ENCORE UNE MAUVAISE ANNEE POUR LES DROITS
DE L’HOMME
Lors de sa conférence de presse du 15 janvier,
l’Association des Droits de l’Homme (IHD), a donné une présentation
détaillée des violations des droits de l’homme en Turquie pour l’année
1994.
Le Secrétaire Général de l’IHD, Hüsnü Öndül a
déclaré que la situation des droits de l’homme en 1994 avait été bien
pire qu’au cours des années précédentes.
Voici les chiffres présentés par l’IHD:
Condamnations 1.209
Arrestations 14.473
Disparitions lors de détentions 328
Meurtres suspects 292
Exécutions extrajudiciaires et morts en
détention 298
Cas de torture présumés 1.000
Morts au cours d’affrontements
5.000
Victimes civiles lors de différentes
opérations 458
Villages et hameaux incendiés ou
évacués 1.500
Forêts incendiées 31
Organisations, partis et publications
interdits 123
Attaques contre des organisations, partis et
publications 119
Attentats à la bombe 191
Condamnations à des peines de
prison 533 ans et 5 mois
Amendes 55 milliards 725 millions
de TL
Peines de prison requises 1.081
ans et 6 mois
Amendes requises 7 milliards 233
millions de TL
Publications confisquées 450
Journalistes, intellectuels, écrivains, députés en
prison 100
Travailleurs renvoyés 700.000
Coût de la guerre contre le PKK: 12,5 milliards de $
Le Ministre de l’Intérieur, Nahit Mentese, a annoncé
le 28 janvier que le coût financier des combats contre la guérilla
kurde dans le sud-est du pays s’élève à 500 trillions de TL (12,5
milliards de $).
Toutefois, lors d’une réunion de l’Association des
Jeunes Hommes d'affaires d’Egée (EGIAD) à Izmir, Mentese a écarté
toutes les suggestions de solution politique, prétendant qu’un accord
avec le PKK se traduirait par une division effective de la Turquie.
Par ailleurs, le Ministre de l’Intérieur a
communiqué, le 16 janvier, les statistiques suivantes sur la guerre
contre le PKK :
Militants du PKK tués 4.060
Militants du PKK blessés 149
Militants du PKK capturés 11.852
Membres des forces de sécurité
tués 1.089
Membres des forces de sécurité
blessés 2.586
Civils tués 1.062
Civils blessés 1.775
En janvier 1995
En dépit des protestations des organisations
internationales, les violations des droits de l’homme ont
considérablement augmenté en janvier 1995 par rapport à la même période
l’année dernière.
Lors d’une conférence de presse le 20 février, le
Président de l’IHD, Akin Birdal, donnait les chiffres suivants :
Condamnations 253
Arrestations 1.233
Disparitions présumées lors de
détentions 28
Meurtres suspects 15
Exécutions extrajudiciaires et morts en
détention 12
Cas de torture présumés 23
Morts au cours d’affrontements 242
Victimes civiles lors de différentes
opérations 28
Villages et hameaux incendiés ou
évacués 16
Organisations et publications
interdites 7
Attaques contre des organisations et des
publications 25
Attentats à la bombe 19
Condamnations à des peines de
prison 10 ans et 6 mois
Amendes 1 milliard 434 millions de
TL
Peines de prison requises 113 ans
et 5 mois
Amendes requises 2 milliards 750
millions de TL
Publications confisquées 61
Journalistes, intellectuels, écrivains, députés en
prison 143
Travailleurs renvoyés 524
Birdal a déclaré que si la Turquie désirait le feu
vert du Parlement Européen pour l’union douanière, elle devrait changer
ses pratiques législatives et exécutives. Il a également passé en
revue les étapes nécessaires pour obtenir l’accord du Parlement
Européen comme suit :
- La mise en liberté immédiate de toutes les
personnes emprisonnées pour leurs opinions.
- L’abolition des articles significatifs du Code
Pénale turc et de la Loi Anti-terroriste qui ont permis les poursuites
judiciaires à l’encontre de personnes pour leurs opinions.
- Par conséquent, l’arrêt des procès en cours des
personnes poursuivies pour avoir exprimé leurs opinions.
- La modification de la législation sur la liberté
de presse et l’abolition de la censure.
- La libération des anciens députés DEP et
l’introduction des modifications nécessaires pour permettre à ces
députés de reprendre leur place au sein du Parlement.
- L’arrêt de l’oppression dont envers les membres
actifs des organisations de droits de l’homme.
- L’introduction des lois nécessaires visant à
empêcher la torture, la disparitions de détenus, les exécutions
extrajudiciaires et les morts mystérieuses.
- L’arrêt des évacuations et incendies de villages
dans le sud-est de la Turquie et l’approbation de compensations pour
les pertes encourues par les villageois.
- La dissolution des équipes de gardes de villages
et des corps spéciaux d’élite qui ont opéré dans cette même région.
- La fin de l’état d’urgence dans les provinces de
l’est et du sud-est et l’introduction d’un système démocratique civil.
EUROPALIA ALLA TURCA
Au moment où le régime d’Ankara fait l’objet de
maintes condamnations de la part des représentants européens élus,
notamment au Conseil de l’Europe et au Parlement Européen, et de la
part de la presse internationale, les gouvernements européens, sans se
soucier de l’opinion publique, ont accordé à ce régime assoiffé de sang
deux faveurs imméritées:
1. En vertu d’un accord, déjà signé le 31 janvier
1994, la Turquie sera le "pays vedette" de l’Europalia 1996.
2. Suite à un accord qui sera signé le 6 mars 1995
par le Conseil des ministres, la Turquie sera, à partir du 1er janvier
1996, plus proche de l’Union Européenne grâce à l’Union Douanière avec
les 15 pays.
Le Parlement Européen a annoncé le 16 février que la
situation des droits de l’homme était trop grave pour permettre la mise
en oeuvre de l’accord douanier en ce moment et que cet accord ne sera
pas ratifié tant que les droits de l’homme seraient bafoués.
Cette déclaration n’a toutefois pas empêché Mme Tansu Ciller de
proclamer haut et fort sa victoire historique sur les opposants du
régime.
Dans ce numéro, nous présentons le texte du
Parlement Européen et certaines préoccupations des media turcs sur les
conséquences de l’Union Douanière.
D’autres analyses sur l’Union Douanière et les
concessions européennes vous seront présentées lors de notre prochain
numéro.
Quant à l’affaire Europalia, en dépit des
avertissements des organisations des droits de l’homme, la Fondation
Internationale Europalia a écarté les candidatures de certains pays
démocratiques en faveur du régime d’Ankara et a signé l’accord pour
l’organisation d’Europalia 96-Turquie le 31 janvier 1994 à Istanbul en
présence du Ministre des affaires étrangères Hikmet Cetin.
Avant la signature de l’accord, le journal belge Le
Soir, dans son édition du 29 janvier 1994, disait: "Vu la situation
politique du pays et à quelques semaines des affrontements entre Turcs
et Kurdes sur le territoire belge, cela posait évidemment quelques
questions."
Une des questions principales était sans aucun doute
la suivante: "Comment la Belgique accueillera-t-elle les dirigeants
d’un tel pays aux festivités de 1996 alors que des hommes de culture et
de science, kurdes ou turcs, sont toujours la cible principale de la
terreur d’Etat?"
La Belgique considère-t-elle le respect de la
dignité humaine et des droits fondamentaux comme moins important que la
contribution financière de la Turquie à l’organisation de ce
festival? Comme cela a déjà été annoncé dans la presse turque, le
Gouvernement d’Ankara considère ce festival plus comme une conquête
politique plutôt qu’un événement culturel.
Avant la signature de l'accord, le Ministre turc des
Affaires Etrangères, Hikmet Cetin n'avait-il pas rencontré les hommes
d’affaire turcs pour leur demander d’attribuer le maximum de ressources
possible au festival dans le but de gagner la confiance de l’opinion
européenne et de faire oublier l’état déplorable des droits de l’homme
en Turquie.
Qui plus est, l’Anatolie étant le berceau de
plusieurs civilisations, comment l’exposition Europalia 96 peut-elle
diffuser la propagande d’un régime qui détruit systématiquement tous
les vestiges de ces civilisations?
Dans Le Soir du 29 janvier 1994, le baron Godeaux,
Président de la Fondation Internationale Europalia, reconnaissait que
la préoccupation financière l’avait emporté sur le respect des droits
de l’homme et des valeurs culturelles, justifiant ainsi le choix
honteux de la Fondation: "On nous a reprochés de ne présenter que la
culture de l'Etat-nation. Nous avons à maintes reprises cherché
d'autres formules mais sans l'aide des Etats, toute l'organisation
reposerait sur nos seules épaules, ce qui est impensable d'un point de
vue financier."
Les journaux pro-gouvernementaux turcs annonçaient
la signature de l’accord par les titres suivants : "C'est la Belgique
qui nous fera connaître à l'Europe", "Une occasion historique", "Les
drapeaux turcs à Bruxelles", "Une chance européenne pour la Turquie!"
En vertu d’une loi adoptée par l’Assemblée Nationale
turque le 22 septembre 1994, l’organisation d’Europalia 96 sera
réalisée comme une opération de la machine de propagande de l’Etat turc.
La loi décrit d’abord Europalia comme un "festival
qui consiste aux activités dans les domaines politique, économique,
commercial, culturel, social et touristique."
L’organisation du festival est dirigée par le
Conseil National Turc d’Europalia, présidé par un Secrétaire d’Etat et
composé des représentants des ministères des affaires étrangères, des
finances, de la culture et du tourisme.
Après la condamnation des députés DEP et la
dévastation des bureaux de l’Özgür Ülke, le rédacteur en chef
d’Info-Türk, Dogan Özgüden, par un article publié dans Le Soir du 23
décembre 1994, a demandé une fois encore à la Fondation Europalia
d’annuler Europalia-96 Turquie :
"Alors que le sociologue Ismail Besikci, qui est
turc, purge des peines de prison totalisant plus de soixante ans et
risque encore une centaine d'années supplémentaires aux procès pendants
pour ses écrits défendant l'identité et la culture kurdes, comment la
Belgique recevra-t-elle ses geôliers?
"Si l'on parle de la splendeur et de la richesse des
valeurs culturelles et artistiques de l'Anatolie, il faut admettre
qu'elles sont également l'œuvre de tous ses peuples autochtones. Car,
avant l'arrivée des Turcs en Anatolie, en 1071, les Kurdes, les Grecs,
les Arméniens et les Assyriens étaient déjà là.
"Or, ces peuples et leurs valeurs artistiques,
culturelles et religieuses sont systématiquement anéantis par le régime
d'Ankara. Il ne reste, à l'heure actuelle, que quelques dizaines de
milliers d'Arméniens, Assyriens et Grecs en Turquie. Leurs derniers
refuges culturels et religieux ne sont-ils pas menacés de destruction?
Quant aux Kurdes, leurs villages, leurs terres natales sont en flammes
sous l'assaut du chauvinisme déchaîné de l'armée turque et de
l'extrême-droite.
"Comment le Roi des Belges et les dirigeants
fédéraux, communautaires ou régionaux pourront-ils 'embrasser' les
représentants d'un tel régime sous prétexte de faire connaître la
richesse culturelle d'Anatolie?
"Europalia '96 est déjà un cheval de bataille pour
une diplomatie à la solde du terrorisme d'Etat.
"Toutefois, malgré cette décision maladroite,
surtout après la condamnation des députés kurdes, n'est-il pas pensable
de renoncer tout simplement à l'Europalia-Turquie, de le reporter à une
date ultérieure — celle où la Turquie fera la preuve de sa maturité
démocratique et n'emprisonnera plus ses hommes et femmes de culture et
de science, celle où tous les peuples créateurs de la splendeur
culturelle d'Anatolie, Arméniens, Assyriens, Grecs et Kurdes, ainsi que
les Turcs attachés aux valeurs démocratiques européennes, ne subiront
plus la terreur d'Etat.
"Cela nous paraît indispensable pour que l'Europalia
'96 ne risque pas de se transformer en festivités de la honte pour
l'Europe."
Cet article a suscité une réponse défensive de la
part de la Fondation Europalia, et une réaction très agressive de la
part de l’Ambassade de Turquie.
Dans leur réponse commune (Le Soir du 27 décembre
1994) le Président d’Europalia, le baron Jean Godeaux, et le
Commissaire Général, Marcel van de Kerckhove, tout en affirmant qu’ils
critiquent et réprouvent, autant que l’auteur de l’article, la
condamnation des députés kurdes, déclarent : "Bien sûr, le risque de
récupération politique existe. Mais notre public a toujours su faire la
part des choses. En agissant selon cette conviction, nous avons cru —
et nous croyons toujours — que nous ne prenons pas le parti de Créon
contre Antigone. (...) Nous pensons à cette parole des mémoires de Jean
Monnet: Nous ne coalisons pas des Etats, nous unissons des peuples."
Malheureusement, depuis lors la situation n’a guère
évolué. Bien au contraire, nous constatons une recrudescence
spectaculaire des violations des droits de l’homme. Mais personne
n’a entendu le moindre reproche de la part des représentants
d’Europalia à Bruxelles après les poursuites judiciaires à l’encontre
de deux intellectuels de renommée internationale, Aziz Nesin et Yasar
Kemal, ou encore après la condamnation à une peine de deux ans de Mme
Ayse Nur Zarakolu, éditeur, pour la publication du livre le Tabou
Arménien !
Le risque de voir Ankara se servir du Festival à des
fins politiques grandit de jour en jour. Pourquoi dans la loi
turque définit-on Europalia comme "un festival consistant aux activités
dans le domaine politique" parmi les autres? Qui se cache derrière ces
"activités politiques"?
Pourquoi le Conseil National Turc d’Europalia ne se
compose-t-il que de membres du gouvernement répressif et pourquoi n’y
a-t-il pas de représentants kurdes, arméniens, assyriens ou grecs dans
les comités ou sous-comités d’Europalia ?
Est-ce ainsi que l’on unit les peuples ?
Quoi qu’il en soit, puisque les préoccupations
financières sont plus importantes que les droits de l’homme pour les
dirigeants de la Fondation Europalia, ces derniers se réjouiront
certainement des 25 millions de dollars que la Turquie a déjà garantis
pour le budget d’Europalia, qui s’élève à un montant total de 40
millions de dollars.
La réponse du Conseiller de Presse de l’Ambassade de
Turquie (Le Soir, le 30 décembre 1994), à l’instar des autres
déclarations officielles, abonde en arguments insinuants et
paranoïaques : "Une fois de plus, M. Özgüden veille avec un soin
suspect à ne pas aborder le véritable problème auquel la Turquie se
trouve actuellement confrontée: l'action terroriste du PKK. (...) Ce
n'est pas en tirant à boulets rouges sur la Turquie que l'on arrivera à
annihiler son importance ni à la faire disparaître de la carte."
Dans une autre réponse injurieuse (Le Soir, le 10
janvier 1995) un fantoche de l’Ambassade de Turquie, tout en scandant
de manière hystérique "La Turquie appartient aux Turcs!", justifie la
persécution honteuse dont fait l’objet Besikci en ces termes : "Si
Monsieur Ismail Besikci est condamné malgré l'existence de maints
autres hommes et femmes de lettre en paix, c'est sa faute à lui. Car la
démocratie est faite d'un ensemble de règles à respecter et ces règles
sont appliquées à tout un chacun de façon égale et juste. Il vous faut
y penser!"
Oui, l’Europalia 96 soutenu par ces arguments s'est
déjà transformé en festivités de la Honte alla turca!
C’est maintenant à la Fondation Internationale
Europalia et plus particulièrement aux organisations belges des droits
de l’Homme qu’il appartient de méditer sur ce choix malencontreux!
CRITIQUES AU CONSEIL DE L’EUROPE
La Commission Permanente de l’Assemblée
Parlementaire du Conseil de l’Europe doit débattre à Londres le 15 mars
sur la proposition de suspendre la Turquie du Conseil en raison de la
situation sans cesse aggravée des droits de l’homme dans ce pays.
La proposition sera probablement renvoyée devant les Comités des
Affaires Politiques et des Affaires Légales.
La situation des droits de l’homme en Turquie avait
déjà fait l’objet de discussions au sein de l’Assemblée Parlementaire à
Strasbourg le 30 janvier. Beaucoup de parlementaires européens
avaient alors accusé le Gouvernement turc de ne pas avoir tenu ses
promesses sur cette question.
Dans sa présentation devant l’Assemblée du Rapport
de la Commission Permanente sur les Progrès Accomplis, le rapporteur M.
La Russa, regrette vivement le manque de progrès accomplis par les
autorités turques, qui manquent ainsi à leur parole.
La socialiste néerlandaise, Mme Baarveld-Schalman, a
fait savoir à l’Assemblée que le Groupe Socialiste exigeait la
suspension de la Turquie du Conseil de l’Europe.
"L’Assemblée et le Comité de Ministres ont été 'très
raisonnables' avec la Turquie. Toutefois, le Groupe Socialiste ne
veut plus être raisonnable, en dépit de l’annonce par Mme Ciller de
changements constitutionnels. Notre comportement conciliant n’a
eu aucun effet en Turquie, bien au contraire, les problèmes ont
empiré. Ces problèmes n’affectent pas seulement la partie de la
population qui se considère kurde. Je me souviens, par exemple,
du rapport tout à fait choquant présenté par le Comité sur la
Prévention de la Torture. Néanmoins, même après la lecture de ce
rapport, l’Assemblée n’a pris aucune décision."
Le socialiste britannique M. Cox déclara : "Mes
chers collègues de l’Assemblée parlementaire, le Parlement Européen a
été très acerbe dans ces critiques à l’égard de la Turquie et du procès
[des députés DEP]. Nos collègues turcs nous disent 'Ne nous
bousculez pas, nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir', mais,
avec tout le respect que je leur dois, nous avons entendu la même
rengaine année après année sans, malheureusement, constater aucune
amélioration. S’il y en avait eu une, est-ce que ces
parlementaires auraient vraiment été poursuivis ? Le délai est
écoulé et si, dans les prochains mois, nous ne constatons aucun
changement constitutionnel clair, nous devrions reconsidérer la
présence de la Turquie au sein de cette Assemblée."
Le député finlandais de la Coalition de Gauche, M.
Laakso, déclara : "La délégation du Conseil de l’Europe a visité la
Turquie en septembre dernier, sous la direction de notre Président,
Miguel Martinez. J’ai eu la chance de faire partie de cette
délégation. Nous avons rencontré le Premier Ministre et également
des représentants importants de la Turquie. Je reconnais avoir
été naïf de croire en leurs promesses. La délégation finlandaise
a précédemment demandé de reconsidérer les lettres de créance de la
délégation turque si cette politique de promesses ne se change pas en
une politique d’actes. Jusqu’à présent, je m’y suis opposé, mais
si cette politique ne change pas, nous devrons considérer un autre type
d’approche."
Mme Halonen, Sociale Démocrate finlandaise, déclara
: "La situation en Turquie n’est pas une situation facile, mais nous
avons été très patients. Nous avons peut-être été trop patients
pendant trop longtemps. Nous n’avons pas constaté l’évolution
positive que nous attendions. Je soutiens pleinement la décision
proposée aujourd’hui par le Groupe Socialiste."
RAPPORT SUR LA TURQUIE D’AMNESTY INTERNATIONAL
"Les forces de sécurité turques violent tous les
jours les droits de l’homme et il en sera toujours ainsi jusqu’à ce que
le Gouvernement turc mette un terme à la politique de rejet absolu," a
déclaré Amnesty International dans un rapport publié le 8 février 1995.
"Dans une tentative de dissimuler l’ampleur des
violations des droits de l’homme en Turquie, le gouvernement poursuit
des défenseurs turcs des droits de l’homme, ordonne la fermeture des
sièges des Associations turques pour les Droits de l’Homme et prend des
mesures qui visent à restreindre la liberté de la presse d’opposition
et des organisations politiques. En septembre 1994, l’informateur
d’Amnesty International pour la Turquie s’est vu refuser le droit
d’entrer dans le pays.
"La politique de rejet du Gouvernement turc provoque
un accroissement des tortures, 'disparitions' et exécutions
extrajudiciaires perpétrées en toute impunité par les forces de
sécurité dans tout le pays," extrait de la page 37 du rapport.
"En 1991, il y avait une 'poignée de rapports' sur
de telles disparitions et quelques-uns de plus en 1992. En 1993,
on en comptait au moins 26. En 1994, le nombre de 'disparitions'
s’élevaient à plus de 50.
"Quant aux exécutions extrajudiciaires, on en
dénombrait plus de 20 en 1991, 362 en 1992, plus de 400 en 1993 et 380
au mois de novembre 1994.
"Alors que des villageois dans les provinces du
sud-est de la Turquie placés sous état d’urgence sont encore les
victimes les plus fréquentes de violations, l’atmosphère d’impunité
dans laquelle les soldats sont autorisés à agir dans cette région
s’étend désormais à tout le personnel de police et des forces de
sécurité partout dans le pays.
"Les victimes de torture ne sont pas seulement des
opposants politiques présumés mais aussi des prisonniers de droit
commun. En décembre dernier, Abdullah Salman, un garçon de 13 ans, fut
injustement accusé d’avoir volé un portefeuille sur son lieu de
travail. Pendant sa détention préventive de trois jours, les
policiers ont bandé les yeux d’Abdullah qui a été ainsi rué de coups de
pied, battu et soumis à des chocs électriques."
Dans une page consacrée aux "violations des droits
de l’homme commises par les guérillas du PKK," les enseignants, femmes
et enfants des gardes de village tués par le PKK furent mentionnés.
"Le nombre croissant des violations des droits de
l’homme par les forces de sécurité dans le sud-est de la Turquie
coïncide avec les actions du Parti des Travailleurs Kurdes (PKK) qui a
organisé des 'exécutions' sommaires et tué des civils lors d’attaques
contre des communautés kurdes suspectées de soutenir le
gouvernement. Ces agissements se poursuivent malgré une
déclaration du PKK, en décembre 1994, selon laquelle il se conformerait
à l’Article 3 de la Convention de Genève qui protège les civils et les
prisonniers. Tout ceci tendrait à prouver que, contrairement aux
assurances données à Amnesty International, le PKK a adopté le meurtre
de civils comme politique ouverte," déclare le rapport.
A la fin de ce rapport on peut voir des photos et
lire l’histoire de huit activistes kurdes et d’un enseignant turc qui
auraient été torturé par les forces de sécurité turques, tués par le
PKK ou qui auraient simplement "disparu" sans laisser de traces.
Dans son rapport, Amnesty International donne une
série de recommandations spécifiques quant aux mesures urgentes que le
Gouvernement turc pourrait prendre dans l’immédiat afin de s’attaquer
de manière systématique aux violations de droits de l’homme.
L’organisation des droits de l’homme lance également
un appel à la communauté internationale pour transmettre son inquiétude
quant à l’escalade des violations des droits de l’homme en Turquie et
pour que des actions appropriées soient envisagées par des
organisations telles que la CSCE et les Nations Unies.
"En novembre 1994, une déclaration conjointe de
l’Union Européenne, l’Autriche, la Finlande, la Norvège et la Suède,
faite à l’occasion de la Conférence sur la Sécurité et la Coopération
en Europe (CSCE)tenue à Budapest, recommande vivement à la Turquie
d’inviter une mission de la CSCE qui serait chargée de faire le point
sur la situation des droits de l’homme dans le pays et qui formulerait
les propositions nécessaires pour amener des réformes. Jusqu’à présent,
la Turquie a refusé une telle mission.
"Les membres de la communauté internationale
devraient également s’assurer que les transferts d’équipements destinés
à l’armée et aux forces de sécurité ne contribuent pas aux violations
des droits de l’homme. Amnesty International a reçu des rapports
selon lesquels des véhicules blindés, hélicoptères et autres appareils
ont été utilisés dans des opérations des forces de sécurité dans le
sud-est de la Turquie à l’heure où des violations des droits de l’homme
ont été perpétrées. Dans plusieurs cas, des gens qui ont 'disparus' ont
été vus pour la dernière fois à bord des hélicoptères des forces de
sécurité. Parmi les pays qui fournissent cet équipement à la Turquie on
trouve, entre autres, la France, l’Allemagne, la Russie, le Royaume-Uni
et les Etats-Unis.
"Nous demandons aux gouvernements qui autorisent la
fourniture d’équipements destinés à l’armée et aux forces de sécurité
turques de s’assurer que ce matériel ne soit pas utilisé pour commettre
des violations des droits de l’homme. Les gouvernements qui ne
recevraient pas de garanties suffisantes et qui ne seraient pas en
mesure de contrôler l’utilisation réelle de cet équipement devraient
arrêter leurs approvisionnements." déclare Amnesty International.
CONDITIONS DU PARLEMENT EUROPEEN POUR L’UNION DOUANIERE
Lors de sa séance du 16 février à Strasbourg, le
Parlement Européen a adopté une nouvelle résolution qui décrit la
situation des droits de l’homme sous le régime d’Ankara comme "trop
grave pour permettre la mise en oeuvre en ce moment du projet
d’accord douanier."
Le même jour, le Parlement Européen a adopté une
autre résolution sur la persécution de l’écrivain Yasar Kemal.
La première résolution stipule que, même si l’Accord
d’Union Douanière entre l’UE et la Turquie était signé comme prévu à
Bruxelles le 6 mars, le Parlement Européen ne ratifierait l’accord qu’à
la seule condition de voir la situation des droits de l’homme
s’améliorer considérablement.
La résolution du Parlement Européen dit:
"Le Parlement européen,
"- vu les déclarations faites le 14 février 1995 par
le Conseil et la Commission au sujet de la conclusion d'une union
douanière entre l'Union européenne et la Turquie,
"- vu sa résolution du 15 décembre 1994 sur le
procès des députés turcs d'origine kurde de la Grande Assemblée
nationale de Turquie, et regrettant que le Conseil ne l'ait pas prise
en compte,
"- vu les négociations finales entre l'Union et la
Turquie sur l'union douanière, qui doivent, selon les prévisions, se
tenir au moment de la séance du Conseil "Affaires générales" des 6 et 7
mars 1995,
"A. sachant que les partis politiques turcs se sont
mis d'accord pour examiner les modifications à apporter à la
Constitution, lesquelles pourraient toucher les dispositions mêmes qui
étaient à l'origine du procès intenté aux parlementaires,
"B. reconnaissant cependant qu'Amnesty international
dans son dernier rapport, ainsi que l'Association turque des droits de
l'homme et la Fondation des droits de l'homme font état d'une
détérioration dramatique de la situation des droits de l'homme en
Turquie,
"C. considérant que, dans les accords avec des pays
tiers, la clause de conditionnalité des droits de l'homme est jugée
importante par toutes les institutions de l'union européenne;
"1. estime que la situation des droits de l'homme en
Turquie est trop grave pour permettre actuellement la constitution de
l'union douanière projetée;
"2. prie le gouvernement turc et la grande Assemblée
nationale de Turquie de procéder à une réforme en profondeur de la
Constitution, en sorte que soit mieux garantie la sauvegarde de la
démocratie et des droits de l'homme en Turquie, ainsi que d'oeuvrer en
faveur d'une solution du problème chypriote,
"3. demande a la Commission d'instaurer un système
de rapports intérimaires sur les modifications en cours de la
Constitution turque ainsi que, de façon plus générale, sur les mesures
prises ou à prendre afin de renforcer l'État de droit; rappelle à la
Commission et au Conseil que l'accord projeté sur une union douanière
entre l'Union européenne et la Turquie doit lu être soumis pour avis
conforme, avis qu'il entend donner à la lumière des rapports
intérimaires sur les progrès réalisés."
LE RAPPORT DES ETATS-UNIS ACCUSE LE GOUVERNEMENT TURC
Le rapport du Département d’Etat américain sur les
droits de l’homme, publié à Washington le 2 février 1995, offre une
chronique détaillée des violations des droits de l’homme qui auraient
été commises par les autorités turques en 1994. Un passage parmi les 36
pages du rapport sur la Turquie laisse entendre, suite aux informations
fournies par des diplomates américains à Ankara et dans d’autres villes
turques, que "la situation des droits de l’homme en Turquie s’est
nettement dégradée en 1994."
"Malgré la promesse en 1993 du gouvernement de
Ciller de mettre fin aux tortures et de fonder un état de droit basé
sur le respect des droits de l’homme, tortures et emploi excessif de la
force par le personnel de la sécurité ont persisté tout au long de
l’année 1994," déclare le rapport dans son introduction.
"La police et les forces de sécurité ont souvent
employé la torture pendant les périodes de détention et lors des
interrogatoires. Elle a constamment fait preuve d’une violence
excessive contre des non-combattants (dans le combat contre le PKK),"
ajoute le rapport.
"Plusieurs agences du gouvernement n’ont cessé de
harceler, intimider, inculper et emprisonner des rédacteurs en faveur
des droits de l’homme, des journalistes, des avocats et des professeurs
pour des idées qu’ils ont exprimées en public.
"Disparitions et meurtres mystérieux se succèdent à
un rythme assez élevé dans le sud-est. Le PKK et le Hezbollah
islamique (à ne pas confondre avec le Hizbullah libanais) ne semblent
pas être étrangers à certains cas. Dans d’autres cas, toutefois,
les preuves semblent impliquer les forces de sécurité gouvernementales.
"Dans beaucoup de cas des droits de l’homme, les
cibles de violations sont des Kurdes ou bien leurs sympathisants.
En outre, le gouvernement ne poursuit que très rarement des membres de
la police ou des forces de sécurité pour exécutions extrajudiciaires,
tortures et autres violations, et quand c’est le cas les poursuites se
soldent généralement par des verdicts très cléments. Le climat
d’impunité qui en découle reste probablement le plus grand obstacle à
la diminution d’exécutions illégales, tortures et autres violations des
droits de l’homme," conclut le rapport sur ce sujet.
Dans le rapport de cette année sur les violations
des droits de l’homme, seulement la Chine, avec 39 pages, dépasse la
Turquie qui en compte 36. Le rapport ne consacre que 16 pages à
la Syrie, 23 à la Serbie, 29 à la Russie, 32 à Israël et les
territoires occupés, 17 à l’Iran, 26 à l’Irak et 26 à la Grèce.
John Shattuck, secrétaire adjoint pour la
démocratie, les droits de l’homme et le travail, a fait remarquer lors
de l’introduction de son briefing au Département d’Etat que des pays
comme la Chine, l’Iraq, l’Iran, la Birmanie, la Corée du Nord et Cuba
s’étaient engagés sur le chemin des "violations flagrantes et
systématiques des droits fondamentaux de l’homme."
Mais il a également souligné que de telles
violations ne se limitaient pas aux gouvernements autoritaires.
"Tortures, arrestations arbitraires ou répression de la liberté
d’expression et d’opinion existent dans bien d’autres pays, comme par
exemple l’Arabie Saoudite, l’Egypte, l’Inde, le Guatemala et la
Turquie."
En parlant du "respect de l’intégrité, y compris la
liberté, de la personne dans les exécutions politiques et autres
exécutions extrajudiciaires" en Turquie, le rapport déclare de manière
catégorique que "les autorités gouvernementales sont responsables de la
mort de personnes qui se trouvaient officiellement en détention, de
suspects dans les attaques de maisons par les forces de sécurité; et
d’autres morts de civils dans le sud-est."
Le rapport indique également que selon la
législation turque les autorités sont tenues d’enquêter sur toutes les
morts survenues lors des gardes à vue mais que les poursuites contre
des membres des forces de sécurité sont très rares pour de tels cas.
"En dépit de l’abolition de la torture stipulée dans
la Constitution, de la présence de la Turquie aux Nations Unies et aux
conventions européennes contre la torture, et malgré les promesses
publiques faites par les gouvernements successifs de mettre un terme
aux tortures, ces pratiques ont toujours cours. Les représentants et
médecins des droits de l’homme qui s’occupent des victimes de tortures
déclarent que la plupart des personnes suspectés ou accusés de crimes
politiques subissent généralement des tortures lors de leur détention
préventive secrète aux postes de police et quartiers généraux de la
gendarmerie avant de passer devant une cour."
Selon le rapport, parmi les méthodes de torture les
plus fréquentes en Turquie, méthodes répertoriées par la Fondation
Turque des Droits de l’Homme, on trouve : "des tuyaux de jet d’eau
froide à haute pression, des chocs électriques, des coups sur la plante
des pieds, la pendaison par les bras, bander les yeux, la privation de
sommeil, la privation de vêtements, passages à tabac systématiques,
viols sur des femmes et des hommes à l’aide de matraques et, parfois,
de cannons de revolver."
"Dans le sud-est de la Turquie, un officier des
forces de sécurité s’est vanté d’avoir privé de sommeil un suspect
pendant six jours afin d’obtenir des aveux," déclare le rapport.
Etant donné que la Turquie reconnaît la juridiction
de la Cour Européenne des Droits de l’Homme et de la Commission
Européenne pour les Droits de l’Homme, le rapport souligne que les
citoyens turques ont le droit de porter plainte pour violations de la
Convention sur les droits de l’homme auprès de la Commission. Le
rapport ajoute que 250 cas sont en ce moment devant la Commission.
Le rapport poursuit en précisant qu’aucune
représentation légale ne peut être garantie pour les personnes dont le
cas dépend de la juridiction de la Cour de la Sécurité de l’Etat.
Cette cour couvre tous les cas de contrebande, ainsi que les crimes qui
tombent sous le coup de la loi anti-terroriste.
"Les représentants et organisations des droits de
l’homme affirment que cette lacune est un des facteurs principaux qui
contribuent à la poursuite et extension de l’emploi de la torture par
la police et les forces de sécurité. Dans ces cas précis, la
décision de permettre ou non l’accès à un conseil juridique revient au
procureur indépendant, qui en règle générale refuse tout accès,"
déclare le rapport.
En ce qui concerne les activités des Cours de la
Surêté de l’Etat (DGM) le rapport dit :
"En 1994, les Cours de Surêté de l’Etat ont surtout
traité des affaires qui tombaient sous le coup de la loi
anti-terroriste. L’Etat prétend que le but de ces Cours était de
juger efficacement ceux qui étaient suspectés de certains crimes.
En fait, la loi stipule que la période de détention avant lecture de
l’acte d’accusation pour les auteurs présumés de crimes tombant sous la
juridiction de ces cours peut être deux fois plus longue que
d’habitude. En outre, la Cour a le droit d’ordonner le huis clos
et d’admettre les témoignages obtenus lors des interrogatoires par la
police sans la présence d’un avocat."
En parlant du "respect de l’intégrité, y compris la
liberté, de la personne dans les cas d’usage de la force excessive et
de violations des droits de l’homme dans des conflits internes" en
Turquie, le rapport déclare que "la campagne de violence du PKK dans le
sud-est de la Turquie vise aussi bien les forces de sécurité que les
civils, dont la plupart sont des Kurdes accusés par le PKK de
collaboration avec l’état.
"La Police Nationale turque, la Gendarmerie et les
Forces Armées, de leur côté, mènent une campagne qui ne cesse de
s’intensifier et qui a pour but d’éradiquer le terrorisme, en
s’attaquant aussi bien aux unités actives qu’aux personnes qui sont
suspectées d’être des sympathisants du PKK. Cette campagne entraîne
bien entendu un nombre importants de violations des droits de l’homme.
"Le 26 mars, un avion de la Force Aérienne turque a
bombardé quatre villages dans la province de Sirnak, causant la mort
d’une vingtaine de personnes, selon la presse. Les journalistes
n’ont pas été autorisés à entrer dans la zone bombardée."
La section 2 du rapport sur la Turquie traite du
"Respect des libertés civiles, y compris la liberté d’expression et de
presse."
Dans les procès et condamnations des députés
pro-kurdes de l’ancien Parti de la Démocratie (DEP), le rapport du
Département d’Etat souligne les cas du Président de Syndicat Münir
Ceylan, du journaliste Haluk Gerger, de l’universitaire, le Dr Fikret
Baskaya et de l’ancien Maire de Diyarbakir, Mehdi Zana, tous condamnés
à des peines d’emprisonnement pour avoir exprimé leurs opinions par
écrit ou par d’autres moyens.
Dans cette section du rapport figurent les chiffres
du gouvernement turc selon lesquels 407 journaux, 490 revues et 35
livres ont été confisqués dans les neuf premiers mois de 1994.
Ce chapitre montre également que les programmes
diffusés en langue kurde sont toujours illégaux, alors que la
législation a partiellement levé l’interdiction sur l’usage du kurde.
"Le Président Süleyman Demirel a déclaré que la
télévision et l’enseignement en langue kurde constituaient des
concessions aux terroristes et ne devraient être autorisés que lorsque
ces derniers auront mis fin à leurs activités," indique le
rapport. Tout en précisant que le journal "pro-PKK" Özgür Gündem"
a été sans cesse harcelé depuis sa création en avril 1992, le rapport
du Département d’Etat déclare ce qui suit à propos de la couverture par
la presse des événements dans le sud-est :
"La couverture des événements dans le sud-est par la
presse turque est peu fiable, minimisant dans certains cas
l’information, et, dans d’autres cas, se laissant aller à un
sensationnalisme extrême. Le décret 430 du Gouvernement impose
l’autocensure de toutes les nouvelles en provenance ou sur le sud-est
et autorise, sur demande du gouverneur de la région, le Ministère
de l’Intérieur à interdire la diffusion des nouvelles qui donneraient
une mauvaise interprétation des événements dans la région. Pour
ceux qui ne respecteraient pas cet avertissement du gouvernement, le
décret prévoit une suspension de 10 jours, la première fois, et de 30
pour les récidivistes."
Le rapport du Département d’Etat se penche ensuite
sur les manifestations de cette année organisées par les fonctionnaires
turcs afin d’obtenir des droits syndicaux. Le rapport déclare que
l’une de ces manifestations fut dispersée par la police "à coups de
pied et de matraque." Quant à la liberté du culte et le cas
particulier des alévis, le rapport déclare ceci :
"La minorité musulmane alévite de Turquie (une
ramification du mouvement chi’ite de l’Islam) est estimée à au moins 12
millions. Malgré cela, les chefs religieux alévis ne reçoivent
aucune rétribution de la part du gouvernement et la communauté alévite
ne perçoit aucune subvention du Conseil d’Administration des Affaires
Religieuses. De plus, certains Alévis parlent de discrimination
pure et simple puisqu’il leur est impossible d’inclure des doctrines ou
croyances alévites dans les cours de religion à l’école. Les
Alévis sont mécontents de ce qu’ils appellent la tendance sunni dans le
Conseil d’Administration des Affaires Religieuses et de la politique du
Conseil selon laquelle les Alévis formeraient un groupe culturel plutôt
qu’un groupe religieux."
En ce qui concerne l’attitude du gouvernement
vis-à-vis des groupements ou organisations qui enquêtent sur les
violations des droits de l’homme, le rapport dit : "Les agents du
gouvernement ont constamment harcelé les représentants des
organisations pour les droits de l’homme, ainsi que les avocats et
docteurs qui rapportent les violations des droits de l’homme."
Le rapport ajoute que depuis 1991 le Parlement turc
a une commission pour les droits de l’homme mais que cette commission
s’est révélée "inactive et inefficace."
"Alors que des représentants de missions
diplomatiques qui désirent contrôler l’état des droits de l’homme en
Turquie peuvent parler librement avec les citoyens turcs, ces derniers
sont probablement intimidés par les agents de la sécurité," déclare le
rapport.
LES IRREGULARITES DU PREMIER MINISTRE
Le Premier Ministre le plus riche au monde, Tansu
Ciller, fut accusée par le principal parti d’opposition ANAP de cacher
le volume réel de sa fortune aux Etats-Unis.
Le Vice-président du groupe parlementaire ANAP a
révélé le 3 février les résultats d’une enquête menée par le bureau
d’avocats américain Kaye Scholer.
Selon ce rapport, la famille Ciller posséderait, en
plus des deux biens immobiliers officiellement déclarés, trois autres
propriétés enregistrés au nom de la compagnie CGD Inc. qu’elle détenait
aux Etats-Unis.
Il s’agirait d’un hôtel de 123 chambres, d’un centre
commercial et d’un immeuble à 18 étages.
La somme de biens de la famille Ciller aux
Etats-Unis s’élève à près de 4,7 millions de $. Dans sa
déclaration officielle du 20 janvier, le Premier Ministre a déclaré que
le montant de ses biens était estimé à 270.000 $.
Quant à la déclaration de Ciller selon laquelle elle
aurait acquis ces biens aux Etats-Unis pour un montant de 925.000 $
transféré de la Turquie par les voies officielles, Asik a précisé que
ceci ne reflétait pas la réalité, car la somme payée pour l’acquisition
de ces biens s’élevait en fait à 3,9 millions de $, auxquels vient
s’ajouter la dépense d’1,1 million de $ pour la réparation de ces
propriétés. Il a déclaré en outre que des devises étrangères
avaient été sorties en fraude de la Turquie afin de financer l’achat de
ces biens pour un montant total de 4,5 millions de $.
Asik a également laissé entendre que les sources qui
indiquaient le chiffre de 925.000 $ étaient plus que douteuses.
Il a ajouté que la société MARSAN, qui est la référence donnée par la
famille Ciller pour ce montant de 925.000 $, n’avait payé aucun impôt à
l’état entre 1987 et 1990 et que cette société avait seulement payé un
impôt de 23 millions de TL entre 1991 et 1993.
Par ailleurs, selon une enquête du Ministère des
Finances, beaucoup d’irrégularités de la part du mari du Premier
Ministre, Özer Ucuran Ciller, sont à l’origine de sa fortune. M.
Ciller, alors qu’il occupait le poste de directeur général de la Banque
d’Istanbul, a transféré des sommes considérables vers le Holding MARSAN
dont la famille Ciller était propriétaire. Les irrégularités de
M. Ciller ont provoqué la faillite de la Banque d’Istanbul, avec une
dette considérable de 50 milliards de TL. Le rapport précise que
le transfert des fonds vers MARSAN a été effectué avec "une mauvaise
intention et de manière délibérée".
La biographie de Ciller publiée dans le Britannica
Yearbook 1994 révèle qu’elle avait "amassé une fortune d’environ
soixante millions de dollars grâce aux spéculations immobilières."
L’UNION DOUANIERE : VICTOIRE OU CAPITULATION ?
Malgré le prestige qu’a procuré au Gouvernement de
Ciller la signature de l’Union Douanière avec l’Union Européenne, les
conséquences de cet accord ont récemment fait l’objet d’une polémique
en Turquie.
En fait, peu de gens savent ce que signifie
exactement une union douanière avec l’Union Européenne. Alors que
les milieux pro-gouvernementaux considèrent cet accord comme un pas de
plus vers l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne, et, par
conséquent, comme une victoire politique, beaucoup d’observateurs
soulèvent les questions suivantes :
- L’union douanière procure-t-elle un avantage
quelconque sur les pays d’Europe centrale et d’Europe de l’Est?
- Quelle sera la place de la Turquie, le seul pays
non-membre à obtenir l’union douanière en 1996, dans la théorie de
cercles concentriques de la France et de l’Allemagne, états moteurs de
l’UE ?
- Se trouvera-t-elle dans la catégorie des "pays à
deuxième vitesse de l’UE" ou dans la troisième catégorie avec "le reste
de l’Europe"?
- Ankara sera-t-elle capable de jouer un rôle de
leader dans la région méditerranéenne?
Convaincu de la signature de l’Union Douanière et
même de l’adhésion turque à l’UE, le Gouvernement d’Ankara a déjà
décidé de prendre des mesures afin de former le personnel nécessaire
aux futurs postes européens.
Le 19 février, le Ministre d’Etat, Ali Sevki Erek, a
annoncé la création d’une Académie de l’Union Européenne au sein de
l’Université d’Istanbul afin de former les eurocrates turcs.
Pour l’heure, l’académie offrira une formation de
quatre ans pour ceux qui désirent devenir des gestionnaires dans les
secteurs publics et privés ayant des liens avec l’Union Européenne.
Le rédacteur en chef du journal Hürriyet, Oktay
Eksi, a récemment qualifié l’union douanière de capitulation turque
face à une union internationale, parce que la Turquie n’aura rien à
dire dans la prise de décisions économiques et politiques de l’UE et
parce qu’elle sera, en vertu de cet accord, tenue d’appliquer ces
décisions même si celles-ci vont à l’encontre de ses propres intérêts.
Par ailleurs, le Turkish Daily News du 24 novembre
1994 résumait le pour et le contre de l’union douanière de la manière
suivante :
Le pour...
1. La suppression des tarifs douaniers dans les
secteurs tels que l’industrie textile et alimentaire, où la Turquie a
une grande compétitivité sur le marché international, pourrait se
traduire par une forte croissance économique. Le volume des
investissements et de l’emploi augmentera considérablement, d’autant
plus que ces secteurs emploient une grande partie de la masse
laborieuse.
2. L’adoption par la Turquie de tarifs douaniers
communs contre les pays tiers offrira les mêmes options
commerciales préférentielles dont bénéficient les Etats-Unis. En
outre, certaines industries auront accès à des marchés plus
intéressants grâce aux tarifs communs qui leur permettront d’accroître
leur compétitivité.
3. Les investissements étrangers, des Etats-Unis et
d’autres pays, dans l’industrie turque augmenteront de manière
significative. Cette augmentation ne se répercutera pas seulement
au niveau des emploi, mais permettra également de stimuler fortement
les exportations.
4. Les industries turques devront utiliser les
normes de productions européennes ce qui impliquera une large
utilisation de la technologie européenne. La Turquie devra
rénover sa technologie existante alors que les entreprises, surtout les
grandes sociétés, développeront leurs activités innovatrices. Les
experts prévoient une augmentation dans les dépenses pour la recherche
et le développement en Turquie après l’entrée en vigueur de l’union
douanière.
5. En termes macro-économiques, l’union douanière
aura l’avantage d’imposer une meilleure discipline économique à la
Turquie, qui n’aura d’autre alternative que d’adopter les pratiques et
règles américaines de gestion économique. Ceci pourrait, à moyen
et long terme, aider à construire une macro-économie stable. Les
disciplines administratives et de réglementation s’en trouveront
également améliorées.
6. Les consommateurs turcs auront une plus large
gamme de choix à de meilleurs prix et d’une plus grande qualité,
notamment dans les secteurs de l’automobile et de l’électro-ménager.
7. Les consommateurs turcs bénéficieront aussi de la
protection "d’un bouclier officiel" contre l’exploitation. La loi de
protection du consommateur, essentielle à l’union douanière, sera un
soutien légal pour la défense des droits de millions de consommateurs.
8. Les gains illégaux issus des violations des
droits d’auteur disparaîtront en partie lorsque la Turquie aura
légiféré sur cette question. On ne donnera plus à la Turquie le
nom de "pays des pirates".
9. Le gouvernement disposera de moyens pratiques et
légaux pour contrôler les accords de cartels dans le cadre d’une loi
sur la concurrence, qui représente un autre élément législatif
essentiel. Les lois antitrust faciliteront la protection des
consommateurs.
10. Il y aura un meilleur contrôle sur les problèmes de protection de
l’environnement. Les producteurs turcs et américains seront tenus
de réaliser des investissements en matière de protection de
l’environnement afin de soutenir leurs projets d’investissements
originaux. Les experts de l’environnement prévoient une plus
grande attention aux problèmes écologiques après l’union douanière.
... et le contre
1. Les secteurs turcs à faible compétitivité devront
faire face à une dure concurrence de la part de leur rivaux américains
et certains ne survivrons sans doute pas. L’industrie automobile (y
compris l’industrie de pièces détachées) est un des secteurs qui
pourrait bien souffrir de l’union douanière. L’électroménager, la
sidérurgie, les appareils électriques et les produits chimiques
constituent autant de secteurs critiques.
Les experts soulignent qu’au moment où certains secteurs à faible
compétitivité pourrait avoir des difficultés à survivre, d’autres
secteurs semblent avoir, à long terme, un avenir très prometteur,
en dépit de leur faiblesse actuelle face à la concurrence.
2. Tout ceci ne veut pas dire que les secteurs turcs
à forte compétitivité se trouveront dans une situation
confortable. Des secteurs presque identiques dans quatre pays
membres, l’Italie, le Portugal, la Grèce et la ...? sont très
compétitifs et pourrait ainsi entraîner une concurrence acharnée. Les
articles d’exportation traditionnels de la Turquie issus de l’industrie
du textile et de l’alimentation apparaissent également dans la liste
des dix premiers articles importés des Etats-Unis en 1993, ce qui donne
une bonne idée de la capacité de concurrence des Américains.
3. La chute de certaines industries provoquera de
nombreux licenciements, ce qui entraînera naturellement des problèmes
sociaux.
4. Les lois sur les brevets entraîneront une hausse
générale des prix dans pour les médicaments, ce qui aura pour effet
d’augmenter la dépenses encourues par le Gouvernement.
5. Les importations croissantes en provenance des
Etats-Unis élargiront encore plus le gouffre commercial de la Turquie,
augmentant ainsi le besoin en devises étrangères tout en provoquant la
baisse de la lire turque. Une dépréciation continue de la lire
turque entravera sans doute la construction de la stabilité économique.
6. Si la Turquie applique les tarifs douaniers
communs de l’Union vis-à-vis des autres pays du monde, les industries
nationales jusque là protégées contre les industries de certains pays
perdront leur protection. C’est pour cette raison que la Turquie
peut passer de l’état de vendeur de concessions à l’état d’acheteur de
concessions dans le commerce international.
7. D’un autre côté, la Turquie ne pourra plus
accorder de concessions aux partenaires commerciaux préférentiels. Ceci
pourrait mener ces pays à mettre fin aux concessions commerciales
accordées à la Turquie.
8. Lorsque la Turquie aura pleinement adopté les
tarifs communs, elle aura ainsi dressé un mur de protection contre les
Etats-Unis et le Japon. Dans de telles conditions, ces pays
pourraient revoir le statut actuel de la Turquie en tant que partenaire
commercial préférentiel.
9. Son appartenance à l’union douanière ne fait pas
de la Turquie un membre à parts entières de l’Union Européenne.
Par conséquent, la Turquie ne sera pas représentée dans les mécanismes
de prise de décisions de l’Union Européenne et ne pourra donc pas
défendre ses droits ni avancer ses arguments au cours des négociations.
10. La Turquie ne pourra plus compter sur les fonds
de logements sociaux (avec la perte de recettes que cela implique) ni
sur les droits de douane provenant de l’importation de produits
américains. Ceci aura comme conséquence directe de grever les
recettes fiscales de l’Etat, ce qui aggravera probablement le déficit
fiscal à moins que des mesures de redressement ne soient introduites.
LE JOURNAL ÖZGÜR ÜLKE REDUIT AU SILENCE PAR DES PROCEDES ILLEGAUX
Özgür Ülke, le seul quotidien qui défendait
ouvertement les droits du peuple kurde et révélait les atrocités
commises par les forces de sécurité dans le Kurdistan turc, fut
définitivement fermé le 4 février par décision d’une cour.
Une cour pénale d’Istanbul avait conclu le 2 février
que "Özgür Ülke était la continuation du journal Özgür Gündem,
aujourd’hui disparu, et que par conséquent sa publication était en
violation avec la Loi de Presse".
Cette loi stipule que "toute publication qui s’avère
être une continuation d’une publication fermée par ordre de justice, se
verra interdite de parution et sera confisquée".
La cour pénale a déclaré 24 décisions de fermeture à
l’encontre du journal Özgür Gündem. Ces décisions viennent
s’ajouter à une fermeture pour une durée de plus d’un an. Suite à
cette décision de fermeture de l’Özgür Ülke, le rédacteur en chef, Baki
Karadeniz, a annoncé le 4 février que "le journal n’était plus capable
de fonctionner."
L’Özgür Ülke (Özgür Gündem) restera dans l’histoire
de la presse turque comme le journal qui détient le record absolu de
copies saisies et de condamnations.
Rien que pour l’année 1994, on compte 102 numéros
sur 104 du journal Özgür Gündem, publié jusqu’au 14 d’avril, qui ont
été confisqués par la Cour de Surêté de l’Etat. Quant au journal
Özgür Ülke, 220 numéros sur 247 ont également été confisqués. Le
2 décembre, les bureaux de l’Özgür Ülke à Istanbul et Ankara sont
détruits par l’explosion d’une bombe placée par les forces occultes,
qui avaient réagi suite aux instructions confidentielles du Premier
Ministre Ciller leur autorisant de réduire au silence ce journal coûte
que coûte.
Récemment, par décision du Conseil National de
Sécurité, pratiquement chaque numéro du journal Özgür Ülke était
confisqué dans l’imprimerie avant sa distribution. Le numéro
était alors réimprimé avec des colonnes vides et un cachet portant
l’inscription "Censuré" à la place des articles originaux. Mais les
forces de sécurité, considérant ceci comme un nouveau délit, ont
également confisqué ce dernier numéro. Beaucoup de journalistes
de l’Özgür Gündem/Ülke ont été assassinés, arrêtés ou encore condamnés
à de lourdes peines de prison et à des amendes impayables. Plus
de 20 journalistes ou ouvriers de l’Özgür Ülke se trouvent encore en
prison. Même les distributeurs et vendeurs du journal sont
devenus des cibles d’assassinats et harcèlements.
Voici quelques exemples récents de ces pratiques :
Le 4.1, le correspondant du journal Özgür Gündem à
Diyarbakir, Salih Güler, est arrêté par une équipe de police.
Le 16.1, les correspondants de l’Özgür Ülke à
Mardin, Hüsnü Akgül et Hidayet Pehlivan, sont arrêtés lors d’une
descente de police au bureau local du journal.
Le 19.1, le correspondant de l’Özgür Ülke à
Diyarbakir, Ismail Hakki Kelleci, est arrêté par la police.
Le 24.1, la police opère une descente au bureau de
l’Özgür Ülke à Van et arrête le correspondant du journal, Dogan
Denizhan.
Le 30.1, le correspondant de l’Özgür Ülke à
Diyarbakir, Salih Güler, arrêté le 4 janvier, a déclare après sa
libération qu’il a été torturé. De plus, le siège de l’Özgür Ülke
à Diyarbakir est une fois encore la cible d’une descente de police, au
cours de laquelle cinq correspondants, Zekine Türkeri, Vedat Percin,
Adil Denk, Mehmet Emin Alagöz et Cengiz Kirik, sont arrêtés.
Après leur libération, ces journalistes ont déclaré avoir subi des
tortures au poste de police.
Le 9.2, la police opère une descente au siège de
Özgür Ülke à Diyarbakir et arrête deux personnes qui se trouvaient sur
les lieux.
UN NUAGE NOIR PLANE SUR LA TURQUIE (*)
Yasar Kemal
Une des plus grandes tragédies de l'histoire de la
Turquie est en train de se jouer en ce moment. A l'exception de
quelques voix hésitantes, nul n'ose exiger du gouvernement turc qu'il
explique le pourquoi de toutes ces destructions. Personne n'ose dire :
"Malgré tous vos engagements et promesses, vous appliquez la politique
du jugement dernier, ne laissant que terres brûlées derrière votre
passage. Qu'adviendra-t-il de tout ceci?"
Pour utiliser une image, les gouvernements turcs ont
décidé de vider la piscine pour attraper le poisson; ils ont déclaré
une guerre totale.
Nous avons déjà pu observer leur méthode. Le monde
entier la connaît. Seul la population turque est maintenue dans
l'ignorance car les journaux sont tenus d'omettre toute allusion à ce
nettoyage. Mais peut-être qu'après tout la censure était inutile:
peut-être que notre presse, douée d'un patriotisme et du nationalisme
exacerbés, a choisi de ne pas en parler pensant que le monde n'en
saurait rien pour autant. Mais l'eau de la piscine était évacuée avec
une telle force que les éclaboussures sont arrivées très loin. Pour
notre presse, tromper le monde et notre population — ou plutôt le
croit-elle — constituait le plus grand acte de patriotisme et de
nationalisme. Elle ne réalisait pas qu'elle commettait un crime contre
l'humanité. Leurs jeux injectés de sang, leurs bouches écumantes, ils
criaient tous à l'unisson : "Nous ne céderons pas une pierre, pas un
pouce de terre." Des cris de "Oh Dieu" se sont élevés dans le ciel.
Chers fidèles et patriotiques amis, personne ne veut nous prendre une
pierre ou un pouce de terre. Nos citoyens kurdes veulent uniquement
garder leur langue et leur culture, que l'on cherche à faire
disparaître.
Nos frères kurdes, avec lesquels nous avons toujours
partagé joies et tristesses, font maintenant la guerre pour conquérir
leurs droits. Pendant la guerre d'indépendance nous avons combattu
côte-à-côte. Est-ce qu'un homme peut supprimer la langue de son frère ?
Ami, y a-t-il quelque chose dans les déclarations
que tu as signées -la Charte des droits de l'homme des NU, le Conseil
de l'Europe, la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe
et l'Acte Final d'Helsinki- qui permette d'affirmer que si je respecte
les droits fondamentaux de mon peuple, il demandera l'indépendance
? As-tu apposé une telle condition ? Dans les déclarations que tu
as signées n'était-il pas stipulé que chaque nation ou communauté
ethnique devait disposer de sa propre destinée ?
Mais l'eau atteint déjà son niveau minimum. Les
maisons de près de 2.000 villages ont été brûlées et avec elles de
nombreux animaux et même des personnes. La presse mondiale en a parlé,
et même notre presse si nationaliste. Cependant nos illustres médias
poursuivent la politique de l'autruche, le pays est plein de sang mais
ils gardent la tête dans le sable.
Ce drainage des eaux a déjà coûté très cher à la
Turquie, et à l'humanité dans son ensemble. Et l'addition ne cesse de
s'alourdir. Déjà plus de 1.700 personnes ont été assassinées par des
inconnus. Les intellectuels occidentaux commencent à se demander si un
nouveau génocide n'est pas en train de se produire; la possibilité
qu'un tribunal des droits de l'homme juge les dirigeants turcs et que
soit décrété un boycott contre la Turquie, fait actuellement l'objet
d'un débat. A vous de choisir entre ces charmantes alternatives!
L'aspect le plus horrible de cette guerre totale est
son caractère, et ce juste pour attraper quelques "poissons". Ils ont
brûlé la quasi totalité des forêts de l'est de l'Anatolie parce que les
guérillas s'y dissimulent. Les forêts turques brûlent depuis des
années. Il ne reste plus grand chose digne d'être appelé forêt et le
peu qui reste brûle encore juste pour attraper quelques "poissons". La
Turquie s'envole en fumée en même temps que ses forêts sous l'emprise
de génocides anonymes. Deux millions et demi de personnes ont dû
quitter leurs maisons et villages en flammes. Elles sont désespérément
pauvres, affamées, nues, forcées de prendre la route, et nul ne daigne
bouger le doigt.
Les autorités turques arrivent à un tel point que
les délits intellectuels sont considérés comme les plus graves. Des
hommes et des femmes ont dépéri dans les prisons, ont été tués ou
exilés pour de tels délits. Actuellement plus de 200 personnes purgent
des peines pour des délits d'opinion dans nos prisons. Des centaines
d'autres encore sont jugées. Parmi ces intellectuels figurent des
professeurs d'université, des journalistes, des écrivains et des
leaders syndicalistes. Les conditions d'incarcération sont si affreuses
que tout un pays, un monde même, serait couvert de honte.
Comme si un régime raciste et oppresseur ne
suffisait pas, il y a eu trois coups d’Etat militaires en 70 ans.
Chaque coup a avili un peu plus la population turque, l'a rabaissée
davantage. Elle a été pourrie à la racine, avec sa culture, sa langue.
Rien ne justifie cette guerre inhumaine et inutile en Anatolie. Je
répète, les Kurdes ne demandent que le respect des droits de l'homme.
Ils veulent s'exprimer dans leur langue, récupérer leur identité et
développer leur culture au même degré que la population turque. Vous
vous demanderez si les Turcs eux-mêmes jouissent de ces droits. Si rien
ne change, on ne tardera pas à voir surgir des vagues de résistance
parmi la population turque. Pendant ces 70 années, la population de
l'Anatolie a littéralement été écrasée. Nous ne demandons qu'une chose
pour cette population : que ses droits fondamentaux soient respectés.
Tout ce dont je parle a une seule origine : la
privation de liberté de la population anatolienne. Ce gouvernement a
fait tout ce qui était en son pouvoir pour exploiter les habitants de
l'Anatolie, les humilier et les affamer. Rien ne leur a été épargné au
cours de ces 70 années. S'ils ont réussi à survivre à la tempête
pendant si longtemps, c'est parce que la culture anatolienne est si
riche.
Cette terre est un cimetière de langues et cultures
anéanties. Que de cultures dont le nom et la transcendance ne nous ont
même pas effleurés ne sont pas nées et se sont éteintes? Tel une
mosaïque culturelle, les cultures de l'Anatolie ont été une source de
cultures modernes. S'ils n'avaient pas essayé d'interdire et de
détruire toutes les autres cultures à l'exception de la turque,
l'Anatolie apporterait encore des contributions majeures à la culture
mondiale. Et nous ne serions pas au point où nous en sommes; un pays au
bord de la famine, privé de son pouvoir de création.
L'unique cause de cette guerre il faut la trouver
dans le racisme, ce cancer de l'humanité. Autrement, les magazines et
journaux xénophobes de droite pourraient-ils imprimer "la race turque
est supérieure à toutes les autres", ou encore "heureux celui qui se
prétend turc". Je me suis rendu en Anatolie orientale pour la première
fois en 1951 et j'ai observé que sur les flancs de collines ils avaient
apposé en lettres visibles depuis trois, cinq et dix kilomètres
l'inscription "Heureux celui qui se prétend turc". Ils avaient fait de
même sur les flancs du mont Ararat. La montagne tout entière était
heureuse d'être turque. Plus grave encore, tous les matins les enfants
devaient répéter : "Je suis turc, je suis honnête, je travaille dur".
Mais en Turquie se produisent bien d'autres faits
encore ! Après avoir exilé 2,5 millions de personnes, les autorités ont
décrété un embargo sur la nourriture en Anatolie orientale. Celui qui
ne peut produire un certificat délivré par la police n'a pas le droit
d'acheter de la nourriture, ceci afin d'empêcher que les villageois
fournissent des vivres aux guérillas. Les récoltes et les arbres
fruitiers de ceux qui préfèrent l'exil plutôt que de prendre les armes
contre les guérilleros, sont brûlés en même temps que les forêts. Les
animaux sont simplement abattus. Mais pourquoi raser les villages de la
sorte ? La raison en est simple, pour qu'ils ne puissent servir d'abri
aux guérilleros et leur procurer des aliments. A Istanbul circule le
bruit que les guérillas se réapprovisionneraient auprès des gardiens de
village. Il y a quelques jours les journaux publiaient que les
guérillas avaient volé 700 moutons aux gardiens de village, véritable
bastion de l'Etat. Il y a 50.000 gardiens de village en Anatolie
orientale. Cette région est totalement soumise à leur volonté. Ils y
font office d'Etat et peuvent tuer, détruire et brûler, ignorant toute
loi ou règle humanitaire.
Que se passe-t-il encore en Turquie ? Les anciens du
village d'Ovacik, qui avaient accusé les soldats d'avoir brûlé leur
village, ont été retrouvés morts dans les forêts calcinées des environs
quelques jours après. Le ministre pour les Droits de l'Homme, Azimet
Köylüoglu, avait laissé entendre que les soldats étaient en train de
brûler des villages mais il s'est rétracté quelques jours plus tard:
"Comment pourrait-on dire que l'armée brûle des villages? Il s'agit du
PKK." C'est ce qu'a rapporté notre presse "libre".
Mais encore ? Je jure que les journaux ont également
imprimé ceci. J'étais stupéfait. Dans un district de Van, les habitants
se sont réveillés un matin et ont constaté que leur ville était
couverte de croix rouges. Comment les journaux auraient-ils pu
résister à une telle information ? Les SS s’étaient comportés de
la façon.
Et il n’y a plus de bergers dans les
montagnes. Ils ont tué les adultes et maintenant ils y envoient
les enfants en prétendant qu’ils ne les toucheront pas. Mais
quelques jours plus tard ils ramassaient les corps sans vie de ses
petits bergers des montagnes.
Que se passe-t-il encore en Turquie ? Qu’ils
soient maudits, on a honte d’être humain. Ceci, je l’écrirai
également. Un matin, un de mes amis journaliste me
téléphona. Nous avions travaillé ensemble pendant des
années. "Es-tu au courant de ce qui se passe ?"
demanda-t-il. "Quoi ?" lui répliquai-je. "La police a
arrêté tous ceux qui travaillent pour le journal Özgür Gündem."
Je me rendis immédiatement aux bureaux du journal pour constater que la
police avait cerné le bâtiment. Je demandai à entrer mais la
police m’en empêcha. Il ne restait plus personne pour produire le
journal. Ils avaient arrêté les 120 employés. Ils avaient
même emmené le pauvre garçon de thé. Si cela s’était passé en été
je suppose qu’on leur aurait ordonné d’arrêter les mouches présentes
dans le bâtiment.
En voilà assez. Je ne peux me résoudre à en
dire plus sur l’accomplissement historique de la République
turque. Aujourd’hui, se battre contre l’oppression en Turquie est
un défi qui n’est pas à la portée de tout le monde. On risque de
ne plus manger à sa faim. Dans la République turque, les
opposants, selon une tradition bien ancrée, ont toujours fait l’objet
de moqueries. Et ce n’est qu’au risque de sa propre vie que l’on
s’oppose à l’état aujourd’hui. Le prix à payer par ceux qui
s’opposent à la guerre turco-kurde est bien lourd. Que
pouvons-nous faire si ce n’est garder le silence ?
Le coup d’état du 12 septembre 1980 n’a pas
seulement forcé les intellectuels à garder un profil bas, il ne s’est
pas limité à jeter en prison et torturer des centaines de milliers de
personnes : le pays tout entier recroquevillé dans la peur dégénère et
s’éloigne de l’humanité. Des citoyens ordinaires sont devenus des
informateurs, des loups assoiffés de sang ont fait leur apparition et
la morale humaine est totalement annihilée. Un pays où la morale
universelle dépérit est comme un patient dans le coma.
La Constitution que le chef du coup d’état, Evren
Pacha, a fait approuver dans l’ombre des armes et des baïonnettes fut
ratifiée par 90 pour cent de la population dans un référendum.
Depuis exactement 12 ans la Turquie est gouvernée selon cette
Constitution. Oui, la Turquie a un parlement. Ses parlementaires sont
comme des chatons, même quand on les prend par le cou à la sortie du
parlement pour les conduire en prison. Il y a même une Cour
Constitutionnelle. Une Cour Constitutionnelle qui, selon la
Constitution Militaire, décide des lois à approuver.
Certaines personnes ici sont mortes de peur à l’idée
de voir les militaires fomenter un nouveau coup d’état. Quelle
différence cela fait-il ? Un nouveau coup n’entraînerait pas
l’abolition et l’abrogation de la Constitution d’Evren.
Il n’y aura pas de coup. Ce ne sera pas
nécessaire.
Quelques-uns de mes amis, mes anciens collègues
journalistes, amis que j’aime et qui ne veulent que rien de fâcheux
n’arrive sont anxieux. Certains disent que je prends parti.
Quoi de plus naturel pour moi que de prendre parti
? Pour autant que je me souvienne, j’ai toujours été du côté des
peuples de Turquie. Pour autant que je me souvienne, j’ai
toujours soutenu les opprimés, ceux qui sont traités injustement, les
exploités, ceux qui souffrent et les pauvres.
Je suis du côté du turc, langue dans laquelle
j’écris. Je me sens obligé de faire l’impossible pour enrichir et
embellir le turc. La principale raison de ma colère envers Kenan
Pacha est la fermeture de l’Institut de la Langue Turque.
Bien sûr que je prends parti. Pour moi, le
monde est un jardin de culture où poussent des milliers de
fleurs. Dans l’histoire toutes les cultures se sont inspirées
d’une autre culture, sont issues d’une autre culture, et c’est ainsi
que notre monde s’enrichit. La disparition d’une culture signifie
la perte d’une couleur, d’une lumière différente, d’une source
différente. Je suis aussi bien du côté de chaque fleur présente
dans ce jardin aux mille fleurs que du côté de ma propre culture.
L’Anatolie a toujours été une mosaïque de fleurs, couvrant le monde de
fleurs et de lumière. Je veux qu’il en soit de même aujourd’hui.
Le choix d’un peuple, quel qu’il soit, de vivre en
tant qu’êtres humains, de rechercher le bonheur et la beauté, ne peut
se concevoir sans les droits universels de l’homme, d’abord, et les
droits universels et illimités de liberté de la pensée, ensuite.
Les peuples de pays qui se sont opposés à ceci entreront dans le vingt
et unième siècle sans honneur.
Sauver l’honneur et le pain de notre pays, ainsi que
la santé culturelle de sa terre ne dépend que de nous. La démocratie ou
sinon ... rien !
--------------------------------------------
*) Index on Censorship, 1/1995, London
YASAR KEMAL: CIBLE DU TERRORISME D’ETAT
Après la persécution de centaines d’intellectuels,
le Terrorisme d’Etat a récemment pris pour cible des écrivains de
renommée internationale tels que Aziz Nesin et Yasar Kemal.
Alors que la Cour de Surêté de l’Etat à Ankara
ordonnait aux procureurs d’entamer des poursuites judiciaires contre
Aziz Nesin pour la publication d’extraits du livre de Salman Rushdie,
les Versets Sataniques, la CSE d’Istanbul procédait à la mise en
accusation de Yasar Kemal pour son article paru dans la magazine
allemand Der Spiegel du 10 janvier.
Yasar Kemal, auteur du livre Memed le Mince, vendu à
600.000 exemplaires partout dans le monde, est le seul écrivain turc à
avoir été en lice pour le Prix Nobel de Littérature.
Dans cet article, Yasar Kemal critiquait durement la
politique turque envers les Kurdes et demandait la fin du conflit dans
le sud-est de la Turquie. Le procureur de la CSE d’Istanbul
accuse l’écrivain âgé de 72 ans de "propagande séparatiste".
Après la publication de cet article dans le magazine
Der Spiegel, le Premier Ministre, Tansu Ciller, s’est servi de sa
tactique habituelle qui consiste à provoquer l’opinion publique et les
procureurs, et a traité l’auteur de "vagabond".
Yasar Kemal fut officiellement mis en accusation par
la CSE d’Istanbul en vertu de l’Article 8 de la Loi Anti-terroriste le
23 janvier. Beaucoup d’intellectuels turcs et kurdes distingués
l’ont accompagné au tribunal pour exprimer leur solidarité avec
l’écrivain.
Dans une autre action en justice, Yasar Kemal fut
mis en accusation le 9 février par la CSE d’Istanbul pour propagande
séparatiste dans un ouvrage d’essais intitulé Liberté de la Pensée et
la Turquie.
L’éditeur Erdal Öz fut également mis en accusation
pour la publication du livre, qui a, en outre, été confisqué.
Dans une lettre adressée au Premier Ministre Ciller
le 14 février, le Centre Américain PEN condamnait l’application très
large de la Loi Anti-terroriste utilisée au cours de l’année dernière
pour réduire au silence plus de 100 écrivains.
RESOLUTION DU PARLEMENT EUROPEEN SUR YASAR KEMAL
Le Parlement Européen, lors de sa séance du 16
février 1995 à Strasbourg, a décidé l’adoption de la résolution
suivante à propos de la mise en accusation de Yasar Kemal.
"Le Parlement européen,
"A. considérant que, le 13 janvier 1995, la Cour de
sûreté de l'État, à Istanbul, ordonnait une enquête à l'encontre de
l'écrivain turc Yasar Kemal et que, le 23 janvier, elle décidait
d'ouvrir un procès pour "propagande séparatiste",
"B. considérant qu'est en cause un article que ledit
écrivain a publié dans l'édition du 2 janvier 1995 de l'hebdomadaire
allemand "Der Spiegel", dans lequel il dénonce la répression d'Ankara
contre la minorité kurde de Turquie et critique le double langage des
autorités, conciliantes avec l'Occident, mais impitoyables à
l'intérieur de leurs frontières,
"C. considérant que la Turquie est membre du Conseil
de l'Europe et qu'elle a signé et ratifié la Convention européenne des
droits de l'homme (CEDH),
"D. considérant que les persécutions systématiques
d'écrivains, de journalistes et d'intellectuels continuent sous
l'actuel gouvernement turc,
"E. considérant que le nombre des personnes arrêtées
et emprisonnées en Turque pour "délit d'opinion" ne fait que croître,
"F. considérant que, selon la loi anti-terroriste
turque, le "délit de propagande séparatiste", invoqué contre Yasar
Kemal, est passible d'une peine de deux à cinq ans de prison et d'une
lourde amende,
"G. considérant que l'auteur, âgé de 72 ans, est une
sorte de conscience dans son pays et qu'il a été envoyé en prison, au
lendemain du putsch militaire de mars 1971, pour avoir dénoncé la
situation sociale en Turquie;
"1. dénonce avec vigueur l'inculpation de Yasar
Kemal;
"2. estime que la charge de "propagande séparatiste"
invoquée contre l'intéressé est totalement injustifiée et que l'article
de l'hebdomadaire "Der Spiegel" ne contient aucun élément objectif qui
permette une telle accusation;
"3. estime, dès lors, qu'il s'agit d'un procès
politique et d'une grave atteinte aux droits de l'homme et au droit à
la libre expression;
"4. estime un tel procès indigne d'un État qui se
veut démocratique et qui est associé à l'Union européenne;
"5. invite le Conseil et la Commission à intervenir
auprès des autorités turques, afin que la Turquie devienne plus
respectueuse des droits de l'homme et que toutes les poursuites contre
l'écrivain Yasar Kemal soient levées;
"6. rappelle et réaffirme ses résolutions du 29
septembre 1994 sur le procès de membres de la Grande Assemblée
Nationale de Turquie et 15 décembre 1994 sur le procès des députés
turcs d'origine kurde de la Grande Assemblée Nationale de Turquie."
ONAT KUTLAR, VICTIME DES ISLAMISTES
Le 15 janvier, Onat Kutlar, écrivain et critique
bien connu de cinéma, meurt à l’hôpital après avoir été grièvement
blessé par l’explosion d’une bombe à l’Hôtel Marmara à Istanbul le 30
décembre 1994.
Cet attentat a été revendiqué par l’organisation
fondamentaliste, le Front Islamique des Combattants du Grand Orient
(IBDA-C), qui avait lancé une campagne contre la célébration du Nouvel
An dans "un pays musulman".
Les milliers de personnes qui ont assisté aux
obsèques de Kutlar ont condamné les fondamentalistes islamiques et ont
protesté contre les procédés du Gouvernement qui vont à l’encontre des
principes séculaires de la République.
Les groupes islamiques, qui s’opposent à la
sécularisation et veulent établir le Shariah en Turquie, sont à
l’origine de 464 incidents en 1994.
Après la montée choquante du Parti du Bien-être (RP)
pro-islamique lors des élections locales et de sa mainmise sur des
telles qu’Istanbul et Ankara, les extrémistes islamiques ont multiplié
les actions terroristes. La déclaration au Parlement du leader du
RP, Necmeddin Erbakan, "Maintenant, la question est de savoir si nous
arriverons au pouvoir par la paix ou dans un bain de sang", n’a fait
qu’encourager les activistes islamiques. La défense des
meurtriers du Pogrom de Sivas par les dirigeants du RP au tribunal
constitue un autre élément d’encouragement pour ces groupes extrémistes.
Le Hizbullah a continué ses attaques contre les
activistes kurdes dans le sud-est en 1994. Le Hizbullah, qui a
commencé ses activités il y a à peine quelques années, peut compter sur
le soutien des forces de sécurité. L’organisation a tué environ
200 personnes, principalement dans les villes du sud-est telles que
Diyarbakir, Mardin et Batman.
Il s’est néanmoins séparé en deux groupes - "Ilim
Grubu" (le groupe scientifique) et "Menzil Grubu" (le groupe armé).
Des affrontements ont également eu lieu entre ces
deux groupes.
Une autre organisation terroriste islamique,
l’IBDA-C, a revendiqué 90 action terroristes, y compris l’explosion de
cinq bombes dans plusieurs villes.
La dernière victime de l’IBDA-C en 1994 était
l’intellectuel turc bien connu, Onat Kutlar.
ATTAQUES ISLAMISTES PENDANT LE RAMADAN
Le 22 février, d’un groupe d’extrême droite, armé de
grappins, haches et bâtons, effectue une descente sur le campus
universitaire de Marmara et blessent huit étudiants en les accusant de
ne pas observer le jeûne imposé par la religion pendant le mois du
Ramadan.
Le 23 février, sur le campus universitaire de
Marmara, des Loups Gris s’attaquent à un groupe d’étudiants qui
manifestaient contre le fondamentalisme, blessant certains d’entre eux.
Le 24 février, lors d’une descente des forces de
police sur le campus universitaire d’Istanbul, plus de 150 étudiants
sont battus et arrêtés. Le même jour, des Loups Gris attaquent la
Faculté des Sciences Politiques de l’Université d’Istanbul blessant
ainsi les étudiants qui n’observaient pas le jeûne religieux.
Le 27 février, à Ankara, le siège de l’Association
de la Pensée Atatürkiste (ADD) est détruit par l’explosion d’une
bombe. Le poseur de la bombe, Cahit Ayaz, membre présumé de
l’organisation islamiste IBDA-C, est tué dans l’explosion.
Le 27 février, à Sivas, un groupe fondamentaliste
organise une descente dans une cafétéria du centre-ville et blesse sept
clients sous prétexte que le jeûne religieux n’y était pas observé.
CONDAMNATION DE L’EDITEUR DU "TABOU ARMENIEN"
Le 30 janvier, la Cour de Sécurité de l’Etat
d’Istanbul a condamné Mme Ayse Nur Zarakolu, éditeur du livre intitulé
Tabou Arménien, à deux ans de prison et à une amende de 250 millions de
TL (6.250 $) pour incitation à la haine et à la violence sur base de
différences raciales, religieuses et régionales.
La cour ordonne également la confiscation de tous
les exemplaires du livre et entame des poursuites judiciaires contre
Abdülkadir Konuk, traducteur du livre, et le journaliste Ragip
Zarakolu, qui a préfacé le livre.
Tabou Arménien est la traduction du livre d’Yves
Ternon, Les Arméniens, histoire d’un génocide, publié à Paris par les
éditions Seuil en 1977.
Mme Zarakolu a qualifié le verdict de "scandaleux"
et a déclaré qu’elle irait en appel devant la Cour de Cassation.
Le même jour, dans un autre procès, Mme Zarakolu,
propriétaire des Editions Belge, est condamnée à 6 mois de prison et à
une amende de 50 millions de TL pour la publication d’un livre qui
reprend des articles de Yasar Kaya, président honoraire du DEP et
éditeur de l’ancien quotidien Özgür Gündem.
La cour décide également d’interdire les activités
de la maison d’édition pendant un mois pour la publication de ce livre.
INTERDICTION POUR LES ARMENIENS DE TURQUIE D’ELIRE UN CHEF RELIGIEUX
Le Gouvernement turc a interdit la participation
d’une délégation arménienne de Turquie dans l’élection du nouveau chef
religieux en Arménie prévue pour le début du mois d’avril 1995.
Après la mort du catholicos de l’Eglise Arménienne
de Vasken I, les communautés arméniennes de tous les pays sont invitées
à envoyer une délégation en Arménie pour l’élection de nouveaux
catholicos.
Le 20 janvier, Le Patriarche arménien d’Istanbul,
Kazandjian, a demandé au Gouverneur d’Istanbul d’autoriser l’élection
d’une délégation de neuf personnes par la communauté arménienne de
Turquie.
Le Patriarche a néanmoins été convoqué au bureau du
Gouverneur le 27 janvier pour y être informé que, en vertu de la
directive du Ministère de l’Intérieur, une telle élection était
impossible car elle irait à l’encontre du Traité de Lausanne et des
lois turques.
NOUVELLES PRESSIONS SUR LES ECOLES ARMENIENNES EN TURQUIE
Alors que les discussions sur la normalisation des
relations turco-arméniennes se poursuivent, le Gouvernement turc a
décidé de renforcer le contrôle turc dans les écoles de la minorité
arménienne en Turquie.
Pour cela, une section spéciale est constituée au
sein du Ministère turc de l’Education.
La première mesure prise par cette section a été la
convocation d’une réunion entre les directeurs arméniens et les
sous-directeurs turcs des écoles arméniennes à Istanbul le 27 janvier.
Lors de cette réunion, le Conseil de l’Education a
annoncé que les sous-directeurs turcs des écoles arméniennes étaient,
en tant que représentants de l’opinion nationale turque, chargés de
surveiller tout ce qui se passe dans ces écoles et d’en informer
immédiatement le Conseil de l’Education.
Malgré la reconnaissance, en vertu de l’Article 40
du Traité de Lausanne, d’une autonomie pour les écoles des minorités,
le Gouvernement turc nomme un sous-directeur d’origine kurde dans
chaque école d’une minorité. Ces sous-directeurs jouissent d’une
autorité illimitée sur le directeur et les professeurs arméniens.
LA POLITIQUE REELLE DE TER-PETROSSIAN
Le journal Milliyet du 3 février 1995, fait état
d’une réunion entre le Président arménien Ter-Petrossian et le leader
néo-fasciste turc Alparslan Türkes pour traiter de la normalisation des
relations entre la Turquie et l’Arménie.
Deux jours plus tard, le président du MHP, Türkes,
confirme que cette entrevue avec Ter-Petrossian a bien eu lieu en 1993,
suite à une demande du lobby arménien en France.
Tout en soulignant qu’il avait à l’époque informé le
Premier Ministre et le Ministre des Affaires Etrangères de cette
rencontre avec Ter-Petrossian, Türkes déclare que l’ambassadeur et un
conseiller turcs ont également assisté à cette réunion qui avait pour
but d’étudier la viabilité d’un accord de paix entre l’Arménie et
l’Azerbaïdjan. Türkes ajoute que l’entrevue visait également à
explorer toutes les possibilités pour l’établissement de liens amicaux
entre l’Arménie et la Turquie.
Le journal Cumhuriyet du 5 février rapporte qu’une
deuxième rencontre entre Türkes et Ter-Petrossian a eu lieu en 1994 en
Allemagne.
Cette réunion a provoqué une grande confusion aussi
bien en Arménie que dans la Diaspora arménienne, d’autant plus que
Türkes est connu comme un des plus fervents ennemis des Arméniens,
utilisant sans cesse le mot "arménien" comme insulte envers les
activistes kurdes ou de gauche. En outre, Türkes a joué un rôle
important dans la montée des courants ultra-nationalistes et
anti-arméniens en Azerbaïdjan après la chute de l’Union
Soviétique. Beaucoup de "Loups Gris" notoires de Türkes ont été
placés dans des postes clé de l’administration et de l’armée en
Azerbaïdjan.
Selon les rapports de presse, alors que la Diaspora
arménienne se prépare aux commémorations spectaculaires du 80ème
anniversaire du génocide qui a causé la mort de plus d’un million et
demi de personnes pendant la Première Guerre Mondiale, Ter-Petrossian
semble disposé à oublier le génocide afin de normaliser les relations
avec la Turquie. Bien que des manifestations de commémoration
soient prévues à Erévan, le conseiller privé de Ter-Petrossian, Jirair
Libardian, aurait déclaré qu’il espérait que "la réalité historique" du
génocide n’empêcherait pas l’amélioration des liens bilatéraux.
Entre-temps, le journal arménien Gamk du 27 février
rapporte que le Ministre arménien de l’Education, Achot Bleyan, a
annoncé l’interdiction de parler du génocide à l’école gardienne,
primaire et secondaire en Arménie.
Ce geste et l’interdiction du Parti nationaliste
Dashnak en Arménie sont considérés par Ankara comme un autre signe de
la volonté de Ter-Petrossian de normaliser les relations avec la
Turquie.
Libardian a récemment tenu une série d’entretiens
avec des représentants turcs à Ankara le 24 et le 25 février. Les
Turcs ont fait savoir à Libardian que pour désamorcer la situation de
tension entre Erévan et Ankara, les Arméniens devraient se retirer des
territoires azéri occupés - à l’exception de l’enclave disputée du
Nagorno-Karabakh - et accepter la participation de la Turquie dans le
projet d’une force de maintien de la paix pour le Karabakh.
Lors des entretiens, les deux parties ont également
discuté d’une "possible coopération économique, incluant des échanges
commerciaux et le passage sur le territoire arménien de l’oléoduc Azéri
vers la Turquie", en cas de normalisation des relations bilatérales.
LE PARLEMENT DU KURDISTAN EN EXIL
Après l’interdiction du Parti de la Démocratie (DEP)
et l’emprisonnement de ses huit députés, les députés du DEP ayant fui
la Turquie ont pris l’initiative de former un Parlement du Kurdistan en
exil.
Lors de leur conférence de presse du 12 janvier à
Bruxelles, les fondateurs de ce parlement en exil ont déclaré : "Aucun
des quatre états occupants ou leurs parlements n’ont jamais représenté
les intérêts du peuple kurde. La Grande Assemblée Nationale
turque n’est rien de plus qu’une assemblée 'turquisante' soutenant le
génocide au Kurdistan et dirigée par des généraux. Les députés
élus par notre peuple se trouvent soit dans une tombe, soit en cachot
ou encore en exil. Notre peuple qui est en exil exprimera, par
l’élection de ses propres représentants, son droit à
l’autodétermination par le biais de son parlement."
Les comité organisant l’élection du Parlement du
Kurdistan en exil se compose des députés DEP en exil, Remzi Kartal,
Mahmut Kilic, Ali Yigit; du Président Honoraire du DEP, Yasar Kaya; du
représentant ERNK, Ali Sapan; de l’ancien Maire de Yüksekova, Necdet
Buldan et des représentants de certaines organisations assyriennes,
yézidis et alévites en Europe.
Tout d’abord, comme l’indiquent certains rapports de
presse, un Congrès National du Kurdistan se tiendra le 21 mars (la
nouvelle année kurde Newroz) dans une ville européenne, avec la
participation des délégués représentant les peuples du Kurdistan.
Ce congrès procédera à l’élection d’un Parlement du Kurdistan en exile
composé de 85 membres. Le Parlement, à son tour, élira le
gouvernement kurde en exil.
Le Gouvernement turc a immédiatement réagi contre ce
nouveau projet kurde et a demandé à ses alliés occidentaux de bloquer
toute tentative de formation d’un parlement kurde dans leur territoire.
LA LETTRE DE ZANA A MITTERRAND
Mme Leyla Zana, un des députés du DEP condamnés à 15
ans de prison, a écrit une lettre au Président français Mitterrand lui
demandant son soutien pour un dialogue entre Kurdes et Turcs afin
d’obtenir la paix et promouvoir les vrais valeurs démocratiques à
l’intérieur des frontières actuelles de la Turquie.
Dans sa lettre, datée du 9 février, Zana déclare : "
Notre intention et désir de mettre fin à l’effusion de sang et
d’établir la paix persisteront tant que les voies démocratiques seront
bloquées. Notre action a pour but de créer une Turquie où il n’y
aurait plus d’entraves à la liberté d’expression, où les jeunes ne se
feraient pas tuer, en d’autres termes, une Turquie avec un peuple
souriant, moderne et heureux."
"Nous demandons aux démocraties occidentales de ne
pas se contenter d’observer la tragédie de notre peuple, mais de lancer
un processus de paix et de dialogue qui contribuerait à mettre fin à
l’effusion de sang et aux larmes. Nous pensons que la Turquie
pourrait constituer un allié stable, fiable et fort si seulement elle
jouissait d’une démocratie fonctionnelle et d’une paix interne."
L’UNION DE DEUX PARTIS SOCIAUX-DEMOCRATES
Deux des trois partis sociaux-démocrates de Turquie,
le Parti Républicain du Peuple (CHP), et le Parti Social-Démocrate
Populiste (SHP), ont finalement décidé de s’unir le 18 février sous le
nom de CHP.
Suite au protocole d’union adopté par les congrès
respectifs des deux partis, le Parti Républicain du Peuple (CHP) émerge
comme nouveau parti avec des organes administratifs étendus qui
regroupent des membres de chaque côté.
L’ancien Ministre des Affaires Etrangères, Hikmet
Cetin, a été élu à l’unanimité, en tant que candidat unique, à la
présidence du Parti.
Bien qu’étant annoncé comme l’union de deux partis
de gauche, il s’agit en fait de la fermeture du SHP, partenaire du
gouvernement de coalition, et de son passage dans l’opposition.
Après la disparition de son aile gauche, le
gouvernement de coalition de Ciller s’attend à de nombreux problèmes
dans les jours qui viennent.
Premièrement, l’ancien CHP a été un des partis qui a
le plus souvent critiqué le premier ministre et son gouvernement de
coalition. Le nouveau CHP doit prouver à ses électeurs qu’il ne
commettra pas les mêmes vieilles erreurs que le SHP, qui avait dû
renoncer à ses idéaux sociaux-démocrates et se soumettre à la volonté
du DYP simplement pour rester au pouvoir.
Deuxièmement, le Président du nouveau CHP, Hikmet
Cetin, avait été obligé par Ciller de lui présenter sa démission en
tant que ministre des affaires étrangères d’une façon très humiliante
et dégradante.
Outre sa déception personnelle en ce qui
concerne le Premier Ministre Ciller, Hikmet Cetin sait très bien que le
Parti de la Gauche Démocratique (DSP) ait nettement progressé au
détriment du SHP et du CHP. Il est également conscient que
l’ancien leader du CHP, Deniz Baykal, a des vues sur la présidence du
CHP et que ce dernier attend que Cetin commette des erreurs pour le
renverser à l’occasion de la prochaine convention du CHP qui se tiendra
en août.
On peut donc s’attendre à une plus grande assurance
de la part de Cetin dans son nouveau rôle si le CHP décide de rester
dans le gouvernement.
GUERRE ENTRE PARRAINS TURCS
La guerre dans la mafia turque a pris une dimension
politique impliquant la famille de l’ancien Président de la République
Turgut Özal, après l’assassinat de la fille d’un parrain notoire par un
homme d’un autre parrain, Alaaddin Cakici.
La victime du meurtre commis le 22 janvier à l’hôtel
Uludag à Bursa est Ugur Cakici, la fille de Dündar Kilic. Elle a
été assassinée sur ordre d’Alaaddin Cakici, un parrain rival auquel
elle a été mariée pendant un certain temps.
Dündar Kilic a déclaré que la famille de l’ancien
Président Turgut Özal était derrière ce meurtre.
La vendetta entre Kilic et Cakici a commencé après
la tentative d’assassinat de l’ancien directeur général de la banque
Emlak, Engin Civan. Selon des rapports de presse, Civan, qui
était considéré par la presse comme un des "dauphins" de Turgut Özal,
avait reçu un pot de vin de 5 millions de $ d’un homme d’affaires,
Selim Edes, en échange de la promesse d’accorder un prêt substantiel,
promesse qu’il n’a pas tenue. Après cet incident, Dündar Kilic a
déclaré que des membres de la famille d’Özal, son épouse Semra Özal, sa
fille Zeynep Özal et ses fils Ahmet et Efe Özal, étaient également
impliqués dans des affaires de corruption et que ces derniers avaient
demandé "l’intervention" des clans de Kilic et Cakici afin de menacer
Engin Civan.
Le fils d’Özal, Ahmet Özal, qui est propriétaire de
la chaîne privée de télévision, Kanal 6, aurait a plusieurs reprises
sollicité les services d’Alaaddin pour forcer une autre banque, la
Bankekspres, à ramener sa dette de 5 millions de $ à un montant plus
raisonnable. Ceci renforce la thèse selon laquelle cette
tentative de meurtre d’Engin Civan ne serait qu’une tentative visant à
résoudre les problèmes financiers de Kanal 6.
La fille de Dündar Kilic, Ugur Cakici, avait
certifié auprès de la presse que Mme Semra Özal l’avait personnellement
contactée pour demander une telle "intervention".
Sur ce, selon Dündar Kilic, Ahmet Özal en informa
Cakici, qui est également connu pour être un fervent partisan des Loups
Gris : "Faisons tout ce qui est nécessaire pour éviter que ma mère soit
emmenée au poste de police." Cakici appela son ex-femme et lui
dit, "J’ai donné ma parole à la mère Özal de garder secret le prétendu
lien Edes-Özal-Cakici dans la fusillade et blessure d’Engin
Civan. Pourquoi as-tu fait de telles déclarations à la presse ?"
Finalement, Ugur Kilic a payé de sa vie son
témoignage.
Selon le Milliyet du 15 février, Dündar Kilic aurait
lancé cinq "équipes de la mort" sur la trace de son ex-gendre, Alaaddin
Cakici, pour le punir du meurtre de sa fille. Les "équipes de la
mort", chacune formée de deux hommes, parcourent la Grande Bretagne, la
Belgique, l’Allemagne, la Suisse et la France dans l’espoir de
retrouver Cakici.
Par ailleurs, Ugur Dündar, reporter vedette du
Hürriyet, a révélé dans une série de programmes télévisés l’existence
de comptes en banque secrets en Suisse appartenant à Engin Civan et aux
membres de la famille Özal.
LE TEST DE VIRGINITE DANS LES ECOLES
Les nouveaux règlements de discipline dans
l’enseignement secondaire autorisant le Conseil de Discipline à
soumettre des étudiantes à un test de virginité ont soulevé d’énormes
protestations en Turquie.
L’Article 17 sur les nouveaux règlements publié dans
la Gazette Officielle le 31 janvier stipule que "en cas de preuve de
malhonnêteté ou attaque à l’honneur de quelqu’un, l’élève peut se voir
expulser de l’école et refuser l’accès aux autres écoles publiques"
Le Ministre de l’Education, Nevzat Ayaz, a déclaré
lors d’une émission télévisée le 8 février que l’article en question ne
concernait que les étudiants de sexe féminin et le Conseil de
Discipline est autorisé à procéder au test de virginité.
Beaucoup de parents ont immédiatement réagi en
précisant qu’ils étaient les seuls responsables de l’honneur de leurs
enfants et que cela ne concernait nullement le Conseil de Discipline.
Des groupes de femmes et beaucoup d’enseignants ont
déclaré que ce procédé était inacceptable et que cet article
constituait une violation des droits de l’homme. Ils ont
également précisé que de telles pratiques pourraient marquer
psychologiquement les étudiantes pour le reste de leur vie.
Ce débat scandaleux issu d’une vieille mentalité
confirme la rapport du Département d’Etat américain sur les droits de
l’homme pour 1994 qui révélait déjà l’existence de tests de virginité
imposés par la police Turcs aux femmes en détention.
En 1992, deux étudiantes s’étaient suicidées après
avoir subi de force un test de virginité.
DEUX MOIS DE TERRORISME D’ETAT
Le 4.1, lors d’une descente au bureau du IHD de
Mersin, la police confisque plusieurs publications et 300 calendriers
que l’association avait préparés pour le nouvel an.
Le 6.1, le maire de la ville de Rize, Sevki Yilmaz
(RP), est inculpé par le procureur de la CSE d’Istanbul pour ses
discours électoraux.
Le 6.1, dans la province de Mardin, le chef du
village de Kocasirt, Cemil Bingöl, qui avait été enlevé la veille, est
retrouvé assassiné.
Le 7.1, à Kigi (Bingöl), les forces de sécurité
ouvrent le feu sur un minibus, tuant Hasan Akdemir et blessant six
autres passagers.
Le 8.1, à Batman, Sirin Karabay est mortellement
poignardé par des inconnus.
Le 8.1, à Kurtalan, Abdülmecit Yildiz, Medeni Yildiz
et une femme qui n’a pu être identifiée succombent dans l’explosion
d’une mine posée par les forces de sécurité alors qu’ils se rendaient à
Siirt à bord d’un tracteur.
Le 9.1, à Diyarbakir, Yildiz Aytek est assassiné à
coups de hache par des inconnus.
Le 10.1, à Sason, on retrouve le corps assassiné de
Selahattin Aygül.
Le 11.1, à Mazgirt, deux enfants meurent dans
l’explosion d’une bombe qu’ils avaient trouvée dans la rue et avec
laquelle ils jouaient.
Le 11.1, Zagir Balan à Batman et Izzettin Gönce à
Diyarbakir sont abattus par des inconnus.
Le 12.1, le Président de l’IHD, Akin Birdal, et
quatre autres activistes des droits de l’homme passent devant la CSE
d’Ankara pour leurs discours pendant les célébrations de la Semaine des
Droits de l’Homme en 1992. Ils risquent tous un peine de prison
allant jusqu’à cinq ans pour propagande séparatiste et incitation à la
violence.
Le 12.1, à Diyarbakir, lors d’une descente la police
abat quatre étudiants : Hüseyin Deniz, Refik Horoz, Havva Ipek et Selim
Yesilova. Les témoins assurent que ces étudiants n’ont jamais été
impliqués dans des activités politiques et accusent la police de les
avoir exécuté arbitrairement.
Le 12.1, à Adana, des inconnus abattent Bahattin
Oguz et blessent six autres personnes dans un café. Le même jour,
Serif Kaplan est abattu par des inconnus.
Le 14.1, à Urfa, trois personnes son arrêtées après
une descente de police.
Le 16.1, lors d’une conférence de presse, la Section
de l’IHD à Ankara accuse la police d’avoir torturé un fille de 12 ans,
D.T., qui fut gardée pendant cinq jours en détention préventive après
son arrestation le 12 janvier pour avoir volé un petit pain.
Le 16.1, environ 200, qui protestaient contre la
disparition d’Ismail Bahceci après son arrestation, sont dispersées de
force par la police. Certains manifestants sont blessés et quinze
personnes sont arrêtées.
Le 16.1, les forces de sécurité auraient arrêté 17
personnes à Izmir pour activités pro-PKK.
Le 17.1, à Batman, un membre du HADEP, Zeki Adlig,
est assassiné à coups de revolver par deux inconnus.
Le 17.1, le Président du Syndicat des Travailleurs
de la Communication (Tüm Haber Sen), Ismail Cinar, le Secrétaire
Général Metin Kocan et 23 autres syndicalistes à Istanbul sont bannis
dans les provinces de l’Est pour avoir appelé les employés des PTT à la
grève le 20 décembre 1994. La manifestation organisée par les
employés des PTT pour protester contre cette décision provoque
l’intervention musclée de la police pour disperser les
manifestants. De plus, neuf employés sont arrêtés.
Le 17.1, une équipe de la gendarmerie ouvre le feu
sur un minibus tuant ainsi le chauffeur, Mustafa Sari.
Le 17.1, à Diyarbakir, Mutlu Demir est abattu par
deux inconnus.
Le 18.1, les forces de sécurité auraient arrêté huit
personnes durant leurs opérations à Ankara.
Le 19.1, le Procureur d’Ankara ouvre une procédure
de justice contre 35 personnes, parmi lesquelles on compte des membres
de Greenpeace, pour avoir mené une manifestation à Ankara contre la
construction d’une centrale nucléaire à Akkuyu (Sinop). Neuf étrangers,
parmi lesquels se trouve le Coordinateur de Greenpeace pour la
Méditerranée, Mario Damato, ainsi que 26 citoyens turcs risquent des
peines de prison allant jusqu’à trois ans en vertu de la Loi sur les
Meetings et les Manifestations.
Le 20.1, Garip Aygün et sa femme, Sultan Aygün,
arrêtés le 18 janvier suite à un accident de la circulation, déclarent
avoir été torturés par la police. Les traces de torture ont été
certifiées par le Corps Médical.
Le 21.1, à Izmir, les forces de sécurité procèdent à
l’arrestation de quinze membres présumés du Parti Révolutionnaire
Communiste de Turquie (TDKP).
Le 22.1, Süleyman Öngün, prisonnier politique,
blessé lors d’un affrontement avec des agents des forces de sécurité à
la prison de Diyarbakir le 3 octobre 1994, est mort à l’infirmerie de
la Prison de Gaziantep où il avait été transféré après les
incidents. Certains prisonniers politiques, accusant les
autorités pénitencières de ne pas avoir pris soin d’Öngün, ont entamé
une grève de la faim.
Le 23.1, la CSE de Diyarbakir entame le procès de 30
personnes accusées d’appartenir à l’organisation fondamentaliste
Hizbullah et d’avoir commis des meurtres politiques. 21 prévenus
risquent la peine capitale, les neufs autres encourent des peines de
prison allant jusqu’à 20 ans.
Le 23.1, lors d’une opération dans les quartiers
kurdes d’Adana, les forces de sécurité procèdent à l’arrestation de
plus de 20 personnes.
Le 23.1, à Diyarbakir, Garibe Can est assassiné à
coups de hache par des inconnus.
Le 24.1, la CSE d’Ankara condamnent trois jeunes à
12 ans et six mois de prison chacun pour des activités du Dev-Sol.
Le 24.1, Début du procès devant la CSE d’Istanbul de
deux citoyens allemands, Andreas Günter Landwern et Karen Braum,
accusés de port de documents pour le PKK. Malgré leur mise en liberté
lors de la première audience après trois mois de détention, les deux
Allemands passeront en jugement et risquent des peines d’emprisonnement
allant jusqu’à cinq ans.
Le 25.1, à Ankara, les forces de sécurité procèdent
à l’arrestation de sept personnes pour activités liées au Dev-Sol.
Le 25.1, à Samsun, douze des seize personnes
interpellées pour activités liées au Dev-Sol sont placées en état
d’arrestation par un tribunal.
Le 26.1 des inconnus assassinent Halfe Ökzür à
Gaziantep et Nesat Vanli à Diyarbakir.
Le 30.1, à Adana, Adile Atabay, une femme de 21 ans,
déclare avoir été torturée par la police pendant les trois jours qui
ont suivi son arrestation le 22 janvier après une descente effectuée à
son domicile.
Le 30.1, à Batman, Vasif Cetin, représentant du
HADEP, est abattu par des inconnus. Le Président Provincial du
HADEP, Mehmet Salih Altun, déclare qu’au cours du mois dernier huit
personnes ont été assassinées à Batman sans qu’aucun des meurtres ait
été identifié.
Le 31.1, à Bodrum, Mehmet Arslan déclare avoir subi
des tortures après avoir été arrêté en même temps que sa fiancée le 24
janvier. Les traces de torture ont été certifiées par le corps
médical.
Le 31.1, à Mersin, lors des opérations de répression
menées dans les quartiers kurdes, Fesih Akburak et Suat Yildiz sont
abattus par la police.
Le 31.1, la CSE d’Izmir ordonne l’arrestation de 19
des trente personnes interpellées par la police en janvier pour avoir
participé aux activités du Parti Révolutionnaire Communiste de Turquie
(TDKP).
Le 1.2, à Adana, une femme nommée Behiye Demir
déclare avoir été torturée après son arrestation le 30 janvier.
Le 1.2, à Gaziantep, une procédure administrative
est entamée contre 250 enseignants pour avoir participé à une
manifestation de protestation le 29 décembre 1994.
Le 1.2, à Izmir, un docteur de l’hôpital public
Atatürk, Senol Varnali, est battu et blessé par un groupe de gendarmes
mené par un sergent pour avoir garé sa voiture sur un emplacement
réservé aux forces de sécurité.
Le 2.2, à Balikesir, Enver Zambak, ouvrier, déclare
avoir été torturé après son interpellation le 29 janvier. Il
ajoute que son fils, Sait Zambak, qui n’a pas été relâché, a également
subi des tortures.
Le 2.2, à Mersin, les forces de sécurité procèdent à
l’arrestation de 40 personnes lors d’une série d’opérations de
répression dans les quartiers kurdes. La plupart des personnes
arrêtées sont des parents de Fesih Akburak et Suat Yildiz, abattus le
31 janvier.
Le 3.2, à Izmir, 93 personnes manifestant devant le
bâtiment du SHP, en signe de solidarité avec leur parents qui mènent
une grève de la faim à la prison de Buca, sont arrêtées par la police.
Le 4.2, on retrouve à Batman le corps d’une
personne, probablement étranglée, dont l’identité n’est pas
encore établie.
Le 5.2, à Aydin, la police annonce l’arrestation de
neuf militants présumés du PKK.
Le 5.2, à Batman, le Président du Syndicat des
Travailleurs Municipaux (Belediye-Is), Osman Küntes, et son fils son
enlevés par des inconnus.
Le 6.2, après un procès de six ans, 16 policiers,
accusés d’avoir abattu quatre personnes le 7 octobre 1988 à Tuzla, sont
acquittés par une Haute Cour Criminelle d’Istanbul.
Le 6.2, la CSE d’Ankara entame le procès de neuf
personnes accusées d’avoir participé à des actions du Dev-Sol.
Quatre des prévenus risquent la peine capitale, les autres encourent
des peines de prison allant jusqu’à 20 ans.
Le 6.2, à Istanbul, des inconnus ouvrent le feu sur
un groupe d’ouvriers qui faisaient la grève dans un entrepôt, blessant
ainsi deux personnes. Trois semaines plus tôt, des inconnus
avaient blessé par balles un autre ouvrier. Les ouvriers accusent
leur employeur, qui est un néo-fasciste et un membre notoire du Parti
d’Action Nationaliste (MHP), d’organiser ces attaques des Loups Gris
afin d’intimider les grévistes.
Le 7.2, à Nevsehir, Güner Karatas, chauffeur de
taxi, déclare avoir été torturé après son arrestation le 21
janvier. Les médecins ont effectivement constaté des traces de
torture.
Le 9.2, une ancienne victime de tortures, Mazlum
Sarisaltik est arrêté à Tunceli. Son avocat rappelle que son
client avait été traité par le Centre de Réhabilitation de
l’Association des Droits de l’Homme (TIHV) et que d’autres tortures
mettraient sérieusement sa vie en danger.
Le 9.2, dans les dix derniers jours, les forces de
sécurité ont arrêté 27 personnes pour activités liées au PKK.
Le 11.2, à Kastamonu, 16 personnes sont arrêtées
pour des activités liées aux Dev-Sol.
Le 11.2, à Diyarbakir, un femme, Türkan Sert, est
assassinée à la hache.
Le 13.2, à Izmir, Dursun Yildiz, ouvrier, déclare
avoir été torturé après son interpellation le 8 février avec un autre
groupe d’ouvriers de fret qui menaient une action de
protestation. Les médecins ont certifié le fait de torture.
Le 14.2, l’islamiste Mahmut Kacar qui avait
publiquement contesté la cérémonie officielle en l’hommage d’Atatürk le
10 novembre 1994 au Mausolée, est condamné par une Cour pénale à quatre
ans et six mois de prison. Kacar a déclaré qu’il avait été
torturé lors de son interrogatoire au quartier général de la police à
Ankara.
Le 16.2, deux ouvriers, Tekin Aktas et Tekin Atalay
déclarent avoir subi des tortures après leur arrestation pendant la
grève d’une société de fret. Les traces de torture ont été
certifiées par les médecins.
Le 16.2, début du procès de 35 personnes accusées
d’avoir mené une manifestation de Greenpeace à Ankara pour protester
contre la construction d’une centrale nucléaire à Akkuyu (Sinop) devant
la cour pénale d’Ankara. Neuf étrangers, parmi lesquels se trouve le
Coordinateur de Greenpeace pour la Méditerranée, Mario Damato, ainsi
que 26 citoyens turcs risquent des peines de prison allant jusqu’à
trois ans en vertu de la Loi sur les Meetings et les Manifestations.
Le 19.2, à Malatya, l’Association de Haci Bektas-i
Veli est attaquée par des inconnus.
Le 19.2, les forces de sécurité, lors d’opérations
de répression, procèdent à l’arrestation du président du HADEP
Iskenderun, Hayrettin Yilmaz, et de 16 autres personnes.
Le 20.2, le Procureur de la CSE entame une procédure
contre le président du Parti Socialiste du Pouvoir (SIP), Aydemir
Güler, en vertu de l’Article 312 du CPT. Accusé d’incitation à la
haine et à la violence en s’appuyant sur les différences raciales et
régionales, Güler risque une peine de prison allant jusqu’à trois ans.
Le 20.2, à Van, un tribunal ordonne l’arrestation de
Halil Benek, Halit Benek, Halime Benek et Ömer Bora pour activités
pro-PKK. Les prévenus, arrêtés le 25 janvier, déclarent avoir
subi des tortures lors de leur garde à vue.
Le 21.2, à Batman, des inconnus abattent Nimet Bal,
une femme de 45 ans.
Le 22.2, le Conseil des Ministres suspend la grève
des travailleurs de voies aériennes pendant soixante jours en
prétextant que cette action serait susceptible d’entraver l’envoi de
soldats dans les régions en état d’urgence et les pèlerinages à La
Mecque.
Le 23.2, plus de 2.000 travailleurs des voies
aériennes à Istanbul ont participé à une manifestation de protestation
contre la suspension de leur grève.
Le 23.2, à Istanbul, huit personnes sont arrêtées
pour avoir participé à des activités de l’IBDA-C.
Le 23.2, cinq personnes sont blessées pendant une
échauffourée entre des étudiants de droite et de gauche à l’Université
Inönü à Malatya.
Le 23.2, à Bursa, la police arrête 15 jeunes lors
d’une manifestation d’étudiants d’écoles secondaires pour protester
contre les pressions administratives dans les écoles.
Le 24.2, dix personnes sont blessées lors d’une
échauffourée entre étudiants de droite et de gauche aux Faculté de
Lettres, d’Histoire et de Géographie de l’Université d’Ankara.
Le 25.2, à Istanbul, Bülent Erdönmez, 15 ans, blessé
et arrêté le 15 février lors d’un affrontement entre des étudiants de
droite et de gauche devant l’Ecole Secondaire de Vefa, déclare avoir
été torturé pendant 48 heures au poste de police.
Le 25.2, à Iskenderun, un tribunal ordonne
l’arrestation de Hayrettin Yilmaz, président du HADEP, et de 12 autres
personnes.
Le 25.2, à Batman, trois femmes, Sabahat Izmir, Ayse
Sahin et Aliye Narin, sont blessées lors de l’explosion d’une bombe
placée par des inconnus.
Le 26.2, à Istanbul, Kazim Gedik, Kasim Genc et
Meral Balikci, arrêtés le 25 février lors d’une descente dans une
cafétéria, déclarent avoir été torturés par la police.
Le 26.2, la police annonce l’arrestation de 11
militants présumés du Dev-Sol à Gebze.
Le 27.2, le bureau de l’IHD à Diyarbakir subit une
nouvelle descente de police au cours de laquelle quatre membres de
l’IHD ainsi qu’un employé sont arrêtés.
Le 28.2, à Izmir, trois ouvriers du fret, Fikret
Dinler, Mustafa Erol et Orhan Polat, qui menaient une action de
protestation, sont arrêtés. Après leur mise en liberté ils ont
déclaré avoir subi des tortures au poste de police.
PROTESTATIONS CONTRE LES INTERDICTIONS DE PUBLICATION
La fermeture de l’Özgür Ülke et d’autres journaux
ont provoqué des réactions partout dans le monde et beaucoup
d’organisations ont envoyé des messages de protestation adressés au
Gouvernement turc.
Le Comité pour la Protection des Journalistes à
New-York, dans un message adressé le 27 février au Premier Ministre
Ciller, déclara :
"Le CPJ s’inquiète de la tendance apparente qui
consiste à réduire au silence des journaux d’opposition en
Turquie. Quatre jours après la décision de la cour interdisant la
publication du journal Özgür Ülke, deux autres journaux, le Denge Azadi
et le Kurtulus, sont informés par les autorités de leur interdiction de
publication pour être considérés comme de successeurs de journaux
fermés temporairement sur ordre d’une cour. C’est sous ce même
prétexte que l’Özgür Ülke a été fermé le 2 février."
"L’hebdomadaire de gauche Kurtulus fut accusé d’être
la continuation du magazine Mücadele, dont la publication avait été
stoppée en octobre dernier, car les journalistes qui travaillaient pour
cet hebdomadaire étaient des anciens collaborateurs du Mücadele.
L’adresse du siège était la même pour les deux magazines et
l’orientation de la rédaction du Kurtulus ressemblait à celle du
Mücadele."
"La même "preuve" fut utilisée dans la décision de
fermer l’hebdomadaire pro-kurde Denge Azadi (ce dernier était considéré
comme une continuation de l’Azadi, interdit de publication en mai
dernier) et le journal Özgür Ülke."
"Si ce raisonnement s’applique à tous les journaux
précédemment fermés, les journalistes qui travaillaient pour ces
publications ne peuvent en effet plus collaborer avec des journaux dont
la rédaction a une orientation similaire."
"En tant qu’organisation neutre de journalistes, qui
a pour but de soutenir la liberté de la presse partout dans le monde,
nous considérons la suspension des magazines Kurtulus et du Denge Azadi
comme une violation flagrante du droit de "recherche, réception et
diffusion de l’information et des idées par n’importe quel media sans
se soucier des frontières". Ce droit est garanti par l’Article 19 de la
Déclaration Universelle des Droits de l’Homme des Nations Unies, ainsi
que par la Constitution turque."
DEUX MOIS DE PERSECUTIONS DES MEDIA
Le 6.1, à Istanbul, des inconnus lancent une bombe
au siège du journal Hürriyet.
Le 6.1, la CSE ordonne la confiscation du n°34 de
l’hebdomadaire Newroz pour propagande séparatiste.
Le 7.1, le rédacteur en chef du journal Stêrka
Rizgari, Mete Demirkol, est arrêté sur ordre de la CSE d’Istanbul.
Le 7.1, l’éditeur du journal Devrimci Emek, Yilmaz
Eksi, est placé en détention à Istanbul pour ne pas avoir payé les
amendes auxquelles il avait été condamné.
Le 9.1, le n°31 du journal Taraf, le n°45 du Gercek,
le n°44 du Newroz et le n°34 du Denge Azadi sont confisqués par la CSE
d’Istanbul.
Le 11.1, la CSE d’Ankara prononce l’acquittement de
deux représentants de la Fondation des Droits de l’Homme de Turquie
(TIHV), le Président Yavuz Önen et un membre du conseil
d’administration, Fevzi Argun; et de trois représentants de
l’Association des Droits de l’Homme (IHD), le Président Akin Birdal, le
vice-président Sedat Arslantas et un membre du conseil
d’administration, Erol Anar. Ils étaient accusés, en vertu de
l’Article 8 de la Loi Anti-terroriste, de propagande séparatiste suite
à la publication par leurs organisations de deux brochures sur les
pratiques de torture et les villages incendiés. Toutefois, le
Procureur demande de nouvelles poursuites à l’encontre de Birdal, Öndül
et Arslantas en vertu de l’Article 159 du Code Pénal turc pour ces deux
publications. Si cette demande est acceptée, les trois
représentants seront jugés par une cour criminelle pour insultes envers
les forces de sécurité de l’Etat.
Le 11.1, la CSE d’Istanbul confisque une édition
spéciale du journal Kizilbayrak traitant des syndicats sous prétexte de
propagande séparatiste.
Le 11.1, Sedat Hayta, rédacteur en chef du Devrimci
Emek, et Ali Demir, rédacteur en chef du Jiyana Nu, sont placés en état
d’arrestation sur ordre de la CSE d’Istanbul pour propagande
séparatiste.
Le 12.1, la CSE d’Istanbul confisque le n°34 du
Denge Azadi, le n°38 du Alinteri et la dernière édition du Medya
Günesi pour propagande séparatiste.
Le 15.1, Mehmet Emin Baser, un ancien rédacteur en
chef du journal Özgür Gündem, aujourd’hui disparu, est arrêté à
Istanbul.
Le 16.1, la police effectue une descente au siège de
la rédaction du journal Özgür Gelecek et procède à l’arrestation du
correspondant en chef, Kenan Taskin, et des correspondants Ali Bozlu,
Bektas Toptas et Murat Yildiz.
Le 16.1, lors de descentes effectuées dans plusieurs
maisons à Trabzon, la police arrête le rédacteur en chef de l’Özgür
Karadeniz, Kemal Evciman, et un correspondant du Mücadele, Esra
Yildirim, ainsi que 12 autres personnes, pour avoir participé à des
activités liées au Dev-Sol.
Le 17.1, le Procureur de la CSE de Diyarbakir entame
une nouvelle procédure en justice contre sept représentants de la
Section du IHD à Diyarbakir. Le Président de l’IHD à Diyarbakir,
Halit Temli, et six autres représentants risquent des peines de prison
allant jusqu’à 10 ans pour propagande séparatiste suite à un rapport
publié en 1992 sur les pratiques illégales dans la région décrété sous
état d’urgence.
Le 18.1, la CSE d’Istanbul et une cour pénale locale
ordonne la confiscation de quatre journaux, le n°15 de l’Atilim, le
n°45 du Newroz, le n°39 de l’Alinteri et le n°38 de l’Odak, pour
propagande séparatiste et soutien aux organisations illégales.
Le 18.1, à Ankara, quatre journalistes, Abdullah
Güler (Medya Günesi), Ali Toprak (Atilim), Gülseren Duman (Direnis) et
Yeter Yalcintas (Kizil Bayrak) sont arrêtés sur ordre d’un tribunal
pour propagande séparatiste.
Le 19.1, le n°185 du magazine Aktüel et le n°39 du
magazine Hedef sont confisqués par la CSE d’Istanbul pour propagande
séparatiste.
Le 20.1, la CSE d’Istanbul condamne
l’écrivain-journaliste Erhan Altun à 20 mois de prison et à une amende
de 208 millions de livres turques pour propagande séparatiste dans un
de ses articles publié le 23 septembre 1994 dans le journal
Gercek. Le tribunal a également condamné le rédacteur en chef du
Gercek, Pelin Sener, à six mois de prison et à une amende de 50
millions de livres turques.
Le 22.1, la CSE d’Istanbul ordonne la confiscation
du n°17 du Jiyana Nû et du n°16 de l'Atilim pour propagande
séparatiste.
Le 26.1, la CSE d’Istanbul confisque pour propagande
séparatiste un livre intitulé Marxisme et Guerre Civile publié par le
journal Devrimci Emek.
Le 27.1, Seher Karatas, rédacteur en chef du
Gencligin Sesi, est condamné par la CSE d’Istanbul à une peine de
prison de six mois et à une amende de 100 millions de livres turques
pour propagande séparatiste. Le tribunal décide également
d’interdire la publication de la revue pour une durée de dix jours.
Le 27.1, la CSE d’Istanbul condamne le rédacteur en
chef du Devrimci Genclik, Sabahat Varol, à une amende de 50 millions de
livres turques et décide une interdiction de publication de la revue
pendant un mois.
Le 27.1, le Président du Parti des Travailleurs
(IP), Dogu Perincek, passe en jugement devant la CSE d’Ankara en vertu
de la Loi sur la propagande séparatiste, suite à un article publié dans
la revue Özgür Bilim et dont il est l’auteur. Il risque une peine
de prison allant jusqu’à cinq ans et une amende de 100 millions de
livres turques. Trois responsables de la revue, Medeni Ayhan,
Sait Cakar et Cengiz Yasar, sont également inculpés dans cette affaire.
Le 28.1, à la demande du la Direction de la
Radiodiffusion, le Gouverneur de Diyarbakir arrête la diffusion de cinq
chaînes de télévision privées et de 16 stations de radio dans la ville.
Le 28.1, à Istanbul, la maison de Yasar Kaplan,
chroniqueur au journal Beklenen Vakit, est détruite par l’explosion
d’une bombe. L’attentat est revendiqué par l’organisation
islamiste IBDA-C.
Le 29.1, le Président du Syndicat des Travailleurs
du Pétrole (Petrol-Is), Münir Ceylan, est libéré après avoir purgé huit
mois de peine à la Prison de Saray. Il avait été condamné pour un
article paru dans l’hebdomadaire Yeni Ülke et dont il était l’auteur.
Le 30.1, le distributeur du journal local Güney
Uyanis, Serap Aladag, déclare avoir été torturé par la police après son
arrestation le 28 janvier.
Le 30.1, la CSE d’Istanbul confisque le n°40 du
magazine Alinteri pour incitation au crime.
Le 31.1, le n°47 du Newroz est confisqué par la CSE
d’Istanbul pour propagande séparatiste.
Le 2.2, la CSE d’Istanbul confisque un livre
intitulé la Liberté d’Opinion et la Turquie. Le Procureur entame
une procédure légale contre l’écrivain Yasar Kemal et le Directeur des
Editions Can pour incitation à la haine et à la violence en utilisant
les différences raciales et régionales.
Le 9.2, la Cour de Cassation ratifie une
condamnation contre Mustafa Pala pour un livre intitulé Discussions et
Réponses qu’il se préparait à publier. Pour ce livre dédié à la
mémoire de Musa Anter, un auteur kurde assassiné, Pala avait été
condamné à deux ans de prison et à une amende de 250 million de TL par
la CSE d’Ankara. Le Directeur des Editions Yaba, Aydin Dogan,
fut, lui aussi, condamné à six mois de prison et a une amende de 100
millions de TL pour le même livre.
Le 9.2, Corinna Guttstadt, correspondante du journal
allemand Junge Welt, est expulsé de la Turquie pour activités mettant
en danger l’ordre public. Elle avait été arrêtée le 8 février
alors qu’elle couvrait certains événements.
Le 12.2, à Istanbul, Müslim Catak et Saliha
Yaptaterek, respectivement rédacteurs en chef du Newroz et de
l’Alinteri, sont arrêtés sur ordre de la CSE d’Istanbul.
Le 14.2, à Istanbul, début du procès devant une cour
pénale du journaliste Abdurrahman Dilipak pour non-respect de la Loi
sur la Protection d’Atatürk suite à un discours critiquant le
kémalisme. Le journaliste risque un peine de prison allant
jusqu’à cinq ans.
Le 14.2, le magazine hebdomadaire Newroz annonce que
sur les 49 numéros parus en 1994, 47 ont été confisqués par la CSE
d’Istanbul, et que trois de ses rédacteurs en chef, Müslüm Yilmaz,
Mehmet Kesli et Müslüm Catak, ont été arrêtés. Malgré la mise en
liberté des deux premiers, Müslüm Catak demeure toujours en prison.
Le 15.2, une cour pénale d’Ankara condamne le
directeur des Editions Basak, Hikmet Kocak, à trois mois de prison et à
une amende de 78 millions de TL pour avoir envoyé à plusieurs
parlementaires un exemplaire du livre intitulé ... . Kocak avait
déjà été condamné à une peine de prison de six mois et à une amende de
100 millions de TL pour la publication de ce livre écrit par le poète
Edip Polat.
Le 15.2, la cour militaire de l’Etat-major turc
condamne Haydar Demir, rédacteur en chef de l’ancien magazine Emegin
Bayragi, à une peine de prison de deux mois et à une amende de 160
millions de TL pour la publication d’articles antimilitaristes.
Le 16.2, la CSE d’Ankara condamne le directeur des
Editions Yurt, Ünsal Öztürk, à six mois de prison et à une amende de 50
millions de TL pour la publication d’un livre intitulé un Chêne
Majestueux - du Kurde Sage Musa Anter. Öztürk purge en ce moment
d’autres peines de prison auxquelles il a été condamné suite à d’autres
publications.
Le 19.2, les dernières publications des magazines
Azadi et Kurtulus sont confisquées par décision d’une cour pénale à
Istanbul.
Le 20.2, le n°44 du journal Özgür Gelecek et le n°33
du Devrim sont confisqués par la CSE d’Istanbul pour propagande
séparatiste et soutien à des organisations illégales.
Le 21.2, le Procureur d’Ankara poursuit les
chanteurs folkloriques Sah Turna Dumlupinar et Ali Ekber Eren, ainsi
que le président du Syndicat des Travailleurs du Port Maritime
(Liman-Is), Hasan Biber, et un représentant de l’Association Pir Sultan
Abdal, Emel Sungur, pour leurs discours lors d’une manifestation de
protestation le 2 juillet 1994 à Ankara. Accusés d’incitation au
crime, chacun d’entre eux risque une peine de prison allant jusqu’à
cinq ans.
Le 21.2, deux journalistes du journal Cumhuriyet,
l’éditeur Berin Nadi et le rédacteur en chef Ibrahim Yildiz sont jugés
par la CSE d’Istanbul pour propagande en faveur de l’organisation
islamiste IBDA-C.
Le 22.2, le Conseil Suprême de la Radio et de la
Télévision décide de suspendre pendant un jour les stations radio Best
FM et Milas FM.
Le 23.2, un correspondant de l’Agence Anatolie,
Bünyamin Toprak est harcelé et arrêté par la police alors qu’il
couvrait une manifestation estudiantine.
Le 24.2, la CSE d’Istanbul condamne l’ancien
rédacteur en chef du magazine Medya Günesi, Nurettin Yüksekkaya, à une
peine de prison de six mois et à une amende de 50 millions de TL pour
la publications de certains articles. La cour décide en outre de
suspendre pendant un mois la parution du magazine.
RATIFICATION DE LA CONDAMNATION DE BESIKCI
La Cour de Cassation a confirmé le 15 janvier la
peine de prison de six ans et l’amende de 750 millions de TL infligées
au sociologue Ismail Besikci.
Besikci avait été condamné par la Cour de Sécurité
de l’Etat pour trois de ses livres : Sur la Communauté Kurde, Procès 1
d’Ismail Besikci et Un Intellectuel, Une Organisation et la Question
Kurde.
Ces nouvelles condamnations portent à 22 ans et six
mois la durée totale de toutes les peines de prison à l’encontre de
Besikci et à 850 millions de TL le montant total des amendes. Il
purge en ce moment sa peine à la Prison d’Ankara.
Avec les autres condamnations en suspens, la peine
de prison totale de Besikci s’élève à 67 années et un mois, et le
montant total d’amendes à 5 milliards 24 millions de TL.
La Cour de Cassation a également ratifié une peine
de prison de 18 mois et une amende de 150 millions de TL à l’encontre
du directeur des Editions Yurt, Ünsal Öztürk, pour la publication de
trois livres de Besikci. Cette condamnation porte à quatre ans la
durée totale de toutes ses peines de prison. Ünsal est incarcéré depuis
le 23 novembre 1994.