel à la
"guerre sainte" ont été distribués avant le début des festivités.
Les autorités de l'Etat, malgré les avertissements
de la population locale, n'ont prit aucune mesure et ont permis aux
groupes fondamentalistes de commettre une des atrocités les plus
honteuses de l'histoire de la République.
La présence de l'écrivain Aziz Nesin à Sivas servit
de prétexte pour inciter les gens à l'émeute. Il était déjà la cible
des fondamentalistes pour avoir publié des passages du polémique livre
de Salman Rushdie, Les Versets Sataniques dans le quotidien Aydinlik,
dont il est rédacteur en chef.
Un jour avant les émeutes, les journaux locaux
avaient attaqué Nesin pour les remarques qu'il avait faites au cours
d'un discours prononcé pendant le festival où il critiquait l'Islam et
se déclarait non croyant. Selon les observateurs, sans le prétexte
Nesin il se serait produit un autre incident, faisant sortir une fois
de plus les fondamentalistes de Sivas dans la rue et les dirigeant
contre les alévis.
Provoqué encore pendant les prières de vendredi, un
groupe initial de quelque 500-600 personnes a entrepris une marche dans
les rues de la ville chantant des slogans contre Nesin et le
gouverneur, Ahmet Karabilgin, qui fit ériger récemment un monument en
l'honneur de Pir Sultan Abdal devant le centre culturel de la ville.
Progressivement, les manifestants ont pris de la force et se sont
dirigés vers l'Hôtel Madimak où logeaient Nesin et les autres invités
du festival Pir Sultan Abdal.
Ils ont tout d'abord attaqué l'hôtel avec des
pierres et des bâtons. Des hommes ont essayé de grimper jusqu'aux
balcons du premier étage. Des milliers de personnes scandaient des
slogans en faveur de l'Islam. En état de siège, Aziz Nesin et d'autres
intellectuels qui se trouvaient dans l'hôtel ont appelé plusieurs fois
le leader du SHP et le vice-Premier Ministre Erdal Inönü, leur
demandant d'ordonner aux forces de sécurité de faire cesser l'attaque,
mais aucune aide n'arriva. Personne n'arrêta les et les forces de
sécurité n'ont pas été dirigées d'une manière coordonnée et active. Par
la suite on comprit qu'une telle attitude de la part des autorités
était due aux instructions et suggestions provenant d'Ankara, et plus
particulièrement du Président de la République.
Finalement, le soir, un groupe de manifestants mit
le feu à l'hôtel. "C'est le feu de l'enfer", criaient les manifestants.
Bien qu'Aziz Nesin fut sauvé au dernier moment et
put quitter Sivas escorté par la police, d'autres hôtes, y compris des
auteurs distingués comme Asim Bezirci, Muhlis Akarsu et Nesimi Cimen
sont morts dans l'incendie. La plupart des victimes étaient membres
d'un groupe Semah (danse traditionnelle alévi), qui se trouvait sur les
lieux pour assister au festival Pir Sultan Abdal.
Pendant ce temps, les manifestants s'attaquaient au
monument de Pir Sultan Abdal qui venait d'être érigé, le précipitaient
à terre pour l'y détruire.
Les autorités de l'État, qui n'ont pris aucune
mesure pour éviter le massacre, au lieu d'en poursuivre les
instigateurs, tentèrent d'accuser Aziz Nesin d'avoir incité les gens à
l'émeute par ses déclarations contre l'Islam.
Quant au nouveau Premier Ministre Ciller, elle
a choqué tout le monde au Parlement lorsqu'elle minimisa l'incident et
affirma que l'hôtel avait été brûlé par son propriétaire. Aussi bien
elle que les ministres du DYP formant partie de son gouvernement n'ont
à aucun moment prononcé un seul mot exprimant du regret pour les
incidents. Ils ont même refusé d'assister aux funérailles des victimes.
En fait, Ciller elle-même est une des grandes
responsables de la récente éruption de violence fondamentaliste. Dans
ses provocants discours, lors de la convention d'urgence du Parti de la
Juste Voie (DYP) où elle fut nommée présidente, elle exprimait
fréquemment le désir "d'entendre l'appel islamique à la prière (ezan)
dans chaque quartier turc" et faisait constamment allusion à Allah,
l'Islam et le drapeau turc. (Info-Türk, N°201/202, juillet-août 1993).
UN CHEIKH UL-ISLAM EN ALLEMAGNE
Le mouvement Vision Nationale a pris récemment une
série de mesures pour prendre en charge les familles d'immigrants et
légitimer les activités fondamentalistes grâce à l'insouciance et
parfois même au soutien de certaines organisations d'immigrants turcs.
Malgré des activités incompatibles avec la promotion
sociale et culturelle et l'intégration des immigrants, les
Organisations de Vision Nationale en Europe (AMGT) furent admises à
prendre place parmi les membres des fondateurs du Conseil des
Communautés Turques en Europe (ATTK), fondé l'année dernière sur
initiative d'un certain nombre d'organisations de gauche pour
représenter les immigrants turcs auprès des Communautés Européennes.
A coté de l'AMGT, font partie de l'ATTK les
organisations turques suivantes:
La Fédération des Associations Immigrées, GDF
(Allemagne), la Fédération des Associations des Travailleurs Turcs
(Suède), Türk-Danis (Belgique), le Conseil des Immigrés de Turquie
(France), la Fédération islamique (Hollande), l'Union des Travailleurs
Turcs (Hollande) et l'Union des Femmes turques (Hollande).
Dans un acte spectaculaire plus récent, le
Secrétaire Général des Organisations de Vision Nationale en Europe
(AMGT), Ali Yüksel réussit à se faire nommer Cheikh ul-Islam
(Représentant des musulmans) en Allemagne par le Conseil Islamique
Allemand (Der Islamrat in Deutschland) composé de 14 organisations
islamiques.
Des 140.000 membres du conseil, 80 pour cent sont
d'origine turque. Quelque 10 pour cent sont des musulmans allemands et
les autres 10 pour cent sont d'origine arabe, bosniaque ou d'autres
origines.
La plus puissante des organisations membres du
Conseil Islamique Allemand est l'AMGT. Parmi les autres associations
turques qui composent le conseil figurent également Cemaat-i Nur
(Communauté des croyants de la secte Nurcu) et l'Union Culturelle
Islamique Turque d'Allemagne (ATIB).
Le devoir du Cheikh ul-Islam est de contrôler les
relations entre les musulmans et l'État. D'après certaines rumeurs, le
Cheikh ul-Islam aura le pouvoir de prélever des taxes, comme les
églises catholique et protestante, si l'élection est ratifiée par les
autorités allemandes.
Cette élection a fait éclater une lutte de pouvoir
pour le contrôle de l'influence sur les musulmans d'Europe résultant de
leur croissance, due à la présence de deux millions d'immigrants turcs.
A la fin des années 70, le Süleymanci, un autre
groupe fondamentaliste actif dans la communauté turque d'Allemagne,
avait tenté de se faire enregistrer comme le représentant officiel des
musulmans d'Allemagne avec le pouvoir de prélever des taxes, mais avait
échoué suite à l'intervention de l'Administration des Affaires
Religieuses de Turquie.
Yüksel justifie son élection au poste de
"représentant des musulmans en Allemagne" en rappelant qu'il a réussi à
obtenir une concession des autorités allemandes: L'année dernière,
lorsque plusieurs musulmans turcs réagirent contre le caractère
obligatoire des leçons de natation, où leurs filles pouvaient se
trouver avec des garçons à moitié nus, les autorités allemandes
acceptèrent la proposition du Conseil Islamique Allemand. Maintenant,
les leçons de natation dans beaucoup d'Etats allemands ne sont pas
obligatoires pour les filles musulmanes. (Info-Türk, N°200, juin 1993)
"LA VISION NATIONALE" EN BELGIQUE
A la veille des élections locales en Turquie, le 26
mars 1994, l'AMGT a organisé un gigantesque meeting à Anvers à
l'occasion du 20e anniversaire de la reconnaissance de l'Islam en
Belgique.
A cette réunion ténue au Sporthal, le Cheikh
ul-Islam Ali Yüksel a soulevé la question de l'unification de tous les
Musulmans en Europe.
A la réunion se sont adressés également le
professeur P.S. van Koningsveld (Université de Leiden), les professeurs
Yahya Michot et Albert Martens (Université catholique de Leuven), le
professeur Verschueren (Université d'Anvers) et le Dr. Yassin D.
Beyens, président du Conseil Supérieur des Musulmans en Belgique).
L'organisation d'une telle réunion en Belgique avec
la participation des personnalités belges a été considérée comme une
nouvelle tentative de la Vision National en vue d'étendre son autorité
spirituelle à la capitale européenne. Une des objectives principales de
l'AMGT est de mettre sur pied en Europe des universités, syndicats et
partis politiques sur les principes islamiques.
Il y a quelques mois, l'AMGT avait tenu son congrès
annuel à Gand avec la participation du président du RP, Necmeddin
Erbakan.
Dans un acte destiné à propager le fondamentalisme
et à éduquer les jeunes filles comme prédicateurs, l'AMGT ont ouvert un
internat dans la ville d'Hensies, région de Mons, en Belgique.
Selon un rapport publié le 12 septembre 1992 par le
quotidien Milli Gazette, cette école se trouve sur un site de 19.000
mètres carrés acheté par le AMGT et dispose d'une capacité pour 350
étudiants. Il y a aussi 13 logements pour les professeurs.
Les cours se donnent à raison de 25 heures par
semaine, sont exclusivement en arabe et se basent sur le Coran. Bien
que le AMGT avait obtenu la permission des autorités belges pour ouvrir
ce centre, il n'a pas obtenu le statut d'école agréée parce que son
programme éducatif ne correspond pas aux réglementations des écoles
belges, qui exigent au moins 36 heures de cours par semaine selon le
programme éducatif belge avec des professeurs reconnus par le Ministère
de l'Education.
Au lieu de se soumettre à ces conditions, les jeunes
filles musulmanes reçurent l'ordre de quitter les écoles belges et de
suivre l'éducation religieuse uniquement en langue arabe. Elles sont
donc privées de toute éducation assurant leur promotion sociale et
culturelle.
Outre cette éducation à temps plein, de nombreuses
jeunes filles âgées de 10 à 18 ans se déplacent en Belgique depuis
l'Allemagne, la Hollande, la Suisse ou le Danemark pendant les vacances
d'été, de Noël ou de Pâques.
Le Chef de la Section de Formation de l'AMGT,
Abdullah Yüksel, déclara qu'ils prévoyaient la création de cours de
religion pour garçons. (Info-Türk, N°200, juin 1993).
INVESTISSEMENTS ISLAMIQUES EN TURQUIE
Derrière l'émergence du fondamentalisme se cache,
sans nul doute, la croissance du pouvoir économique du capital
islamique.
Les activités économiques du fondamentalisme
islamique en Turquie sont de moins en moins contrôlable et ce, à cause
de l'attitude favorable du gouvernement Özal à leur égard.
Les pays islamiques détiennent une part de 8% du
capital étranger total investi en Turquie. Fin 1988, le nombre de
compagnies fondées avec participation de capitaux islamiques atteignait
309, dont 134 à participation irakienne et 31 à participation
saoudienne. Le capital total investi par les États islamiques est
estimé à 64,3 milliards de LT (Cumhuriyet, 21.2.1989)
L'un des partenaires turcs les plus importants de
ces compagnies n'est autre que Korkut Özal, frère du premier ministre
turc. Il est le principal actionnaire des compagnies suivantes: Akabe
Insaat, Ozal-Bayraktar Oil and Chemical Products Co., Hak Investment
Co. and Akoz Commercial Advisory Co. Il détient également 0,1% du
capital de Al Baraka, la principale compagnie internationale
d'investissement d'Arabie Saoudite. (Milliyet, 12/1/1989)
Le capitale islamique apparaît comme le plus
empressé dans le domaine de la création de fondations. Le nombre de
fondations nouvellement créées en Turquie est passé de 754 en 1984 à
1.237 en 1988. Les biens des 483 nouvelles fondations sont estimés à
300 milliards de LT. Au moins 10% d'entre elles ont été créées dans un
but religieux. (Cumhuriyet, le 6 février 1988)
Le contrôle croissant que les fondations islamiques
exercent sur l'enseignement constitue une menace sérieuse pour le
caractère laïc de l'éducation en Turquie, qui est l'un des piliers de
l'Etat républicain. Ces dernières années, les cours coraniques se sont
multipliés à travers la Turquie, ils sont maintenant au nombre de
4.691, 633.000 enfants étudient le Coran en arabe par cœur, sans en
comprendre la signification (Cumhuriyet, 21.1.1989). Ces cours,
pour la plupart créés et administrés par des fondations islamiques,
forment les enfants suivant les principes de la Shari'a (loi islamique).
Quant aux écoles supérieures religieuses officielles
(Imam Hatip Okullari), leur nombre est monté à 384 en 1988.
Ainsi, le nombre d'étudiants qu'elles ont formé est passé de 178.000 en
1983 à 290.000 en 1988 (Cumhuriyet, 9.1.1989). La majorité
d'entre eux sont logés dans les dortoirs des fondations islamiques.
Récemment, un groupe d'Islamistes, dirigé par
l'ancien directeur de la télévision, Saban Karatas, a pris l'initiative
de fonder une université privée, Bezm-i Alem, pour étudier en
profondeur les bases des principes islamiques. (Hürriyet
30/1/1989)
La montée du fondamentalisme en Turquie s'illustre
également par:
Le nombre de personnes employées par la Direction
des Affaires religieuses est passé de 53.582 en 1984 à 84.717 en 1988.
Tous les ans, en Turquie, on construit au moins 1.500 mosquées. Dans
cinq universités d'Ankara, on en a inauguré cinq grandes et sept
petites. La circulation quotidienne d'un journal quotidien islamique,
Türkiye, est montée à 132.000 numéros et celle d'un magazine islamique
pour enfants à 100.000 exemplaires.
Le nombre de pèlerins turcs qui se rendent à la
Mecque est passé de 30.450 en 1984 à 285.724 en 1988.
(Cumhuriyet, 23.1.1989)
Un holding islamiste, Ihlas, représente un chiffre
d'affaires de 200 millions de dollars par an qui réinvestit ses profits
dans des opérations et qui est structuré comme une fondation caritative
musulmane. Ihlas possède le journal islamique le plus vendu, Türkiye.
Celui-ci possède une salle de prière dans ses locaux à Istanbul, et
dirige une chaîne de télévision fondamentaliste. Ihlas a également des
intérêts dans le secteur de la construction et les hôpitaux, publie et
distribue gratuitement des livres islamiques hors de Turquie.
(Info-Türk, N°208, février 1994)
RAPPORT SUR L'EDUCATION INTEGRISTE
La recrudescence de l'intégrisme
islamique a soulevé une polémique dans tout le pays. Récemment, les
hommes d'affaires turcs sont également entrés dans le débat en accusant
le gouvernement d'encourager l'infiltration des intégristes dans le
système éducatif turc.
Le 19 septembre 1990,
l'Association des Industriels et des Hommes d'Affaires turcs (TUSIAD)
fit paraître un rapport dans lequel elle critiquait la qualité de
l'enseignement en Turquie et qualifiait "d'inadéquat" le financement de
l'Etat à l'enseignement. "La Turquie arrive derrière les pays africains
pour ce qui est des dépenses destinées à l'éducation. En effet,
celle-ci ne reçoit que 2,7% du revenu national brut", affirme le
rapport.
Il dénonce aussi la prolifération
des écoles religieuses administrées par l'Etat et des cours privés de
Coran, et demande que tous deux soient strictement contrôlés.
Le rapport a mis en évidence
trois niveaux d'enseignement en Turquie:
"Les étudiants turcs fréquentent
soit des écoles religieuses administrées par l'Etat (destinées dans un
premier temps à former le clergé musulman), soit des écoles d'Etat de
faible niveau ou des écoles avec un programme scolaire en langue
étrangère.
Du système unifié et standardisé
qui existait avant 1980, l'enseignement turc fit un pas en arrière vers
le système à "trois niveaux", similaire à celui qui était en vigueur
lors des premières années de la République. L'intégrisme commence là où
échoue l'enseignement standard".
La principale critique adressée
par la TUSIAD au système éducatif concernait le privilège des lycées
privés. "Les écoles religieuses Imam-Hatip, créées au départ pour
former le clergé, ont été intégrées dans le système en tant
qu'institutions universelles rivalisant avec les autres lycées normaux
administrés par l'Etat."
Le rapport, qui accuse les écoles
Imam-Hatip d'être "anti-laïques", indique qu'en 20 ans, le nombre de
ces écoles a augmenté de 1.250%.
"Seulement 39.000 diplômés
Imam-Hatip ont été employés comme ecclésiastiques depuis l'ouverture
des écoles en 1951. Cependant, le nombre des étudiants s'élève à
433.200. Les chiffres s'appuient sur des informations provenant du
Département des Affaires Religieuses.
"Les écoles ont formé dix fois
plus d'étudiants qu'il n'y a de postes à pourvoir dans le clergé. En
1983, l'amendement apporté à la loi qui régit le statut des écoles
Imam-Hatip a autorisé leurs diplômes à accéder directement aux
universités, opération qui auparavant était interdite par la loi.
"Ces étudiants en théologie sont
donc dirigés vers un certain nombre de carrières. Des 9.931 étudiants
issus des écoles supérieures Imam-Hatip en 1988, seulement 981 ont
accédé aux sections de théologie des universités.
"Les écoles de l'Etat et les
écoles religieuses produisent deux sortes de personnes opposées entre
elles du point de vue culturel, social et religieux. Cette évolution va
à l'encontre de la Loi Tevhid-i Tedrisat (Loi de l'Unité Éducative)."
Le rapport adressait également
des critiques aux cours obligatoires de religion dans les écoles
primaires et secondaires, ainsi qu'à l'accroissement du nombre de cours
de Coran privés:
"Les inscriptions dans les écoles
Imam-Hatip devraient être limitées et les cours de Coran contrôlés par
le Ministère de l'Education. La plupart des sectes religieuses, jadis
interdites, ont été rétablies. Partout en Turquie, les étudiants des
cours de Coran font pression sur les enfants turcs pour qu'ils se
joignent à eux." (Info-Türk, N°169, novembre 1990).