LE CHAOS SORTI DES URNES EN TURQUIE
Les élections du 24 décembre, contredisant les
affirmations de Ciller et de ses partisans occidentaux selon lesquelles
la ratification de l'Union douanière était la dernière chance d'arrêter
la montée des fondamentalistes en Turquie, le Parti du Bien-être
(RP) de Necmeddin Erbakan est devenu avec 21,38% la force
politique la plus représentative du pays.
Ensemble avec les voix des deux autres partis
turco-islamistes, 8,18% du Parti d'Action Nationaliste (MHP) et
0,45% du Parti de la Nation (MP), le pourcentage de l'extrême-droite en
Turquie a grimpé à 30% lors de ces élections. Etant donné que le RP, le
MHP et le MP avaient ensemble obtenu 16,9% des suffrages lorsqu'ils
s'étaient présentés sur une liste commune, les résultats électoraux
montrent que l'extrême-droite en Turquie a doublé son électorat durant
la période de coalitions de quatre ans DYP-CHP.
Les principaux perdants de ces élections sont sans
aucun doute les deux partenaires de la coalition, le Parti de la Juste
Voie (DYP) et le Parti Républicain du Peuple (CHP). Le
pourcentage du parti de Ciller, le DYP, est tombé de 27,03% en 1991 à
19,18% à ces élections, et celui du CHP de Deniz Baykal a chuté de
20,75% à 10,71%. Le pourcentage total des deux partenaires se situe à
29,89% alors qu'il était de 46,21% en 1991.
Ils ont ainsi payé la note de leurs politiques
économiques catastrophiques marquées principalement par une inflation
astronomique, un chômage dévastateur et une dette extérieure sans
précédent ainsi qu'un terrorisme d'état incessant. Les irrégularités et
la fortune douteuse de la famille de Ciller ont été un des principaux
facteurs de ce rejet spectaculaire de la part des couches défavoriées.
Alors qu'une part importante de leur électorat déçu
votait pour les partis d'extrême-droite, principalement pour le RP et
le MHP, certains ont préféré voter pour le Parti Démocratique de Gauche
(DSP) de Bülent Ecevit. Ainsi, le pourcentage du DSP est monté de
10,75% en 1991 à 14,64% en 1995.
Quant au principal parti d'opposition, le Parti de
la Mère-Patrie (ANAP) de Mesut Yilmaz, contrairement à toute
attente, il n'a pas réussi à émerger comme le premier parti. Incapable
de donner l'image d'un parti cohérent "libéral et démocratique", le
pourcentage de l'ANAP, au lieu d'augmenter, a régressé de 24,01% en
1991 à 19,65% en 1995.
Trois autres nouveaux petits partis de centre droit,
le Nouveau Parti (YP), le Mouvement de la Nouvelle Démocratie
(YDH) et le Parti de la Renaissance (YDP), n'ont pas réussi
non plus à obtenir le soutien populaire, le total de leurs voix est
resté sous la barre du 1%.
C'était aussi le cas pour le Parti Ouvrier (IP). Ses
votes ont chuté de 0,44% en 1991 à 0,22% en 1995.
La véritable surprise de ces élections a été le
résultat spectaculaire obtenu par le Parti de la Démocratie du Peuple
(HADEP), fondé en tant que successeur du Parti de la Démocratie
(DEP).
En dépit de toutes les pratiques répressives qu'elle
a subies telles que des arrestations, des rafles dans des meetings, des
assassinats, le HADEP a connu un réel succès dans les provinces kurdes
au sud-est du pays. Le pourcentage du HADEP a atteint 54.35% à Hakkari,
46,47% à Diyarbakir, 37,40% à Batman, 27,77% à Van, 26,68 à Siirt,
25,86% à Sirnak, 22,01% à Mardin, 21,70% à Igdir, 18,04 à Agri, 17% à
Tunceli, 16,77% à Mus et 13,61% à Sanliurfa.
Dans beaucoup de ces provinces, les suffrages
combinés de deux ou de trois des grands partis étaient moindres que
ceux du HADEP. Toutefois, vingt-quatre candidats HADEP élus par le
peuple ne pourront entrer au Parlement à cause du seuil national de dix
pourcent.
Par exemple, à Diyarbakir, l'arrondissement
électoral de Mme. Leyla Zana, ancienne député kurde en prison, le HADEP
n'a aucun député bien qu'il ait obtenu 46.47% des votes. A l'inverse,
dans cette province, le DYP de Ciller a obtenu deux sièges avec 10.78%,
l'ANAP trois sièges avec 13.79% et le RP cinq sièges avec 18.04%.
Après l'expulsion et l'arrestation de députés du DEP
dans la période législative précédente, cette obstruction constitue un
nouveau coup porté au choix de la population kurde.
En fait, outre l'injustice à l'égard du HADEP, la
façon hâtive d'organiser les élections anticipées en adoptant une loi
électorale anti-démocratique a déjà jeté une ombre sur la légitimité de
ces élections. Du reste, la présence de l'état d'urgence dans les
provinces kurdes, la privation des émigrés de voter dans leur pays
d'accueil et le manque de temps pour les partis d'opposition comme le
HADEP de se préparer aux élections et d'organiser leur campagne
électorale ont empêché l'électorat de faire un choix bien élaboré. Le
nombre élevé d'abstentions, 5 millions sur 34 millions, malgré le fait
que le vote est obligatoire sous peine d'inculpation, en est la preuve.
De plus, 804.470 citoyens ont manifesté leurs
protestations en rendant des bulletins nuls.
Parmi ceux qui ont émis un vote valide, 3.866.822 ne
sont pas représentés au Parlement par les candidats pour lesquels ils
ont voté parce que ces derniers ont été remplacés par d'autres
candidats issus de partis plus grands, à cause du seuil national de dix
pour-cent.
En résumé, 10.203.353 électeurs sur les 34 millions,
près d'un tiers donc, n'ont pas leurs représentants dans le nouveau
parlement.
En dépit de toutes ces pratiques injustes et du
soutien des puissances occidentales, les partis de la coalition, le DYP
et le CHP, ont été condamnés à une défaite sans précédent.
Malgré cet effondrement, Ciller n'a pas abandonné le
rêve de gouverner le pays en tant que Premier Ministre. En affirmant
qu'un gouvernement dirigé par les islamistes pourrait mener la Turquie
à une catastrophe, elle a lancé une campagne pour former une nouvelle
coalition avec l'ANAP et l'un des deux partis de centre gauche, le CHP
ou le DSP.
Il s'agit d'une nouvelle hypocrisie de Ciller.
La véritable raison de la montée du RP n'est pas
seulement le souhait de retourner aux valeurs religieuses, ignorées par
les gouvernements kémalistes depuis le début de la République. Comme
expliqué ci-dessus, les couches populaires appauvries par les
politiques économiques catastrophiques de Ciller, ont dû voter, à
l'exception des provinces kurdes, pour les partis d'extrême droite
comme le RP et le MHP, en l'absence d'une réelle alternative pour
résoudre leurs problèmes. C'est Ciller elle-même et ses partenaires
sociaux-démocrates qui sont les principaux responsables de la situation
qui alarme le monde occidental.
En outre, il n'y a pas que le RP qui exploite les
sentiments religieux du peuple.
Depuis le début de son mandat, Ciller a donné toutes
les concessions aux groupes fondamentalistes. Il est très significatif
que durant son mandat long de deux ans et demi, Ciller ait ouvert
soixante et onze écoles religieuses de niveau secondaire à travers le
pays. En outre, les diplômés de ces écoles ont été autorisés à occuper,
dans le secteur public, des postes qui n'ont aucun lien avec des
fonctions religieuses.
La coalition DYP-CHP a toujours eu des relations
très étroites avec un autre parti turco-islamique, le MHP, et a joui de
son appui au cours des travaux parlementaires pour faire passer de
nombreuses lois répressives. Les derniers mois, Ciller a tenté de
présenter aux élections une liste commune réunissant les ténors du DYP
et du MHP mais a échoué au dernier moment à cause d'une dispute
concernant l'attribution des places sur ces listes. Cependant, après
cette dernière défaite, ses collaborateurs parlent de mener la Turquie
à de nouvelles élections anticipées au cours desquelles le DYP ne
recommettra pas "l'erreur" de perdre le partenariat du MHP. Elle espère
ainsi obtenir aux alentours de trente pour-cent des voix et partager le
gouvernement avec ce parti néo-fasciste.
De plus, c'est Ciller elle-même et son partenaire
Baykal qui n'ont pas hésité à collaborer avec le RP au cours de
l'adoption du nouveau Code électoral. Grâce à cette loi, le RP a
obtenu, au détriment des partis plus petits, un nombre de députés plus
élevé qu'il ne mérite réellement.
Ce qui est pire, c'est que, parmi les députés
nouvellement élus, plus d'une centaine sont membres actifs de divers
ordres et confréries religieux. Ces députés islamistes ne se retrouvent
pas uniquement dans les rangs du RP mais aussi dans ceux de deux
partis de centre droit, le DYP et l'ANAP, qui prétendent défendre
l'Etat laïc contre un RP islamiste.
Parmi les députés DYP, il y a deux figures issues de
l'ordre des Naksibendi, onze de l'ordre des Nurcu et une de
l'ordre des Kadiri. Trois députés DYP sont connus comme étant les
chefs de file de certaines communautés religieuses.
Le célèbre Ministre d'Etat Ayvaz Gökdemir, que
Ciller a gardé dans son gouvernement jusqu'aux élections en dépit du
fait qu'il a traité de "prostituées" les présidentes des trois groupes
politiques du Parlement Européen, est connu comme étant le représentant
de l'ordre des Rifai au Parlement!
Quelle que puisse être l'issue des négociations de
coalition dans l'année nouvelle, que ce soit un gouvernement mené par
le RP ou un gouvernement formé par le DYP et l'ANAP avec la
participation ou l'appui externe d'un parti de centre gauche ou encore
de nouvelles élections, l'extrême-droite sera un facteur
déterminant dans le façonnement de l'avenir de la Turquie.
OUTCOME OF THE 24 DECEMBER 1995
ELECTIONS
1991 1995
Difference
Electorate 29,978,837
34,155,981 +4,177,144
Participants 25,157,089
29,101,469 +3,944,380
Rate of Participation 83.92%
85.20% +1.28%
VALID VOTES 24,416,526
28,126,993 +3,710,467
DYP 6,600,644 (27.03%) 5,396,009
(19.18%) -1,204,635 (-7,85%)
ANAP 5,862,639 (24.01%) 5,527,288
(19.65%) - 335,351 (-4,36%)
RP 4,121,292 (16.88%) 6,012,450
(21.38%) +1,891,158 (+4,50%)
MHP - 2,301,343 (
8.18%) +2,301,343 (+8,18%)
YDH - 133,889
(0.48%) +133,889 (0,48%)
MP (former IDP) - 127,630
(0.45%) +127,630 (0,45%)
YDP - 95,484
(0.34%) +95,484 (0.34%)
YP - 36,853
(0.13%) +36,853 (0.13%)
TOTAL RIGHT 16,584,575 (67.92%)
19,630,946 (69.79%) +3,046,371
(+1.87%)
CHP (former SHP) 5,066,546 (20.75%)
3,011,076 (10.71%) -2,055,470 (-10.04%)
DSP 2,624,310 (10.75%) 4,118,025
(14.64%) +1,493,715 (+3,89%)
IP (former SP) 108,374 (0.44%)
61,428 (0.22%) -46,946 (-0.22%)
HADEP - 1,171,623
(4.17%) +1,171,623 (+4.17%)
TOTAL LEFT 7,799,230 (31.94%)
8,362,152 (29.74%) +562,922 (-2.20%)
INDEPENDENTS 32,721 (0.14%) 133,895
(0.47%) +101,174 (+0,33%)
DISTRIBUTION OF THE SEATS
1991 1995
Difference
TOTAL SEATS 450
550 +100
DYP 178 (39.55%%) 135
(24.54%) -43 (-15.01%)
ANAP 115 (25.55%) 132
(24,00%) +17 (-1.55%)
RP 62 (13.78) 158
(28.73%) +96 (+14.95%)
TOTAL RIGHT 355 (78.88%) 425
(77,27%) +70 (-1.61%)
SHP 88 (19.56%) 49
(8.91%) -39 (-10.65%)
DSP 7 (1.56%) 76
(13.82%) +69 (+12.26%)
TOTAL LEFT 95 (21.12%) 125
(22.73%) +30 (+1.61%)
LE PKK DECLARE UN CESSEZ-LE-FEU UNILATERAL
A l'appel lancé par le Parlement Européen en
direction du gouvernement turc et des représentants kurdes pour trouver
"une solution non violente et politique" au conflit, la seule réponse
positive est venue du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK).
Au cours d'une émission de la télévision kurde
MED-TV, le Président du PKK Abdullah Öcalan a dit : "Nous respectons la
décision prise hier par la Parlement Européen au sujet de la recherche
d'une solution politique avec le PKK et les autres parties concernées.
Pour aider cette décision à produire ses effets et pour remplir nos
responsabilités nous avons aussi décidé de mettre un terme au long
conflit entre les groupes kurdes dans le sud du Kurdistan, de déclarer
un cessez-le-feu unilatéral et de stopper nos actions militaires en
Turquie.
"Si l'armée turque ne tente pas de nous détruire,
nous n'entreprendrons pas d'opération militaire au Kurdistan ou en
Turquie. Si les forces turques essaient de nous détruire, nous nous
défendrons et nous userons aussi de notre droit d'exercer des
représailles."
"Si je suis un terroriste, ou si le PKK est
terroriste, il y a d'autres groupes kurdes qui ne le sont pas. S'ils ne
veulent pas parler avec nous, qu'ils parlent avec ces Kurdes qui ne
sont en rien mêlés au 'terrorisme'. Pourquoi ne pas rencontrer ces
milieux kurdes? Sont-ils aussi des terroristes?"
"La Turquie a maintenant rejoint l'Union douanière.
Par conséquent, le Parlement Européen est obligé de prendre ses
responsabilités dans le cadre des accords qu'il a passés. Si le
Parlement Européen ne veut pas de la guerre et s'il est sincère sur la
question d'une solution politique, il devrait marcher sur les traces de
sa résolution. Il devrait conditionner son aide financière à la
démocratisation. S'il ne peut faire cela, il doit réaliser que chacun
de ces centimes sera dépensé dans la sale guerre."
De cet appel, la présidente du groupe socialiste au
Parlement, Pauline Green, a salué le cessez-le-feu unilatéral annoncé
par le PKK.
Dans un communiqué de presse daté du 15 décembre,
Green a appelé le gouvernement turc à prendre des mesures réciproques
pour donner "un élan à la paix."
"Je suis ravie que le PKK ait écouté notre appel et
qu'il ait décidé de faire le pas nécessaire pour la paix. Le
gouvernement turc a maintenant l'opportunité d'exercer un leadership et
de relever le défi qui l'attend dans le sud-est de la Turquie. Des
mesures appropriées pourraient comprendre une levée de l'état d'urgence
et un geste de bonne volonté à l'adresse du peuple kurde, telle la
libération des députés kurdes, y compris Leyla Zana."
Cependant, le gouvernement turc a catégoriquement
refusé la proposition du PE. Après avoir fêté la ratification de
l'Union douanière, Ankara a repris ses attaques contre le PE. Le 27
décembre, le porte-parole du Ministère des Affaires étrangères, Ömer
Akbel, a accusé le Parlement Européen d'adopter deux poids deux mesures
sur la question du terrorisme, en traitant différemment l'ETA en
Espagne et le PKK en Turquie.
LE PARLEMENT EUROPEEN CEDE A LA REALPOLITIK
Le Parlement Européen, ignorant ses propres
conditions préalables concernant la "démocratisation" et faisant la
sourde oreille à la mise en garde de dernière minute de la part
d'organisations internationales des droits de l'homme, a légitimé le
régime répressif d'Ankara au sein de l'Union Européenne avec la
ratification de l'Union douanière le 13 décembre 1995.
Le vote du Parlement Européen, 343 oui contre 149
non, et 36 abstentions, a aussi permis à la Turquie d'obtenir ECU 375
millions de l'Union Européenne dans le cadre d'une assistance
financière à la coopération pour une durée de cinq ans.
De nombreux membres de l'assemblée qui défendaient
le refus ou la remise à plus tard de l'Union douanière ont changé
d'avis au dernier moment en se soumettant au chantage du Premier
Ministre Ciller qui prétendait que les islamistes du Parti du bien-être
(RP) deviendraient la première force politique du pays si le
Parlement Européen ne ratifiait pas l'accord.
Avant le vote, et pendant des semaines, un certain
nombre de ministres, de diplomates et d'hommes d'affaires turcs ont
rempli les bâtiments du Parlement à Bruxelles et à Strasbourg pour y
exercer un lobbying dans le but d'obtenir la ratification de l'Union
douanière. A tel point que lors d'une réunion à Strasbourg, un
somptueux banquet était offert aux membres du Parlement Européen par
des hommes d'affaires turcs.
A côté de cela, les chefs des grandes puissances
occidentales, en donnant la priorité à leurs intérêts économiques et
stratégiques au détriment du respect des droits de l'homme, ont tout
fait pour influencer les groupes politiques du Parlement Européen pour
augmenter les chances électorales de Ciller par la ratification de
l'accord.
A la grande surprise des observateurs, l'ambassadeur
des Etats-Unis à Bruxelles a visité un par un chacun des présidents des
groupes politiques du Parlement Européen et leur a demandé de soutenir
le régime d'Ankara.
L'ambassadeur israélien en Turquie, Zvi Elpeleg, a
déclaré aux journalistes turcs le 17 décembre à Ankara qu'Israël, pays
qui jouit de relations étroites avec l'Union Européenne, avait fourni
un soutien considérable à la Turquie en s'engageant dans des activités
de lobbying en faveur de l'Union douanière préalablement au vote du
Parlement Européen. Le Premier Ministre israélien Shimon Peres a envoyé
des lettres aux présidents de groupe du PE, et l'ambassadeur Elpeleg a
travaillé en coordination avec les ambassades en Turquie des pays
membres de l'UE.
Pourtant, les résultats des élections du 24 décembre
ont une fois de plus montré que tous ces efforts ne pouvaient empêcher
d'une part le RP de devenir le premier parti politique du pays et
d'autre part le DYP et le CHP de réaliser leurs plus mauvais scores
électoraux de tous les temps.
En considérant comme suffisants certains changements
de façade à l'article 8, le Parlement Européen s'est rendu complice des
honteuses violations des droits de l'homme dans le flanc sud-est de
l'Europe avec ses prisons remplies de détenus politiques.
Bien que la décision de l'assemblée plénière ait été
suivie d'une résolution fort débattue sur les droits de l'homme, les
membres du Parlement Européen savent très bien qu'aucune des
résolutions similaires adoptées par le passé n'a été prise au sérieux
par le régime d'Ankara.
Dans cette résolution sur les droits de l'homme, le
Parlement a appelé la Turquie à continuer dans la voie des réformes
démocratiques, faire tout son possible pour trouver une solution
politique au conflit du Sud-est anatolien et mettre fin à son
"occupation de Chypre". Le PE a également demandé à la Commission
Européenne de préparer un rapport qui lui serait soumis "au moins une
fois par mois" sur l'évolution de ces questions.
Toutefois, la résolution sur les droits de l'homme,
qui n'est pas contraignante, n'a pas irrité les autorités turques qui
ont dit que la version adoptée était "beaucoup plus modérée" que celle
de départ.
Après le vote, le régime d'Ankara a salué la
décision du PE comme un triomphe remporté par la diplomatie turque face
aux "ennemis de la Turquie". Le Premier Ministre Ciller a donné l'ordre
d'organiser des manifestations de célébration dans tout le pays en vue
d'exploiter cette décision dans sa campagne électorale. S'adressant à
des étudiants à l'Université Bilkent d'Ankara, le 15 décembre, elle a
déclaré que la Turquie serait membre à part entière de l'Union
Européenne endéans les trois ans.
Quelles que soient les raisons du "oui" du Parlement
Européen, l'exposé des motifs suivant du membre espagnol du PE Carlos
Carnero Gonzales, le rapporteur de la Commission des Affaires
Etrangères, demeure un document indéniable mettant en évidence le vrai
visage d'un régime répressif embrassé par l'Union Européenne.
EXPOSÉ DES MOTIFS
1. Le nouveau cadre politique, économique et
stratégique existant dans les régions du Moyen Orient et du Caucase
impose à l'Europe de renforcer ses relations avec la Turquie, compte
tenu notamment de la fin de la guerre froide et de la mise en oeuvre de
la nouvelle politique euro-méditerranéenne. Au cours des années 90, la
Turquie n'a cessé de renforcer son rôle au sein de la communauté
internationale: il suffit de rappeler à cet égard le rôle joué par
Ankara dans la "guerre du Golfe" ou la fonction de "zone tampon" que
joue le territoire turc pour l'Europe vis-à-vis de l'Iran, de l'Irak,
de la Syrie et de la région du Caucase. La Turquie est appelée
aujourd'hui à jouer un rôle important sur le plan régional et dans le
sud-est de la Méditerranée, surtout si l'on considère l 'importance
acquise au cours de ces dernières années par le Moyen-Orient avec les
processus incertains de paix et l'explosion de la guerre dans les
Balkans. C'est dans ce contexte que la Turquie tente de redéfinir son
système de relations internationales, surtout avec l'Europe et l'Asie
centrale, afin de trouver la place qui lui convient sur le plan
géopolitique.
C'est précisément dans la perspective des
potentialités qu'offrent les relations UE-Turquie que le Parlement
européen a souligné, au cours des derniers mois, la nécessité d'obtenir
du système politique turc des signes évidents d'un processus
irréversible conduisant à une plus grande démocratie: l'ancrage
structurel à l'Europe que représente l'union douanière doit en effet se
faire entre des pays où l'État de droit et le libre exercice des droits
civils, politiques, culturels, sociaux et économiques fondamentaux sont
pleinement respectés. C'est dans ce contexte qu'il convient de
déchiffrer les appels de l'Europe à la Turquie, qui ne sont que des
indications d'une série de réformes indispensables pour établir des
relations de qualité, durables, entre l'UE et la Turquie, souhaitées
par tous. L'Europe et le Parlement européen veulent, pour d'évidentes
raisons, que la Turquie fasse partie intégrante du système politique et
économique du continent: mais ils ne sauraient tolérer que des
violations des droits de l'homme, des politiques militaires visant à
nier l'existence des Kurdes ou des situations de fait contraires au
droit international continuent à se perpétrer dans un pays avec lequel
ils entendent nouer des relations privilégiées dans tous les domaines.
L'union douanière est un pas irréversible vers
l'ancrage de la Turquie à l'Europe et prend dans ce pays une
signification politique qui va bien au-delà des contenus commerciaux et
économiques. Cette union douanière a été prévue dans l'accord
d'association CEE/Turquie de 1963; le Protocole additionnel (entré en
vigueur en 1973) fixait le calendrier de mise en oeuvre en prévoyant
une période transitoire de 22 ans. La 36e session du Conseil
d'association CE/Turquie du 6 mars 1995 a lancé définitivement l'union
douanière qui devrait entrer en vigueur le 1er janvier 1996 et la 37e
session du Conseil CE-Turquie du 30 octobre 1995 a confirmé que toutes
les conditions techniques étaient pour cela réunies.
Le Parlement européen n'a manifesté à aucun moment
une opposition de principe à l'Union douanière. En tant qu'organe
démocratique de l'union européenne, il a insisté sur la nécessité que
le système politique turc évolue vers des niveaux qui permettent la
normalisation des relations entre les parties. En ce sens, il a énoncé,
dans toute une série de résolutions, un certain nombre de points où il
estime indispensable de progresser afin d'approfondir avec ce pays les
relations de tous ordres, y compris sur le plan économique. Il s'agit
des points suivants:
1.1. LA REFORME DE LA CONSTITUTION DE 1982
La Constitution actuellement en vigueur en Turquie a
été élaborée en 1982 à la suite du coup d'État, par les militaires qui,
le 12 septembre 1980, ont pris le pouvoir à Ankara: il s'agit d'un
texte qui sacrifie à la sauvegarde et à la suprématie de l'État
l'exercice des libertés politiques, civiles et sociales et qui établit
un système sophistiqué de limitation des droits des citoyens, lequel -
sur le plan de la législation ordinaire - a produit de véritables
mécanismes de répression politique et policière, incompatibles avec un
État de droit. En janvier 1995, le nombre de signatures nécessaires à
la présentation à la Grande Assemblée nationale turque d'un "paquet
pour la démocratie" de 21 amendements à la constitution militaire était
réuni; ces amendements, bénéficiant du soutien des principales forces
politiques, visaient à éliminer une série de restrictions afin de
promouvoir une plus grande participation de la société civile à la vie
institutionnelle et politique de la Turquie. Sur les seize amendements
adoptés le 23 juillet 1995 et dûment détaillés dans le document PE
211.399 élaboré par la Direction générale des Études, il convient de
noter qu'aucun d'entre eux ne concerne explicitement des dispositions
destinées à promouvoir et à protéger les droits et libertés
individuels, ni n'énonce de garanties pour la protection des droits de
l'homme. Il s'agit le plus souvent d'ajustements institutionnels
(nombre de parlementaires, convocation du parlement, abaissement de
l'âge du droit de vote actif ou de l'inscription aux partis, etc.) ou
de réformes marginales. Cela ne veut pas dire pour autant que des
amendements importants n'aient pas été adoptés, tel celui sur le
préambule qui ôte toute légitimation politique au coup d'État, celui
qui étend aux syndicats et associations le droit de participation
politique ou celui concernant les négociations collectives.
On peut considérer que l'adoption de ces réformes
constitutionnelles représente un fait positif dans la vie démocratique
de la Turquie. Il convient de souligner que c'est la première fois
qu'un Parlement turc, composé de civils, modifie une constitution
imposée par les militaires. Ce phénomène confère, dans ce pays, une
haute valeur symbolique au rôle des forces politiques; il est par
ailleurs significatif que le "Refah Party" ait été le seul à voter
contre les réformes, lesquelles ont été finalement adoptées par 360
pour et 32 voix contre. Il convient toutefois de préciser qu'un nombre
important d'amendements proposés ont fait l'objet d'un marchandage
politique qui en a dénaturé le sens. Parmi les "victimes" des luttes de
pouvoir qu'ont livrées les partis du Parlement turc, figurent des
dispositions visant à exiger que les militaires responsables du coup
d'État rendent compte de leurs actes, ou à garantir toute la panoplie
des droits syndicaux à tous les fonctionnaires d'état, quel que soit
leur ordre ou leur grade. Il convient enfin d'attirer l'attention sur
le fait qu'il existe d'autres articles de la constitution turque
restreignant les droits individuels et qui n'ont même pas été évoqués
lors du débat ni n'ont fait l'objet d'une discussion.
Il ne fait aucun doute que l'importance des réformes
constitutionnelles tient bien davantage à la dynamique politique et
institutionnelle qu'elles ont déclenchée qu'à leur contenu même. Celui
ci demeure insuffisant en ce qui concerne la promotion de niveaux
démocratiques plus élevés: modifier la Constitution en tenant compte
des indications du Parlement européen et du Conseil de l'Europe ne
signifie pas adopter n'importe quelle réforme constitutionnelle, ainsi
que le démontre l'existence d'autres articles qui auraient dû être
modifiés et qui ne l'ont pas été, ou le rejet d'amendements très
importants sur le plan politique. Il reste à souhaiter que cela soit le
premier pas vers d'autres réformes plus profondes et que les partis
qui, le 23 juillet 1995, ont soutenu les amendements harmonisent les
différentes lois ordinaires avec les nouveaux principes
constitutionnels de façon à répondre par des faits concrets aux
critiques de la communauté internationale. Les libertés plus
importantes contenues dans la nouvelle Constitution doivent désormais
déboucher sur une plus grande liberté d'expression et d'information,
sur une plus grande liberté de participation démocratique et de
critique constructive à tous les niveaux, au stade de l'élaboration des
lois.
1.2. LES DEPUTES TURCS D'ORIGINE KURDE DU DEP
Le 7 juin 1990, a été fondé en Turquie le "People
Labor Party HEP". Une alliance électorale avec le "Social
Democratic Populist Party SHP" a abouti, en octobre 1991, à
ce que certains députés d'origine kurde, défenseurs affichés de
l'identité politique kurde, soient élus membres de la Grande Assemblée.
Leur activité politique résolument favorable à la défense des droits du
peuple kurde a provoqué de nombreuses tensions au sein du Parlement
turc. Le 14 août 1993, la Cour constitutionnelle a prononcé la
dissolution du HEP. Les députés concernés par cette décision ont été de
ce fait amenés à constituer dans un premier temps le "Freedom and
Democracy Party OZDEP" (qui a été dissous par la Cour
constitutionnelle le 23 novembre 1993), puis le "Democracy
Party DEP" (dissous par la Cour constitutionnelle le 16
juin 1994). Par un acte éminemment politique et à la demande du
Procureur d'Ankara, six députés du DEP ont été privés, le 2 mars 1994,
de leur immunité parlementaire: Hadip Dicle, président de ce mouvement,
Ahmet Turk, Leyla Zana, Orhan Dogan, Sirri Sakik, Mahmut Alinak. Le
jour suivant, ce fut le tour des députés Selim Sadak et Hasan Mezarci.
Le Parlement européen dispose d'un rapport, élaboré par M. Marc Galle,
concernant l'arrestation des députés turcs d'origine kurde et adopté le
15 mars 1994 (doc. PE 207.032) qui retrace toute l'affaire et auquel on
se référera pour plus de détails; rappelons à ce sujet que le rapport
souligne justement que "il ne fait pas de doute que la levée de
l'immunité de ces parlementaires revêt un caractère essentiellement
politique. Les principaux responsables ne s'en cachent pas et en
particulier, Mme Tansu Ciller, Premier ministre, puisque c'est son
parti DYP qui, avec l'ANAP, a pris l'initiative de faire figurer en
tête de l'ordre du jour de l'Assemblée" la levée de l'immunité
parlementaire des députés DEP. Le 8 décembre 1994, dans un procès
truqué, dénoncé par la communauté internationale, qui a suscité les
protestations de l'opinion publique mondiale et auquel ont assisté de
nombreux députés européens, les députés Zana, Dogan, Dicle, Sadak et
Türk ont été condamnés à quinze ans de prison pour association de
malfaiteurs; le député Sedat Yurttas à sept ans et six mois, alors que
Sirri Sakik et Mahmut Alniak l'étaient à trois ans et six mois pour
propagande séparatiste, conformément à l'article 8 de la loi anti
terroriste.
Lors d'une visite à Ankara, votre rapporteur a eu
l'occasion de transmettre aux collègues incarcérés la solidarité du
Parlement européen, exprimée dans diverses résolutions, et de rappeler
que l'Assemblée de Strasbourg avait dénoncé à plusieurs reprises le
processus dont ils faisaient l'objet: processus à coup sûr incompatible
avec un État qui se prétend démocratique, qui s'est singularisé par
l'absence de garanties de la défense, qui a mis en évidence dans toute
sa brutalité la persécution des organes de police de l'État contre des
représentants du peuple. Les autorités turques ne doivent pas
s'étonner de la réaction internationale indignée, européenne en
particulier, qu'a provoquée l'arrestation de ces députés et leur
condamnation: il est en effet inacceptable que certains
collègues dans une quelconque partie du monde
soient empêchés d'exercer leurs fonctions politiques, de participer, le
cas échéant, à un débat politique inhérent à tout système démocratique.
La démocratie et l'État de droit ne se mesurent pas à l'imposition par
la majorité de ses positions politiques mais au respect des minorités
et de leur expression, dans le cadre d'un respect réciproque à
l'intérieur de la légalité républicaine qui doit garantir un débat
serein entre toutes les parties.
Le 26 octobre 1995, la Cour de cassation turque, la
plus haute instance judiciaire du pays, a prononcé un arrêt confirmant
dans son intégralité la peine de 15 ans de prison à l'encontre de Leyla
Zana, Hatip Dicle, Selim Sadak et Orhan Dogan pour "création et
appartenance à une bande armée" alors que pour deux députés
Ahmet Türk et Sedat Yurttas la peine a été annulée et les
intéressés ont été libérés. Il convient également de considérer que
pour deux autres députés d'origine kurde, Sirri Sakik et Mahmut Alniak,
la Cour de cassation a décrété la révision de leur procès conformément
à l'article 8 de la loi anti terroriste, bien que ceux ci aient été
déjà libérés alors qu'ils avaient purgé plus des deux tiers de leur
peine.
Votre rapporteur entend exprimer la déception
profonde et l'amertume que lui cause la décision de la Cour de
cassation turque, dont la sentence s'inspire de critères davantage
politiques que judiciaires, et il juge bon de rappeler la volonté
européenne unanime de voir remis en liberté au plus vite les quatre
autres collègues.
Cet arrêt ouvre l'aspect supranational de la
question: il faut en effet souligner que la Cour européenne des droits
de l'homme, dont la Turquie a accepté la juridiction et le recours
individuel au 22 janvier 1990, a été saisie de quatre recours présentés
par les quatre députés incarcérés. En outre, les avocats des députés du
DEP ont annoncé l'ouverture d'un recours auprès de la Commission
européenne des droits de l'homme dont la Turquie a accepté la
juridiction le 28 janvier 1987. Une déclaration de presse du 26 octobre
1995 du gouvernement turc précise que "la Turquie accepte la
juridiction de ces deux organes européens" et qu'elle respectera par
conséquent le jugement qu'ils prendront. Votre rapporteur a toute
confiance en la juridiction européenne des droits de l'homme et
souhaite que les deux organes judiciaires se prononcent dès que
possible sur l'affaire: en même temps, il convient toutefois de
souligner le point de vue de nombreux journalistes turcs qui ont
dénoncé les "solutions bâtardes qui cherchent à calmer les Européens au
lieu d'améliorer résolument le bien être du peuple turc et de
transformer de façon irréversible la Turquie en un pays moderne".
Votre rapporteur estime enfin qu'il convient
d'explorer tout autre moyen permettant d'obtenir la libération des
quatre députés encore incarcérés, notamment en ce qui concerne la
possibilité d'une grâce présidentielle ("presidential pardon"), prévue
par les codes turcs, ou l'adoption d'une amnistie.
1.3. LA LOI 3713 DENOMMEE LOI "ANTI-TERRORISTE"
La loi "anti-terroriste" n° 3713, dénommée ci-après
LAT, a été adoptée le 12 avril 1991 en vue de combattre les
organisations qui "entendent changer les attributs de la république
tels que les définit la Constitution". C'est en particulier l'article 8
qui a déchaîné la critique internationale et auquel on recourt pour
réprimer les manifestations de désaccord politique qui visent
l'intégrité de l'État. Si cette disposition a pour raison d'être de
fournir des instruments légitimes à l'État turc pour se défendre contre
d'éventuelles tentatives terroristes visant à changer le caractère de
l'État et à saper son unité, il convient de dire que la formulation de
l'article 8 LAT et surtout sa mise en oeuvre ont introduit dans la
société turque des pratiques d'intimidation, liberticides et, en
substance, anti démocratiques de la part des "State Security Courts".
Qu'il soit bien clair ici que nul ne désire mettre
en cause le droit du gouvernement turc d'oeuvrer par des instruments
légaux pour le maintien de l'intégrité territoriale. La lutte contre le
séparatisme sert souvent de prétexte pour contrôler toutes les
critiques formulées à l'encontre de l'État et de ses méthodes pour
résoudre la "question kurde": le reste du travail a été fait par le
concept d'"intégrité de l'État" qui, dans l'acception et la
jurisprudence appliquées par les "State Security Courts", a jeté en
prison des centaines de journalistes, d'intellectuels et d'activistes
des droits de l'homme. En effet, l'article 8 sanctionne surtout
l'exercice du droit à la liberté d'information et du droit
d'expression. L'histoire de l'article 8 LAT est jonchée d'arrestations,
d'abus de pouvoir, de censures de la presse, de violations des droits
de la défense, de détentions arbitraires. Les principales cibles sont
évidemment les journaux qui jugent plus ouvertement que les autres la
politique gouvernementale concernant les zones du sud-est du pays.
Conformément aux demandes du Parlement européen et
aux rencontres que votre rapporteur a eues en Turquie et à Bruxelles
avec de nombreux opposants politiques turcs, le parlement turc a adopté
une réforme de l'article 8 LAT, le 27 octobre dernier, par 189 voix
pour, 83 voix contre et 2 abstentions. Les principales nouveautés
introduites par la réforme sont les suivantes: a) la peine pour
"propagande séparatiste" passe de 2-5 ans à 1-3 ans; b) cette peine
peut être commuée en une amende de 100 à 300 millions de livrès
turques, selon le pouvoir discrétionnaire du juge; c) introduction du
concept d"'intention"; d) dans l"'exposé des motifs", les juges sont
tenus de mettre en oeuvre la nouvelle loi conformément à la Convention
européenne sur les droits de l'homme; d) tous les procès qui se sont
déroulés dans le cadre de l'ex-article 8 devront être révisés, ce qui,
souhaitons-le, amènera la libération de nombreux détenus.
En même temps, toutefois, 1) le délit de "propagande
visant à détruire l'intégrité indivisible de l'État" conserve toute son
ambiguïté dans la jurisprudence discutable appliquée par les State
Security Courts; 2) les propriétaires des journaux qui diffusent la
"propagande séparatiste" continuent à être passibles d'une amende et de
peines de prison; 3) paradoxalement, la nouvelle loi "modernise" la
répression en infligeant des amendes et des peines de prison également
aux propriétaires de chaînes de télévision et de radio diffusant de la
"propagande".
En somme, malgré la réduction de la peine, le délit d'opinion demeure,
alors qu'on s'attendait précisément à ce qu'il soit supprimé. En effet,
si les State Security Courts continuent à appliquer tel quel cet
article et si le gouvernement ne fournit pas des garanties explicites
en ce sens, la réforme proposée risque de ne pas produire les éléments
de libéralisme politique et de démocratie réclamés par diverses
parties. C'est en ce sens que vont par exemple les déclarations faites
par plusieurs opposants d'associations turques et internationales de
défense des droits de l'homme, qui ont dénoncé le "changement de
façade" de l'article 8 qui ne porte pas atteinte à la nature des délits
ni n'élimine l'existence du délit d'opinion politique pour lequel il a
été confirmé.
Votre rapporteur demeure en outre préoccupé par
l'existence de nombreuses autres lois au contenu fort semblable à celui
de la loi anti-terroriste, et souvent méconnues. Il ne faut pas penser
en effet pouvoir obtenir la totale liberté d'expression en Turquie en
se contentant simplement de supprimer l 'article 8: c'est une
législation tout entière qui s'inspire des mêmes principes qui doit
être révisée, et l'existence-même d'une distinction établie entre la
"justice civile" gérée par des tribunaux ordinaires - et la "justice
militaire" - gérée par les "State Security Courts" - en dit long sur le
problème. Votre rapporteur estime que l'ensemble de la législation
militaire devrait en principe être aboli ou révisé parce que les abus
commis contre les droits civils et politiques des citoyens trouvent,
comme on l'a dit précédemment, leur origine dans la Constitution même
de 1982.
1.4 LES DROITS DE L'HOMME EN TURQUIE
La situation des droits de l'homme en Turquie
continue à être une source de préoccupations pour la communauté
internationale, du fait de l'important contrôle qui est exercé par les
principales associations turques et internationales de défense de la
dignité humaine. Tous s'accordent à dénoncer pour l'ensemble de l'année
1994 et pour une grande partie de l'année 1995 de nombreux cas de
tortures, d'exécutions arbitraires et de morts suspectes au cours de la
détention, de disparitions forcées de dissidents, de recours excessif à
la force par les forces de sécurité, d'emprisonnements de journalistes,
d'intellectuels, de militants des droits de l'homme.
Par ailleurs, énonce le rapport 1995 du département
d'État américain, le gouvernement poursuit très rarement les membres de
la police ou des forces de sécurité pour les exécutions arbitraires,
les tortures et d'autres violations des droits de l'homme; quand cela
se produit, les verdicts sont généralement très cléments. "Le climat
d'impunité qui en découle constitue le plus grand obstacle à la
diminution des exécutions illégales, des tortures et d'autres
violations des droits de l'homme" déclare le rapport. C'est précisément
cette impunité qui constitue le principal obstacle à l'amélioration de
la situation des droits de l'homme en Turquie.
En présentant leurs rapports annuels pour 1995,
l'Association turque des droits de l'homme et la Fondation turque des
droits de l'homme, dont l'union a souvent financé les activités pour
les garanties de sérieux qu'offrent ces organismes, ont fait état d'une
aggravation de la situation au cours de l'année 1994, ce que confirment
les données fournies par Amnesty International.
L'atmosphère d'impunité dans laquelle les soldats
sont autorisés à agir dans le sud-est du pays s'étend désormais à tout
le personnel de police et des forces de sécurité du pays" dénonce
Amnesty. Et Amnesty poursuit: "En cherchant à masquer l'ampleur des
violations des droits de l'homme en Turquie, le gouvernement poursuit
les défenseurs turcs des droits de l'homme, ordonne la fermeture des
sièges d'associations turques de protection de la dignité humaine,
prend des mesures pour limiter la liberté de la presse pour
l'opposition." A propos de la torture: "Des rapports continuent à faire
état de tortures perpétrées quotidiennement dans de nombreuses parties
de la Turquie, mais surtout à Istanbul, Ankara, Izmir, Adana et dans le
Sud-Est. La torture est principalement pratiquée dans les postes de
police et de gendarmerie (…)".
Le rapport mondial de 1995 sur l'observation des
droits de l'homme constate également que la situation "a continué à se
détériorer en 1994, en grande partie à cause de la réponse musclée
apportée par le gouvernement à l'escalade du conflit dans le sud-est de
la Turquie". Le rapport contient des accusations très sévères et qui
n'ont pas reçu de démentis: "Des assassinats semblables à ceux
perpétrés par les escadrons de la mort et des disparitions suspectes
ont été la règle en Turquie au cours des dernières années, notamment
dans le Sud-Est, et ont connu une recrudescence en 1994. La victime
était soit tuée par des assaillants non identifiés, d'un coup de feu
dans la tête, soit arrêtée par les forces de sécurité qui prétendaient
par la suite l'avoir relâchée. Les victimes ont même soupçonné des
sympathisants du PKK, des organisateurs de l'HADEP et du DEP, des
journalistes de publications pro-kurdes et des militants syndicaux.
Parfois, le corps de la victime était découvert des jours plus tard au
bord d'une route ou avait purement et simplement disparu. Les assassins
étaient soupçonnés d'entretenir dans l'ombre des liens avec les forces
de sécurité. Il arrivait souvent que la police ne se livre à aucune
enquête sérieuse". L'existence présumée d'"escadrons de la mort"
paramilitaires ou para-gouvernementaux ne peut pas ne pas inquiéter
tous ceux qui ont pour souci primordial la protection des droits de
l'homme.
C'est avec grande préoccupation que votre rapporteur
observe l'inaction fondamentale de la justice turque et des
responsables politiques en ce qui concerne les questions relatives aux
droits de l'homme, surtout quand il s'agit de cas flagrants, documentés
et détaillés de violations de la dignité humaine, qui devraient être
combattus de façon exemplaire. Peut-être, ainsi que le soutient
également la Commission européenne dans ses documents, est-il vrai
qu'il existe en Turquie une prédisposition latente de la société turque
à accepter le recours à la force physique pour obtenir des résultats
légitimes, mais ces procédés ne sauraient être tolérés par aucun
système qui se prétend démocratique et on ne saurait non plus tolérer
qu'au nom de l'indépendance, de l'intégrité ou de l'intérêt supérieur
de l'État, on laisse agir librement et sans aucun contrôle démocratique
substantiel, non officiel, l'armée, les militaires, les agents de la
sécurité de l'État, les services secrets.
Un certain nombre d'importantes conventions
internationales déjà ratifiées par Ankara, telles que la "Convention
européenne pour la prévention de la torture et des traitements
inhumains et dégradants" ou la "Convention européenne des droits de
l'homme" ne sont malheureusement toujours pas appliquées en Turquie.
Des initiatives ont été prises récemment, telles que la réforme du
"Criminal Procedure Law", de nouvelles dispositions ont été adoptées
concernant le traitement des prisonniers, l'interdiction de recourir,
en tout état de cause, à la torture, la commutation de la peine
capitale en détention à vie ou la création de certains organes
parlementaires ou gouvernementaux de contrôle des droits de l'homme:
mais il s'agit de mesures à coup sûr insuffisantes, qui devraient être
assorties d'une forte volonté politique de poursuivre les auteurs des
crimes contre la dignité humaine qui sont, au contraire, tolérés.
1.5. LA "QUESTION KURDE"
La politique d'assimilation forcée de la population
d'origine kurde dans le sud-est du pays par le biais d'une évidente
option militaire dé la part du gouvernement turc, la radicalisation du
PKK et l'adoption de méthodes terroristes par celui-ci,
l'appauvrissement du sud-est du pays avec la marginalisation qui en
résulte de sa jeunesse sont essentiellement à l'origine de ce que l'on
a appelé la "question kurde" en Turquie. Le Parlement européen estime
depuis longtemps que le problème kurde ne peut être résolu
militairement car la guerre engendre des violations des droits de
l'homme à grande échelle et empêche la création d'un cadre politique et
social de coexistence pacifique entre Turcs et Kurdes.
La guerre a des effets dévastateurs, dans les
domaines économique, militaire, social et politique. On estime qu'au
moins 300.000 soldats de l'armée turque opèrent dans les provinces du
Sud-Est et qu'Ankara dépense plus de 8 milliards de dollars par an en
effort de guerre: la dette extérieure, d'au moins 67 milliards de
dollars, ne fait qu'augmenter à cause notamment des importantes
dépenses militaires. Après dix ans de conflit, des sources militaires
turques font état d'au moins 9.982 personnes tuées lors d'activités
militaires anti-kurdes, dont 2.197 soldats turcs, 4.757 militants du
PKK, 3.028 civils auxquels il faut ajouter 3.188 blessés graves. De
source kurde, il est fait état d'au moins 34.000 personnes tuées, dont
au minimum 5.000 civils. A ces chiffres, il faut ajouter 1.400 villages
bombardés ou incendiés par l'armée et environ 3 millions de personnes
déplacées. Des sources indépendantes font état de politiques
gouvernementales fondées sur des déportations forcées dans les villages
du Sud-Est, de bombardements à large échelle et d'incendies de villages
entiers, d'un embargo alimentaire contre plus d'une centaine de
villages. Ces mesures ont été souvent dénoncées, y compris par
d'éminents parlementaires et des acteurs de premier plan de la vie
politique nationale turque.
Le fait est que dans le sud-est du pays, toutes les
parties au conflit sont à l'origine de violations des droits de l'homme
et le font au nom d'une cause qui ne pourra jamais trouver de solution
par les armes. La question kurde en effet ne peut être niée dans son
essence: il existe une conscience et une identité collective des
Kurdes. En tant qu'ensemble harmonieux de peuples amis de la Turquie,
intéressée à des relations plus étroites avec Ankara, l'Europe et son
expérience historique montrent qu'il est possible d'assurer la
coexistence pacifique de spécificités diverses, sans porter atteinte à
l'intégrité des différents États, quand le dialogue et la négociation
s'imposent. Il faut renouer le dialogue et rétablir le respect
réciproque, l'un et l'autre devant primer sur les extrémismes
respectifs, car il est possible partout dans le monde, y compris en
Turquie, de restaurer une communauté tolérante capable de s'exprimer
diversement au sein d'un Etat unitaire.
Il est par conséquent nécessaire de déposer les
armes en Turquie et dans le sud-est du pays et de trouver d'autres
voies pour fixer des conditions de coexistence démocratique et
pacifique. Cette coexistence est une perspective inéluctable pour les
Turcs et les Kurdes; la sagesse de la société civile confirme que dans
la pratique quotidienne cet objectif peut être atteint, sans
difficultés insurmontables. Dans ce cadre, le débat politique qui
s'instaure en Turquie sur la "question kurde" et le rôle d'une presse
véritablement indépendante, entravés l'un et l'autre par des lois et
des pratiques d'intimidation à l'égard de tout ce qui est l'information
relative aux Kurdes, acquiert une importance fondamentale. Comme
toujours, la lutte pour la propagande produit une autre propagande qui
entraîne une schématisation des positions politiques des uns et des
autres, amenant "tous les Kurdes" à être des "terroristes du PKK et des
séparatistes" même si tel n'est pas le cas (comme le montre un récent
sondage de l"'Union des chambres de commerce turques TOBB"), conduisant
"tous les Turcs à vouloir l'extermination", même s'ils ne veulent que
la fin du terrorisme. Votre rapporteur déplore cette situation et est
convaincu en revanche que la fin des hostilités militaires pourrait
créer les conditions politiques pour l'instauration d'une coexistence
pacifique entre les communautés turques et kurdes de Turquie, dans le
cadre du respect de leur intégrité territoriale en tant qu'Etat, ainsi
que le souhaite certainement la majorité de la population.
1.6. CHYPRE
Le 20 juillet 1974, la Turquie intervient
militairement à Chypre. En novembre 1983, elle s'autoproclame
"République turque de Chypre du Nord", dans un total mépris du droit
international et en l'absence de tout fondement constitutionnel. La
résolution 541/83 du Conseil de sécurité des Nations unies déclare
illégale cette proclamation et invite la communauté internationale à ne
pas reconnaître la situation de fait instaurée par les Turcs.
La Coopération politique européenne a toujours
respecté les indications des Nations unies en reconnaissant le
gouvernement de la République de Chypre comme l'unique gouvernement
habilité à exercer une juridiction sur l'ensemble du territoire de
l'île. Entre-temps, elle a toujours soutenu les efforts diplomatiques
et politiques en vue de parvenir à une solution du "problème cypriote"
qui a jusqu'alors compliqué les relations entre la Turquie et l'Union
européenne. Pour une analyse approfondie de la question cypriote et
l'évolution récente en la matière, on se référera au rapport Bertens
"sur la demande d'adhésion de Chypre à l'Union européenne" (doc.
A4-156/95), adopté à Strasbourg en juillet 1995, qui expose de façon
très claire la contribution européenne au problème ainsi que l'état des
négociations - pratiquement interrompues depuis longtemps - qui se
déroulent sous les bons offices du Secrétaire général des Nations
unies. À ce titre, il est intéressant de souligner que, dans son
rapport du 30 mai 1994, le Secrétaire de l'ONU dénonce la situation
d'enlisement total dans laquelle se trouvent les discussions étant
donné que "l'absence d'accord est due principalement à l'absence de
volonté politique de la partie turco-cypriote". Le 29 juillet 1994, le
Conseil de sécurité de l'ONU a par ailleurs adopté la résolution 939/94
dans laquelle le statu quo à Chypre était jugé "inacceptable", et se
trouvait aggravé par la décision du parlement illégitime de la partie
septentrionale de Chypre d'abandonner l'idée de la fédération comme
base d'un règlement de paix, contrairement à toutes les résolutions ad
hoc du Conseil de sécurité des Nations unies: décision qui apparaît
comme un boycottage délibéré des efforts diplomatiques des Nations
unies.
Conformément aux résolutions ad hoc des Nations
unies et du Parlement européen, votre rapporteur estime à l'évidence
que la Turquie doit respecter toutes les délibérations internationales
et appliquer les résolutions du Conseil de sécurité de façon à mettre
fin à l'occupation illégale de Chypre.
2. REMARQUES FINALES.
Ci-après, quelques brèves considérations générales
sur la situation de la Turquie et l'union douanière CE/Turquie:
2.1. La Turquie connaît actuellement une situation
politique extraordinairement complexe, que l'on peut à coup sûr définir
de transition. Votre rapporteur estime à ce sujet que les positions
adoptées à ce jour par le PE jusqu'à cette date contribuent à
concrétiser et à accélérer ce processus de transition et continueront à
le faire: il ne croit pas en revanche que les positions du PE soient de
nature à encourager les secteurs conservateurs ou les secteurs
fondamentalistes qui fondent leur influence sur des phénomènes
politiques et socio-économiques présents dans la société turque;
2.2. Le système politique en vigueur en Turquie est
à tous égards une démocratie qui demande à être perfectionnée, dans
laquelle on remarque l'absence de mécanismes essentiels pour l'exercice
de libertés fondamentales très importantes; la mise en oeuvre de
l'union douanière devrait servir, le moment venu, à ce que le processus
de transition que connaît la Turquie débouche sur l'établissement d'une
démocratie intégrale qui permette d'affronter les principaux problèmes
du pays. Le Parlement européen est en mesure d'aider les secteurs les
plus dynamiques de la société turque à mener à bien ce processus en
offrant toutes les garanties de succès face aux secteurs qui s'y
opposent et qui occupent certainement des positions-clé du pouvoir
politique et institutionnel;
2.3. Dans une situation aussi complexe que celle que
présente la Turquie, les questions abordées par le PE dans ses
résolutions et exposées par votre rapporteur au cours de son récent
voyage (d'une part, réformes constitutionnelles, mise en liberté des
députés du DEP, abolition ou modification substantielle de l'article 8
de la loi anti-terroriste et de la législation ordinaire concomitante,
arrêt des violations des droits de l'homme; et, d'autre part,
traitement non militaire de la question kurde et acceptation des
résolutions de l'ONU sur Chypre) ont clairement été perçues comme une
demande d'approfondissement, d'élargissement, d'amélioration et de
normalisation de la démocratie;
2.4. Votre rapporteur estime enfin que le PE devrait
donner son avis conforme à l'Union douanière avec la Turquie uniquement
si des progrès substantiels sont constatés à court terme dans les
principaux domaines énumérés dans le présent document, en ce qui
concerne notamment l'extension et le renforcement de la démocratie
ainsi que l'exercice des libertés fondamentales, faute de quoi il se
priverait de l'occasion qui lui est donnée de participer au
développement de la démocratie dans ce pays, objectif que désire sans
doute atteindre la majeure partie des citoyens.
2.5. Quoi qu'il en soit, des élections politiques
anticipées sont prévues à court terme en Turquie. Le Parlement européen
souhaite que le nouveau gouvernement et la nouvelle majorité qui
sortira des urnes s'engagent à promouvoir d'autres réformes politiques
et institutionnelles plus profondes en Turquie afin de répondre à la
demande d'accroissement de la démocratie émanant de la société civile.
Ces élections constituent et constitueront une nouvelle possibilité
pour le Parlement européen de contribuer à l'approfondissement
démocratique du système politique turc.
LA RÉSOLUTION SUR LA SITUATION DES DROITS DE L'HOMME
Le Parlement européen,
A. ayant donné, le 13 décembre 1995, son avis
conforme sur la position commune de la Communauté au sein du Conseil
d'association CE-Turquie relative à la mise en place de la phase
définitive de l'union douanière,
B. considérant que la Turquie devrait respecter les
règles des organisations internationales auxquelles elle a adhéré et
des accords qu'elle a signés, notamment les règles des Nations unies,
du Conseil de l'Europe, de l'OSCE, de la Convention européenne des
droits de l'homme et de la Convention internationale contre la torture,
C. rappelant que, au moment où ils ont décidé la
création de l'Union, les chefs d'État des États membres de l'Union
européenne ont confirmé leur engagement à l'égard des principes de
liberté, de démocratie et de respect des droits de l'homme et des
libertés fondamentales ainsi que de l'État de droit,
D. convaincu que la mise en oeuvre de la phase
finale de l'union douanière constitue une étape décisive du
développement des relations entre la Turquie et l'Europe et que, dès
lors, l'Union européenne, ses États membres et la Turquie doivent, dans
le cadre du dialogue, veiller à ce que ces valeurs communes soient
mises en oeuvre de manière plus efficace encore,
E. convaincu que ces relations et ce dialogue seront
bénéfiques pour les deux parties dans la mesure où elles renforceront
la Turquie en tant que démocratie laïque au carrefour de l'Asie
centrale et du Moyen-Orient,
F. considérant cependant que des informations
continuent de montrer que des violations des droits de l'homme sont
encore commises et que, s'il y a eu certaines améliorations, la
situation des droits de l'homme et la démocratie laissent toujours
beaucoup à désirer en Turquie,
G. considérant que le gouvernement turc et la Grande
Assemblée nationale ont commencé récemment à apporter des modifications
positives à la Constitution et à d'autres dispositions concernant les
droits de l'homme et les libertés fondamentales,
H. constatant que les actes terroristes du PKK se
poursuivent, en particulier, mais pas uniquement, dans la région
sud-est de la Turquie,
I. constatant que dans cette même région, le
gouvernement turc continue de prendre des mesures militaires à
caractère répressif, par exemple l'évacuation de villages kurdes,
J. constatant que rien de concret n'a été fait pour
régler le conflit de Chypre et mettre fin à l'occupation turque d'une
partie de ce pays;
1. invite l'Union européenne, ses États membres et
la Turquie à appuyer sans réserve un dialogue large et permanent visant
à promouvoir le respect des droits de l'homme et les libertés et
demande au gouvernement turc et à la Grande Assemblée nationale de
poursuivre l'indispensable processus de réforme de la Constitution et
des dispositions pénales pour garantir une amélioration continue de la
situation des droits de l'homme et une réforme démocratique en Turquie;
2. invite l'Union européenne, ses États membres et
la Turquie à utiliser tous les moyens disponibles pour traduire ce
dialogue dans les faits, notamment à travers le Conseil d'association
et la commission parlementaire mixte et le partenariat
euroméditerranéen approuvé à la conférence de Barcelone;
3. lance un appel au gouvernement turc, au PKK et à
d'autres organisations kurdes pour qu'ils mettent tout en oeuvre afin
d'apporter une solution politique non violente au problème kurde;
demande au PKK de renoncer à la violence et au gouvernement turc et à
la Grande Assemblée nationale de lever le couvre-feu en vigueur dans la
région du sud-est et d'examiner les moyens de permettre aux citoyens
d'origine kurde d'exprimer leur identité culturelle, tout en
garantissant et en respectant l'unité territoriale de la Turquie;
4. demande au gouvernement turc et à la Grande
Assemblée nationale de réexaminer le cas des quatre membres de la
Grande Assemblée nationale et des autres personnes qui sont toujours
détenues, en envisageant une nouvelle loi d'amnistie;
5. demande au Conseil et à la Commission ainsi
qu'aux Nations unies et au gouvernement de Chypre de tout mettre en
oeuvre pour faire cesser la partition de l'île et demande instamment au
gouvernement turc de franchir des étapes concrètes dans cette voie en
appliquant la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies
relatives à cette question;
6. invite le Conseil et la Commission à contrôler en
permanence les droits de l'homme et l'évolution démocratique en Turquie
et demande à la Commission de présenter au moins une fois par an un
rapport au Parlement européen sur la situation;
7. demande au gouvernement turc d'être rigoureux
dans l'application de la loi sur la torture et les mauvais traitements
infligés aux prisonniers; souligne que la torture est un problème
particulièrement grave dans les locaux de la police et demande au
gouvernement turc de ne pas se retrancher derrière un quelconque
article de la Convention internationale contre la torture lui
permettant de refuser la publication de rapports sur la torture en
Turquie;
8. se déclare determiné à suivre attentivement
l'évolution en Turquie afin de réagir immédiatement si le gouvernement
turc ou la Grande Assemblée nationale revenaient sur leurs efforts
visant à renforcer la démocratie et à garantir le respect intégral des
droits de l'homme, principes qui caractérisent la démocratie d'Europe
occidentale à laquelle la Turquie aspire, et rappelle à ce pays que
l'avis conforme qu'il a émis doit être considéré comme un encouragement
répondant à l'engagement pris par le gouvernement turc de poursuivre le
processus de démocratisation et l'amélioration de la situation des
droits de l'homme;
9. charge son Président de transmettre la présente
résolution au Conseil, à la Commission, aux gouvernements des États
membres, au gouvernement de la Turquie et à la Grande assemblée
nationale turque, au gouvernement chypriote ainsi qu'au Secrétaire
général des Nations unies.
ANKARA IGNORE SON ENGAGEMENT SUR CHYPRE
Deux semaines seulement après la ratification de
l'Union douanière, la Turquie a contrevenu à son engagement concernant
le problème de Chypre dans l'accord.
Ankara a assuré de son soutien continu et ferme, au
niveau le plus élevé, la soi-disant République Turque de Chypre du Nord
(RTCN) et a promis aux Chypriotes turcs qu'ils profiteront "de la
manière la plus large possible" des avantages qui résulteront de
l'accord d'union douanière qu'Ankara a conclu avec l'Union Européenne.
Une déclaration commune publiée à l'issue d'un
sommet à Ankara le 28 décembre entre le Président turc Süleyman Demirel
et le Président de la RTCN Rauf Denktas a fait apparaître que la partie
turque pourrait consentir à l'adhésion à l'UE d'une Chypre fédérale
seulement après que la Turquie soit admise comme membre à part entière
de l'Union et pas avant.
Ankara a aussi promis d'égaliser les efforts
d'armement avec ceux de l'alliance grecque et chypriote grecque sur
l'île, bien qu'il n'ait pas concrétisé d'"Accord de Coopération en
matière de Défense" recherché par la partie chypriote turque pour
contrer un accord similaire du côté grec.
Un Denktas visiblement joyeux a dit aux reporters
qui suivaient l'annonce de la Déclaration Commune à une conférence de
presse après le sommet Turquie-RTCN que c'était "le plus beau cadeau de
Nouvel An qu'il aurait pu recevoir". "Naturellement, il y avait
certaines préoccupations à propos de la direction que prennent les
choses et ce qui va se passer. Maintenant, notre peuple et le monde
entier trouvera les réponses à ces questions dans cette déclaration," a
déclaré Denktas.
Demirel a, pour sa part, dit aux journalistes à la
conférence de presse commune avec Denktas qu'il y aurait certaines
difficultés auxquelles il faudrait faire face du fait que la Turquie
fait désormais partie de l'Union douanière avec l'UE.
"Comme la Turquie essaye de marcher de front avec
l'Europe, la RTCN devra marcher de front avec la Turquie. Il en
résultera une RTCN marchant de front avec l'Europe. La Turquie aidera
la RTCN à surmonter les difficultés qui verront le jour" a dit Denktas.
Les analystes diplomatiques turcs à Ankara ont
affirmé que cette déclaration "plongerait la partie grecque et ses
soutiens en Europe dans une rage folle". Ils ont ajouté que l'action
turque apparaît comme une "préemption", étant donné qu'il y a beaucoup
de discussions et d'activités à propos de l'éventuelle "adhésion de
Chypre à l'UE". "De manière claire, Ankara ne veut pas apparaître
inactif à un moment où il y a tellement de spéculations autour de la
question chypriot," ont-ils dit.
LE PRIX SAKHAROV DE LA LIBERTE POUR LEYLA ZANA
La députée kurde emprisonnée Leyla Zana s'est vue
décerner le 9 novembre le prestigieux Prix Sakharov pour la liberté de
pensée du Parlement Européen.
Mme. Zana, 34 ans, qui purge actuellement en Turquie
une peine de quinze ans de prison pour avoir défendu les droits de
l'homme du peuple kurde, a été désignée pour recevoir le prix par le
groupe socialiste du Parlement fort de 217 voix.
Le chef de file des socialistes du PE, Pauline
Green, a dit après la décision : "La récompense attribuée constitue la
reconnaissance de la fermeté de Leyla Zana, de son courage et de son
leadership face à la répression sans pitié. Leyla Zana inscrit
aujourd'hui son nom sur la liste d'honneur des lauréats du Prix
Sakharov aux côtés de gens comme Nelson Mandela, Alexander Dubcek, le
prix Nobel Aung San Quu Kyi et l'écrivain bannie Teslima Nasreen."
"Le Parlement Européen a reconnu la justesse de
notre combat et a condamné les politiciens qui, pour leurs intérêts
personnels et ceux de leurs groupes ou au nom d'un nationalisme
fanatique et dépassé, ont mené notre pays au bord de la catastrophe
sociale et de la guerre civile," a dit Leyla Zana. Elle a fait ce
commentaire, à partir de sa prison d'Ankara, dans un communiqué qui
a été publié par Le Comité International pour les Parlementaires
Kurdes Emprisonnés en Turquie basé à Paris.
Un responsable du Ministère turc des Affaires
étrangères a déclaré à Reuters : "Cette décision n'apporte aucun
crédit au Prix Sakharov. Ce n'est pas un événement heureux du point de
vue des droits de l'homme qu'un prix ait été donné à un individu dont
les liens avec un groupe terroriste a été prouvé par une décision d'une
cour. Nous ne pensons pas que la question mérite plus de commentaire."
LA TURQUIE, MEMBRE A PART ENTIERE DE L'UEO?
L'Assemblée Parlementaire de l'Union d'Europe
Occidentale (UEO) a adopté le 8 décembre un rapport qui propose
que le statut de participation de la Turquie dans cette organisation
soit élevée de membre associé à membre à part entière. Le rapport
demande qu'une invitation soit adressée à la Turquie, de même qu'à la
Norvège et à l'Islande, qui actuellement ont aussi le statut de membre
associé, pour signer l'article 5 de l'Accord de Bruxelles.
Comme l'article 5 de l'OTAN, cet article de l'Accord
de Bruxelles qui régit l'UEO prévoit aussi une disposition du type "un
pour tous et tous pour un", mais est plus obligatoire que son homologue
de l'OTAN.
En attirant l'attention sur l'importance stratégique
vitale de la Turquie pour l'Europe, le rapport dit que l'inclusion de
la Turquie, ainsi que la Norvège et l'Islande, va également lever
certaines confusions actuellement éprouvées au sein de l'organisation.
Le rapport soutient aussi que si la Turquie est maintenue hors de
l'UEO, cela pourrait forcer Ankara à reconsidérer même sa place au sein
de l'OTAN.
LA QUERELLE DE L'EAU ENTRE LA TURQUIE ET LE MONDE ARABE S'AGGRAVE
La finalisation par Ankara d'un accord de crédit
pour le barrage de Birecik sur le fleuve Euphrate a formé un nouveau
point névralgique entre la Turquie et ses pays voisins arabes. Le
barrage de Birecik, qui a une capacité de réservoir de 620 millions de
m3, sera capable de produire entre 1,7 et 2,5 milliards kW/an.
Le barrage de Birecik a pour but de réguler le
débit de l'eau en provenance du barrage Atatürk. La Turquie affirme que
Birecik va réguler la variation de la quantité d'eau dans le but de
fournir un approvisionnement en eau plus régulier aux pays situés en
aval.
La Syrie, gênée par la construction, a fait pression
sur de nombreux pays arabes et occidentaux.
D'abord, la Ligue arabe a fait une déclaration pour
pousser la Turquie à réaliser un accord équitable avec la Syrie.
Le 28 décembre, l'Egypte et six états arabes du
Golfe, Bahreïn, le Koweït, Oman, le Qatar, l'Arabie Saoudite et les
Emirats Arabes Unis, se sont rangés du côté de la Syrie dans sa
bataille pour l'eau avec la Turquie, en pressant Ankara de signer un
accord équitable avec Damas pour le partage des eaux de l'Euphrate.
Les ministres des Affaires étrangères ont critiqué
Ankara pour la construction de barrages sur le fleuve sans consulter
les autres états qu'il traverse - Syrie et Irak. "Les ministres
appellent le gouvernement turc à cesser l'écoulement des eaux sales en
direction de la Syrie et de trouver un accord juste et acceptable pour
le partage des eaux de l'Euphrate," a ajouté le communiqué.
Les tensions entre la Turquie et la Syrie sur la
question de l'eau ont été reportées à l'année nouvelle lorsque le
Ministre turc des Affaires étrangères Deniz Baykal a accusé la Syrie de
vouloir laver le sang qu'elle a sur ses mains avec plus d'eau.
Baykal a ajouté que le PKK était soutenu par la
Syrie et son chef, Abdullah Öcalan, a été autorisé à résider dans ce
pays. Il a exhorté la Syrie à adopter une nouvelle attitude dans ses
relations avec la Turquie.
LE DOSSIER TURC: TORTURE ET IMPUNITÉ
L'Association pour la Prévention de la Torture (APT)
a édité récemment un nouveau document intitulé Dossier Turquie: Torture
et Impunité: Quelles Réactions?
Ce dossier comporte deux parties. La première partie
concerne les violations systématiques des droits de l'homme, et en
particulier la pratique de la torture, et s'attache à mettre en
évidence que face aux persécutions visant en particulier les défenseurs
des droits de l'homme, règne une impunité quasi absolue pour les
auteurs de ces violations, qui est favorisée par toute une série de
mécanismes.
La deuxième partie de ce dossier porte d'une part
sur les réactions officielles turques face aux critiques contre la
violence, la torture et l'impunité des tortionnaires, et d'autre part
sur les réactions internationales, européennes en particulier. Cette
synthèse contribue à dessiner quelles sont les attentes et les
attitudes respectives.
Nous reproduisons l'Introduction de ce dossier:
"Il faut souligner que face à la torture et aux
violations des droits de l'homme, les autorités turques se sont
engagées dans une certaine mesure dans la voie de meilleures garanties.
Pour ne considérer que quelques exemples, se référer à la circulaire du
Premier Ministre de mars 1995, sur un meilleur contrôle des méthodes
policières, l'établissement et le rapport du Haut Conseil consultatif
sur les droits de l'homme, une série de séminaires sur les droits de
l'homme organisés à l'intention de policiers, ou encore l'annonce de
l'introduction de l'enseignement des droits de l'homme dans le
programme scolaire.
"Mais le chemin vers l'établissement d'attitudes
plus respectueuses des droits de l'homme et de mécanismes préventifs
faisant le poids face aux méthodes actuelles, pour ne pas parler de
l'éradication-même des maux dénoncés, sera encore long. Il faut donc en
appeler à des engagements très fermes dans cette direction. Si l'on y
regarde de près, en effet, on s'aperçoit malheureusement que ces
mesures n'ont pu à elles seules amener de changement notable.
"Toutes ces mesures, positives soient-elles, ne
suffiront pas en effet à éradiquer la pratique de la torture en
Turquie, sans qu'un ensemble de mesures conséquentes soit introduit au
niveau constitutionnel, législatif, structurel et procédural, et en
particulier en matière de lutte contre l'impunité.
"La pratique de la torture reste en effet
systématique en garde à vue. Elle existe également, mais plus
sporadiquement, dans les prisons, où persistent d'autre part une
pratique de traitements inhumains et dégradants ainsi que des problèmes
médicaux importants. Tant les prisonniers politiques que les
prisonniers de droit commun sont victimes de cet état de fait, même si
l'on constate cependant une répression plus systématique envers les
premiers. Et l'impunité des responsables de ces violations des droits
de l'homme est nourrie par un appareil répressif très fort (pouvoirs de
l'armée et de la police, forces spéciales, tribunaux de sûreté de
l'Etat - DGM, etc.).
"Il faut y voir de la part du pouvoir actuel, d'une
part, un manque de fermeté dans son engagement dans la lutte contre la
torture et les violations des droits de l'homme, car certains
dirigeants turcs se contentent de quelques changements de surface sans
s'attacher à la mise en place d'institutions et de procédures
véritablement démocratiques (c.f. par exemple quand ils ne s'élèvent
pas contre la condamnation de parlementaires pour avoir usé
pacifiquement de la liberté d'expression), estimant que cela doit
équivaloir à un engagement suffisant pour une pleine intégration à
l'Europe.
"D'autre part, le pouvoir ne semble pas pleinement
maîtrisé par l'équipe dirigeante actuelle, comme par exemple lorsque la
Direction générale de sûreté refuse de collaborer avec le Haut Conseil
consultatif sur les droits de l'homme, alors que ce dernier exerce un
mandat confié directement par le Premier Ministre, ou lorsque le
Ministre d'Etat chargé des droits de l'homme est traité de "traître"
par le directeur de la sûreté d'lstanbul (et que ce dernier occupe
toujours ses fonctions), ou lorsqu'encore un Ministre d'Etat insulte
des députés européens.
"A cela s'ajoute un état d'exception qui perdure
depuis 17 ans dans la région du sud-est de la Turquie. Rappelons que
l'application de la Convention européenne des droits de l'homme a été
suspendue dans cette région, qui connaît en outre un "super gouverneur"
doté de pouvoirs extraordinaires qui font coexister dans la pratique un
Etat et deux législations, en quelque sorte un "Etat dans l'Etat".
"Cet état d'exception coïncide également avec une
répression qui s'abat sur la population kurde avec une systématique qui
ne touche pas les autres minorités présentes en Turquie, moins
importantes en nombre (les citoyens turcs d'origine kurde forment un
quart de la population selon les chiffres officiels). La 'question
kurde' est traitée par les autorités turques par un amalgame entre une
minorité qui revendique démocratiquement des droits constitutionnels,
et la frange de cette minorité qui a recours à la lutte armée; les
autorités se retranchent ainsi derrière cette question pour justifier
la répression autant contre cette frange que contre la minorité dans
son ensemble et pour ne pas introduire un ensemble de mesures qui seul
pourrait permettre d'améliorer le bilan de la pratique des droits de
l'homme; ceci a pour conséquence de bloquer le processus de
démocratisation.
"Il faut rappeler les responsabilités des autorités
turques face aux engagements internationaux auxquels elle a souscrit,
en particulier en vertu de la Convention européenne des droits de
l'homme, de la Convention européenne pour la prévention de la torture
et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CEPT) et de la
Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants. La Turquie, en tant
qu'Etat partie à cette dernière, a notamment l'obligation de '(…)
prendre des mesures législatives, administratives, judiciaires ou
autres mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture ne
soient commis dans tout territoire sous sa juridiction. Aucune
dérogation ou restriction ne peut être invoquées pour justifier la
torture, même en cas de circonstances exceptionnelles telles qu'état ou
menace de guerre, instabilité politique intérieure, etc.' (art. 2). Et
en ayant souscrit à la CEPT, elle a accepté les visites du Comité
européen pour la prévention de la torture (CPT) et s'est engagée à
améliorer la situation à la lumière des recommandations du Comité,
faisant preuve jusqu'à aujourd'hui d'une coopération insuffisante.
"Mais il ne faut pas oublier également la
responsabilité de la communauté internationale, en particulier de
l'Europe, en vertu d'obligations internationales qui exigent non
seulement de respecter mais également de faire respecter les valeurs
fondamentales universelles. C'est pourquoi l'un des axes principaux
retenu pour ce dossier porte sur les réactions internationales face aux
graves violations des droits de l'homme en Turquie. Il est vrai que
depuis l'incarcération et la condamnation des députés kurdes, membres
du DEP, les critiques et les résolutions sont nombreuses. Mais le débat
ne saurait se focaliser sur cette seule question, tant les problèmes
sont profonds. Bon nombre de rapports européens, d'institutions
intergouvernementales ou non gouvernementales, le reconnaissent. Mais
l'importance stratégique de la Turquie dans la région apparaît comme un
facteur de tiédeur dans les pressions exercées sur ce pays face aux
violations des droits de l'homme. Or non seulement l'on est en droit
d'attendre de la part des gouvernements européens la même exigence
envers la Turquie, que celle qu'elle exerce envers les nouvelles
démocraties d'Europe centrale et orientale, sauf à accepter le principe
des 'deux poids deux mesures'. Mais c'est aussi la seule façon de
construire une Europe réellement unie et de s'identifier ensemble à des
valeurs suprêmes. Car une Turquie démocratique et respectueuse des
droits de l'homme ne peut que renforcer une Europe fidèle à ses
principes des droits de l'homme.
"Enfin, il faut saluer les efforts de ceux qui
s'engagent en Turquie pour appuyer le processus de démocratisation et
promouvoir un meilleur respect des droits de l'homme, des
organisations, des avocats, des intellectuels, des journalistes, et
leur courage aussi, au vu de la forte répression exercée sur eux. Notre
souhait est qu'un dialogue démocratique puisse s'instaurer entre les
autorités turques et ces personnes, qui finalement défendent la dignité
humaine et la vraie citoyenneté. Leur présence est une chance et un
potentiel important pour la démocratisation de la Turquie et une
garantie pour la démocratie, non seulement en Turquie mais aussi dans
toute l'Europe.
(Le texte intégral du dossier peut être obtenu
auprès de l'APT - C.P. 2267, 1211 Genève 2 - Suisse; Tél. : 41-22-734
20 88, Fax : 41-22-734 56 49)
7 PEINES CAPITALES A L'ISSUE DU PLUS LONG PROCES COLLECTIF
Le plus long procès collectif que la Turquie ait
connu a débouché le 28 décembre sur le prononcé de sept peines
capitales. Le procès Dev-Yol (La Voie Révolutionnaire), concernant 723
accusés, débuta le 26 février 1982 devant le Tribunal de loi martiale
d'Ankara. Le 19 juillet 1989, le tribunal a condamné sept accusés à la
peine capitale, 34 à l'emprisonnement à perpétuité et 346 autres à
diverses peines de prison allant jusqu'à 20 ans.
Bien que tous les condamnés aient été libérés sous
condition en 1991, bénéficiant de certains articles provisionnels de la
Loi Anti-Terreur, l'examen du verdict s'est poursuivi jusqu'à
maintenant par la Cour de Cassation.
La Cour, dans sa décision, a confirmé sept
condamnations à mort et 153 peines de prison. La Cour a également
décidé du renvoi de 23 intimés devant une haute cour criminelle en
formulant la demande de revoir à la hausse la durée de leur peine.
Quel que puisse être le nouveau verdict, aucun des
intimés ne sera réincarcéré, grâce à l'amnistie conditionnelle de 1991.
Cependant, si l'un d'entre eux commet à nouveau un "crime politique",
il purgera la peine de prison sursitaire additionnée de la durée de la
nouvelle sentence.
DEUX MOIS DE TERRORISME D'ÉTAT
1.11, les forces de sécurité annoncent l'arrestation
de 19 membres présumés du PKK, à Mersin.
2.11, la CSE d'Istanbul entame le procès d'un membre
présumé de l'organisation islamiste IBDC-A, Mehmet Firat, et de sa
femme Ipek Zeytin Firat. Le premier risque la peine de mort.
6.11, à Tunceli, huit étudiants sont mis en état
d'arrestation par un tribunal pour avoir participé à une manifestation
le 24 octobre.
6.11, la CSE d'Izmir condamne sept membres du PKK à
la peine de mort et six autres accusés à des peines de prison allant
jusqu'à douze ans et six mois.
6.11, trois membres de l'Organisation du Mouvement
Islamique (IHÖ) sont condamnés, par la CSE d'Izmir, à la prison à vie
et un autre accusé à deux ans et neuf mois d'emprisonnement.
9.11, la CSE d'Istanbul condamne quatre membres du
TDKP à douze ans et six mois, et cinq autres accusés à trois ans et
neuf mois de prison.
9.11, neuf membres du TDKP sont condamnés à des
peines de prison qui vont jusqu'à douze ans et six mois par la CSE
d'Istanbul.
9.11, à Diyarbakir, Fehmi Akyürek et Ramazan Ayhan
sont trouvés assassinés dans un terrain vague.
10.11, à Manisa, le bureau du Syndicat Ouvrier de
l'Education (Egitim Sen) a été détruit par des assaillants non
identifiés, à l'aide d'un cocktail molotof.
1O.11, les forces de sécurité ont blessé
mortellement Erhan Ilhan et Vasfi Ömer au cours d'une rafle dans une
maison à Diyarbakir.
15.11, les forces de sécurité détiennent vingt et un
membres présumés de Dev-Sol à Istanbul. Dix des détenus ont moins de
dix-sept ans.
16.11, à Istanbul, une jeune femme qui s'appelle
Kelime Tunc affirme avoir été torturée pendant sa détention après une
manifestation estudiantine le 8 novembre.
16.11, en protestation contre les traitements
médicaux, cent-huit détenus politiques de la prison d'Erzurum entament
une grève de la faim.
17.11, la CSE d'Istanbul condamne quatre membres de
Dev-Sol à l'emprisonnement à perpétuité et quatre autres à des peines
de prison qui vont jusqu'à dix-huit ans et six mois.
18.11, la CSE d'Istanbul débute le procès de six
accusés membres du PKK. Le procureur réclame la peine capitale à
l'encontre de deux des accusés en vertu de l'article 125 du CPT et
jusqu'à sept ans et six mois d'emprisonnement pour les autres accusés,
sur base de l'article 169.
19.11, les forces de sécurité inculpent quinze
personnes à Izmir sous le chef de participation aux activités du Parti
Communiste marxiste-léniniste (MLKP). A Istanbul, seize personnes sont
mises en détention pour appartenance au DHKP-C/Dev-Sol.
20.11, à Izmir, onze personnes sont mises en état
d'arrestation par un tribunal pour avoir organisé une action de
protestation contre l'insuffisance des dispositions prises pour
prévenir les inondations survenues le 4 novembre.
21.11, à Van, trois tireurs non identifiés ont
atteint mortellement l'enseignant Mehmet Atmaca.
21.11, un groupe de Loups Gris ont blessé deux
étudiants de gauche lors d'une descente dans une école
professionnelle à Darica.
22.11, un lycéen, Ceyhun Emre Dagdelen, prétend
avoir été torturé par la police au cours de sa détention, au début du
mois de novembre.
23.11, le procès de trente-deux personnes accusées
d'avoir organisé une manifestation contre les essais nucléaires chinois
le 19 août 1995 débute devant une cour pénale d'Istanbul. Le procureur
requiert jusqu'à trois ans de prison pour chacun des accusés.
26.11, à Istanbul, treize personnes sont inculpées
sous le chef d'activisme au sein du PKK.
27.11, à Adana, une femme qui s'appelle Sadiye Alkis
affirme avoir été torturée après son inculpation sous le chef d'avoir
fourni refuge à son frère, recherché par les forces de sécurité.
27.11, les forces de sécurité arrêtent quatorze
personnes à Istanbul pour activisme au sein du PKK.
28.11, dans l'arrondissement d'Araban, dans la
province de Gaziantep, Mustafa Akbulut est retrouvé tué lors de sa
détention.
28.11, à Bursa, un homme d'affaires juif, Nesim
Malki, tombe victime d'une attaque armée. Il a probablement été tué par
une organisation islamiste en guise de représailles pour la mort de
Fethi Sakaki, le leader de l'organisation islamiste de la Guerre Sainte.
29.11, à Dargecit, les villages de Zengen, Akcaköy
et Kumdere sont évacués par les forces de sécurité parce que les
paysans refusent de se joindre aux protecteurs de village. Au cours de
l'opération, une maison est détruite par le feu et une vingtaine de
paysans sont mis en état d'arrestation.
29.11, le président de l'Association des Etudiants
en Sciences Politiques de l'Université d'Ankara, Nurettin Öztatar, est
condamné par la CSE d'Ankara à trois ans et neuf mois d'emprisonnement
pour être membre d'une organisation illégale, l'Union des Jeunes
Communistes.
30.11, à Istanbul, un garçon âgé de douze ans, Halil
Ibrahim Okkali, affirme avoir été torturé dans un poste de police où il
avait été emmené le 27 novembre en tant que suspect dans une affaire de
vol.
30.11, à Ankara, un groupe d'étudiants
universitaires qui tenaient un meeting en protestation contre la peine
de mort est dispersée manu militari par la gendarmerie. Un étudiant est
blessé et environ une quarantaine d'étudiants sont mis en état
d'arrestation.
30.11, à Sivas, la police met en détention huit
étudiants universitaires sous l'accusation d'appartenance au Parti
Communiste marxiste-léniniste (MLKP).
1.12, à Istanbul, les forces de sécurité arrêtent
douze personnes suspectées d'activités au sein du PKK.
2.12, LA CSE d'Izmir condamne deux membres présumés
du PKK à la prison à vie et neuf autres accusés à diverses peines
d'emprisonnement qui vont jusqu'à dix-huit ans et neuf mois.
4.12, un groupe d'étudiants de droite s'en prennent
à un lycée professionnel à Burdur et blessent cinq étudiants de gauche.
Le même jour, des étudiants de droite font une descente dans
l'Université Karaelmas à Zonguldak.
4.12, la CSE d'Izmir condamne six accusés membres du
PKK à la prison à perpétuité et onze autres accusés à des peines de
prison qui vont jusqu'à seize ans et huit mois.
5.12, à Istanbul, dix-neuf personnes ont été
arrêtées par la police, avec comme chef d'inculpation la participation
aux activités du DHKP-C/ Dev-Sol.
8.12, la CSE d'Istanbul juge huit accusés pour avoir
pris part à des activités du DHKP-C/ Dev-Sol. Le procureur demande la
peine capitale à l'encontre de six des accusés et jusqu'à quinze ans de
prison pour les deux autres.
10.12, à Batman, des tireurs non identifiés tuent
l'employé de banque Ekrem Demir et ses deux enfants qui se rendaient en
voiture au village de Günesli.
11.12, un groupe d'étudiants de droite fait une
descente dans la Faculté d'Exploitation Minière de l'Université
Technique d'Istanbul. La bagarre entre les étudiants de gauche et de
droite se solde par une quinzaine d'étudiants blessés.
11.12, à Midyat, Besir Dolasmaz, kidnappé en
novembre par trente protecteurs de village, est retrouvé assassiné sous
la torture.
17.12, la grève de la faim entamée par des
prisonniers politiques à la prison d'Elbistan entre dans son
trente-cinquième jour.
18.12, la CSE d'Izmir condamne huit accusés membres
du PKK à la prison à vie et vingt-six autres accusés à des peines de
prison qui vont jusqu'à dix-huit ans et neuf mois. Le même tribunal
condamne également un membre du TDKP à douze ans et six mois de prison.
18.12, à Adana, les forces de sécurité arrêtent
treize personnes pour activisme au sein de TIKKO.
18.12, les forces de sécurité arrêtent quatre
personnes lors d'une rafle dans un café d'Istanbul.
19.12, la CSE d'Ankara condamne quatre accusés
membres du DHKP-C/ Dev-Sol à la peine capitale et quatre autres accusés
à différentes peines qui vont jusqu'à quinze ans d'emprisonnement.
19.12, des étudiants universitaires qui protestent
contre les attaques des Loups Gris dans les universités sont dispersés
par la police qui fait usage de la violence; un passant est blessé et
dix étudiants sont arrêtés.
19.12, à Batman, Mehmet Ayan est abattu par des
tireurs non identifiés.
20.12, la CSE d'Istanbul entame le procès de quatre
membres présumés du Parti de la Révolution de Turquie (TDP). Le
procureur requiert la peine de mort pour chacun d'entre eux. Deux
accusés, Kamil Yildiz et Gülseren Baran, affirment avoir été torturés
sous détention policière. En fait, Baran a été portée jusque dans la
salle d'audience, ses deux bras ayant été brisés durant
l'interrogatoire.
21.12, à Adana, treize personnes sont mises en état
d'arrestation pour avoir pris part à des activités de TIKKO.
21.12, à Mersin, Abdülmenaf Zengin, arrêté le 18
décembre, meurt à l'hôpital après avoir été torturé au cours de sa
détention policière.
22.12, à Gökcesu, Nevzat Onur et Gülcin Kenan
affirment avoir été torturés après avoir été arrêtés le 18 décembre par
des gendarmes.
23.12, une peine d'emprisonnement de vingt mois à
l'encontre du président du DDP (Parti de la Démocratie et de
l'Evolution) Ibrahim Aksoy, est ramenée à dix mois par la CSE de Konya.
La Cour refuse néanmoins sa libération parce qu'il avait écopé d'une
autre peine de quatre ans de prison sur base de l'article 8.
26.12, le procureur d'Iskenderun engage une
procédure légale afin d'obtenir la fermeture de la section d'Iskenderun
de l'IHD pour cause d'activités illégales. La même section avait déjà
été fermée pendant un mois en 1994 et pendant dix jours en 1995.
26.12, la section d'Ankara de l'IHD rapporte que le
nombre de personnes obligées de servir d'informateurs à la police a
augmenté. Une dirigeante de l'IHD, l'avocate Oya Ersoy, dit que plus de
quinze jeunes ont affirmé avoir été forcés de servir d'informateurs à
la police sous la menace d'être tués.
26.12, des militants du MHP attaquent le Lycée
Abdülkadir Paksoy à Adana et la Faculté d'Enseignement Supérieur à
Akcaabat.
27.12, la CSE d'Istanbul commence le procès de dix
personnes pour activités au sein du PKK. Le Procureur de la République
plaide la peine de mort à l'encontre de trois accusés et jusqu'à vingt
ans d'emprisonnement pour les autres accusés.
27.12, la CSE de Malatya condamne un membre de
Dev-Sol à la prison à vie.
28.12, le dirigeant du HADEP Seracettin Kirici et
l'acteur de théâtre Orhan Aydin sont jugés par la CSE d'Ankara sur base
de l'article 8 pour leurs discours à l'occasion de la Journée Mondiale
de la Paix.
28.12, la section d'Izmir d'Egit Der (Association
d'Enseignants) est fermée par le gouverneur pour cause de réunions non
autorisées.
28.12, à Istanbul, onze personnes sont arrêtées pour
avoir pris part aux activités du Parti Révolutionnaire de la Libération
du Peuple (DHKP-C).
ARTICLE 8 MODIFIE, MAIS 136 PERSONNES TOUJOURS EN PRISON POUR LEURS
OPINIONS
Alors que les dirigeants turcs et européens se
préparaient à célébrer le 1er janvier 1996 l'ouverture d'une nouvelle
période d'Union douanière, qui a récemment été ratifié par le Parlement
européen, cent trente-six prisonniers d'opinion demeuraient toujours en
prison au 31 décembre 1995.
Bien que quelque soixante-dix intellectuels aient
été libérés pour obtenir la ratification de l'accord, certains autres
sont encore en prison et beaucoup d'autres sont détenus sur base de
différents articles de la législation turque, y compris le célèbre
article 8.
Parmi les prisonniers qui vont passer la Nouvelle
Année derrière les barreaux, il y a aussi quatre députés du DEP, Leyla
Zana, Hatip Dicle, Orhan Dogan et Selim Sadak, le président du DDP
Ibrahim Aksoy et le sociologue Ismail Besikci.
Bien que la coalition DYP-CHP avait promis il y a
quatre ans de supprimer tous les articles répressifs dans la
législation turque, seul l'article 8 de la Loi Anti-Terreur a subi une
modification de façade. Environ huit cents articles répressifs, repris
dans cent soixante lois, sont d'application et ont abondamment été
utilisés pour poursuivre des gens en justice et les condamner pour
leurs opinions.
Dans sa forme originelle, l'article 8, qui concerne
les accusations de "séparatisme", prévoyait des peines de prison de
deux à cinq ans et des amendes de 50 millions TL à 100 millions TL.
Maintenant il stipule, pour les mêmes crimes, de un à trois ans de
prison et des amendes qui vont de 100 millions TL à 300 millions TL.
Cet article 8 modifié est toujours utilisé pour
l'arrestation et la condamnation de beaucoup de journalistes, de
politiciens, de représentants de syndicats ouvriers et d'associations
pour les droits de l'homme.
En outre, beaucoup d'autres personnes sont jugées
pour leurs opinions par les Cours de Sécurité de l'Etat, les cours
pénales et les cours militaires, sans mandat d'arrêt. En cas de
condamnation, elles aussi seront emprisonnées.
Dans d'autres colonnes, on trouve une liste
chronologique détaillée des persécutions à l'égard des médias en
novembre et décembre 1995.
Selon un rapport de la section d'Istanbul de
l'Association des Droits de l'Homme (IHD), les personnes suivantes sont
en prison au 31 décembre 1995, pour leurs opinions :
1. Ismail Besikci, 2. Numan Bektas, 3. Hamit
Baldemir, 4. Erdal Dogan, 5. Melek Tukur, 6. Selma Bükükdag, 7.
Neslihan Göktepe, 8. Metin Göktepe, 9. Ali Kemal Yildiz, 10. Hasan
Abali, 11. Bülent Öner, 12. Cemal Dag, 13. Fatma Harman, 14. Mesut
Bozkurt, 15. Bayram Namaz, 16. Salih Özçelik, 17. Songül Yüksel, 18.
Ali Yegin, 19. Gülnur Aslan, 20. Hatip Dicle, 21. Leyla Zana, 22. Orhan
Dogan, 23. Selim Sadak, 24. Kemal Okutan, 25. Riza Demirci, 26. Ibrahim
Ozen, 27. Kemal Topalak, 28. Bektas Canseven, 29. Fethiye Peksen, 30.
Sedat Hayta, 31. Kadir Önder, 32. Yilmaz Eksi, 33. Hava Suiçmez, 34.
Naile Tuncer, 35. Yildiz Ozdemir, 36. Kezban Mavi, 37. Hakan Bahçivan,
38. Gulseren Duman, 39. Erdal Sahin, 40. Tuncay Atmaca, 41. Mustafa
Cubuk, 42. Ali Avci, 43. Ömer Genç, 44. Sahabettin Yilmaz, 45. Mine
Sagniç, 46. Sahabettin Özaslaner, 47. Hikmet Fidan, 48. Ferhan Türk,
49. A. Kadir Cager, 50. Tevfik Kaya, 51. Nevzat Sagniç, 52. Metin
Bakici, 53. Ibrahim Polat, 54. Sinan Yavuz, 55. Zülküf Karakoç, 56.
Mehmet Akdemir, 57. Kenan Karakas, 58. Yeter Yalçintas, 59. Ahmet
Subasi, 60. Kadir Satik, 61. Necla Can, 62. Metin Alkas, 63. Burhan
Gardas, 64. A. Muharrem Gündüz, 65. Gülcan Sarioglu, 66. N. Aydan
Ceylan, 67. Kamber Inan, 68. Ufuk Dogubay, 69. Mehmet Mamaç, 70. Mehmet
Göcekli, 71. Bülent Sönmez, 72. Ferhat Karaduman, 73. A. Kerim
Mecefoglu, 74. Salih Dündar, 75. Hamdullah Akyol, 76. Murat Yesilirmak,
77. Vedat Aydin, 78. Salih Bal, 79. Ilyas Burak, 80. Sakine Fidan, 81.
Aysel Bölücek, 82. Serdar Gelir, 83. Özgür Gündenoglu, 84. Hanim
Harman, 85. Hüseyin Solak, 86. Ali Sinan Caglar, 87. Özlem Türk, 88.
Metin Atlas, 89. Teoman Gül, 90. Hasan Gül, 91. Süleyman Yaman, 92.
Mustafa Kiliç, 93. Ahmet Önal, 94. Ocak Isik Yurtçu, 95. Murat Saraç,
96. Nafiz Karakas, 97. Mensure Yüksel, 98. Özden Özbey, 99. Yusuf Sit,
100. Mustafa Aladag, 101. Veysi Harman, 102. Ismail Günes, 103. Sabri
Bölek, 104. Faruk Deniz, 105. Nevzat Bulut, 106. Halit Yalcin, 107.
Sevda Öztekin, 108. Medeni Ayhan, 109. Mustafa Ciftçi, 110. Nebahat
Polat, 111. Ilhan Özdemir, 112. Emine Buyrukçu, 113. Vahit Demir, 114.
Necmiye Arslanoglu, 115. Hüseyin Akbulut, 116. Hatun Yildirim, 117.
Kemal Külahçi, 118. Bülent Abbasoglu, 119. M. Sefe Fersal, 120. Gürcan
Yildiz, 121. Ayse Idil, 122. Süleyman Bakirman, 123. Aylin Ürkmez, 124.
Recep Üzmez, 125. Fevzi Gerçek, 126. Mustafa Kaplan, 127. Mehmet
Gemsiz, 128. Suat Kiliç, 129. Mevlüt Daslik, 130. Emine Arslanoglu,
131. Özgül Tasçi, 132. Özkan Kiliç, 133. Nuray Gezici, 134. Leyla
Tastan, 135. Haydar Özdemir, 136. Mirali Demir.
211 ANS DE PRISON POUR BESIKCI
Le sociologue et écrivain turc Ismail Besikci a été
condamné à un total de deux cent onze ans d'emprisonnement pour plus de
cent accusations de "propagande séparatiste" dirigées à son encontre,
principalement sur base de l'article 8.
Parmi les procès intentés contre lui, relatifs au
contenu de ses livres et articles parus dans une multitude de
publications, certains se sont soldés par des peines de prison
confirmées par la Cour de Cassation pour un total de trente-sept ans et
trois mois de même que des amendes qui se montent à 3,2 milliards TL.
Pendant ce temps-là, la Cour de Cassation examine les verdicts des
cours contre Besikci qui représentent un total de trente ans de prison
et une amende qui atteint 3,7 milliards TL.
Depuis que Besikci a refusé de payer les amendes,
dans chaque affaire clôturée, il a reçu une peine de prison
supplémentaire de trois ans en tant que conversion de ces amendes. Cela
a eu pour résultat de faire monter ses peines d'emprisonnement dès à
présent à plus de deux cents ans.
Ünsal Öztürk, le propriétaire de la maison d'édition
Yurt, la société qui a édité les ouvrages de Besikci, a fait l'objet
d'accusations similaires dans soixante-deux affaires et a été condamné
à un total de cinquante ans de prison. Jusqu'à présent, la Cour de
Cassation a confirmé un total de sept ans et demi de prison, de même
que des amendes qui se montent à 837,3 millions TL.
La Cour de Cassation s'occupe actuellement des
pourvois qui subsistent contre des décisions impliquant Öztürk. A
l'issue des cas tranchés définitivement, Öztürk a obtenu des peines de
prison pour un total de sept ans et deux mois de même que des amendes
qui s'élèvent à 599,9 millions TL.
Comme Öztürk a refusé de payer ses amendes,
celles-ci ont été converties en des peines de prison qui atteignent
cinquante ans.
Récemment, le 15 novembre, la Cour de Cassation a
confirmé dix ans et quatre mois de prison supplémentaires, ainsi qu'une
amende de 416 millions 660 mille TL pour quinze livres de Besikci. Son
éditeur Ünsal Öztürk aussi a été condamné à deux ans et sept mois de
prison et à une amende de 516 millions 660 mille TL.
Quelques jours plus tard, le 24 novembre, la CSE
d'Ankara a réduit la durée d'une précédente peine d'emprisonnement de
douze ans à six ans et une amende de 1,5 million TL à 600 millions TL.
Ce verdict à été rendu pour quinze autres livres de Besikci. Néanmoins,
la cour refusa de le libérer sous prétexte qu'il pourrait récidiver
s'il était relâché.
Le 27 décembre, la CSE d'Ankara a de nouveau
condamné Ismail Besikci pour ses quinze autres livres à quatre ans et
quatre mois de prison et à une amende de 433 millions TL. Son éditeur
Ünsal Öztürk a aussi été condamné à deux ans et deux mois de prison et
à une amende de 253 millions TL, dans la même affaire.
Le même jour, la même cour a condamné Besikci dans
une autre affaire à un an de prison et à une amende de 1OO millions TL
pour un article qu'il était publié dans le bulletin IHD.
La cour a refusé de reporter l'exécution de toutes
ces sentences.
Besikci, qui n'est pas kurde, détient le record de
la plus longue peine de prison dans le cadre des restrictions de la
Turquie sur la liberté d'expression. Le sociologue (56) se trouve
incarcéré dans une prison de haute sécurité de la capitale depuis le 13
novembre 1993. Auparavant, il avait déjà été emprisonné pendant dix ans
au total, après les coups d'état de 1971 et 1980.
99 INTELLECTUELS EMINENTS TOUJOURS EN PROCES
Le procès de quatre-vingt-dix-neuf intellectuels qui
ont signé une pétition dans laquelle ils assument la responsabilité
collective d'un livre confisqué, Liberté de Pensée, a été remis, le 7
décembre 1995, à une date postérieure à l'entrée en application de
l'Union douanière.
On s'attend à ce que la CSE N°4 d'Istanbul poursuive
ultérieurement un total de mille quatre-vingt co—signataires pour la
même violation.
Au cours du procès, les avocats de la défense ont
dit que toutes les lois sur base desquelles leurs clients étaient
accusés étaient anticonstitutionnelles et ont demandé que l'affaire
soit portée devant la Cour Constitutionnelle. Toutefois, les juges
n'ont pas pris au sérieux cette requête.
Consécutivement à l'audition, les défendeurs ont dit
que les modifications apportées à l'article 8 à cause de l'Union
douanière étaient purement de façade, et que seul des gens célèbres
tels que l'écrivain Yasar Kemal avaient été acquittés, pendant que les
Cours de Sécurité continuent de juger des dizaines de personnes
quotidiennement.
NOUVELLES CONDAMNATIONS A L'ENCONTRE DE L'EDITRICE ZARAKOLU
La directrice de la maison d'édition Belge, Mme Ayse
Zarakolu, a de nouveau été condamnée dans certains de ses procès
relatifs à l'article 8 de la LAT.
Le 22 décembre, Zarakolu a été condamnée par la CSE
N°4 d'Istanbul à six mois de prison pour le livre de l'ex-président du
DEP Yasar Kaya intitulé Les Ecrits Gündem. La peine d'emprisonnement a
ensuite été commuée en une amende de 1,9 million LT.
Dans un autre procès, la même cour a condamné
Zarakolu à six mois de prison et à une amende de 82 million LT pour le
livre de Sadrettin Aydinlik, intitulé l'Aurore de l'Hiver. La peine
d'emprisonnement a ensuite été commuée en une amende de 1 million LT.
La cour a refusé de suspendre l'exécution de la
sentence en arguant que l'accusée pourrait continuer à commettre les
mêmes crimes.
Le 29 décembre, la CSE N°5 d'Istanbul a condamné
Zarakolu à six mois de prison pour avoir publié le travail du
journaliste Abdülkadir Konuk portant sur le journaliste assassiné
Ferhat Tepe.
Le même jour, un autre procès de Zarakolu concernant
l'œuvre du Prof. Vahakn Dadrian, Génocide, s'est terminé par un
acquittement.
Mme Zarakolu a déjà purgé cinq mois de prison pour
le livre d'Ismail Besikci, Le Programme du CHP et la Question Kurde.
A côté de cela, une condamnation de Zarakolu sur
base de l'article 8 a été confirmée par la Cour de Cassation. Quatre
autres décisions sont actuellement examinées par la même haute cour.
De plus, Zarakolu est actuellement jugée par la CSE
d'Istanbul dans trois autres affaires.
D'autre part, les premières publications saisies
après la modification de l'article 8 sont deux livres publiées par
Zarakolu : La Liberté Née dans les Montagnes, par le journaliste
Abdülkadir Konuk, et Chère Leyla/C'était un long exil cette nuit, par
l'ancien maire de Diyarbakir Mehdi Zana.
LES DEFENSEURS DES DROITS DE L'HOMME POURSUIVIS
Le Procureur d'Ankara a ouvert le 10 décembre 1995
un procès contre dix défenseurs des droits de l'homme sur base de
l'article 159/3 du Code pénal turc pour un article publié en juin dans
un livre de la Fondation des Droits de l'Homme de Turquie (TIHV).
L'article écrit par l'avocat Turgut Inal,
ancien bâtonnier du Barreau de Balikesir, et intitulé "Nous
défendons les droits de l'Homme malgré une constitution et des lois
imparfaites" est considérée comme une insulte aux lois de la République
Turque et aux décisions de l'Assemblée Nationale.
Le procès de Turgut Inal, de même que ceux du
président de la TIHV, Yavuz Önen, du secrétaire général de la TIVH,
Okan Akhan, et les autres administrateurs de la TIVH, Murat Yetkin,
Mahmut Tali Öngören, Fevzi Argun, Mehmet Vural, Haldun Özel, Veli Lök
et Sükran Akin, débutera devant une cour pénale d'Ankara le 18 janvier
1996. Chacun d'entre eux risque jusqu'à six mois de prison.
D'autre part, le 23 décembre, le président de l'IHD,
Akin Birdal, a été condamné par une cour pénale d'Ankara à trois mois
d'emprisonnement pour certaines affiches de l'IHD en vertu de la Loi
sur les Associations. La peine de prison a ensuite été commuée en une
amende de 450 mille LT.
Le 28 décembre, la CSE d'Istanbul a commencé à juger
Birdal pour son discours prononcé à l'occasion de la Journée Mondiale
de la Paix, le 5 septembre. Le procureur a requis jusqu'à trois ans
d'emprisonnement sur base de l'article 312 du CPT.
1443 PUBLICATIONS SAISIES EN UN AN
D'après le quotidien Siyah Beyaz du 8 novembre
1995, mille quatre cent quarante-trois publications différentes ont été
saisies par des décisions des cours au cours de l'année écoulée. Parmi
ces publications, on compte cinquante-six livres, sept cent
quatre-vingt-quatre périodiques, 602 journaux et un bulletin.
A côté de cela, dans la région où l'état d'urgence a
été décrété, soixante-treize cassettes de musique ont été interdites.
A cause des pressions, rapporte le journal, treize
imprimeries ont cessé leur activité.
DEUX MOIS DE PERSECUTION DES MEDIAS
1.11, les locaux d'Adana du périodique Kizil Bayrak
font l'objet d'une descente de police. L'employé Mahir Kayir est arrêté
et de nombreux documents sont saisis.
2.11, la CSE d'Istanbul saisit les numéros 12 et 13
du périodique Sterka Rizgari en vertu de l'article 312 du CPT.
4.11, le roman de Kaan Aslanoglu Les Personnalités
est saisi par une cour pénale, sur base d'une loi spéciale qui punit
les écrits contre Atatürk.
6.11, l'éditeur responsable du périodique Devrimci
Emek, Sedat Hayta, affirme avoir été torturé pendant sa détention suite
à une manifestation le 24 octobre.
7.11, la CSE d'Istanbul et une cour pénale
d'Istanbul ordonnent séparément la saisie des derniers numéros des
périodiques Partizanin Sesi et Partizan Genclik, le premier sur base de
l'article 6 de la LAT et le second sur base de l'article 312 du CPT.
8.11, l'avocat Esber Yagmurdereli est mis en prison
pour y purger sa peine de vingt mois pour un discours qu'il a prononcé
en décembre 1992.
8.11, le quotidien Evrensel est saisi par la CSE
d'Istanbul pour propagande séparatiste sur base de l'article 8.
12.11, un correspondant du quotidien Önder, Bünyamin
Düz est battu par la police et ses jambes brisées alors qu'il couvrait
une rencontre de football à Karadeniz Ereglisi.
13.11, un avocat des députés du DEP, Yusuf Alatas,
est poursuivi par une cour pénale d'Ankara pour avoir critiqué
l'attitude partiale de la CSE d'Ankara lors du procès du DEP. Il risque
jusqu'à six mois de prison sur base de l'article 30/2 de la Loi sur la
Presse;
14.11, à Istanbul, sept membres des groupes de
musique Munzur, Kutup Yildizi et Genc Ekin, Murat Tokdemir, Bülent
Simsek, Havva Neslihan Tokur, Ibrahim Yildiz, Berrin Tekdemir, Ipek
Rencper et Sinel Deniz Karakaya, sont placés en état d'arrestation par
la CSE d'Istanbul pour avoir participé à une grève de la faim dans les
locaux d'Istanbul du CHP. Ils affirment avoir été torturés durant leur
garde à vue.
14.11, le livre La Liberté Née dans les Montagnes du
journaliste Abdülkadir Konuk est saisi par la CSE d'Istanbul sur base
de l'article 8 de la LAT, pour propagande séparatiste. La cour a
également saisi le numéro 26 du périodique Ronahi pour le même motif.
17.11, la CSE d'Ankara ramène une peine
d'emprisonnement de deux ans dans le chef du journaliste Yalcin Kücük à
un an et une amende de 250 millions TL à 100 millions TL, mais rejette
la suspension de l'exécution. La cour délivre aussi un mandat d'arrêt
contre Kücük qui est actuellement en France. Kücük a été condamné pour
son livre intitulé Dialogue dans le Jardin Kurde.
18.11, à Konya, la librairie Ilkezgi est incendiée
par des assaillants non identifiés. Le propriétaire de la librairie a
déjà été menacé pour avoir vendu des livres d'Aziz Nesin et détruit le
2 avril 1995.
19.11, le Conseil Supérieur de la Radio-Télévision
(RTÜK) décide de suspendre les programmes de la chaîne de
télévision Kanal D pour un jour le 30 novembre pour avoir diffusé une
émission sur les membres homosexuels du Parlement.
19.11, l'hebdomadaire Roj doit suspendre ses
publications à cause de difficultés matérielles résultant de la saisie
de l'ensemble de ses vingt-trois numéros parus jusqu'à lors.
20.11, le Procureur de la République initie une
nouvelle action légale à l'encontre de l'ancien député emprisonné du
DEP, Hatip Dicle, pour la parution, le 9 août 1995, de son article dans
le quotidien Yeni Politika.. Sous l'accusation d'outrages aux cours,
Dicle risque jusqu'à six années d'emprisonnement supplémentaires sur
base de l'article 169 du CPT.
20.11, l'éditeur responsable du quotidien Yeni
Yüzyil, Ismet Berkan, et le chroniqueur Ali Bayramoglu sont jugés par
la CSE d'Istanbul sur base de l'article 312 du CPT. Chacun encourt
jusqu'à six ans de prison pour incitation à la haine raciale et à
l'hostilité ethnique.
20.11, une peine de prison de deux ans à l'encontre
de l'écrivain Mehmet Bayrak est ramenée à un an mais la cour refuse de
surseoir à l'application. Bayrak avait été condamné pour son livre
intitulé Chansons Populaires Kurdes.
21.11, la Cour de Cassation confirme la peine de
l'actrice de théâtre Bilgesu Erenus. Elle avait été condamnée par la
Cour Militaire de l'Etat-major à deux mois de prison et à une amende de
100 mille TL pour avoir
appelé les mères à ne pas envoyer leurs enfants au service militaire.
24.11, deux journalistes du quotidien Milliyet,
Melih Asik et Eren Güvener sont condamnés chacun à un mois de prison et
à une amende de 161 mille TL pour avoir divulgué certains documents
judiciaires.
24.11, la CSE de Diyarbakir place en état
d'arrestation sept personnes appréhendées le 10 novembre lors d'une
rafle policière dans le Centre Culturel Mésopotamien à Diyarbakir.
25.11, trois collaborateurs de la revue Kizil
Bayrak, Safter Korkmaz, Suzan Geridönmez et Gülcan Öztürk sont arrêtées
par la police alors qu'elles couvrent une action ouvrière à Istanbul.
26.11, les émissions de la chaîne privée de
télévision Interstar sont suspendues pendant trois jours parle Conseil
Supérieur de la Radio-Télévision (RTÜK) en relation avec ses programmes
accusant le Premier Ministre Ciller de transactions illégales.
28.11, l'écrivain kurde Recep Marasli est condamné à
un an et quatre mois de prison par la CSE d'Istanbul sur base de
l'article 8 pour l'un de ses articles parus dans le journal Jiyana Nû.
Bien que la cour ait aussi décidé de le relâcher en vertu de la
modification apportée à l'article 8, il n'a pas été libéré à cause
d'autres mandats d'arrêt qui pèsent sur lui.
30.11, le Centre Culturel Yenigün à Istanbul
est fermé sous l'ordre du Gouverneur d'Istanbul pour activités
incompatibles avec ses objectifs.
1.12, à Istanbul, un correspondant du quotidien
Evrensel, Hasim Demir, est attaqué par des agresseurs non identifiés
qui tentent de l'enlever.
1.12, un ancien éditeur du défunt quotidien Özgür
Gündem, Besim Döner, est condamné par le Tribunal Militaire de
l'Etat-major à deux mois de prison et 160 mille TL d'amende sur base de
l'article 155 du Code pénal pour publication contre le service
militaire.
2.12, le dernier numéro du quotidien Evrensel est
saisi par la CSE d'Istanbul sur base de l'article 6 de la LAT pour
avoir dénoncé les noms du personnel responsable des mauvais traitements
dans les prisons.
3.12, le correspondant d'Izmir du périodique Atilim,
Hayrettin Özkurt, affirme avoir été torturé pendant sa garde à vue
entre le 16 et le 27 décembre 1995. Il rapporte aussi qu'un autre
journaliste de Atilim, Mithat Yildiz, est toujours détenu et qu'il est
sujet à la torture.
4.12, le rédacteur en chef du périodique Özgür
Bilim, Medeni Ayhan, est condamné par la CSE d'Ankara à deux ans de
prison et à une amende de 550 millions TL sur base de l'article 8.
L'éditeur responsable de la revue, Sait Cakar, aussi, est condamné à
six mois d'emprisonnement et à une amende de 50 millions TL.
5.12, la CSE d'Ankara condamne quatre personnes à
diverses peines sur base de l'article 8. Ibrahim Halit Elci et Kemal
Altintas sont condamnés à un an de prison et à une amende de 100
millions TL pour leurs articles publiés en août 1993 dans le périodique
Pir Sultan Abdal. L'éditeur responsable de la revue, Metin
Kuzugüdenlioglu, est condamné à six mois d'emprisonnement et à une
amende de 50 millions TL, et l'éditeur Murtaza Demir à une amende de
100 millions TL. Conséquemment à la récente modification de l'article
8, les peines de prison sont commuées en amendes.
5.12, un correspondant du quotidien Evrensel,
Nebahat Alkan, est arrêtée après avoir interviewé les travailleurs en
grève à Tuzla.
6.12, le périodique Proleter Halkin Birligi N°2 est
saisi par la CSE d'Istanbul en vertu des articles 6 et 8 de la LAT.
7.12, l'ancien député du DEP Hatip Dicle, toujours
en prison avec trois autres députés du DEP, est condamné par la CSE
d'Ankara à un an de prison et à une amende de 100 millions TL sur base
de l'article 8 pour une lettre qu'il a écrite à un autre prisonnier
politique. A cause de la modification de cet article, sa peine de
prison est réduite à huit mois et son amende 660 mille TL.
13.12, le Conseil Supérieur de la Radio-Télévision
(RTÜK) décide de suspendre les programmes de la chaîne de
télévision Kanal D pendant un jour le 3 janvier pour motifs d'émissions
contraires à l'ordre public et à la conception turque de la famille.
15.12, un emprisonnement de vingt mois à l'égard de
l'avocat Esber Yagmurdereli, qui est aveugle et en prison depuis le 8
novembre, est ramené à dix mois. Bien qu'il soit relâché, la cour
refuse de surseoir à l'application de la peine sous prétexte qu'il
pourrait à nouveau contrevenir à la loi. Ainsi, Yagmurdereli sera à
nouveau emprisonné si la Cour de Cassation confirme le verdict.
17.12, les périodiques Özgür Yasam, n°11, Atilim,
n°61, Odak, n°49, Kaldirac, n°14, et Alinteri, n°63, et l'édition de
décembre de Hedef et de Direnis sont saisis par la CSE d'Istanbul en
vertu de la LAT.
18.12, un livre intitulé Les Jours Barricade, publié
par la maison d'édition Varyos, est saisi par la CSE d'Istanbul sur
base de l'article 7 de la LAT et de l'article 312 du CPT.
19.12, le journaliste Ragip Duran est condamné par
la CSE d'Istanbul à dix ans de prison et à 333 mille TL d'amende sur
base de l'article 7 de la LAT pour l'un de ses articles publiés dans le
quotidien Özgür Gündem.
19.12, l'édition de décembre du magazine Savasa
Karsi Baris est saisie par la CSE d'Istanbul. Le magazine
contenait une réimpression d'extraits du dossier The Human Rights Watch
Arms Report. concernant les violations du Droit de la Guerre en Turquie.
20.12, le dernier numéro du périodique Sosyalist
Iktidar est saisi par la CSE d'Istanbul sur base de l'article 8.
21.12, les journaux Milliyet, Fanatik,
Evrensel et Posta sont saisis par une cour pénale pour
avoir publié des sondages d'opinions sur les élections du 24 décembre.
Les éditeurs responsables de ces publications risquent chacun jusqu'à
un an de prison.
21.12, le dernier numéro du périodique Ates
hirsizi est saisi par une cour pénale pour avoir insulté
l'Assemblée Nationale. La CSE d'Istanbul saisit le numéro 65 du
périodique Özgür Gelecek pour propagande d'organisations
déclarées hors-la-loi.
21.12, le RTÜK décide de suspendre pour un jour les
programmes des chaînes de télévision Flash TV et HBB.
22.12, à Elazig, le correspondant d'Evrensel
Ersel Dag et son ami, Vahit Tekin, sont sujets à la torture après leur
arrestation par la police.
22.12, trois journalistes du périodique Atilim,
Eylem Semint, Yusuf Güzel et Zahide Honca sont torturés après leur
arrestation au cours d'une visite à un détenu politique à la prison de
Bayrampasa.
23.12, les journaux Hürriyet et Posta
sont saisis par une cour pénale pour avoir publié des sondages
d'opinions sur les élections du 24 décembre. Les éditeurs responsables
de ces publications encourent chacun jusqu'à un an de prison.
23.12, les émissions de la station de radio locale
Harran FM sont suspendues pendant un jour par le RTÜK pour cause
d'insultes à l'égard des dirigeants de l'Université de Harran.
26.12, le numéro 64 du périodique Alinteri est
saisi par la CSE d'Istanbul pour propagande de certaines organisations
interdites.
26.12, l'écrivain Inönü Alpat et l'éditeur Mustafa
Tüm sont poursuivis par le procureur de la CSE d'Ankara sur base de
l'article 7 de la LAT pour le livre du premier Nous avons donné
rendez-vous aux Montagnes. Alpat encourt jusqu'à cinq ans
d'emprisonnement et Tüm deux ans.
26.12, un groupe de Loups Gris font une
descente dans les locaux du périodique Umut. La police arrête certains
employés de la revue.
28.12, le professeur d'université Ilhan Arsel et
l'éditeur Nazar Fikri sont jugés par une cour pénale d'Istanbul pour le
livre du premier Nous, Les Professeurs. Le procureur requiert
deux ans à l'encontre de Arsel ainsi qu'une amende de 3 millions TL à
Fikri sur base de l'article 175 du CPT, pour motifs d'insulte à l'Islam.
EUROPALIA : LE FESTIVAL DE LA HONTE SE TIENDRA EN 1997
Consécutivement à la ratification de l'Union
douanière par le Parlement Européen, le gouvernement belge n'a pas
tardé à récompenser le régime turc en levant la suspension du Festival
Europalia Turquie. Pour des raisons pratiques, la date de ce
festival est reportée à 1997, au lieu de 1996.
Le gouvernement belge a annoncé le 22 décembre que
plus aucun obstacle ne subsistait sur la voie d'Europalia Turquie.
La décision de consacrer Europalia 96 à la
Turquie où les droits de l'homme sont systématiquement violés avait
soulevé une série de protestations de la part d'organisations
démocratiques de Turquie et de Belgique (Info-Türk, jan./fév. 95).
Face à ces réactions, ce festival avait été suspendu
par la Fondation Belge pour l'Europalia lorsque le Ministre des
Affaires Etrangères de l'époque, M. Frank Vandenbroucke, avait
considéré le festival comme "ignorant les autres cultures - kurde,
arménienne, assyrienne, etc. - de l'Anatolie" et les gouvernements
fédéral et flamand avaient suspendu leur contribution financière à
l'organisation (Info-Türk, mar./avr. 95).
Le dernier communiqué officiel belge affirme que le
dossier turc aurait connu d'importantes améliorations au cours des
dernières semaines et que le programme turc pour le festival serait
équilibré et vaste - il s'agit ici d'une référence à l'ancienne
critique de Bruxelles selon laquelle le programme ne reflétait pas la
diversité ethnique et culturelle de la Turquie.
Le festival est financé conjointement par des
sponsors publics et privés turcs et belges. Initialement, la Turquie
devait contribuer pour 460 millions FB, le reste devant être apporté
par la partie belge.
Pour le régime turc, ceci est un investissement très
rentable pour sa propagande dans la capitale de l'Europe où les
violations des droits de l'homme en Turquie ont toujours constitué un
sujet permanent de critiques dans les enceintes des institutions
européennes.
En fait, avant le changement de la position belge,
le commissaire turc pour Europalia Turquie, Bülent Eczacibasi, a
déclaré au Turkish Daily News, le 1er décembre, "Nous avons exercé un
lobbying intense en Belgique pour la levée de la décision de
suspension".
Puisque la violation des droits de l'homme,
l'arrestation d'intellectuels et d'artistes se poursuit toujours et que
les Kurdes et les autres minorités d'Anatolie continuent de faire
l'objet d'un terrorisme d'état, la nouvelle décision du gouvernement
belge constitue une nouvelle soumission au chantage d'Ankara.
Si la situation des droits de l'homme et des
minorités demeure inchangée jusqu'en 1997, le Festival Europalia
Turquie entrera dans l'histoire culturelle européenne comme le
Festival de la Honte.
LA TURQUIE CANDIDATE AU CONSEIL DE SECURITE DE L'ONU
Encouragée par l'attitude compréhensive des USA et
des gouvernements européens sur la question de l'Union douanière, la
Turquie s'est présentée comme candidate au Conseil de Sécurité de l'ONU.
La Turquie a déclaré aux 185 pays membres des
Nations Unies qu'elle se porterait candidate au Conseil de Sécurité
lors des élections prévues en l'an 2OOO, a annoncé le 7 décembre le
représentant de la Turquie auprès de l'ONU, Hüseyin Celem.
Le Conseil de Sécurité est constitué de quinze
membres, parmi lesquels cinq ont des sièges permanents. Les dix membres
restant sont élus pour une période de deux ans par l'Assemblée Générale
et ne disposent pas de droit de veto. Les membres du Conseil de
Sécurité ne sont pas éligibles deux fois d'affilée. La dernière fois
que la Turquie a été membre du Conseil de Sécurité remonte à 1951.
La Turquie, qui est membre de l'Alliance de l'Europe
Occidentale aux Nations Unies, ne dispose que d'une mince chance d'être
élue au Conseil. La Grèce aussi va probablement se porter candidate au
Conseil et cela va limiter les chances de la Turquie, disent les
observateurs diplomatiques.
UNE NOUVELLE OCCASION DE PROPAGANDE POUR LE REGIME D'ANKARA : HABITAT
La signature d'un accord régissant la Conférence
Habitat II, accueillie par la Turquie, du 3 au 14 juin à Istanbul,
était attendue à la fin du mois de décembre malgré les réserves
anti-démocratiques du gouvernement turc.
Cette dernière conférence majeure du siècle
organisée par l'ONU sur les installations humaines est présentée comme
un effort global pour échanger des idées entre les gouvernements, les
maires, les urbanistes et les scientifiques.
Le Ministre turc des Affaires Etrangères avait
rejeté le "Projet d'Accord de Pays Hôte" pour la conférence, en ce
qu'il ne veut pas d'une immunité qui empêcherait la poursuite de ses
propres citoyens participant à la conférence en tant que représentants
de gouvernements locaux ou de groupes privés. Le gouvernement turc
redoute que la conférence ne soit utilisée pour la diffusion de la
propagande pro-kurde.